COMPTES RENDUS DES AUDITIONS ORGANISÉES PAR LA COMMISSION DES LOIS

Audition de M. Yves Krattinger, ancien sénateur, rapporteur de la mission commune sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République (Jeudi 6 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Nous ouvrons notre cycle d'auditions publiques préparatoire au débat sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, que nous examinerons à la mi-décembre. D'après la Constitution, le Sénat, qui représente les collectivités territoriales, est saisi en premier des textes portant sur leur organisation : l'Assemblée nationale délibèrera sur le texte issu du Sénat et non sur le texte du Gouvernement, ce qui nous confère une responsabilité forte.

Notre commission aborde ce débat avec appétit et enthousiasme ! Nous avons nommé deux rapporteurs : René Vandierendonck, désigné au début de l'été et qui a déjà procédé à de nombreuses auditions, et Jean-Jacques Hyest, qui a présidé la commission spéciale sur la délimitation des régions. L'un est issu de l'opposition sénatoriale, l'autre de la majorité : l'intention politique est de rechercher le consensus le plus large.

Nous ne limiterons pas nos auditions aux élus locaux, mais entendrons aussi des personnalités qualifiées et des représentants des confédérations syndicales : les forces vives de notre pays ont aussi leur mot à dire sur le rôle des collectivités territoriales. Nous inviterons également des personnalités étrangères. Enfin, comme l'a souhaité M. le président du Sénat, nous organiserons en région une rencontre d'une journée avec des élus de terrain.

Nous entendons aujourd'hui successivement le rapporteur et le président de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République, qui a rendu son rapport fin 2013.

Lors du débat de la semaine dernière, le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur s'y sont plusieurs fois référés. Ce document constitue pour nous un cadre de référence. Aussi voulions-nous commencer nos travaux en entendant ses auteurs.

M. Yves Krattinger, ancien sénateur, auteur du rapport d'information « Des territoires responsables pour une République efficace » . - Qu'il s'agisse de la constitution ou de la géographie de l'organisation territoriale, sa transformation doit se faire dans le consensus, parce que le contenant doit être le même pour tous, même si le contenu, c'est-à-dire les politiques publiques, peut varier selon les majorités et les hommes... Il est fondamental de trouver un accord sur une base commune que le Parlement puisse valider.

Nous devons fixer une perspective de moyen voire de long terme, tracer une route sans sous-estimer les obstacles juridiques et financiers. La réforme de 1982 a mis trente ans à être pleinement appliquée. La mise en oeuvre de celle de 2004 s'achève à peine avec l'intégration des agents OPA dans la fonction publique territoriale. Vouloir aller trop vite, c'est prendre le risque de bloquer la machine et de perturber l'activité des collectivités territoriales.

Nous vivons dans une France des mobilités. Entre 2004 et 2009, 26 % des moins de 25 ans ont changé de département. Vivre, travailler et voter au même endroit n'est plus le modèle dominant. L'effet de cette mobilité est amplifié par les technologies numériques, grâce auxquelles l'on peut exploiter le moindre temps de déplacement pour échanger des informations. Du coup, le regard de nos concitoyens sur les institutions évolue et celles-ci leur paraissent immobiles, les services publics déphasés. Le besoin de rattachement de l' homo mobilis à un territoire porte sur plusieurs territoires.

La crise n'est pas terminée, surtout pas en Europe. Jean-Pierre Raffarin et moi-même avons constaté qu'elle avait eu pour effet, partout en Europe, une recentralisation des décisions. Les collectivités territoriales se sont recentrées sur elles-mêmes. À vouloir ainsi sauver les meubles, la grande aventure de l'intercommunalité, lancée il y a vingt ans, s'en trouve remise en cause : les doutes grandissent. Que donnerait un référendum ?

Quelque 20 % de la population vivent au mauvais endroit, dans ces trois quarts de notre territoire où apparaît un sous-prolétariat territorial. Le décalage s'approfondit entre la fierté, la vitalité des métropoles et les doutes qui traversent, à juste titre, les territoires ruraux. Pourtant, 60 % des emplois industriels sont situés dans des communes de moins de 2 000 habitants. En somme, les métropoles concentrent les grands sites sociaux, culturels et sportifs ainsi que les hauts fonctionnaires, quand la ruralité est le lieu de la production, des bas salaires et des services publics au rabais. Bref, la France est fendue en deux parties : une France d'en haut et une France d'en bas. Cette dangereuse coupure entre une sphère politico-administrative centrale, à l'intérieur du périphérique parisien ou dans quelques métropoles, et une France rurale, est lourde de dangers.

Sachons revenir à des choses sur lesquelles nous sommes d'accord. Il est essentiel d'identifier clairement les responsabilités des différents acteurs pour accroître l'efficacité de l'action publique et la rendre plus réactive. Dans notre monde en rapide transformation, il n'est pas acceptable qu'il faille dix ans pour lancer un projet d'infrastructure ! Le millefeuille administratif n'accélère pas les choses, d'autant qu'il se retrouve dans le processus de décision, jusqu'au sein de l'État, dont les services ne cessent de se contredire...

Voilà pourquoi je prêche depuis 2008-2009 pour un guichet unique d'instruction : politique de l'Etat, instruction unique par l'Etat ; politique de la région, instruction unique par la région... Un instructeur, un dossier d'instruction, une décision !

Nous l'avons expérimenté en Haute-Saône pour le renforcement des conduites d'eau : 100 dossiers ont été montés en trois mois. L'agence de l'eau a accepté de déléguer l'instruction au département, alors même qu'elle apportait 30 % du financement. La région a fait de même. Résultat : 22 millions d'euros investis rapidement, dans un département de 240 000 habitants.

Définir les missions avant de décliner les compétences. Au bloc communal les services publics de proximité immédiate et le renforcement du lien social. Avec le département, qui garantit la couverture en services publics, il constitue le pôle de la proximité, l'Etat et la région formant celui de la stratégie. Les régions doivent veiller à l'accessibilité du territoire par les aéroports, les ports, les lignes ferroviaires, les grandes infrastructures, les autoroutes, le haut débit.

Les collectivités territoriales doivent préparer les entreprises à la compétition mondiale du XXI e siècle : mieux vaut prévenir que guérir. Encourageons-les à se moderniser avant les crises, au lieu de réaliser leurs mutations sous la pression. En nous portant en avant, nous ne nous condamnerons plus aux combats d'arrière-garde. Pour cela, nous devons donner enfin aux régions la responsabilité de l'ensemble de la formation. Sans doute faudra-t-il décentraliser l'Education nationale : l'économie industrialo-touristique de l'ensemble Rhône-Alpes-PACA n'ayant pas grand-chose à voir avec l'économie post-industrielle du grand Est de la France, les stratégies de formation doivent s'adapter à ces différences, même si le socle commun reste défini par la République.

Il est indispensable que les actions publiques soient mieux identifiées : les projets de la commune, de l'intercommunalité, du département, de la région, de l'État, de l'Europe doivent être bien distincts et articulés. Bref, il faut que l'unité et la diversité se conjuguent intelligemment. Chacun reconnaît les différences entre les territoires. L'expérimentation, qui est autorisée par la Constitution, doit être renforcée, ce qui suppose que le préfet ne soit pas notre tuteur. La communauté du Val Marnaysien, à cheval sur le Doubs et la Haute-Saône, peut adhérer à un syndicat dans chacun des deux départements pour l'électricité, les eaux, l'assainissement, les réseaux téléphoniques, mais pas pour le très haut débit, parce qu'aucun texte ne le prévoit. Le bon sens doit l'emporter sur la règle qui ne peut avoir prévu tous les cas !

Nous avons inventé un terme avec Jean-Pierre Raffarin : la loi-cadre territoriale. La loi de 2005 sur le handicap, belle loi républicaine, a donné lieu à des décrets d'application nationaux. Comme si la norme d'accessibilité aux transports pouvait être la même en Lozère et à Lyon...

M. René Vandierendonck , rapporteur . - C'est vrai !

M. Yves Krattinger . - C'est absurde ! Seul Paris a été traitée à part. Mieux vaudrait avoir des textes d'application adaptés aux réalités locales, pris en accord entre le président du département et le préfet. De même, les textes régissant l'isolation ou les propriétés énergétiques des bâtiments doivent être modulés. Il faut en sortir par le haut. Oui à des lois-cadres distinguant contraintes nationales et applications locales, mais attention à ne pas aller trop loin : je suis prodigieusement inquiet que la reconnaissance des spécificités puisse se traduire par des modes de gouvernance différents selon les territoires. Une telle illisibilité aurait un coût pour les citoyens, désormais très mobiles, comme pour l'État, qui aurait bien du mal à comparer les politiques publiques d'un territoire à l'autre.

M. Philippe Bas , président . - Merci d'avoir ainsi situé les enjeux avec compétence et enthousiasme : il ne s'agit pas de jouer avec un meccano territorial, mais de stabiliser une société en crise en créant du développement économique, social et culturel. Vous avez souligné l'importance de la décentralisation et de la différenciation des modes de fonctionnement des territoires : notre organisation manque de souplesse.

M. Jean-Jacques Hyest , rapporteur . - Vous avez évoqué le décalage entre territoires urbains et ruraux, mais n'avez rien dit du périurbain, où se concentre une population nombreuse. Le numérique représente en effet un enjeu important. Je suis d'accord avec votre diagnostic comme avec les perspectives. Oui, il faut définir les missions avant de fixer les compétences.

Nous devons aussi accroître la souplesse du système. En France, de plus en plus, ce qui n'est pas autorisé est interdit, et non plus l'inverse. Mon département a créé un service départemental d'incendie avant la décentralisation, par accord entre le préfet et le président du conseil général. Vous avez eu raison d'indiquer que la nouvelle organisation mettra longtemps à s'appliquer. Conseiller général depuis 1982, je sais que l'absorption des DDAS et des DDE a pris beaucoup de temps. Réformer à la hussarde ne marche pas.

M. René Vandierendonck , rapporteur . - « Nouvelle organisation territoriale de la République » : il n'y a pas les mots de décentralisation ni de déconcentration. Que faites-vous des syndicats intercommunaux, qui emploient une grande partie des effectifs de la fonction publique territoriale dans les départements ?

Les régions stratèges devront être moins dans la proximité. Les géographes nous le disent : laisser survivre pour une durée déterminée des départements dans une partie du territoire, c'est passer à côté de l'essentiel. Que souhaitez-vous que le Premier ministre dise lors du congrès de l'Assemblée des départements de France ?

M. Philippe Bas , président . - Le Premier ministre le lui a peut-être demandé....

M. Gérard Cornu . - Bravo à MM. Krattinger et Raffarin pour ce rapport qui fait référence et constitue pour nous un guide précieux. Le guichet unique d'instruction est en effet nécessaire, mais toutes les collectivités territoriales ont la compétence générale. Envisagez-vous des compétences ciblées pour le département et la région ? Le bon sens commande des applications différentes selon les territoires, mais nous ne sommes pas un État fédéral : les Français, qui voyagent de plus en plus, sont attachés à une application uniforme de la loi, de Lille à Marseille, de Nantes à Strasbourg. Qui va décider de la souplesse nécessaire ? Le préfet doit-il être le gardien du temple ou se comporter en garant de l'État-nation ?

M. Charles Guené , rapporteur pour avis de la commission des finances . - Faut-il substituer l'instruction unique à la clause de compétence générale ? Que pensez-vous de l'idée d'un département à géométrie variable ?

Ce texte comporte peu de dispositions financières, mais il fait la part belle aux dispositifs de contrôle. La libre administration des collectivités territoriales ne s'en trouve-t-elle pas menacée ? La Cour des comptes ferait un rapport devant le Comité des finances locales et non devant le Parlement : n'est-ce pas curieux ?

M. Patrick Chaize . - Les syndicats intercommunaux, que vous n'avez pas évoqués, ont souvent un rôle important au niveau départemental en matière d'aménagement du territoire, ainsi pour l'électricité ou le très haut débit.

M. Alain Joyandet . - Je salue en vous le président du conseil général de la Haute-Saône. J'approuve les grandes lignes de votre exposé. Comment, dans un petit pays comme le nôtre, et étant donné la diversité d'organisation de nos collectivités territoriales, assurer l'unité nationale ? De grandes régions stratèges, pourquoi pas ? Avec de grands préfets stratèges... Une réorganisation complète de l'État s'impose parallèlement à celle des collectivités dans nos territoires.

M. Daniel Gremillet . - Merci pour cette présentation, qui nous bouscule un peu. Le manque de réactivité que vous avez dénoncé se constate aussi dans l'industrie. Alors que l'économie s'accélère, nous ralentissons les procédures de décision des entreprises. Votre propos est véritablement stratégique. Quelle sera l'architecture financière de la nouvelle organisation territoriale ?

M. Yves Krattinger. - Le revenu moyen par foyer est plus élevé dans l'espace périurbain immédiat des grandes agglomérations que dans leur centre. Du reste, cet espace se fédère progressivement et, un jour, la collectivité unique s'imposera. L'espace périurbain plus éloigné nous préoccupe tous.

Il m'arrive de recommander à des fonctionnaires de ne pas interroger les services de l'État, car ceux-ci répondront négativement avant de demander quelle était la question... Mieux vaut parler directement au préfet, qui dit généralement oui en comprenant l'objectif. Nous avons besoin de souplesse : sortons de cette grève du zèle qu'illustrent certains contrôles douaniers...

Je suis décentralisateur, Jean-Pierre Raffarin l'est aussi. La première chose qu'il m'a dite était d'ailleurs : « Je suis girondin, et je le reste ! ». Mes rapports, établis dans le cadre des missions d'information en 2009 et 2013, ont pour titre : « Faire confiance à l'intelligence territoriale » et « Des territoires responsables pour une République efficace ». L'État tout seul ne peut assurer l'égalité, mais il peut veiller à ce qu'elle le soit.

Les audits par les grands corps de contrôle sont une très bonne chose. Mon service d'incendie et de secours est audité en ce moment et je n'ai aucune crainte, puisque c'est un des moins chers de France et qu'il est efficace. Les audits peuvent aider à renforcer l'égalité entre les territoires et l'efficacité des services publics, le bon usage des deniers publics, à condition que chaque collectivité territoriale assume ses responsabilités et que nous n'ayons plus l'alibi des décisions imposées. D'ailleurs, les déclinaisons locales, les décrets d'application devraient être cosignés par le préfet et l'exécutif local.

Oui, il faut éloigner la région de l'action de proximité. Je ne me suis pas privé de demander pourquoi elle s'occuperait de nos clochers. Ils ont beau être comtois, ce ne sont pas les mêmes partout : il y en a 1 500 ! Ne serait-elle pas mieux occupée par des questions stratégiques sur l'accessibilité, l'artère très haut débit entre Strasbourg et Lyon ? Il faut opérer des choix ; si tout le monde s'occupe de tout, c'est illisible.

Pour les clochers, donnons le guichet unique d'instruction au département : même si le préfet veut attribuer la dotation d'équipement des territoires ruraux, il n'instruit plus - cela n'aurait servi à rien, il aurait fait la même instruction ; même si la région veut être généreuse, elle n'instruit plus... Je fais le pari que le ménage se fera à une vitesse accélérée. Ne pas instruire, verser 5 000 ou 10 000 euros et être oublié le jour de l'inauguration, ils ne le feront plus ! S'ils ne peuvent plus mettre leur grain de sel... Mais le responsable du guichet unique est responsable de tout, et non plus seulement de l'accessibilité, un autre s'occupant des couleurs et un troisième de la surface.

Il faut trois ans pour instaurer un guichet unique pour une politique nouvelle. Mais pour les politiques existantes, faut-il que l'inspection académique instruise le dossier des pôles éducatifs en plus du département ? De toute façon, elle donnera 20 % de ce que nous donnerons ! Une seule instruction ! Tout le monde y gagne en temps, en réactivité, en lisibilité et en confort, et les entreprises y gagnent aussi.

L'intercommunalité est soumise à dix régimes fiscaux. Comment voulez-vous que les gens s'y retrouvent ? Ils ne payaient peut-être rien pour l'intercommunalité ; ils déménagent, ils paient beaucoup ! Il y a autant de systèmes que de noms : communautés d'agglomération et de communes, communauté urbaines, métropoles de différents types, les communes nouvelles, les nouvelles communes... Nous avions conclu qu'il fallait deux noms : tout ce qui est à coopération multiple, qui vise à fédérer, serait appelé communauté ; toute coopération à vocation unique serait coopération spécialisée. Les syndicats départementaux ne se justifient que dans un cas : lorsque le département fédère les intercommunalités autour de thèmes qu'elles ne peuvent pas résoudre toutes seules en milieu rural, comme dans le cas du syndicat mixte Haute-Saône Numérique. Mais un syndicat d'électricité n'est pas justifié : groupant toutes les communes d'un département, il devrait être un service départemental.

M. Alain Joyandet . - Bien sûr !

M. Yves Krattinger . - Même chose pour les ordures ménagères : il fallait aller au bout. Le maire, agressé parce que ça coûte trop cher, répond que c'est la communauté de communes qui les ramasse, mais qu'une troisième entité les brûle... C'est nous-mêmes qui rendons les choses incompréhensibles. Nous devons préparer sur dix ans la grande mutation des syndicats à vocation unique : nous ne pouvons pas avoir créé 2 500 communautés et garder 14 000 syndicats. Que le Parlement fixe des objectifs sur dix ans, avec des rendez-vous tous les deux ans ; le préfet devient dès lors très utile, disant : j'ai une loi, il faut avancer !

En milieu rural, le département doit être à terme le fédérateur de l'action des intercommunalités - j'en suis à ma troisième génération de contrats et une conférence départementale des exécutifs regroupe tous les conseillers généraux et tous les présidents d'intercommunalités. Si un jour le département dans sa forme actuelle devait disparaître, cela passerait par une fédération d'intercommunalités. Des citoyens me l'ont parfois demandé : pourquoi le président de l'intercommunalité ne siège-t-il pas au département ? Aujourd'hui, cela ne correspond pas aux institutions ; mais dans vingt ans ? Si tous les syndicats ont été absorbés, si les présidents d'intercommunalités ont une légitimité démocratique, pourquoi ne délibéreraient-ils pas au niveau départemental de ce qu'ils ne peuvent pas régler au niveau local ?

Mme Françoise Gatel . - Eh oui !

M. Yves Krattinger . - Les questions liées au financement sont si complexes, si biscornues, que même la haute administration ne comprend pas toujours. Il faut un seul modèle aux intercommunalités. C'est à l'État de compenser les inégalités et non aux élus entre eux : il y en aura toujours de plus malins, de meilleurs connaisseurs. Nous devrions travailler à l'allemande ; la négociation de très longue haleine entre länder et État central fixe des bases qui sont très peu corrigées par la suite. Il faut un modèle de type universitaire. Aujourd'hui, on ajoute un truc, on enlève un machin... À part Charles Guené, expert international, personne ne comprend et tout le monde est mécontent. Evaluons mieux la richesse des territoires, ce qui nécessite d'avoir la même fiscalité, que le Parlement fixe un cap, et les élus s'attelleront à la tâche.

Je suis pour le maintien de la clause de compétence générale. J'avais interrogé Jean-Pierre Raffarin en 2008-2009 ; il m'avait répondu : sans elle, pas de Futuroscope. J'avais posé la question à Jean-Pierre Chevènement, qu'on ne peut pas soupçonner d'être contre l'État ; il m'avait dit : sans elle, et malgré la présence de PSA et d'Alstom dans l'aire urbaine, pas d'université de technologie à Belfortliard. À Christian Bergelin : sans elle, pas d'IUT à Vesoul. Ces trois projets, qu'il fallait mener à bien, étaient tous en dehors des compétences normales des collectivités. Mais ne confondons pas tout : avec l'instruction unique, les cofinancements sont dissous.

Comme son ancien président, Adrien Zeller, l'avait écrit à Nicolas Sarkozy à l'occasion d'une précédente réforme, l'Alsace a innové plus que toute autre région dans le domaine de l'environnement et cela est passé par la clause générale de compétence. Nous autres élus ne sommes pas des militaires à qui l'on peut dire : « tu te tais, tu fais » ; nous sommes des acteurs. Si cette compétence peut être canalisée, la supprimer serait une erreur pour la République ; cela irait à l'inverse du principe de décentralisation. Une commune de 100 habitants peut se vanter d'avoir la compétence générale ; tant mieux pour elle ! Le maire pourra l'afficher, même s'il transfère tout à l'intercommunalité et ne garde plus que les naissances, les décès et les mariages...

Sur la réorganisation de l'Etat, je serai extrêmement ambitieux. En 2008-2009, j'ai regardé en droit comparé ce qu'il en était dans l'Union européenne. Deux éléments ressortaient nettement : premièrement, tous les pays de plus de 30 millions d'habitants avaient trois niveaux de collectivités...

M. Jean-Jacques Hyest , rapporteur . - En effet.

M. Yves Krattinger . - Deuxième chose : comparée aux grands pays
- il est difficile de se comparer à la Slovénie -, la France est la seule à avoir gardé des services déconcentrés dans toutes les compétences transférées. Le jacobinisme qui a fait la France, ce pays que nous aimons, joue maintenant contre elle. La phrase de François Mitterrand sur construire et le risque de déconstruire est toujours d'actualité, comme l'intuition du général de Gaulle pour la régionalisation. Il faut du circuit court, de la responsabilité locale assortie d'un audit de l'État. Je suis pour la suppression progressive des services déconcentrés de l'État dans les compétences transférées : les économies seraient du bon côté !

M. Philippe Bas , président . - Merci : ce que vous nous dites nous passionne tous.

Audition de Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, président de la mission commune d'information « Avenir de l'organisation décentralisée de la République » (Jeudi 6 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Lors du récent débat sur la réforme territoriale, le rapport Raffarin-Krattinger a servi de référence : nous avons voulu commencer nos auditions avec les auteurs de ce rapport.

M. Jean-Pierre Raffarin , ancien Premier ministre, président de la mission commune d'information « Avenir de l'organisation décentralisée de la République » . - Vous connaissez, nous connaissons tous le sujet ; il s'agit maintenant d'arbitrer. C'est le gros avantage du Sénat : nous n'avons pas à chercher les compétences ailleurs.

La décentralisation est une idée politique et non une idée technique : il ne s'agit pas simplement de redessiner une carte mais de faire en sorte que le service aux citoyens soit de meilleure qualité et coûte moins cher. C'est une question de lisibilité : la République a besoin qu'on la comprenne. Bien des Français ne comprennent pas la République, ne savent pas comment fonctionne l'Europe. Or moins on comprend, plus on se rapproche du populisme. Vous pouvez faire tous les plans de simplification que vous voulez, la société devient de plus en plus complexe. Jeune ministre du commerce, je m'étais fait photographier avec une pile de formulaires que j'avais supprimés plus haute que moi ; le temps qu'on les supprime, d'autres avaient été créés. La seule réponse à la complexité, c'est la proximité. C'est la société qui est complexe : plus vous êtes démocratique, plus vous devez être attentif et donc favoriser la proximité.

Je suis quelquefois déçu par les Girondins, trop techniques et qui donnent le sentiment que la décentralisation est une politique parmi d'autres. La décentralisation, c'est la République au plus près du terrain. Elle a apporté beaucoup de résultats ; nous pouvons être fiers de ce que nous avons fait depuis le début des années 1980. Sans décentralisation, il n'y aurait pas d'université à La Rochelle ou à Troyes, pas de Futuroscope. Il suffit pour le voir de se promener dans les lycées et collèges de France. Nous ne devons pas être complexés. Avec Yves Krattinger, nous avions choisi comme stratégie de penser à 2020 : à court terme, les clivages gauche-droite sont forts, mais il est facile à moyen terme de construire une vision commune.

Cette vision, je l'articule démocratiquement autour de la commune ; nous ne pourrons pas faire autrement. Je ne crois pas aux fusions arbitraires et suis révolté quand j'entends parler des intercommunalités à 20 000 habitants : c'est un raisonnement quantitatif. La bonne intercommunalité, c'est celle qui marche, où les gens se respectent, ne cherchent pas à manger l'autre. Il y en a de belles à 40 000 habitants comme à 15 000 ou 12 000. Je reconnais qu'il y a beaucoup trop de toutes petites communes ; c'est pour cela qu'il nous faut une intercommunalité coopérative et collégiale. Le citoyen comprend ce qui se passe dans la commune ; la commune est donc la base de la République, ce qui n'empêche pas de faire le plus d'intercommunalité possible : il y a mutualisation, mais les décisions sont prises autour de la table. Donc pas d'élection du président de la communauté de communes au suffrage universel direct : l'intercommunalité mutualise, mais le maire est le médiateur de la complexité générale.

La compétence générale doit aller au département. Ayant passé 18 ans à la tête d'un exécutif régional, j'ai un passé de régionaliste ; mais face à la complexité de la société d'aujourd'hui, nous devons conjuguer puissance et proximité. Si vous effacez la proximité au nom de la puissance, vous écrasez ; si vous faites de la proximité sans puissance, on vous reprochera votre impuissance. Il faut donc trouver l'équilibre qui gérera la proximité, mais avec des capacités d'investissement. Voilà pourquoi notre pays devait avoir des départements forts, peut-être plus grands qu'aujourd'hui : si dans ma propre région, on avait un grand département de Charente et un grand département du Poitou, cela ne gênerait personne. Nous pourrions avoir 60 ou 70 départements en France. Ils peuvent gérer un million de personnes comme ils en gèrent 350 000 à 400 000 ; ce qui est important, c'est que c'est un espace historique, compris, un espace d'initiative et pas seulement une zone d'action pour le préfet. C'est le fond de l'affaire. Aujourd'hui, nous ne sommes plus gouvernés par des hommes, mais par des procédures, des réglementations ou des directives. Il y a 10 ou 15 ans, vous alliez dans le bureau du préfet demander un arbitrage ; il écoutait, pesait le pour et le contre et décidait, au besoin en interprétant librement la règlementation. Aujourd'hui, il se contente de regarder si la règle est respectée. Nous devons sortir de ce système trop régulé et déshumanisé. La décentralisation remet de l'humain, du bon sens.

Et la région ? J'ai évolué. La région, c'est une question de puissance et de programmation. C'est vrai pour les universités et pour les grandes infrastructures routières ferroviaires, aéroportuaires. Il faut des territoires élargis pour faire de grands investissements. Je vais même plus loin maintenant : je serais presque pour un Sénat régional, c'est-à-dire des élus régionaux élus au second degré. Non pas le retour à l'établissement public régional mais une rénovation. Je ne vois pas comment on peut faire de la démocratie locale entre Loudun et Pau ! Je suis pour une grande région Aquitaine, mais pour des raisons de puissance et parce qu'on a besoin d'une métropole comme Bordeaux. La région ne gérera pas la démocratie locale mais la programmation. La démocratie locale, c'est le département. Oui aux grandes régions, si nous les séparons du département ; comme elles n'ont pas la compétence générale, il n'y a plus de risque de doublons.

Et ne soyons pas honteux : les décisions absurdes sont plus souvent celles de l'État que celles des collectivités. À Poitiers, deux lignes ferroviaires sont en construction, l'une dans la ville et l'autre à l'extérieur, parce que certains TGV s'y arrêteront et d'autres non. Toute la vallée du Clain est blessée par un viaduc de plusieurs kilomètres. Une voie, c'est quand même un petit milliard d'euros... un milliard de trop !

M. Philippe Bas , président . - Vous montrez que le Sénat n'aborde pas cette perspective de réforme à reculons et le dos au mur, mais avec l'initiative d'un modernisateur.

M. Rémy Pointereau , rapporteur pour avis de la commission du développement durable . - Je partage cette vision d'une République au plus près du terrain. Il faut du qualitatif plutôt que du quantitatif, notamment pour les communautés de communes ; on veut faire toujours plus grand, mais dans le milieu rural, c'est très compliqué de mettre en place une communauté de 20 000 habitants. Comment traduirez-vous cette volonté dans le projet de loi ? Où mettre le curseur ? Une communauté de communes de 5 000 habitants est-elle pérenne ? La réforme n'est pas faite pour les élus, mais pour les citoyens, pour l'amélioration de leur cadre de vie. Il faut plus de puissance aux régions, mais la fusion de deux régions n'augmente pas leurs moyens.

J'approuve l'idée que les élus régionaux soient élus au second degré comme autrefois. Nous sommes un certain nombre de sénateurs à avoir imaginé que les régions et les départements fonctionnent comme les communes et les communautés de communes. Nous aurons alors deux couples où l'instance inférieure, douée de compétence générale, mutualise dans l'instance supérieure ce qu'elle ne peut faire seule. La région deviendrait une communauté de départements, ce qui éviterait les doublons.

Remettre la commune au coeur du dispositif est essentiel ; mais j'ai des doutes sur la volonté des technocrates parisiens, qui envisageaient, tous gouvernements confondus, de faire élire les présidents de communautés de communes au suffrage universel et à terme, supprimer les maires sinon demain, du moins après-demain.

M. Gérard Cornu . - Merci pour l'excellent rapport qui fait honneur au Sénat et constitue une bonne base de travail. J'ai toutefois perçu une petite différence entre ses deux auteurs. Lorsque M. Krattinger envisage un couple de proximité intercommunalité-département, Jean-Pierre Raffarin préfère un couple département avec compétence générale-région stratège. Que pensez-vous du conseiller territorial, qui était à la fois conseiller général et conseiller régional ?

M. Alain Fouché . - Avec de grandes régions pauvres, les départements continueront à être les premiers dans la solidarité, tandis que l'État recule. Il est important qu'ils gardent la possibilité d'une action économique et touristique. Des projets comme celui du Futuroscope, de son technopôle ou du futur Center-Park dans le nord du département ne peuvent être gérés au niveau régional.

M. Ronan Dantec . - Nous n'avons pas encore une idée très claire du futur fonctionnement de ces très grandes régions, ni des modalités de gestion de la solidarité territoriale.

Je suis en désaccord avec une partie de ce qu'a proposé Jean-Pierre Raffarin. Je suis d'accord pour garder la clause de compétence générale à la région...

M. Jean-Jacques Hyest , rapporteur . - Mais pas au département, bien sûr !

M. Ronan Dantec . - Dire que le département a les capacités d'assurer la solidarité territoriale est un leurre : il fera de la péréquation sur ses recettes ; un département pauvre fera comme il pourra. C'est la région qui a la capacité de la solidarité territoriale et de la planification.

Question recettes, tout le monde craint que ces grandes régions n'aient pas la capacité d'écouter l'ensemble des territoires ; je regrette que vous n'ayez pas repris mon amendement qui proposait une forme de bicamérisme à l'échelle régionale, avec des élus au suffrage direct de liste ayant un vrai projet régional et une représentation de l'ensemble des territoires. Voilà comment je peux être favorable à un Sénat régional...

M. Philippe Bas , président . - Mais avec une assemblée nationale à côté ; cela va plaire, c'est sûr !

M. Ronan Dantec . - La fusion des départements est une vraie question ; ils maintiennent des identités culturelles, historiques dans les méga-régions où elles pourraient se diluer. La fusion Bretagne-Pays de Loire ne peut être acceptée, à moins de prévoir un seul département breton.

Je suis en désaccord sur l'intercommunalité. C'est le vrai lieu de vie : nous sommes en retard sur les citoyens de ce point de vue. Il faut aussi s'interroger sur les doublons dans l'administration de l'État. Une simplification s'impose, mais l'État souhaite maintenir une présence locale.

Mme Françoise Gatel . - Nous avons une obligation d'efficacité de l'action publique dont l'exercice est partagé entre État et collectivités : nous ne pouvons-nous interroger sur les compétences territoriales sans le faire aussi pour celles de l'État et sur ce rôle essentiel que je mettrai au nombre de ses compétences régaliennes : faire preuve d'équité, plutôt que d'assurer l'égalité des territoires. Je crois à la pertinence d'un espace départemental, mais son organisation sous forme de cantons est dépassée. Si nous sacralisons l'intercommunalité, qui n'est que la prolongation de l'action de la commune, les départements vont devenir des parlements d'intercommunalités.

Mme Élisabeth Doineau . - La société a changé, mais nous n'avons fait qu'empiler les strates. Nous devons agir pour la mutabilité des collectivités. Sont annoncées la mort des communes, la mort des départements, puis leur retour et l'évolution des régions. Or les Français ont besoin de visibilité, et nous aussi ! Il faut faire un effort de lisibilité, d'efficacité, faire des économies par les mutualisations qui annoncent des fusions, du moins je l'espère. Les Français n'y croient même plus : nous devons nous attaquer sérieusement au problème.

M. Charles Guené , rapporteur pour avis de la commission des finances . - J'ai bien du plaisir à continuer cette réflexion avec les auteurs du rapport que j'avais côtoyés dans la mission commune d'information ; c'est un bain de jouvence. Je suis séduit par la vision à moyen terme de Jean-Pierre Raffarin, mais elle est si loin du texte proposé que je ne sais pas comment nous ferons pour nous en rapprocher.

Il faudra passer par une réforme fiscale de grande envergure, de toute façon déjà entamée. Il faudra un redéploiement et la mise en place d'une nouvelle gouvernance systémique. Je n'ai pas été choqué par les propos d'Yves Krattinger ; il va dans la bonne direction. Je partage l'avis de Jean-Pierre Raffarin sur les intercommunalités à 20 000 habitants ; c'est stupide et inadapté. La solution vis-à-vis de nos communes, que nous aimons, est-elle de laisser les choses en l'état - et elles seront vidées nécessairement de leur substance - ou bien de les conserver à travers des communes nouvelles formées de manière volontaire, avec une masse critique qui réduirait par quatre le nombre des intercommunalités. C'est cette solution que je préfère...

M. Jean-Pierre Raffarin . - En fait, nous ne sommes pas si loin du projet de loi ! Il n'y a que deux grandes visions : le quinquennat précédent en avait choisi une et celui-ci en choisit une autre. Soit nous rapprochons départements et régions, avec le conseiller territorial - que nous n'avons peut-être pas suffisamment crédibilisé - comme enzyme unificateur, soit nous choisissons la séparation pour qu'il n'y ait pas de doublon. D'une certaine manière, Ronan Dantec est pour le conseiller territorial sans le savoir. Soit nous gardons les régions actuelles et nous les rapprochons des départements en allant jusqu'à la fusion ; soit nous les séparons en lui donnant une autre fonction. C'est ce qui n'est pas cohérent dans le projet du gouvernement : de grandes régions et la suppression des départements. Il faudrait de grandes régions et des départements, quitte à les agrandir.

Je ne suis pas sûr qu'il faille un seuil d'habitants pour les communautés de communes ; c'est le conseil général qui doit le donner : les territoires sont si différents les uns des autres ! Dans la Vienne, une communauté de communes de 5 000 habitants et une autre de 8 000 habitants ont fusionné grâce à un travail énorme : nous ne pouvons pas les faire passer au 1 er janvier 2016 à 20 000 habitants en allant chercher des communes à 30 kilomètres. Le national est trop arbitraire lorsqu'il fait cela.

Les économies avec les grandes régions ne se feront pas sur les structures mais sur les politiques, en évitant un certain nombre de doublons. Mais cela veut dire aussi qu'avec un guichet unique, il y aura moins de subventions. Le gouvernement a été assez incohérent en présentant les intercommunalités comme l'avenir du département et en faisant des cantons qui n'ont rien à voir avec elles. Franchement, les gens qui ont fait cela ne connaissent rien au territoire.

La création du conseiller territorial représentait une autre piste de réforme. Nous ne sommes pas allés assez loin dans ce sens. Cette solution avait l'avantage de donner aux régions les compétences et, au département, le scrutin. Tout le monde aurait été content...

M. Jean-Jacques Hyest . - Ou mécontent...

M. Jean-Pierre Raffarin . - Je suis totalement d'accord avec vous, Monsieur Fouché.

Monsieur Dantec, je suis un républicain, attaché au rôle de l'État. Aujourd'hui, on ne cesse d'affaiblir l'État. Celui-ci ne sera fort que s'il se recentre sur un certain nombre de missions. L'État est trop ambitieux au niveau local. Il devrait faire davantage confiance aux départements. En effet, comme l'État est affaibli, sa seule façon d'exister est d'empêcher. Voyez le temps qu'il a fallu pour installer un Center Parc dans la Vienne : que de procédures ! Il vaut mieux parfois être un gros crapaud bien né, qu'un mauvais chrétien mal né parce que l'on passera plus de temps à régler vos problèmes ... Quatre ou cinq ans ont été nécessaires alors qu'un dossier identique avait été monté dans la Moselle. Moins l'État a de pouvoirs, plus il contrôle pour faire croire qu'il en a !

M. René Vandierendonck , rapporteur . - Entre les deux, vous oubliez qu'il y a eu le Grenelle...

M. Jean-Pierre Raffarin . - J'ai fait un rêve juridique : pourquoi ne pas donner aux préfets ou aux maires un pouvoir d'interprétation pour les autoriser à déroger à la règle générale lorsque cela est nécessaire ? Les règlements s'empilent et désormais ce sont les systèmes qui gouvernent, non les hommes. Si l'on veut que les hommes gouvernent, il faut laisser un pouvoir d'interprétation pour donner de la place au bon sens ! On voit des choses absurdes. Dans une commune de la Vienne, une entreprise de 150 salariés a dû partir pour s'agrandir, faute d'une dérogation au plan local d'urbanisme que personne ne pouvait lui accorder. Je plaide pour un humanisme territorial.

Il faut alléger l'État et le recentrer sur l'exercice de ses missions régaliennes. L'État doit conserver son rôle de stratège. Avec la crise, des plans de relance ont été lancés et, partout, on a assisté à une recentralisation. En France, nous sommes allés encore plus loin en créant les investissements d'avenir. Il aurait été possible de recourir à des contrats territoriaux en demandant aux territoires de participer. La crise recentralise. C'est une grave erreur : les solutions passeront par la proximité.

Madame Gatel, je ne suis pas hostile à la création d'un parlement d'intercommunalités dès lors que l'intercommunalité correspond à un espace inter-municipal et cantonal avec un élu spécifique. Tout dépend du découpage des cantons. Cela aiderait peut-être le citoyen à mieux comprendre le territoire au niveau infra-départemental. Les cantons existaient depuis longtemps ; on les remplace par quelque chose qui n'a pas de réalité. L'intercommunalité a le mérite d'exister. Je ne suis pas hostile à dessiner les cantons en fonction de la carte des intercommunalités.

J'aime le concept de mutabilité, évoqué par Mme Doineau. Il faut aider nos structures à bouger, mais il faut aussi aider le monde médiatico-national à comprendre ce qui se fait dans les territoires. Actuellement, cela n'intéresse personne. Comme président de région, quand je tenais une conférence de presse pour annoncer la signature d'un contrat de plan, la presse locale s'y rendait, mais vous n'attirez la presse nationale que si vous claquez la porte d'une réunion à Matignon. Nos élites ne s'intéressent pas aux territoires.

Monsieur Guené, je ne suis pas hostile à des communes nouvelles, mais je n'aime pas le systématisme. Laissons les territoires décider ! Quelle économie réalise-t-on si l'on supprime la plus petite commune de la Vienne, qui compte 60 habitants ? Elle est administrée par neuf élus bénévoles, et tout a déjà été mutualisé ... D'accord pour des communes nouvelles quand on peut rassembler, mais l'objectif ne doit pas être de supprimer la proximité avec l'objectif de rationaliser.

Enfin, il faudrait se pencher sur la place du parlementaire dans la décentralisation. Nous votons le budget de l'État, le préfet dépense les crédits et ne nous associe pas toujours. Les aides aux communes sont distribuées sans nous consulter. Le parlementaire ne peut rester en dehors du jeu, a fortiori avec le mandat unique. Attention à l'écart préoccupant entre les territoires et le Parlement.

Votre tâche est immense. Nous traversons une crise très grave. À Paris, les gens n'en ont pas conscience ; ce n'est pas normal. Quand nous sommes dans les territoires, nous voyons la situation des PME, des artisans, des agriculteurs ; nous savons qu'une crise du lait est imminente. Pourtant, plus la douleur des territoires est grande, plus on a l'impression qu'elle n'est pas entendue. Avec la crise, on centralise, mais ceux qui décident donnent le sentiment de ne pas être proches des difficultés. Qui nous parle d'un plan PME ? Elles traversent pourtant une très grave crise de trésorerie. On le sait localement. Des réunions ont lieu dans les conseils généraux, on en discute, mais tout se passe comme si, une fois la réunion terminée, on remontait à Paris et on l'oubliait. À Paris, on parle de la proportionnelle et d'un certain nombre de sujets de société qui sont tous très importants, mais qui sont loin des problèmes de la France d'aujourd'hui...

M. Philippe Bas , président . - Nous vous remercions sincèrement.

Audition de M. Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France, président du conseil général des Côtes d'Armor,
et M. Bruno Sido, secrétaire général de l'Assemblée des départements
de France, sénateur et président du conseil général de la Haute-Marne
(Jeudi 13 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin le président et le secrétaire général de l'Assemblée des Départements de France (ADF).

M. Claudy Lebreton, président de l'ADF . - Le Premier ministre s'est exprimé, cette année, à quatre reprises sur la réforme territoriale : le 8 avril à l'Assemblée nationale, les 16 septembre et 29 octobre devant la Haute Assemblée, enfin le 6 novembre dernier devant le congrès de l'ADF à Pau. Que de chemin parcouru ! Entre l'annonce faite le 8 avril de la disparition des conseils départementaux à l'horizon 2021 et l'affirmation de leur rôle au congrès de Pau, bien des discussions ont eu lieu, et nous parvenons à une situation beaucoup plus claire.

Nous ne sommes pas en présence d'une loi de décentralisation, mais d'une réforme des collectivités territoriales visant à clarifier leurs compétences, sans que l'État leur transfère aucune des siennes. Son but déclaré est de réduire le soi-disant millefeuille et l'enchevêtrement des collectivités, de leurs compétences et de leur fiscalité afin de réaliser des économies. Si certains de ces objectifs sont louables, nous attendions une grande loi de décentralisation comparable à celles de 1982 ou 2004, qui avait transféré plus de 13 milliards d'euros du budget de l'État aux collectivités territoriales, dont 8 milliards pour les départements.

En filigrane du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la république » (NOTRe) se trouvent la réforme de la carte régionale, la suppression des conseils départementaux et le renforcement des intercommunalités, censées se substituer aux départements et assumer leurs compétences essentielles de solidarité sociale, qui représentent 38 milliards d'euros sur les 71 milliards de l'ensemble des budgets départementaux.

Nous avons dit au Premier ministre, à la veille de notre congrès, qu'il n'était point nécessaire d'évoquer l'après 2020. Quelle sera alors la majorité ? Toutes les parties sont désormais convaincues que, si une collectivité de plein exercice devait être supprimée, il faudrait passer par une révision de la Constitution, laquelle est devenue mon livre de chevet depuis l'annonce de ces textes. Je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel sur la Corse et à la question du niveau substantiel de compétence que doit garder tout niveau de collectivité de plein exercice.

Tout doit s'organiser autour de la commune, du conseil départemental et du conseil régional. Les intercommunalités, qui ne sont pas des collectivités de plein exercice, n'existent que par transfert de compétences des communes. Le projet de loi NOTRe prévoit que les conseils départementaux assument les compétences de solidarités sociale et territoriale, dont le gouvernement souhaite fixer la définition dans le droit. Je rencontre ces jours-ci les responsables de tous les groupes politiques du Sénat afin d'en débattre.

Le gouvernement nous assure désormais que les départements auront la compétence d'ingénierie et de conseil et, avec le préfet, celle du schéma départemental d'accessibilité des services au public. Les conseils régionaux se verraient transférer les transports scolaires et interurbains, les collèges, les routes, les ports départementaux s'ils les acceptent, le schéma d'élimination des déchets industriels banals et ménagers, ainsi que la responsabilité des espaces naturels sensibles.

Notre approche consiste à nous demander à quels territoires il est pertinent de conférer ces compétences. L'Association des Régions de France (ARF) avait souhaité recevoir des compétences de l'État, afin d'avoir une double autorité sur les services publics de l'emploi et sur la banque publique d'investissement. Elle avait raison : les régions doivent viser les grands enjeux stratégiques.

Faute de leur avoir donné gain de cause, on leur propose à présent, en guise de compensation, des compétences de niveau infrarégional peu compatibles avec les nouvelles dimensions qu'on entend leur attribuer. Les collèges relèvent d'une gestion de proximité, d'autant que le Conseil supérieur de l'éducation a souligné l'intérêt pédagogique de maintenir un lien entre eux et les écoles. Les deux tiers des 5 500 collèges de France sont d'ailleurs situés dans des territoires ruraux. Les transports scolaires relèvent évidemment, eux aussi, de l'échelon de proximité.

Cette loi de clarification est censée conduire à des économies... mais nous serons bien obligés d'en faire : 12,5 milliards d'euros en moins en quatre ans, sur les 225 milliards auxquels se monte la totalité des budgets des collectivités territoriales et des établissements publics - excusez du peu ! Les seuls départements ont été contraints, depuis 2002, de trouver 48 milliards d'euros, sur les 850 milliards que représentent douze ans de leurs budgets, afin de financer les allocations individuelles de solidarité. Les départements savent ce que c'est que d'économiser, et continuent à assumer correctement les services publics malgré une situation budgétaire délicate.

M. Bruno Sido, secrétaire général de l'ADF . - Outre mes fonctions de secrétaire général, je suis aussi le chef de l'opposition au sein de l'ADF. L'objectif général déclaré de toutes ces réformes est de faire des économies. Le projet de loi de départ a, hélas !, été coupé en deux et la mauvaise moitié a été placée en tête : grandes régions et suppression des départements d'abord, transferts de compétences ensuite. Le parcours de la première loi est assez chaotique : le président de la République avait déclaré d'abord que les départements étaient indispensables, avant d'annoncer leur suppression : le Premier ministre a pris le relais en distinguant les départements métropolitains, qui pourraient être gouvernés par des syndicats d'intercommunalités, cinq autres trop petits, puis une troisième catégorie... avant de s'apercevoir de l'existence d'une cinquantaine de départements ruraux. Son premier discours au Sénat, confirmé par son allocution au congrès de Pau, montre que sa doctrine évolue de jour en jour...

On voit mal comment la disparition des départements conduirait à des économies : transporter des élèves ou refaire une route ne coûtera pas moins cher aux régions qu'aux départements. Le gouvernement nous enlevant 12,5 milliards d'euros, certaines collectivités cèderont certainement à la tentation d'augmenter leurs impôts.

Supprimer les départements et faire de grandes régions, c'est antinomique. L'ancienne réforme, tant décriée par certains, proposait bien la première mesure, mais dans le cadre des régions actuelles, que la création des conseillers territoriaux aurait transformé en simples syndicats de départements. Nous voilà, au contraire, devant de grandes régions, stratèges, porteuses de grandes visions et soutenant les exportations. On voit mal quel sens il y aurait à leur confier les transports scolaires... On prétend renforcer en même temps les intercommunalités, alors que le Premier ministre recule déjà sur l'évolution de leurs seuils parce que passer à 20 000 habitants serait un séisme - j'espère que ce ne sera pas comme pour le binôme : le moins de 20 000 sera-t-il pour le milieu rural, pour l'urbain ?

Tout cela débouche, dans cette loi, sur le transfert des compétences des départements aux nouvelles régions. Le Premier ministre nous a donné des assurances qui n'apparaissent pas dans le texte. Fera-t-il donc l'objet d'amendements gouvernementaux, ou d'amendements portés par les uns ou les autres ? Les compétences économiques des départements seraient en principe préservées ; mieux, notre proximité avec les communes justifierait que nous fassions de l'ingénierie pour elles. Les membres de l'opposition interne de l'ADF considèrent cependant qu'il s'agit d'une réforme dispendieuse, incompréhensible et inefficace.

M. Philippe Bas , président . - Nous apprécions la forte complémentarité de ces deux exposés, d'où il ressort que les conseils généraux souhaiteraient conserver certaines compétences, que d'ailleurs les régions ne semblent pas demander ; celles-ci aspirent en revanche à certaines compétences d'État, qu'il ne veut pas déléguer.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Comme l'a souligné le président Lebreton, il ne s'agit pas d'une loi de décentralisation. Nous en attendions pourtant une : la meilleure répartition des compétences entre l'État et les collectivités locales est un objectif poursuivi depuis 1982. Une évolution progressive avait alors été engagée, dont les effets ne s'étaient fait sentir qu'après cinq ou six ans. La seconde tentative, conduite en 2004 par la loi « Raffarin », a échoué sur la clarification des compétences.

Le débat sur la clause de compétence générale est purement théorique. L'important, ce sont les compétences d'attribution conférées à une collectivité, normalement à l'exclusion des autres. C'est faute de respecter cette règle que l'on s'ensevelit sous un fouillis de financements croisés. Ils vont certes diminuer sous l'effet des économies qui s'imposent...

Le principe de subsidiarité doit être respecté dans la répartition des compétences : les régions s'occuperont-elles des transports scolaires ? L'Île-de-France, par exemple, s'est empressée de les déléguer aux départements de la grande couronne.

Je le demande à nos hôtes ce qu'ils souhaitent réellement. Se substituer aux régions dans les missions qu'elles n'exercent pas correctement ? Chacun ne devrait-il pas s'en tenir à ses propres compétences, en espérant qu'elles soient clarifiées par la réforme ? Le cas des activités liées au tourisme, en particulier, appelle des dispositions plus précises.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Il est heureux que le gouvernement ait entendu la mobilisation de l'ensemble de nos groupes pour que les départements ne passent pas à la trappe.

Le débat sur la clause de compétence générale est assez théorique, d'autant que le texte prévoit que la culture, le tourisme et le sport resteront partagés. La notion de solidarité territoriale introduit en revanche un exercice nouveau de compétence, celui qui consiste à payer. Quel pouvoir d'appréciation restera-t-il au département après l'instauration de ce champ de solidarité territoriale ?

Si l'ingénierie est un élément très important, son exercice par les départements ne les placera-t-il pas dans un double rôle de conseil a priori et d'évaluation a posteriori ? Ne pas exorciser cela aurait des conséquences négatives.

M. René-Paul Savary , rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - J'ai assisté, en tant que président de conseil général, au congrès de Pau. Les départements continueront d'exister, c'est désormais acquis, mais pour faire quoi, et avec quels moyens ? Un département avance sur deux jambes : ses compétences sociales, que personne d'autre n'est en mesure d'assumer, et ses compétences d'aménagement du territoire et de soutien aux communes, exercées elles aussi grâce à un savoir-faire acquis au fil de plusieurs décennies de décentralisation. S'il s'agit en réalité de conserver des départements boiteux et sans moyen, autant en finir tout de suite : couper la queue du chien en une fois fait moins mal que de le faire en plusieurs fois.

On parle de nous confier l'ingénierie. Quel sens y a-t-il alors à transférer aux régions les routes et les collèges ? Dans mon département, les ingénieurs travaillent sur les routes et pour les collèges. Pour les grandes régions qui pourraient sortir des débats de l'Assemblée nationale, ce transfert de compétences aurait des conséquences très lourdes : la Champagne-Ardenne, par exemple, aurait à gérer 600 collèges, 400 lycées, 35 000 kilomètres de routes départementales et 25 000 personnes. Peut-on attendre de la création d'un tel échelon une réduction des coûts et une meilleure proximité ?

Aux régions la stratégie et les grandes infrastructures : à l'État de leur confier des responsabilités dans le domaine de l'emploi, de la formation, de l'enseignement supérieur et, pourquoi pas ?, du sanitaire. Aux départements, l'aménagement du territoire de proximité, les réseaux.

La question des moyens est passée sous silence : il est prévu que le transfert des routes et des collèges s'appuie sur des moyennes de consommation des crédits depuis plusieurs années pour les transmettre à d'autres collectivités. Mieux nous aurons fait notre travail en investissant dans les routes et les collèges, plus cela nous coûtera de crédits ! Une correction de cette disposition s'impose.

Les régions seront à deux vitesses, selon qu'elles hériteront d'équipements bien ou mal entretenus. J'ai simulé le transfert de mes 4 000 kilomètres de routes départementales, de mes quarante-sept collèges publics et du personnel correspondant. Il en résulte une déstructuration du budget qui nous interdira de continuer à faire notre métier.

D'où la nécessité de se pencher sur l'action sociale, sur le RSA en particulier. Quelle sera la valeur ajoutée de cette transmission de compétences ? Si elle est nulle, mieux vaut recentraliser la rémunération des titulaires du RSA, en laissant l'action d'insertion soit au département, dans le cadre de son action sociale, soit à la région en l'insérant dans un parcours d'insertion et de formation. Voilà une dissociation importante si l'on veut maintenir des structures de proximité efficaces.

On se plaint que le millefeuille territorial empêche de savoir qui fait quoi. Supprimez-le, vous saurez qui ne fait pas quoi : il n'y aura plus qu'un seul financeur pour le sport, la culture, le tourisme, les loisirs, et encore moins de croissance et d'emplois, car ce sont les collectivités territoriales qui font la croissance des territoires.

Mme Valérie Létard , rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques . - Le volet économique soulève des questions sur la manière dont pourra s'instaurer une coproduction entre des territoires intercommunaux pour l'élaboration et le suivi des schémas de développement économique. Il est important pour nous de connaître votre point de vue à ce sujet, en particulier sur le volet tourisme.

La compétence d'ingénierie n'est pas suffisamment définie, ne serait-ce que parce que les besoins des territoires urbains sont très différents de ceux des territoires ruraux. Comme le soulignait René Vandierendonck , la relation entre les différents échelons varie beaucoup des uns aux autres : comment s'articuleront leurs partenariats ?

M. Daniel Dubois . - Je suis satisfait de voir ce texte évoluer, même si des améliorations sont encore nécessaires : la région stratège ne doit pas être accaparée par la gestion quotidienne. Le triptyque composé du conseil départemental, de la communauté de communes et de la commune l'assumera efficacement. Dès lors, quelle est la bonne taille pour les communautés de communes ? Si le conseil départemental subsiste, est-il cohérent de leur imposer un seuil de 20 000 habitants ?

Claudy Lebreton a parfaitement raison : il est primordial de préciser par la loi la définition de la compétence de solidarité territoriale donnée aux départements.

M. Jacques Bigot . - Comment l'ADF voit-elle les relations entre départements et métropoles ? J'étais jusqu'à mars dernier président de la communauté urbaine de Strasbourg, qui deviendra une métropole le 1 er janvier prochain. La ville de Strasbourg, en raison de son histoire entre 1870 et 1918, exerce la compétence de l'action sociale, par délégation de l'État jusqu'en 1982 puis par délégation du département depuis cette date. Les services publics de la ville et de la communauté urbaine étant confondus, celle-ci est prête à assumer demain la compétence de l'action sociale sur tout son territoire ; de même pour celle du réseau routier : Strasbourg étant au bord du Rhin, plus aucune route départementale ne traverse l'agglomération. Cependant, si la communauté urbaine devait prendre toutes les compétences du département, 500 000 habitants sur un million seraient concernés et l'importance du département perdrait de sa voilure, comme dans le Rhône. La question de l'articulation entre métropoles et départements ne peut être ignorée, surtout si l'on souhaite que les métropoles jouent un rôle de moteur économique.

Les gens qui vivent dans la ruralité sont souvent des rurbains, dépendant des transports. Je constate que, de l'autre côté du Rhin, le développement économique a lieu dans de très petites communes, ce qui a l'avantage de réduire les déplacements. Cessons d'opposer le rurbain et le rural : l'économie ne se développe pas qu'en milieu urbain.

L'économie française repose sur de très grosses entreprises et sur un tissu de TPE et de PME. Changer cela passe par des stratégies locales. Si les compétences correspondantes échoient aux régions, quels moyens recevront-elles ? S'y rattache la question de la formation professionnelle et de l'orientation. Celle-ci ne doit-elle pas être transférée aux régions ? Les départements pourraient s'interroger sur la manière insidieuse dont, depuis 1982, l'État leur a transféré des tâches qu'il continue à définir. Ainsi le fonctionnement des SDIS : les départements financent, les préfets décident.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Ce n'est pas la loi.

M. Jacques Bigot . - C'est en tout cas le règlement opérationnel qui fixe les moyens du SDIS. Qui commande, paye !

M. Christian Favier . - Nous ne sommes pas en présence d'une loi de décentralisation, en dépit des engagements pris devant le Sénat au moment des états généraux de la démocratie locale de 2012. Les élus, réunis à l'époque à l'initiative de son Président Jean-Pierre Bel, avaient pourtant manifesté une volonté forte d'une nouvelle étape de la décentralisation. Je me félicite cependant de l'évolution récente du gouvernement au sujet des départements. La compétence de solidarité et de réduction des inégalités, qui fait le coeur du département, est tout aussi nécessaire en milieu rural qu'urbain. Reste le problème des moyens : les mesures prises récemment pour faire face à la montée en charge des allocations universelles de solidarité ne le règlent pas sur le fond.

Si les régions doivent avoir une responsabilité très forte en matière de développement économique, l'action des départements en faveur de l'insertion nécessite qu'ils s'intéressent au champ de l'économie sociale et solidaire. Leur politique d'investissement en fait également des acteurs du développement économique.

Nous ne pouvons pas écarter les départements en la matière. Quel est l'avis de l'ADF sur les compétences départementales dans le domaine de l'économie sociale et solidaire, ainsi que sur une nouvelle suppression de la clause de compétence générale ?

M. Alain Marc . - Je me réjouis que le gouvernement n'envisage plus la suppression des départements ; mais s'ils se bornent à gérer du social, je n'en vois pas l'intérêt. L'Aveyron se retrouvera sans doute dans une vaste région allant de Toulouse à Montpellier ; le département investit chaque année 50 à 60 millions d'euros pour les routes, ce qui représente 1 000 emplois. Si cette compétence était transférée demain à la région, ces sommes iraient à la deuxième rocade de Toulouse ou à celle qu'il faut construire autour de Montpellier. Certes, les emplois ne disparaîtraient pas globalement, mais ils iraient de l'Aveyron vers la Haute-Garonne et l'Hérault. Nous ne pouvons pas cautionner cette démarche. Il ne s'agit pas de disputer à la région la compétence économique, mais de décider nous-mêmes des modalités de notre désenclavement.

M. François Bonhomme . - Le texte proposé a une vertu : la clarification. Nous en avons besoin. Je ne vois pas d'inconvénient par exemple au transfert des collèges à la région : pourquoi cette collectivité, en effet, ne gérerait-elle pas le second degré, comme la commune gère les écoles maternelles et primaires ? Nous pouvons en effet escompter des économies d'échelles et une plus grande efficacité des moyens. Cela vaut aussi dans le domaine du tourisme, où tous les niveaux de collectivités, sans oublier l'État, ont une action : mettons fin à ce maelström impossible où personne ne s'y retrouve.

Le texte commet cependant une faute cardinale : le seuil de 20 000 habitants ignore la ruralité. Quand tout le monde en découvre les vertus pour défendre le département, demander à des intercommunalités de passer de 5 000 à 20 000 habitants, c'est méconnaître les bassins de vie. J'ai déposé un recours au Conseil d'État pour le bassin de vie ; j'ai perdu au motif que le bassin de vie était une notion trop floue ; sur les fiches de l'Insee, c'est pourtant une réalité.

M. Daniel Gremillet . - Nous avons débattu du découpage avant de parler des compétences, fixant des dimensions très différentes d'une région à l'autre. Or la question de la compétence des départements se pose avec d'autant plus de force dans une vaste région, où l'on imaginerait sans peine un transfert des lycées aux départements, tandis que dans une petite région, la compétence sur les routes pourrait être regroupée. Encore faut-il que les départements disposent de moyens suffisants. Les départements gagneraient eux aussi à être plus vastes, plus forts, tout en gardant un lien de proximité.

Si nous n'y prenons pas garde, la ruralité, et pas seulement la ruralité profonde, sera vidée de sa substance, des hommes et des femmes, des cerveaux, des revenus, de tout ce qui en fait la richesse. La vie entraîne la vie : une nouvelle organisation pourrait appauvrir considérablement les territoires.

M. Claudy Lebreton . - La décentralisation n'a jamais été évaluée...

Mlle Sophie Joissains . - En effet !

M. Claudy Lebreton . - Malgré des imperfections, elle a été un succès et d'abord pour la démocratie. Avant 1982, hier !, les préfets étaient aux commandes, et le président du conseil général présidait une assemblée de notables. Le transfert de l'exécutif local à des hommes et des femmes élus au suffrage universel a tout changé.

Je ne suis pas départementaliste, je suis décentralisateur. J'ai eu des fonctions à tous les niveaux de collectivité et je pourrais être président de conseil régional : Lebreton président de la Bretagne, cela aurait de l'allure ! Je recherche l'efficacité des collectivités territoriales, de l'action publique. Nous observons depuis trente ans un double mouvement de transfert des compétences de l'État vers l'Union européenne et vers les collectivités territoriales. Pourtant, la grande absente de ce débat est l'Europe.

Il faut conjuguer trois principes : la responsabilité ; la subsidiarité, réponse issue des textes européens à la clause de compétence générale ; la spécificité des territoires, car nous ne pouvons pas donner une réponse identique selon la densité de population des territoires.

La décentralisation n'a pu avoir lieu que parce que l'État n'avait pas réussi à mener sa déconcentration dans les années 1960. Dans le cas contraire, nous vivrions dans une autre France. Des régions plus grandes pourraient être confrontées à la même question.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Eh oui !

M. Claudy Lebreton . - Je ne suis pas gêné d'être minoritaire dans un débat. Il est proposé d'enlever aux départements une compétence, les collèges, qui représente 71 milliards d'euros, et où ils sont seuls !

M. François Bonhomme . - Il y a des exceptions...

M. Claudy Lebreton . - Votre département est exceptionnel ! Les compétences partagées - culture, sport, tourisme et économie -, quant à elles, représentent 7 milliards d'euros. Les compétences scolaires sont pourtant clairement définies. Je ne désespère pas de voir un jour une grande loi de décentralisation transférant des compétences mal exercées par l'État, comme l'enseignement supérieur. Pour l'enseignement scolaire, nous en gérons déjà le patrimoine, la restauration, l'environnement, tandis que l'État fixe les programmes et paie les enseignants.

La France n'est que le 18 ème pays le plus décentralisé en Europe, derrière des pays aussi peuplés que la Pologne ou l'Allemagne. Chez nos voisins, la compétence santé est largement partagée entre État et collectivités, comme l'éducation - les professeurs sont souvent payés par le niveau décentralisé - et même une partie de la sécurité. Nous ne représentons que 225 milliards d'euros sur les 1 200 milliards d'euros de dépense publique, alors que les finances locales constituent 67 % des finances publiques au Danemark, entre 30 et 40 % dans la plupart des pays européens.

Le département des Côtes-d'Armor n'aurait jamais eu 15 000 étudiants sans la clause de compétence générale. La capacité à stimuler l'innovation économique ne dépend pas de la taille des collectivités, mais de la qualité des individus qui les dirigent : des maires de villages de 600 habitants peuvent être plus innovants que des maires de grandes villes. La réponse ne peut pas être qu'institutionnelle.

Je n'ai pas encore de religion sur l'insertion sociale et le financement du RSA. Tout en comprenant l'avantage de le financer par la solidarité nationale, je m'interroge sur les effets d'une séparation du financeur et de la collectivité qui impose à l'allocataire un parcours d'insertion. L'APA et la PCH ne sont pas dans la même problématique : le retour sur investissement de ces dépenses sur une économie territorialisée non délocalisable est évident.

Nous pouvons trouver une vraie clarification de la compétence d'aménagement du territoire. Si le contrat de projet État-région est l'instrument qui met en cohérence les grands projets stratégiques (TGV, autoroute, ports, aéroports), l'aménagement de proximité peut rester aux mains des communes, des intercommunalités et des départements.

Les communautés sont 1 700, dont 1 507 ont moins de 20 000 habitants ; seules deux cents environ d'entre elles sont au-dessus de ce seuil, et comptent souvent plus de 50 000 habitants. Les intercommunalités ont été créées pour trouver une solution aux 36 500 communes. Tous les pays d'Europe les ont fusionnées, telle l'Allemagne, passée brutalement de 30 000 à 9 000 communes, et qui s'en mordrait les doigts. L'intercommunalité était destinée à devenir la commune du XXI e siècle ; suivre un autre cap serait contraire à l'esprit originel, comme imaginer des intercommunalités à 100 000 ou 200 000 habitants en milieu rural. L'exemple de Paris, à la fois ville et département, aurait pu être étendu aux grandes métropoles, à commencer par Lyon et Marseille. L'ADF a des propositions à faire sur ce sujet.

L'ingénierie mérite toute notre attention. L'intercommunalité a réglé le problème des services techniques de maîtrise d'ouvrage ; le projet maintient les départements dans l'ingénierie et le conseil. L'État se retirant, soixante départements ont créé des agences d'ingénierie et de conseil pour introduire de la régulation publique dans un marché très ouvert où le privé s'était développé. Dans les Côtes-d'Armor, nous avons choisi la forme d'un établissement public départemental cogéré par le département, l'association des maires et les intercommunalités ; les grandes agglomérations, elles, ont gardé un service technique de maîtrise d'ouvrage.

L'image du millefeuille territorial révèle une totale méconnaissance des citoyens et du milieu journalistique sur le sujet. Les 17 000 syndicats intercommunaux étaient nécessaires lors de leur création ; mais aujourd'hui, il faut faire le ménage dans ces structures et rapatrier leurs compétences aux seules collectivités de plein exercice. Cela représente 18 milliards d'euros de dépenses, qui seraient ainsi mieux employés.

Le Premier ministre l'a dit à Pau, nous n'échapperons pas à une grande loi de décentralisation. Il faudra procéder à une clarification des compétences entre l'État et les collectivités, car nous avons besoin d'un État plus efficace sur ses compétences régaliennes.

M. Bruno Sido . - Vos interventions marquées au coin du bon sens s'inscrivent dans une logique de clarification - il faut régulièrement faire du nettoyage dans ce domaine. Tandis que les grandes régions seront le lieu de la stratégie, les départements seront celui de la proximité. Nous avons créé des intercommunalités parce que nous n'avons pas voulu supprimer des communes ; oserai-je dire que nous avons créé les régions parce que nous n'avons pas voulu regrouper les départements ? C'est une question qui se pose depuis longtemps : Michel Debré avait proposé en 1946 au Général de Gaulle une nouvelle carte des départements, qui auraient été cinquante ; au sortir de la guerre, il y avait d'autres urgences... Si nous conservons les départements tels qu'ils sont, le seuil des intercommunalités à 20 000 habitants ne tient plus. Cela n'en ferait que six dans un département tel que le mien.

Il est très important de clarifier. En 1998, élu vice-président du conseil régional de Champagne-Ardenne en même temps que président du conseil général de la Haute-Marne, et découvrant que les deux collectivités aidaient les communes, j'avais proposé au président Jean-Claude Etienne que le conseil régional s'en abstienne, le conseil général ne s'occupant pas de TGV... Il m'avait répondu que c'était impossible pour des raisons existentielles. Il faut que cela cesse.

Jean-Jacques Hyest l'a dit, lorsqu'une compétence a été attribuée à un niveau de collectivité, les autres ne devraient pas s'en mêler. Oui au principe de subsidiarité ; mais si nous leur attribuons le transport scolaire, les nouvelles régions s'empresseront de le déléguer à leur tour. Il n'y a qu'en France que l'on voit cela !

Valérie Létard parle avec raison des compétences qui vont de pair : ainsi, les ingénieurs des départements qui s'occupent des routes et des collèges peuvent-ils assurer des missions d'ingénierie pour les communes
- en les conseillant mieux, l'on réaliserait des économies...

Parmi les sources d'économies possibles, personne n'a évoqué la suppression des doublons avec l'État. Le préfet et le président du conseil général font le même métier, mais celui-ci a moins de services que celui-là... L'État lui-même s'aperçoit du semi-échec du regroupement régional de ses services déconcentrés. Manuel Valls nous l'a dit : nous nous sommes trompés.

M. Jackie Pierre . - Et pourtant...

M. Bruno Sido . - Cette loi n'est pas une loi de décentralisation
- heureusement - mais de clarification. J'espère que la commission des lois saura assurer une cohérence dans ses dispositions.

M. Philippe Bas , président . - La loi sera de clarification en sortant du Sénat, mais elle ne l'était pas en y entrant.

M. Claudy Lebreton . - J'ai rencontré le président de la République avant et après son élection ; je lui avais dit qu'une loi de décentralisation ne devrait avoir d'autres objectifs que de lutter contre le chômage et de dynamiser notre économie. La loi de 1982 n'a été une réussite que parce qu'elle avait été votée dans les 120 premiers jours. Nous, élus, avons l'esprit pratique. La mise en oeuvre de la loi Raffarin a pris quatre ans ; la loi sur la fonction publique territoriale n'est venue que deux ans après celle de 1982 : il a fallu digérer ! Nous n'achevons que maintenant le transfert des parcs de l'équipement de la loi de 2004. La fusion des régions leur réserve quelques années de travail intense ; et il serait question de leur transférer les collèges en 2017 ? C'est infaisable !

Les départements, de fait, resteront dans l'économie. L'économie sociale et solidaire dépend largement du département, par exemple dans le domaine de l'accompagnement du vieillissement et des personnes handicapées qui représente 1,5 million d'emplois.

L'investissement public est un levier. Il est bon, quoique plus difficile, de dégager des économies sur le fonctionnement ; un euro d'investissement produit souvent de deux à quatre euros supplémentaires. La commande publique des collectivités représente 60 % du chiffre d'affaires du secteur du bâtiment et travaux publics. Or l'investissement départemental est revenu de 19 milliards à 11 milliards d'euros. Les entreprises du CAC 40 ne représentent que 3 % des entreprises : les 97 % restantes sont les PME de nos territoires. Le petit commerce de proximité, l'artisanat qui s'enorgueillit d'être la première entreprise de France, ont besoin des collectivités autres que la région. Les conférences territoriales de l'action publique de la loi Mapam créeront, je l'espère, une gouvernance partagée.

M. Philippe Bas , président . - Cette audition a été une vraie séance de travail. Je vous remercie. Il n'y a pas beaucoup de contradictions entre les différents intervenants ; cela augure bien des débats à venir.

Audition de M. Alain Rousset, président de l'Association des régions de France, président de la région Aquitaine, et M. Jean-Paul Huchon, président de la région Île-de-France (Jeudi 13 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Nous allons entendre MM. Alain Rousset et Jean-Paul Huchon qui s'expriment au nom de l'Association des régions de France (ARF).

M. Alain Rousset, président de l'Association des régions de France . - L'ARF a toujours eu l'impression d'être écoutée, sinon entendue, au Sénat. Les régions ne demandent pas un élargissement massif de leurs compétences ; elles souhaitent que ces compétences soient précisément définies, dans toute leur complétude - formation, développement économique, transports collectifs, etc. - et qu'on les accompagne des ressources nécessaires.

Les collectivités portent lourdement le poids de la lutte contre les déficits publics. La réforme de la taxe professionnelle en est l'une des raisons ; nous l'avions largement critiquée, car elle est préjudiciable à l'investissement. D'après des analyses partagées par Bercy, si la trajectoire des finances publiques locales poursuit sa tendance de 2010-2013, dans les trois prochaines années, le bloc communal aura un solde positif de 1,387 milliard d'euros, le bloc départemental aura également un solde positif de 1,656 milliard et le bloc régional aura un solde négatif de 953 millions d'euros. Ces chiffres sont incontestables.

Quant aux compétences, elles ont leurs exigences. La formation
- professionnelle, notamment - nécessite une hausse des crédits, dans un contexte de lutte contre le chômage dont le Président de la République a fait une priorité. L'apprentissage fait également l'objet d'un effort spécifique, même si les dispositions prises par le Gouvernement ne sont pas tout à fait conformes à ce que nous préconisions. Pour exercer leur compétence d'accompagnement des PME, les régions doivent s'accommoder de modalités d'intervention abracadabrantes, donnant lieu par leur dispersion à une augmentation des coûts. Le rapport Malvy-Lambert a montré que le coût de la décision publique était trop élevé dans chacun des services publics.

Le recours à l'emprunt est-il une solution pour compenser la diminution des ressources des collectivités locales ? Notre notation en souffrirait, avec les effets attendus sur notre capacité d'emprunt et le coût de ces emprunts. À terme, l'investissement sera touché, dans des secteurs clés comme l'éducation, la recherche ou l'acquisition du matériel de transport. Le transport ferroviaire représente 15 milliards d'investissement pour l'ensemble des régions. Alstom-Bombardier, c'est près de 10 000 emplois industriels.

Nous sommes la seule collectivité à ne plus avoir de base fiscale dynamique. La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques est régressive et non garantie. Le Gouvernement nous avait octroyé une partie de cette taxe pour développer des grands projets, comme le TGV ou les plans campus. Cette part n'est plus que l'épaisseur du trait. Les Français utilisent moins leur voiture et les véhicules consomment moins ; la taxe ne rapporte plus autant. Reste la taxe sur les cartes grises, dont le produit représente 8 à 9 % de nos ressources.

Autre contradiction : nous sommes responsables du développement économique, mais nous avons la part la plus faible de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, dont un peu moins de la moitié revient aux départements et 27 % à l'intercommunalité - la région n'en perçoit que 24 %. Le retour sur investissement d'une action économique dynamique auprès des PME, de la recherche ou du transfert de technologies ne retombe pas sur la collectivité qui l'a initiée. C'est d'autant plus paradoxal que l'accompagnement des PME est une priorité de notre pays. Les amendements que nous avons proposés à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2015 visent à porter de 24 % à 70 % en trois ans la part dévolue aux régions de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. L'incohérence de l'organisation de la fiscalité française plombe tous nos efforts en matière de développement économique et de politique de l'emploi.

À la veille de la négociation des contrats de plan, il manque aux régions une vision d'avenir sur l'enjeu du développement économique national. Ces trois dernières années, les grandes entreprises ont supprimé 53 000 emplois en France, les ETI en ont créé 73 000. Nous sommes le dernier pays centralisé d'Europe. Même le Royaume-Uni, après le référendum sur l'Ecosse, a entrepris de repenser son modèle territorial en matière de fiscalité et de compétences. Tous les économistes l'ont dit : il y a une corrélation entre la décentralisation et l'innovation. En Allemagne, les plus petits Länder sont les plus efficaces en matière d'innovation et de création d'entreprises. Une thèse menée à l'université des sciences économiques d'Aquitaine a analysé les effets de l'accompagnement des PME dans la région. En développant leur département de recherche et développement grâce aux aides de la région, ces entreprises ont augmenté leurs emplois de 90 %. C'est spectaculaire ! Partout, en Europe, on décentralise ; nous allons à rebours, avec un État qui en est encore à organiser des concours de singes savants pour octroyer trois francs six sous aux entreprises. On est loin de la compétitivité internationale ; la taille de nos PME est bien trop faible.

Nous réclamons à l'État un dialogue, pour qu'il travaille en complémentarité avec les régions sur le développement économique de notre pays. Nous venons d'avoir une discussion longue et fructueuse avec l'Europe, sur la stratégie que proposent les programmes opérationnels de Bruxelles : quelles spécialisations privilégier en Aquitaine, en Île-de-France ou ailleurs ? Nous n'avons pas ce type de discussion avec l'État, qui souffre d'un handicap culturel qui l'empêche de dialoguer avec les régions ; je le disais, hier, à Emmanuel Macron. Récemment, un inspecteur des finances me demandait si le choix des entreprises stratégiques à accompagner ne risquait pas d'être trop politique. Quand on parle d'entreprises, on parle de business, de technologie, d'internationalisation, d'innovation ou de capacité d'investissement, pas de politique. Je viens de lancer l'opération « Usine du futur », 34 ème plan industriel. Il s'agit de robotiser, de moderniser, d'améliorer la compétitivité. Au lieu de voir cela, l'État reste crispé sur ses perspectives de carrière et sur son pouvoir dans les préfectures. D'où une grande incompréhension. Le coût de gestion d'un dossier industriel est cinq fois plus élevé en France que dans les autres pays, nous accompagnons dix fois moins nos PME que les Allemands... Comment nos entreprises pourraient-elles être compétitives ? Les débats idéologiques sont surréalistes. Emmanuel Macron a une bonne approche du problème, lorsqu'il pose la question de la pertinence du niveau d'intervention. Nous devons mettre en place une stratégie pour réorganiser notre système de sous-traitance. Dégageons un certain nombre d'ETI autonomes, capables de travailler avec tous les grands groupes - Renault ou Peugeot, Boeing ou Airbus - et de porter une stratégie industrielle efficace pour vendre nos Rafales en Inde et créer des retombées économiques favorables. Jusqu'à présent, l'appareil d'État ne s'est jamais organisé pour mettre en place une stratégie industrielle de redressement de ce pays.

Nous souhaitons devenir l'interlocuteur privilégié des PME. Nous rencontrons les chefs d'entreprises, les organisations syndicales, tous les acteurs de ces entreprises, à chacun de nos déplacements sur le terrain. Une organisation verticale, en silo, telle que nous la connaissons en France, crée un monde où on ne se parle pas, un monde qui attend tout de l'État. Les trente Glorieuses sont derrière nous. C'est là un discours qui n'est ni de droite, ni de gauche.

Les régions ont l'exclusivité des aides directes avec l'État. C'est une bonne chose. Encore faudrait-il regrouper ces aides pour que la région ait une puissance de feu efficace. La loi sur les métropoles nous inquiète. La réforme des compétences doit préciser que les crédits de 1,6 milliard dédiés aux entreprises par les départements remonteront jusqu'aux régions. Veillons à ce qu'ils ne disparaissent pas dans des économies budgétaires, creusant encore la faiblesse de nos moyens. Les régions françaises investissent 500 millions d'euros dans l'innovation, contre 9,5 milliards pour les Länder allemands. Voilà pourquoi nous sommes en panne, malgré toute la créativité de nos entreprises.

Toutes les régions ne sont pas égales ; en définissant précisément leurs compétences, on mettra en place de bonnes pratiques qui auront un effet d'entraînement. J'ai lu l'entretien que Jean-Paul Huchon a donné à la presse, ce matin, à propos des abattoirs. Si nous ne réussissons pas à sauver les abattoirs, c'est l'élevage que nous perdrons. Chacun sait que c'est une activité cruciale de l'agriculture en France.

Un pays ne peut pas être démocratique s'il n'y a pas de classes moyennes. Dans l'état actuel de notre système, nous n'avons pas de classe moyenne des collectivités, car les régions sont au même niveau que les autres collectivités en termes de moyens ; c'est une exception française. Nous n'avons pas non plus de classe moyenne d'entreprises : on dénombre moins de 4 000 ETI en France, contre 15 000 en Allemagne. Pas de classe moyenne de financement de l'économie : toute notre épargne remonte à la Caisse des dépôts, soit par les grandes banques privées, soit par l'épargne administrée. Comment financer notre économie quand les circuits sont si compliqués ? La veuve de Bazas - ou celle de Carpentras - devrait pouvoir placer les 30 000 euros qu'elle épargne pour son petit-fils dans une entreprise de son voisinage. Aujourd'hui, la veuve de Carpentras aide moins les entreprises françaises que celle de Singapour. C'est absurde, d'autant que nous avons une épargne colossale à portée de la main.

Nous devons repenser l'organisation du service public de l'emploi. Les régions ne revendiquent pas de fixer les règles d'indemnisation des chômeurs, c'est la tâche de l'État et des organisations syndicales. Cependant, qui s'occupe de l'accompagnement des chômeurs ? Un émiettement d'organismes - Pôle emploi, les missions locales, les maisons de l'emploi... Le chômeur est un nomade qui termine son parcours devant le bureau du maire, pour demander à être embauché. La corrélation est évidente entre les compétences de développement économique, de formation et d'accompagnement des chômeurs. Il faut réformer le système en plaçant à sa tête un patron légitime, la région. Nous ne voulons pas d'une co-présidence, système bâtard qui ne fonctionnera pas. J'ai connu des situations absurdes où une entreprise du sud de l'Aquitaine créait plus de cent emplois par an sans arriver à les pourvoir, malgré un fort taux de chômage au nord de la région. Il doit y avoir demain un service public régional de l'orientation, de la formation et de l'emploi. Une orientation choisie, c'est une formation réussie et un emploi trouvé. La formation est l'élément essentiel du développement économique.

Quant à l'éducation, l'ARF considère qu'il est plus logique de mutualiser collèges et lycées, à cause des choix d'orientation qui s'y font, même si certains d'entre nous trouvent qu'il y a un socle commun entre écoles et collèges. Sur les routes, position majoritaire de l'ARF également. Je comprends les interrogations des départements, qui craignent de voir réduire leurs fonctions à celle de l'accompagnement social. J'ai géré les affaires sociales du département de la Gironde, sans que la tâche soit dégradante. L'allongement de la durée de vie ou l'accompagnement des personnes éloignées de l'emploi par le RSA sont autant de défis à relever. Pour en revenir à l'éducation, le parcours de réussite des élèves est pour nous un enjeu de taille, la clef pour éviter le décrochage des élèves à la sortie du lycée. Les régions sont allées au-delà de leurs compétences sur les micro-lycées, l'orientation, l'apprentissage des langues, la mobilité nationale et internationale. Elles interviennent aussi beaucoup sur les projets pédagogiques des lycées.

Quant aux universités, nous avons raté une occasion de les aider, lorsque nos moyens nous le permettaient. Elles se sont braquées, en refusant de voir appliquer aux bâtiments universitaires le même dispositif que pour les lycées. Les présidents d'université le regrettent aujourd'hui. C'est trop tard, car les régions n'ont plus les moyens. Le grand emprunt ne fonctionne que si les régions contribuent également à financer les projets. Le « plan campus » n'a pas amélioré la situation, plongeant au contraire les universités dans de lourdes difficultés. Pourtant, les régions ne pourront pas développer leur attractivité sans un investissement massif dans la recherche ou les écoles d'ingénieurs. L'Aquitaine y consacre 10 % de son budget.

Nous avons besoin de schémas prescriptifs. À quoi sert de passer une année et demie en concertation avec tous les autres niveaux de collectivités, les branches professionnelles, le milieu associatif, etc., sans aboutir à des schémas prescriptifs ? Les régions ne cherchent pas à être hégémoniques. Elles ont la responsabilité du schéma de développement économique, du schéma de transports et d'aménagement du territoire. Elles ont mis en place des procédures de concertation. Ce serait un échec de la mobilisation territoriale que de ne pas concrétiser ces efforts par des schémas prescriptifs. Ils n'excluront pas une possibilité d'expérimentation, dans des domaines comme la transition énergétique, l'agriculture, les forêts. Toute une partie des versements obligatoires auxquels sont soumis les sylviculteurs ne sont pas réinvestis et disparaissent au niveau national dans des fonds opaques.

Quant aux transports, nous intervenons pour faire rouler les TER, en réhabilitant les voies d'un réseau vétuste. Nous avons sauvé les TER, nous les avons ressuscités. Ils ont gagné plus de 50 % de fréquentation et sont victimes de leur succès. Nous n'avons plus les moyens de les aider, faute d'avoir - comme c'est le cas dans les autres collectivités - une ressource dédiée à ces infrastructures. L'opacité de la SNCF, dont les conventions nous coûtent cher, ne nous aide pas. La Commission européenne a ouvert une enquête sur le sujet. Aujourd'hui, les TER financent les déficits des autres trains, TET et même TGV. Nous n'améliorerons pas la qualité des services publics pour le transport des usagers, sans installer un vrai pilote de l'intermodalité. Sans cette harmonisation, le retour à la voiture individuelle ou le développement du co-voiturage sont les seules solutions possibles.

Enfin, il faudra attendre au moins trois ou quatre ans pour que la fusion des régions puisse générer des économies. Avant qu'il y ait mutualisation, il faut harmoniser le système de primes, harmoniser les différentes actions. D'où peut venir l'idée qu'on ferait des économies ? Si la fusion renforce le poids économique des régions pour leur redonner un poids politique, c'est une bonne chose. Si elle consiste à organiser une péréquation horizontale des régions riches et des moins riches, nous n'adhérons pas au projet. La loi sur la nouvelle organisation territoriale doit être très précise, afin que chacun sache qui fait quoi, qui finance quoi et d'où vient le financement. On gagnera ainsi en efficacité et en démocratie.

M. Jean-Paul Huchon, président de la région Île-de-France. - Les positions de l'ARF sont unanimes. Toutes les régions, quelle que soit leur situation, portent le même message. Notre espoir est que la réforme simplifie et clarifie les responsabilités et la question du service public. Tel est l'objectif, qui n'a rien à voir avec un enjeu de puissance : comment améliorer le service public ? Les régions vont jouer un rôle majeur, nécessaire et essentiel. Le Premier ministre l'a rappelé devant le congrès de l'ARF : elles doivent prendre en main le développement économique, l'innovation, les crédits aux entreprises, les problèmes de trésorerie, l'appui aux PME pour aller vers plus d'ETI... Dans tous ces domaines, nous sommes très loin de nos voisins allemands. Ils ont une organisation différente. Les présidents des Länder participent aux débats dans la salle du conseil des ministres. Ce modèle n'est pas le nôtre. Qu'il ne nous empêche pas de donner plus de compétences aux régions.

La clause de compétence générale a fait l'objet d'un long débat à l'ARF, car elle comporte beaucoup d'ambiguïtés et de contradictions. Nous souhaitons qu'elle soit supprimée. Le texte est clair sur certains points : le développement économique, les transports, l'éducation, avec le rattachement des collèges aux régions. L'exception faite pour les collèges parisiens reste incompréhensible. Pourquoi traiter différemment un collège de Coulommiers et un collège du V ème arrondissement de Paris ?

Quant aux routes, il est logique de les rattacher aux régions qui ont une compétence générale en matière de transport. Seule, la région parisienne bénéficie d'une aide pour financer le syndicat des transports d'Île-de-France à hauteur de 40 %, pour un budget de 9 milliards d'euros par an. Le STIF est l'exemple d'un transfert de compétences réussi : aucun administrateur d'État sur les 29 qui y siègent. Les investissements en matière de transports ont doublé voire triplé et la Société du Grand Paris devrait être en mesure de financer 32 milliards d'euros d'investissements jusqu'en 2025.

Reste le sujet de la compétence partagée, pour la culture et le sport notamment. Les régions financent l'essentiel du budget des associations culturelles. L'Île-de-France investit plus d'argent dans la culture que le ministère de la Culture. La Philharmonie ne dépend pas d'elle, mais elle y participe. C'est la même chose pour le sport. La région a accompagné certaines initiatives qui relèvent des compétences sociales du département
- crèches, maisons d'accueil pour les femmes en difficulté ou victimes de violences, structures pour lutter contre l'exclusion... Où s'arrête la compétence du département, où commence celle de la région ? Rien n'est clair. La région n'a évidemment aucune volonté hégémonique.

La sécurité est également un domaine mal partagé. Certaines régions, dont l'Île-de-France, se sont beaucoup engagées dans la construction de commissariats et l'accompagnement de la politique de sécurité. Je me rappelle avoir signé des conventions avec les ministres de l'intérieur Jean-Pierre Chevènement puis Nicolas Sarkozy. Nous avions démontré que la région investissait plus pour financer les commissariats que l'État dans la France entière. Il serait souhaitable que la sécurité redevienne une vraie compétence de l'État, car les régions risquent de ne plus avoir suffisamment de moyens.

Comme président de la région Île-de-France, j'ai dit dès le début que nous ne souhaitions pas la suppression du département. Les départements et les régions ont passé un certain nombre de contrats sur des actions conjointes, dont le fonctionnement s'est révélé harmonieux. Il n'y a pas de guerre entre les départements et les régions. En revanche, une vraie difficulté existe avec les métropoles, notamment sur la question des transports. Comment envisager que la région s'arrête de les gérer aux abords du périphérique ? La politique des transports est un tout cohérent. Idem pour le développement économique. Les régions sont garantes de la solidarité nationale. La périphérie des agglomérations est un vrai sujet. Les chercheurs y voient un nouvel espace de difficulté pour la République. Il sera difficile d'imposer un schéma directeur de l'industrie et de l'économie aux métropoles, qui disposeront de leurs propres moyens.

On ne peut pas demander aux régions de prendre en charge des compétences nouvelles - emploi, développement économique, éducation, formation professionnelle, etc. - tout en réduisant leurs ressources, alors qu'elles ne peuvent agir ni sur les assiettes ni sur les taux. Il est impossible de nous transférer le développement économique sans nous donner plus de CVAE, d'autant plus que celle-ci fait déjà l'objet d'une forte péréquation. Il faut donc trouver de nouvelles ressources fiscales, et les trouver vite, puisque de nouvelles compétences seront transférées aux régions dès 2017.

Je me félicite enfin de la présence dans ce projet de loi de schémas prescriptifs. Les régions le souhaitent. Cela suppose, comme le réclame l'ARF, de nous conférer un pouvoir réglementaire pour l'aménagement du territoire. Ayant été directeur de cabinet d'un ministre de l'agriculture et directeur général du Crédit agricole, je suis bien placé pour savoir que l'agriculture de montagne n'est pas celle de la Beauce ! Nous devons pouvoir adapter les procédures publiques aux différents territoires.

M. Philippe Bas , président . - Pourriez-vous préciser le point de vue de l'ARF sur les routes ?

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Selon vous, le bloc économique constitue le coeur de la compétence des régions. Mais il est incomplet et plusieurs collectivités interviennent. Il faudrait donc clarifier. Il faudrait aussi inclure la recherche et le service public de l'emploi, ce qui implique de redécouper à nouveau Pôle emploi. À cet égard, le texte ne prévoit aucune nouvelle mesure de décentralisation, ce qui serait pourtant indispensable. Les régions souhaitent participer au service public de l'emploi. J'ai l'impression que c'est au Parlement de faire bouger les choses...

Le système fiscal local est incompréhensible, il résulte d'un empilement de strates. Résultat : les régions ne disposent plus de recettes fiscales, à l'exception de la taxe sur les cartes grises. Il en va de même pour les départements, alors qu'en 1982 la fiscalité représentait 70 % de leurs ressources, contre 30 % aujourd'hui, et encore s'agit-il de fiscalité sur les ménages. Si l'on ajoute les remboursements au Fonds national de garantie individuelle des ressources, cela confine à l'absurde... On a supprimé plusieurs taxes et il a fallu compenser. Mais le système est à bout, les bricolages ne suffiront plus.

Je suis d'accord avec M. Huchon, il y a des clarifications qui restent à faire pour certaines compétences. N'oublions pas non plus les déserts médicaux. Francilien, je crois à la vertu d'un schéma régional d'aménagement, approuvé d'ailleurs par un décret...

M. Jean-Paul Huchon . - La procédure pourrait être accélérée...

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - En effet. Il y a eu des retards. Il faut simplifier, accélérer la procédure et rendre le schéma prescriptif. Le développement économique est fondamental. Les régions ont fait la preuve de leur savoir-faire en matière de développement économique. Pour aller plus loin, elles doivent disposer de moyens de financement accrus.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Le rapport de l'inspection générale des finances et de MM. Demaël, Jurgensen et Queyranne, intitulé Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité , plaide pour une rationalisation du financement de l'économie.

Habitués à utiliser l'allégorie du millefeuille, nous perdons de vue l'essentiel. Que deviendraient les trente équivalents temps plein chargés du développement économique de l'État à la DIRRECTE de l'Auvergne avec la réforme ? Un contrôle de la chambre régionale des comptes à Rouen a mis en évidence que dix-neuf organismes contribuent au développement économique. Ne faut-il pas introduire une certaine rationalisation ?

M. René-Paul Savary , rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - Avec ce texte, nous entrons enfin dans le vif du sujet. Jusque-là, nous avions parlé de la taille du costume sans connaître les mesures du client...Vous avez évoqué la mobilité, qui concerne les routes et les transports en commun, la formation, qui inclut l'insertion et la formation professionnelle, ou l'éducation, qui concerne le collège, le lycée et l'enseignement professionnel. Pour être cohérents, il faudrait fusionner les départements et les régions ! Mais on n'a pas pris cette voie puisque l'on a créé de grandes régions en maintenant les départements. Dès lors, je ne vous suis plus.

Monsieur Rousset, j'aime vos positions sur le développement, l'innovation, l'orientation stratégique, mais pourquoi souhaitez-vous vous encombrer des compétences de proximité, comme la gestion des routes, des réseaux, des collèges et des lycées ? Pourquoi ne pas vous attacher aux fonctions nobles, en incluant la politique de l'emploi et la formation professionnelle ? Seriez-vous prêts à prendre en charge l'insertion sociale ?

Mme Valérie Létard , rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques . - Renforcer et doter les régions d'un bloc clair de compétences aussi vastes suppose des ressources. Vous avez évoqué la CVAE et le versement transport. Je vous rejoins aussi sur la nécessité de rationaliser. Au moment où l'on cherche à maîtriser les dépenses publiques, il est nécessaire de disposer d'un pilote dans l'avion et de clarifier les compétences des multiples intervenants. Vous avez évoqué aussi le lien avec les métropoles, car on ne peut décider sans concertation avec les territoires. Quelle est votre vision de la gouvernance, de la co-production des stratégies et de la répartition des moyens avec les territoires, les intercommunalités en particulier ? Le schéma territorial fait l'objet d'une concertation au sein de la conférence territoriale pour l'action publique, mais la concertation ne suffit pas. L'enjeu est d'articuler la définition d'un schéma rationnel et efficace au niveau régional, et sa mise en oeuvre au niveau des territoires, en lien direct avec l'ensemble des acteurs locaux. Il ne faut pas penser pour les territoires, mais avec les territoires. Comment parvenir à un co-pilotage et un suivi cohérents ?

Outre les départements et les régions, seules les métropoles signent les contrats de plan État-région et participent à la répartition des fonds européens. Les autres intercommunalités sont exclues, ainsi que les territoires. Or ces CPER définissent les crédits du développement économique. Si la région constitue l'échelon territorial pertinent, comment articuler les différents niveaux comme des poupées gigognes pour penser et agir ensemble ?

M. Rémy Pointereau , rapporteur pour avis de la commission du développement durable . - Effectivement, il aurait fallu définir les ressources et les compétences des régions avant de les fusionner. Comment évoquer en effet la puissance financière des régions si elles n'ont pas de ressources ? Cette réforme n'est pas faite pour les élus mais pour les citoyens. L'objet est de clarifier les compétences pour renforcer l'efficacité de chaque collectivité. Des blocs de compétence se dessinent : la commune, base de la démocratie de proximité, le département, gestionnaire de proximité, la région stratège. La région est chef de file économique mais les départements mènent une grande action en ce domaine. Je crains que les régions ne se focalisent sur les grandes entreprises. Il ne faut pas oublier les artisans et les PME. Ainsi, pour faciliter l'installation d'une petite entreprise dans mon intercommunalité, j'ai dû me tourner vers le département, la région ne m'a pas aidé.

La commission du développement durable est saisie de dix articles. Il existe trois schémas différents pour les déchets : déchets dangereux, déchets non dangereux et déchets du bâtiment ! Une simplification est nécessaire ; la région doit être chef de file mais agir en accord avec les territoires. Les articles 8 et 9 transfèrent aux régions les transports routiers non urbains, en les autorisant à déléguer ces services à d'autres collectivités ou EPCI. Mais les transports scolaires ne doivent-ils pas rester la compétence des départements ?

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Mais si les départements n'ont plus les collèges...

M. Rémy Pointereau , rapporteur pour avis de la commission du développement durable . - Autant fusionner dans ce cas les départements et les régions ! Il s'agit d'une question de proximité. Il en va de même pour la gestion des routes départementales. Les départements ont pris la suite avec succès des DDE de l'Etat. Est-il judicieux de transférer les routes départementales aux régions, pour qu'ensuite celles-ci les délèguent à nouveau aux départements ? Enfin quel est votre avis sur les aérodromes et les ports ?

M. François Bonhomme . - Selon vous, l'emploi est l'affaire des régions. Que deviendront les maisons de l'emploi qui réunissent l'ensemble des partenaires locaux sous forme de convention ? Leur compétence d'ingénierie locale est reconnue. Il existe plusieurs centaines de maisons de l'emploi, qui couvrent des bassins d'emploi cohérents. Ne les oublions pas. L'État doit être cohérent et appliquer la loi Borloo de 2005.

Il n'est pas inenvisageable de transférer les savoir-faire acquis par les départements. Cela vaut pour les routes, cela vaut aussi pour les collèges ! La clarification serait bienvenue. Il suffirait de transférer les dotations de l'État aux régions et de prévoir un tuilage dans le temps. Rien n'empêche de conserver des services déconcentrés de la région au niveau départemental.

La vraie question est celle du mode d'élection des élus départementaux et régionaux. Je suis partisan du principe « un élu, un territoire », gage de proximité et de connaissance fine des territoires.

En revanche, l'incohérence apparaît parce que, comme l'État est désargenté, il transfère des compétences sans les financements associés. Les trous noirs se multiplieront, notamment en matière de culture, car chaque porteur de projet va solliciter les régions pour obtenir des subventions qu'elles ne pourront pas toujours accorder. Ne soyons pas schizophrènes. Les élus doivent faire des choix et éviter le saupoudrage, au nom de l'efficacité.

M. Daniel Gremillet . - Quels moyens réclament les régions pour mener leurs politiques ? Les régions revendiquent la compétence économique, mais la plupart d'entre elles ont abandonné les règlements d'intervention au profit des appels à projet, qui ne sont guère favorables à la transparence. Ne faut-il pas rétablir les règlements d'intervention ? Êtes-vous favorable au guichet unique pour instruire les dossiers d'ordre économique ?

Je partage vos propos sur l'emploi. Quel est la collectivité la plus adaptée pour définir avec souplesse, réactivité et proximité une politique d'emploi en fonction des besoins des territoires ?

Les réseaux des lignes TER sont conçus séparément. Il n'est pas rare qu'une ligne s'arrête une fois atteinte la première ville de la région voisine. Il faut davantage de concertation pour tisser une toile d'araignée sur tout le territoire.

Enfin, je partage votre diagnostic sur l'absence de dialogue entre l'État et les régions. Mais pour aller plus loin, n'est-il pas nécessaire de revigorer le plan, afin de fixer un cap au niveau national et coordonner l'action des différentes régions ?

Mlle Sophie Joissains . - Quelles ressources précisément réclament les régions ? Une concurrence existe avec les métropoles, d'autant plus que nous leur avons récemment octroyé des compétences en matière de transports ou de développement économique.

Avec l'éloignement des institutions et la baisse du taux de participation aux élections, la légitimité démocratique des instances de proximité s'accroît. Les schémas prescriptifs ne seront légitimes que s'ils sont élaborés en concertation avec elles. Or le texte est muet sur ce point. Les communes ou les intercommunalités sont en effet les premiers interlocuteurs des entreprises. Quelle sera la durée de ces schémas ? Auront-ils un aspect évolutif ? Attention à ne pas consacrer la tutelle d'une collectivité sur une autre.

M. Philippe Kaltenbach . - Après beaucoup de critiques, les choses se décantent : aux communes et intercommunalités, la proximité ; aux départements, la solidarité et la cohésion territoriale ; aux régions, le développement économique, les transports et la formation. Cette vision est largement partagée. Je rejoins d'ailleurs l'analyse de M. Bonhomme.

Les régions ont su travailler avec les départements. Pourquoi ne sauraient-elles pas travailler demain en bonne intelligence avec les métropoles ? Toutefois quelles garanties la loi pourrait-elle apporter pour éviter les chevauchements et les conflits entre les régions et les métropoles ?

Enfin l'ARF a-t-elle demandé au Gouvernement la décentralisation du service public de l'emploi ?

M. Alain Rousset . - Cela vient de nous !

M. Daniel Dubois . - Le transfert des collèges aux régions remet en question la continuité des apprentissages entre le primaire et le collège à l'échelle des territoires. Cette question n'est pas dissociable de celle de l'organisation des écoles élémentaires sur les territoires. En particulier, comment penser les regroupements des écoles élémentaires sur les territoires ruraux ou l'irruption du numérique si l'on met à part les collèges ?

En outre, l'instauration de schémas prescriptifs suppose la définition en amont d'une méthode de concertation et de co-production, sinon les blocages seront nombreux.

M. Philippe Bas , président . - Le collège est unique, à la différence des lycées, qui ont un recrutement supra-départemental et ouvrent à l'enseignement général, agricole ou professionnel.

M. Alain Rousset . - Vous êtes inquiets sur la méthodologie de concertation. Mais les régions n'ont pas vocation à rétablir une forme de jacobinisme régional ! La décentralisation au niveau régional constitue en soi un progrès, car la concertation sera mieux assurée par les régions que par les préfets. Par construction, en effet, un schéma national est moins sensible aux réalités locales. Je comprends que certains préfèrent s'appuyer sur le préfet plutôt que de renvoyer à un autre élu. Ils craignent l'instauration d'une tutelle d'une collectivité sur une autre. Mais cette tutelle existe déjà...

Mlle Sophie Joissains . - Justement ! Nous ne voulons pas la remplacer par une autre !

M. Alain Rousset . - Pour satisfaire les besoins de l'intérêt général, il faut travailler ensemble. Comment déplorer les retards en matière de transition énergétique ou les manques de transports si l'on empêche les collectivités territoriales responsables de faire des schémas ? Les moindres décisions font l'objet d'une consultation surabondante. Le temps des débats est considérable, au risque de l'inaction. Songez à la création de réserves aquatiques dans certains départements : on en parle depuis vingt ans et rien n'a encore été décidé. Quant on ne revient pas sur les projets une fois décidés... Ne soyez pas inquiets !

Le transfert des collèges aux régions, après celui des lycées, fait sens. Les bâtisseurs et les équipementiers sont les mêmes ; il y a des mutualisations en matière de numérique ou de personnels. Surtout, il est urgent de sortir la France de l'état que décrit l'enquête PISA. L'ascenseur social est en panne. Le service d'orientation ne fonctionne pas. L'orientation, compétence confiée aux régions, commence au collège. Rien n'interdira, le cas échéant, les subdélégations aux départements.

Je démens catégoriquement que les régions ne s'intéressent qu'aux grandes entreprises ! En revanche, nous pouvons faciliter les dialogues entre les grands groupes et leurs sous-traitants, car malheureusement, notre économie est une économie de sous-traitance. Nous manquons d'entreprises de taille intermédiaire capables de structurer le territoire. Les groupes du CAC 40 discutent avec Bercy, non avec les régions. Nous devons aider les petites entreprises à grandir pour acquérir la taille critique. Quant aux artisans, nous travaillons avec eux. N'accueillent-il pas déjà 75 % des apprentis ?

M. Rémy Pointereau , rapporteur pour avis de la commission du développement durable . - Ce n'est pas pour cela que les régions leur prêtent une oreille attentive !

M. Alain Rousset . - Il y a sans doute des insuffisances. Mais cela vaut pour chaque collectivité. Le vrai problème est que l'on ne sait pas qui fait quoi, ce n'est ni efficace ni démocratique. On ne sait plus à qui s'adresser. Clarifions les responsabilités ! Tout suivra.

Mme Jacqueline Gourault . - C'est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Les intercommunalités ont un rôle en matière de développement économique, mais pas nécessairement le même que les régions. Les aides aux entreprises doivent relever des régions.

M. Alain Rousset . - Bien sûr !

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - L'intervention des régions ne sera pas exclusive des autres, mais le texte apporte des clarifications. Les collectivités ne pourront plus instaurer leurs propres aides indépendamment des autres.

M. Alain Rousset . - En France, nous avons « acheté » l'intercommunalité, avec les lois Pasqua, Voynet et Chevènement. Et plus l'intercommunalité était riche, plus cela a coûté cher par habitant. Les intercommunalités ont recruté massivement...

Mme Jacqueline Gourault . - Pas toutes !

M. Alain Rousset . - Vous me les signalerez... L'explosion des effectifs de la fonction publique territoriale vient de là ! On a confondu service public et emploi public. Plutôt que mutualiser les effectifs, on a procédé à des recrutements redondants avec les effectifs des communes. Il faut que les électeurs sachent qui fait quoi, c'est ça la démocratie.

Le rapport de Martin Malvy et Alain Lambert montre que le coût de l'action publique est cinq fois plus élevé que dans d'autres pays, car le temps de la décision est long et les enchevêtrements multiples. Il faut un guichet unique. La critique de l'action publique prospère car on ne sait pas qui est responsable. Il n'est plus possible de continuer à avoir un service public de l'emploi et de l'orientation aux résultats aussi déplorables, ni une action économique aussi défavorable aux PME. Il faut aider les PME et les PMI. Les grands groupes font de l'optimisation fiscale et sont accompagnés souvent exagérément par l'État, sans parler de la consanguinité qui existe parfois entre leurs dirigeants et la haute fonction publique...

Le transfert des routes départementales fait débat. Est-ce bien au conseil régional de veiller au déneigement des routes d'une commune de Corrèze ? Toutefois, son intervention pour développer l'intermodalité et le transport collectif est justifiée.

Les ressources ? Une entreprise allemande est cinq fois plus aidée et accompagnée qu'une entreprise française. Comment redresser notre industrie si on ne fait rien ?

Le lycée a partie liée avec l'enseignement professionnel, mais l'orientation commence au collège.

L'État doit édicter les normes, fixer la fiscalité, définir les grands programmes, soutenir les filières, mais le soutien aux PME et TPE, c'est l'affaire des régions. De même l'ADEME doit disposer d'une instance nationale d'orientation, mais des services locaux sont-ils obligatoires ? Il faut éviter les doublons avec les régions... La BPI a une structure nationale, alors que nous souhaitions des banques régionales d'investissement sur les fonds propres. Autant la BPI fonctionne bien sur les prêts, dans le prolongement d'OSEO, autant, pour les fonds propres, tout remonte à Paris. Que de perte de temps ! Il y a un manque de régionalisation.

Enfin, les aéroports sont des éléments structurants du territoire. Ne reproduisons pas l'erreur que nous avons commise avec les autoroutes en les cédant à des groupes privés qui confisqueront le profit de manière scandaleuse.

M. Jean-Paul Huchon . - À l'exception de l'Île-de-France, grâce à la loi Pasqua, aucune région ne possède de schéma prescriptif. Celui-ci fait l'objet d'une concertation permanente, lors de son élaboration et lors de ses révisions. La région pilote la concertation. Nous tenons très largement compte des préconisations des uns et des autres. Nous avons par exemple largement modifié notre projet pour tenir compte des remarques de la Seine-et-Marne, qui représente la moitié de la superficie de la région : M. Hyest en sait quelque chose ! Lors de la révision, nous avions installé un grand panneau, avec des pastilles pour chaque projet où chaque élu pouvait intervenir. Cela a duré cinq jours et cinq nuits... Donc schéma prescriptif ne rime pas avec jacobinisme régional. À quoi bon, d'ailleurs, vouloir imposer un schéma ? Il ne serait pas appliqué ! Le schéma prescriptif est un bel outil, qu'il faut étendre à toutes les régions.

En outre, les collectivités territoriales peuvent travailler ensemble sous forme de conventions. En Île-de-France, nous doublons le contrat de plan État-région d'un contrat avec chaque département. Nous y consacrons 200 millions pour chaque département. Notre effort est modulé en fonction de la richesse des départements, en accord avec les conseils généraux. Nous passons aussi des conventions avec des intercommunalités.

Les routes ne nous passionnent pas, mais les départements les ont bien gérées. À tel point que nous n'avons pas d'inquiétudes sur le financement, à la différence des lycées, que nous avons repris dans un mauvais état, avec des crédits transférés très insuffisants. Désormais, pour les grands projets de transport en commun, on doit veiller à l'intermodalité et à la cohérence entre les schémas et le réseau routier. Par exemple le réseau routier doit accompagner la construction des nouvelles gares du Grand Paris. Il est logique de tout faire ensemble.

Enfin, gérer les lycées et les collèges, c'est le même métier. On peut aller plus loin en réalisant des synergies sur les personnels, l'équipement, l'informatique. Avec 472 lycées et 850 collèges en Île-de-France, comment ne pas pouvoir peser lors de la conclusion des marchés pour faire des économies ? Je regrette d'ailleurs qu'une centaine de collèges parisiens restent en dehors...

M. Philippe Bas , président . - Merci.

Audition de M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France, et M. Jean-Louis Puissegur, membre du Bureau et président de l'Association des maires de Haute-Garonne (Jeudi 13 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Nous avons le plaisir d'entendre MM. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF), et Jean-Louis Puissegur, membre du Bureau de l'AMF et président de l'Association des Maires de Haute-Garonne.

M. Jacques Pélissard, président de l'Association des Maires de France . - Merci de nous accueillir. J'exprimerai la position du bureau de l'AMF sur le projet de loi NOTRe. Nous aurions préféré une loi-cadre, déclinée ensuite dans d'autres textes, à l'approche qui a été retenue, fragmentée entre la loi du 27 janvier 2014 dite Mapam et le présent texte. Nous regrettons en outre l'absence d'étude des impacts financiers de ce projet de loi. Une telle évaluation faisait également défaut à la loi Mapam, muette sur les nouveaux coûts supportés par les intercommunalités du fait, par exemple, de la nouvelle compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations. Nous ignorons ce que sera le produit de la taxe prévue. Enfin, notre bureau unanime a appelé à la création d'une instance de concertation et de dialogue entre l'État et les associations de collectivités en amont du processus législatif. Le Sénat pourrait être ce lieu de concertation avec l'ADF, l'ARF et l'AMF ; j'ai d'ailleurs écrit au président Larcher en ce sens.

Prenons garde à ne pas créer de nouvelles tutelles en décentralisant verticalement. Les communes et intercommunalités en seraient les premières victimes. À cet égard, les schémas prescriptifs ne sont pas acceptables. Il faut certes, sur un territoire et pour une compétence donnée, une direction. Mais nous sommes des partenaires, non des sous-traitants ! Privilégions la co-élaboration. Prenez le cas de la petite enfance : les schémas sont départementaux, alors que la responsabilité des crèches et des haltes garderies est communale, et que le financement provient des communes, des parents, des caisses d'allocations familiales et, très marginalement, des départements...

Laissons les compétences de proximité au bloc local. Le discours de Manuel Valls au Sénat ouvre la porte à la départementalisation des tâches d'ingénierie : nous n'y souscrivons pas ! L'instruction des permis de construire, par exemple, est une compétence de proximité. Le retrait de l'État a provoqué dans nos territoires la création de bureaux d'études, qui agissent à l'échelon le plus efficace. La remontée au département n'apporte rien du point de vue de l'efficacité. De même pour l'ingénierie technique, au niveau d'un bassin de vie, au moyen de syndicats émanant des communes et parfois intégrés dans le périmètre des intercommunalités. La proximité est gage d'efficacité. Dernier exemple : confier le transport scolaire à de grandes régions ne permet pas d'exercer finement l'exercice de cette compétence.

Rendons l'action publique plus efficace. D'abord, le projet de loi NOTRe bat en brèche l'intérêt communautaire, qui consiste à s'adapter au territoire en partageant les compétences selon la géographie, la démographie, l'expérience et le niveau d'équipement de chacun. Mon intercommunalité gère par exemple les bandes de roulement, tandis que l'éclairage public et l'entretien des trottoirs est resté de la compétence communale : pour reboucher des nids de poule, il est moins coûteux d'appeler le cantonnier local que de faire intervenir des équipes de la ville-centre.

Ensuite, l'AMF plaide depuis des années pour la mutualisation des services. J'ai mis en place en 2002 une direction transversale des services entre ma ville et l'intercommunalité dont elle est membre : la chambre régionale des comptes a trouvé l'initiative intelligente et efficace, mais l'a déclarée illégale ! Elle l'était en effet, jusqu'à la loi du 13 août 2004, quoique celle-ci n'ait pas empêché la saisine par la Commission européenne de la Cour de justice de l'Union européenne. La loi du 16 décembre 2010 puis la loi Mapam ont clarifié les choses. Reste que la mutualisation doit être libre. Tout dépend du territoire. Un ensemble de petites communes regroupées dans une intercommunalité doit pouvoir opter pour une mutualisation descendante, de la seconde vers les premières ; elle peut être ascendante lorsque l'intercommunalité regroupe une ville-centre et des petites communes. La pérennité des communes, dans un contexte de baisse des dotations de l'État, réside dans l'efficacité de l'action publique. Dans tous les cas, l'approche impersonnelle est à proscrire.

Enfin, la commune nouvelle, forme la plus aboutie de la mutualisation, est un autre outil d'efficacité. Elle garantit la sécurité, la solidarité, la proximité et la transparence démocratique. Bref, une économie de temps et d'argent.

Une évaluation financière plus détaillée du projet de loi NOTRe est nécessaire. La loi Mapam a coûté 147 millions d'euros en ce qui concerne la création des métropoles ; l'abaissement du seuil des communautés urbaines, 41 millions d'euros ; soit un total de 188 millions d'euros, pris sur l'enveloppe normée. Cela se conçoit si des bénéfices sont à escompter ultérieurement. Mais cela mérite d'être examiné...

Un mot enfin sur le seuil des 20 000 habitants pour les intercommunalités. Sortons de cette conception monolithique de la République. Dans certains territoires ruraux, il est difficile d'atteindre un ensemble de 20 000 habitants, sauf à ignorer les distances et les coûts induits. En zone urbaine en revanche, 20 000 habitants, c'est peu. Sortons des logiques arithmétiques ; faisons confiance à l'intelligence collective des élus locaux pour placer le curseur au bon endroit.

M. Jean-Louis Puissegur, membre du bureau de l'AMF, président de l'association des maires de Haute-Garonne . - Maire d'une commune de 930 habitants à proximité des Pyrénées, j'évoquerai les problèmes de la ruralité.

Les élus des zones rurales ne comprennent pas le chaînage des lois relatives à l'organisation de la République - mais les communes urbaines le comprennent-elles mieux ? Ils se font en outre du souci s'agissant des ressources financières. Les communes rurales sont, il est vrai, habituées à la disette, compte tenu de la faiblesse de leur base fiscale et de l'absence de cotisation foncière des entreprises sur leurs territoires.

La question du regroupement des régions touche peu les élus de terrain. L'évolution des conseils généraux est en revanche un vrai sujet, car ce sont nos premiers partenaires institutionnels. Dans mon département, les aides à l'investissement des communes ont légèrement diminué, mais elles ont toujours été comprises entre 50 et 70 % des montants engagés, tous projets confondus. Seul bémol : cet arrosage des cantons était purement politique, et manquait parfois de discernement dans l'attribution des subventions - le pourcentage était identique pour une salle des fêtes en marbre et une salle des fêtes en bois.

La Haute-Garonne a la particularité de compter une ville d'un million d'habitants, et des communes rurales qui en rassemblent 200 000. Sans Toulouse, nous ressemblerions à l'Ariège ou au Gers voisins. Les communes de ces départements, qui reçoivent peu d'aides, jalousent celles de Haute-Garonne, lesquelles entendent conserver - égoïstement ? - leurs ressources.

Un mot également sur l'appareil productif de ce territoire. Ma commune de 1 400 hectares avait, après la Seconde Guerre Mondiale, soixante petites exploitations de quatre unités de travail humain chacune, soit un total de 240 emplois productifs. Des emplois guère enviables, dira-t-on ; pourtant, les agriculteurs vivaient à l'époque mieux que les ouvriers. Aujourd'hui, ne restent que huit exploitations à cinq emplois chacune, soit une disparition de 200 emplois productifs ; demain, il n'en restera plus. Ces emplois perdus, rien ne les a remplacés. S'il fallait diriger de nouvelles ressources financières vers les communes rurales, c'est sous forme d'aides à l'appareil productif qu'il faudrait le faire, et non de financement de tel ou tel équipement. La forêt, la valorisation directe, sont des pistes. Mais dans les zones agricoles et d'élevage - dans la filière viande en particulier - les résultats ne sont pas là.

L'exportation intellectuelle est un autre problème. Je suis président d'un syndicat intercommunal à vocation multiple de 30.000 habitants et de 20 millions d'euros de budget. Les jeunes ayant un potentiel intellectuel certain, parce qu'ils souhaitent rester au pays, s'engagent comme chauffeurs de poids lourds ou d'engins de chantier. Ils prennent ainsi la place de ceux qui ne sont pas capables d'occuper de meilleurs emplois. Résultat : les laissés-pour-compte sont nombreux, qui alternent petits contrats aidés et périodes de chômage.

En zone rurale, les élus locaux appréhendent mal l'intercommunalité. Le maire et les adjoints y voient l'occasion d'élargir leurs compétences, mais ils peinent à transmettre le message à leurs conseils municipaux. Au reste, les intercommunalités ne sont parfois que des décompressions des budgets des villes-centre. La domination politique de celles-ci sur les élus locaux des communes périphériques est une réalité. L'intercommunalité n'est pas la réponse à tout. Associer 20 ou 25 communes pauvres ne fait pas une intercommunalité riche. Certaines intercommunalités se sont même lancées dans des dépenses inconsidérées - elles ont freiné leur élan, cependant, depuis que les dotations ont diminué au profit de la fiscalité directe.

Les élus sont plus familiers du périmètre des pays ou des schémas de cohérence territoriale (Scot). Parler d'économie dans le cadre d'un Scot, ou de tourisme dans un pays, est plus facile. L'instruction des permis de construire est plus aisée à l'échelle d'un pays.

Les élus ont une sorte de rejet du pouvoir politique dominant. Les conseils municipaux ont changé. Ce ne sont plus les conseils d'il y a vingt ou trente ans. Ils comptent à présent beaucoup de jeunes désireux de s'investir, bénévolement. Il faut en tenir compte, c'est un plaidoyer pour la commune plus que pour l'intercommunalité...

Le conseil général soutient l'investissement : il serait bon que la métropole lui consacre une part de ses ressources financières. M. Moudenc
- ou M. Cohen hier - y consent, mais il ne faut pas attendre qu'il prenne de lui-même une telle initiative. À quelle échelle travailler avec la métropole ? À l'échelle régionale ou dans les départements ? Égoïstement, je défendrais bien la péréquation au sein de la Haute-Garonne, mais c'est au niveau régional qu'il faut l'envisager. Or M. Jean-Michel Baylet, qui a une centrale nucléaire sur son territoire, ne veut pas en entendre parler ! Chaque département veut garder ses ressources...

La voirie suppose entre 10 000 et 20 000 euros d'investissement tous les dix ans. Le conseil général aidait les communes de moins de 400 habitants à hauteur de 70 %, les autres à 50 %. Les maires ne savent pas comment faire à présent. Certains chemins ruraux seront sans doute remis dans l'état où ils étaient avant d'être goudronnés...

Je vois dans les communes nouvelles un phénomène périurbain. Comment les implanter en zone rurale, où les élus sont très attachés à leur commune ? J'ai en tête le mauvais exemple d'une intercommunalité rurale financièrement exsangue du fait d'investissements trop lourds, dont le président voit désormais dans la création d'une commune nouvelle le moyen de sortir du marasme...

Le seuil des 20 000 habitants soulève une profonde inquiétude chez les élus ruraux. C'est un problème de temps. Laissons-les réfléchir, sans leur imposer d'échéances ou d'objectifs. Les territoires sont tous différents. Dans certains secteurs de Haute-Garonne, les élus se sont mis à discuter hors la contrainte de l'État ou de la préfecture. Il faut laisser du temps au temps.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Nous avons toujours plaisir à entendre M. Pélissard. Certains sénateurs sont dans le même cas que vous, monsieur Puissegur, y compris en Ile-de-France...

Je n'ai pas compris : êtes-vous favorables au maintien du département ? Attention à ne pas renforcer excessivement les intercommunalités, dites-vous. Nous avons déjà eu du mal à bâtir la carte... Il faut saluer le rôle déterminant de la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI) dans cette entreprise. La carte actuelle n'est pas parfaitement cohérente ; il faut la faire évoluer, mais sans aller trop vite.

Je comprends votre réticence à l'égard des schémas prescriptifs. Mais confier une compétence à une collectivité implique, avec toute la concertation nécessaire, que celle-ci ait un pouvoir de décision ! Je vous rejoins sur la compétence de petite enfance, dont le transfert est à l'origine de l'augmentation d'une part importante du personnel communal. Sur l'ingénierie, soyons pragmatiques. Certains départements ont mis des services techniques à la disposition des communes. Le pire serait de créer de nouveaux services. Sans mutualisation, nous n'arriverons à rien. De même en matière d'urbanisme : l'instruction des permis de construire, que certains proposent de confier au niveau intercommunal, doit demeurer une compétence communale. Mais pour l'exercer, il faut des techniciens : le meilleur modèle reste celui des services partagés. Dans tous les cas, laissons de la souplesse aux territoires ; pour encourager la mutualisation, point n'est besoin de légiférer. Encourageons-la financièrement. Dès la loi Marcellin du 31 décembre 1970 qui créait les districts, des intercommunalités se sont créées par intérêt fiscal bien compris. Les choses ont été corrigées par la suite.

M. Philippe Bas , président . - J'invite MM. Pélissard et Puissegur à répondre à la brûlante première question de M. Hyest, avant que nous reprenions le fil des questions.

M. Jacques Pélissard . - Je vous donne ma position personnelle, qui n'est pas passée au crible du bureau de l'AMF. Je le dis avec la même sincérité que celle que j'ai eue à l'égard du président de la République : j'aurais été favorable à la suppression du département si l'on avait conservé des régions à taille humaine. Nous aurions alors pu répartir les compétences entre l'État, les régions, et les intercommunalités : politiques de guichet, services d'incendie et de secours pour le premier, développement économique pour les secondes, actions de proximité pour les dernières. Mais passer à des régions de taille XXL impose de conserver des espaces de proximité. Une nuance : nous ne pouvons conserver des départements dotés de la clause de compétence générale, ressuscitée dans le discours du président de la République du 5 octobre 2012. Il faut que chacun sache ce qu'il fait.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Que se passe-t-il lorsqu'une grande métropole concentre 80 % de la population d'un département ? La question ne se pose pas seulement à Toulouse.

M. Jean-Louis Puissegur . - Les maires de mon département veulent garder les départements par intérêt financier ; du point de vue de la démocratie locale, ils sont contre. Cette suppression ne nous gênerait pas. Mais nous avions, en matière d'ingénierie par exemple, un État performant, neutre, et compétent ; je préfère de très loin qu'il soit remplacé par une organisation intercommunale que par un pouvoir politique « politicien ». Les communes veulent se gérer elles-mêmes, et refusent cette chape de plomb. J'aurais bien vu, pour ma part, une articulation entre communes, pays ou Scot, d'une part, et régions, d'autre part, pour peu qu'elles ne soient pas trop grandes. D'accord pour supprimer le département, et même les intercommunalités, si l'on dispose de pays ou de Scot qui travaillent ensemble et de communes fortes comme échelon de base.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Le Sénat n'a jamais été contre l'instauration d'une instance de dialogue entre l'État et les trois associations nationales de collectivités territoriales. J'ai même plaidé pour que les députés comme les sénateurs y soient associés. Mais la question du cumul des mandats est venue percuter ce débat et lui substituer ces questions existentielles : que fait-on du Sénat ? Que fait-on des départements ? Du coup, nous sommes passés à côté de l'essentiel : notre besoin d'une instance de dialogue. Reste qu'un simple décret suffit pour créer une telle instance - nous l'avons dit à Mme Lebranchu hier en commission des lois.

Le monde intercommunal atteint un degré de fragmentation dangereux. J'ai d'ailleurs appelé les intercommunalités, au congrès de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), à se regrouper sans attendre, pour assurer une représentation unifiée du bloc communal qu'ils entendent défendre.

S'agissant de l'intérêt communautaire, on peut dire tout et son contraire : soit qu'il faut garantir la subsidiarité - que nous défendons ici depuis longtemps -, soit qu'il revient aux intercommunalités de choisir les compétences qui les intéressent. Or voyez ce qui se passe en matière économique : tout le monde se bat pour les filières, les pôles de compétitivité, la French Tech... Mais l'artisanat et le petit commerce, personne n'en veut !

Comment s'assurer que la subsidiarité ne sera pas un moyen pour les grandes intercommunalités de se défausser des projets qui ne les intéressent guère ?

M. Rémy Pointereau , rapporteur pour avis de la commission du développement durable . - Merci de nous avoir exposé votre point de vue sur cette réforme. Je partage largement votre avis : il aurait fallu passer par une loi-cadre et estimer l'impact financier.

L'Assemblée des Départements de France et l'ARF nous ont laissé entendre que les transports scolaires et les collèges pourraient revenir aux régions. N'est-ce pas un niveau trop éloigné de la commune, qui gère les écoles primaires ? Certains départements veulent reprendre la compétence exercée par les syndicats d'énergie, qui font beaucoup pour les communes. Qu'en pensez-vous ? La mutualisation, nous en faisons depuis longtemps, comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir : qu'est-ce d'autre qu'une communauté de communes ? Des déchetteries, des équipements de sports, et de nombreux autres domaines, sont mutualisés. Les créations de postes sont critiquées par la Cour de comptes : c'est que ce niveau de collectivités a pris des compétences et reçu des obligations... Si les dotations sont réparties en fonction du degré de mutualisation, celle-ci restera-t-elle vraiment facultative ?

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Il ne s'agit que d'une incitation...

M. Rémy Pointereau , rapporteur pour avis . - C'est inquiétant. Que deviendra notre liberté ?

Nous devons sortir d'une logique purement quantitative en supprimant le seuil de 20 000 habitants pour les communautés de communes. Privilégions l'humain en adoptant une logique qualitative ! Pourquoi ne pas laisser chaque département, par l'intermédiaire de son conseil général ou de la CDCI, décider du seuil - actuellement de 5 000 habitants ?

M. François Bonhomme . - Conditionner la dotation au coefficient d'intégration fiscale (CIF), est-ce respecter la libre administration des collectivités territoriales ?

M. Jean-François Longeot . - Merci pour votre présentation. L'erreur a été de redécouper les régions avant de réfléchir à la répartition des compétences. On envisage à présent de confier la distribution de l'électricité et de l'eau potable, effectuée par les syndicats, aux départements qu'on voulait supprimer il y a peu ! La difficulté est de financer le fonctionnement de ces structures - car ce sont elles qui intéressent...

M. Rémy Pointereau , rapporteur pour avis . - En effet !

M. Jean-François Longeot . - Comment les grandes régions pourront-elles gérer les transports scolaires ? Conseiller général du Doubs jusqu'à mon élection comme sénateur, j'ai bien vu comme cette gestion était complexe à l'échelle d'un seul département. Nous devons nous affranchir du seuil de 20 000 habitants : arrêtons de raisonner en nombre d'habitants et pensons territoire, demandons-nous plutôt avec quelles communes nous voulons travailler.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Demandons-nous surtout comment les habitants vivent et de quoi ils ont besoin !

M. Jean-François Longeot . - Exactement. Il faut rendre de la liberté aux élus et leur faire confiance. Les communes de moins de 1 500 habitants ont le plus grand mal à élaborer un PLU. Je connais un cas où il a fallu plus de dix ans pour y parvenir. Les PLUi épuiseront des générations de maires !

M. Philippe Bas , président . - La loi du 16 décembre 2010 prévoyait un réexamen de la carte intercommunale après un certain délai. Le texte actuel l'impose avant le 31 décembre 2015 : bien trop tôt ! La plupart des intercommunalités issues de la loi de 2010 ne se sont installées qu'en 2013 ou en 2014. Leurs exécutifs ont souvent été mis en place en avril dernier seulement. Engager un processus de réexamen aussi rapidement les déstabiliserait. Enfin, la volonté d'un changement d'échelle des intercommunalités se traduira en milieu rural par un élargissement considérable des périmètres. Cet éloignement et l'obligation d'accroître le nombre de compétences transférées à des intercommunalités agrandies ne risquent-elles pas de faire perdre de la substance aux communes ?

M. Jacques Pélissard . - La loi du 29 février 2012 a prévu le cas des intercommunalités les plus récentes. Pour autant, 2016 est trop tôt, j'en suis bien d'accord : il faut leur laisser plusieurs années de plus. Que le schéma de développement économique soit prescriptif, soit... s'il est élaboré de manière concertée entre la région et le bloc local. Peu importe qui, du département ou de l'intercommunalité, est le maître d'ouvrage de l'ingénierie : l'important est qu'elle soit de qualité et que l'adhésion des communes repose sur le volontariat.

À partir d'une certaine taille, une intercommunalité peut très bien instruire les demandes de permis de construire : c'est toujours au maire qu'il reviendra de signer le permis. Le coefficient d'intégration fiscale a prouvé son utilité pour évaluer la mutualisation, mais il ne porte que sur les recettes. L'inspection générale de l'administration et l'inspection générale des finances réfléchissent à un coefficient de mutualisation qui porterait sur les dépenses. Pourquoi pas ? Cela me paraît intelligent. Mais il faudra choisir entre les deux car il semble difficile de les articuler sans engendrer des effets pervers.

Je me suis efforcé depuis des années de mettre en oeuvre un processus de rapprochement des associations. Les présidents des associations des communautés urbaines, des grandes villes, des villes moyennes, des petites villes et des maires ruraux sont membres associés du bureau de l'AMF. Le président de l'AMF est bien conscient qu'un rapprochement, voire une fusion, s'impose. L'AMF serait l'association généraliste, autour de laquelle graviteraient des structures spécialisées comme les associations d'élus de la montagne, du littoral, de banlieue...

L'intercommunal ne doit englober que ce qu'il est pertinent de lui confier. Cela exige une finesse d'analyse. Il faut laisser aux communes la gestion des magasins de proximité, des petits projets culturels d'animation et d'entretien du lien social... La répartition doit être faite au trébuchet.

Confier les transports scolaires aux régions serait inadapté. Pour les établissements scolaires, si un collège va de pair avec un lycée, par exemple dans le cadre d'une cité scolaire comme j'en connais dans le Haut-Jura, sa gestion peut être confiée à la région. Inversement, une intercommunalité pourrait recevoir de la région, par une convention, la compétence sur un collège.

M. Philippe Bas , président . - Dans le cas d'une cité scolaire, pourquoi ne pas confier le tout - s'il faut une compétence unique - au département plutôt qu'à la région ?

M. Jacques Pélissard . - L'aire d'attractivité d'un lycée dépasse celle de l'intercommunalité.

M. Philippe Kaltenbach . - La moitié des 25 cités scolaires des Hauts-de-Seine sont gérées par le département et l'autre moitié par la région. Il est logique qu'un lycée professionnel, qui recrute ses élèves dans le département mais aussi au-delà, soit géré par la région. Il ne le serait pas moins que collèges et lycées soient gérés par la même entité...

M. Jacques Pélissard . - Il faut s'adapter à chaque territoire et sortir d'un jacobinisme uniformisateur.

Les syndicats d'énergie doivent rester aux communes, qui les financent grâce à la taxe intérieure sur la consommation finale d'énergie, et qui sont leurs clients. La mutualisation revêt plusieurs aspects : mutualisation des agents, des équipements, entre communes, entre communes et intercommunalité... Si une mutualisation s'opère entre une intercommunalité et toutes ses communes, autant transférer la compétence. La mutualisation des équipements et des agents a été organisée par les lois du 13 août 2004, du 16 décembre 2010 et du 27 janvier 2014. Elle va dans le bon sens. Manquent encore les outils de gestion de personnels permettant de rassembler l'ensemble des effectifs.

Les pistes évoquées pour supprimer le seuil de 20 000 habitants sont intéressantes. La CDCI qui, par sa composition et son pouvoir, peut imposer ses options au préfet, pourrait être un bon juge de paix. Conditionner la dotation au CIF altère en effet le principe de libre administration, mais ce n'est pas anormal : comment pourrions-nous exiger de l'État des dotations, même en diminution, sans condition ?

Je regrette moi aussi le découplage entre découpage territorial et répartition des compétences. Nous devons rapidement définir des compétences spéciales, faute de quoi la situation sera ingérable. Le seuil des 20 000 habitants doit être remplacé par la définition d'un bassin de vie cohérent.

Il faut, oui, reporter la date butoir du 1 er janvier 2016. Heureusement, la loi du 29 février 2012 prévoit des garde-fous et des dispositions « balais » pour l'année 2015, afin de procéder aux ajustements qui s'imposent.

Mlle Sophie Joissains . - Connaissez-vous le coût induit par la mise en place prochaine des métropoles de Paris, de Lyon et d'Aix-Marseille-Provence, même si, s'agissant de cette dernière, 113 des 119 communes concernées y sont opposées ? Les communes n'ont pas été consultées sur les métropoles. Le seront-elles sur le schéma prescriptif régional ?

M. François Bonhomme . - M. Pélissard défend comme nous la simplification et la clarté. Or confier la gestion de tous les établissements d'enseignement secondaire à la région, n'est-ce pas aller vers davantage de simplicité et de cohérence ? Un tel rapprochement n'a rien d'impossible. Quels problèmes poserait-il ?

M. Jacques Pélissard . - En 2015, 62,6 millions d'euros seront prélevés pour les métropoles sur l'enveloppe normée de la DGF ; et en 2016, 124,6 millions d'euros, dont 5,9 millions pour la métropole Aix-Marseille-Provence.

Le schéma régional de développement économique doit être élaboré en concertation avec les communes et les EPCI. Les communes rurales ne pourront être toutes présentes en direct, mais elles seront représentées par l'AMF.

Une cité scolaire associant collège et lycée doit être gérée par la région. Un collège indépendant peut être confié par convention à une intercommunalité, d'autant qu'il existe des passerelles entre le primaire et le collège. En revanche, un lycée, qui est en lien avec le système de formation professionnelle et les universités, a vocation à rester à la région.

Merci pour votre écoute. La commune nouvelle permettra de faire des communes fortes dans des intercommunalités de projet - sauf à ce que l'intercommunalité elle-même se transforme en commune nouvelle... Tâchons de laisser l'année 2015 toute entière aux communes nouvelles pour émerger : elles ne seront exemptées que pendant trois ans de la baisse de la DGF ou de la majoration des gels de 5 %. La réforme des collectivités territoriales viendra aussi des communes.

M. Philippe Bas , président . - Merci. Les communes nouvelles suscitent un large accord. Le sentiment se répand, surtout dans le monde rural, que l'intercommunalité atteint ses limites. Beaucoup d'élus en viennent à s'intéresser à l'idée d'une fusion avec des communes voisines. Votre proposition de loi sur les communes nouvelles reçoit une écoute attentive au Sénat.

Audition de M. Marc Fesneau, président de la commission
« Institutions et pouvoirs locaux », et M. Alain Berthéas,
vice-président de la commission « Développement économique
et emploi », de l'Assemblée des communautés de France
(Jeudi 13 novembre 2014)

M. Alain Bertheas, vice-président de la commission « Développement économique et emploi » de l'Assemblée des communautés de France. - L'ensemble des élus des EPCI est convaincu qu'il est nécessaire d'évoluer en matière d'organisation territoriale.

Cependant, des questions continuent à se poser, notamment en matière de répartition des compétences.

Avant de parler de « millefeuille institutionnel », commençons donc à réfléchir aux besoins en compétences et à ceux de l'ensemble des habitants de nos territoires.

J'insisterai sur les relations entre EPCI et régions car il est question de confier à celles-ci un rôle de chef de file dans certains domaines. Il est nécessaire de clarifier cet aspect ainsi que la règle du jeu des relations entre ces deux niveaux territoriaux. En outre, il est nécessaire de préciser la notion de schémas prescriptifs, d'éviter l'émergence d'une multiplicité de ces schémas et de prévoir une co-construction de ceux-ci, afin d'éviter le pur et simple remplacement d'une norme nationale par une norme régionale. Dans la mise en oeuvre de cette réforme, il sera ainsi nécessaire de fixer les prérogatives de chaque institution dans le cadre des schémas prescriptifs. Les schémas doivent être territorialisés afin de pouvoir mesurer l'impact de leurs prescriptions.

Personne ne conteste le rôle de chef de file de la région en matière économique. En revanche, il faut travailler en profondeur afin d'aboutir à un rapprochement entre les acteurs institutionnels et les acteurs industriels ou économiques de manière à construire une vision économique du territoire.

M. Marc Fesneau, président de la commission « Institutions et pouvoirs locaux ». - Les métropoles, puis les régions et enfin les compétences : le calendrier législatif aurait peut-être dû être différent... Nous ne savons pas ce qu'est un processus de « co-construction » ; nous ne disposons pas encore de mécanismes pour effectuer une telle co-construction. Faut-il encadrer juridiquement de tels mécanismes ? En tout état de cause, il faut éviter une tutelle des régions sur les EPCI.

Concernant les départements, nous sommes favorables à leur recentrage sur la solidarité, mais laquelle ? Autant la solidarité entre les personnes est incontournable, autant la solidarité territoriale sera difficile à mettre en oeuvre compte-tenu de l'état actuel des finances départementales. Par ailleurs, si le département constitue un espace légitime pour l'ingénierie, il n'est pas souhaitable d'en faire une règle. Dans ce domaine en effet, la coopération doit pouvoir rester communale, intercommunale, voire inter-intercommunale.

Par ailleurs, dès lors que le département constitue une interface entre les régions et le territoire, nous pensons qu'il pourrait être le lieu où s'organise la relation entre les différents EPCI.

Je ne sais pas ce qu'est un territoire rural. Presqu'aucun territoire n'est indemne de toute influence urbaine. Il me paraît périlleux de tenter de délimiter un périmètre qui serait purement rural et une institution qui serait spécifiquement chargée de ce périmètre.

Concernant la création de communes nouvelles, il me semble que certains territoires se mettent en mouvement. 21 % des adhérents de l'AdCF se posent la question. Le dispositif proposé par M. Pélissard est intéressant à cet égard mais il est peut-être nécessaire de simplifier encore le mécanisme de fusion et de s'interroger sur ce qui se passera après 2020 et la fin du dispositif transitoire. Enfin, il ne faut pas s'appuyer uniquement sur une « carotte » financière.

En ce qui concerne l'existence d'un seuil pour la fusion des EPCI, nous y sommes favorables. Un seuil de 20 000 habitants paraît raisonnable en matière d'ingénierie et d'organisation territoriale. La densité ou le nombre de communes peut également constituer un élément à prendre en compte. Il faudrait en tout cas fixer définitivement un tel seuil afin de ne pas paralyser l'action locale, et prévoir des mécanismes de souplesse afin d'éviter que des EPCI ne soient obligés de faire marche arrière dans certains domaines où ils sont déjà intégrés. Dans mon intercommunalité qui organise depuis quelques années la compétence scolaire, une fusion des intercommunalités entrainerait la perte de celle-ci. Il serait pourtant regrettable que le processus de fusion entraine une sortie de compétences pour l'intercommunalité.

M. Philippe Bas , président . - En effet, car le texte prévoit d'agrandir les intercommunalités mais aussi de renforcer leur intégration. Afin de conserver les compétences des intercommunalités qui s'agrandiraient, il serait toujours possible de créer une commune nouvelle au sein de celles-ci.

M. Marc Fesneau . - Il est vrai. Néanmoins, je ne suis pas sûr que cette mesure soit acceptée dans un territoire comme le mien. Pour mettre en perspective le seuil des 20 000 habitants proposé par le texte, sachez que sur le territoire de mon intercommunalité, il y a la plus petite commune du Loir-et-Cher avec 31 habitants. J'adopte toutefois une position ouverte. Je crois que le texte va dans le sens que l'on souhaite, c'est-à-dire vers de plus grandes compétences pour l'intercommunalité.

En termes de gouvernance, nous sommes aussi attentifs aux règles de compensation. Il serait dangereux qu'elles soient adoptées à l'unanimité plutôt qu'à une majorité qualifiée. Il ne faudrait pas qu'une seule personne puisse bloquer la clé de répartition. C'est d'autant plus pertinent que les conseils communautaires seront plus grands, avec plus de conseillers, et qu'il ne faudrait pas pénaliser leur action.

Par ailleurs, je souhaite insister sur les dispositions de l'article 33 du projet de loi, qui prévoient une mise à contribution des collectivités territoriales concernant les conséquences financières des condamnations de l'État français par l'Union européenne, lorsque les manquements relèveraient des domaines de compétences des collectivités territoriales. Je ne peux que m'interroger sur l'applicabilité d'un tel dispositif. À quel degré une collectivité territoriale est responsable, par exemple, de la qualité d'un cours d'eau ? À 20, 22 ou 25 % ? Cela va engendrer des contentieux sur la qualité de l'eau, de l'air ou dans des domaines dans lesquels l'État a tardé à agir.

M. Philippe Bas , président . - C'est délicieusement rédigé. « Les autorités compétentes de l'État proposent une répartition des sommes dues entre les collectivités territoriales ou leurs groupements déduction faite, le cas échéant, de la part incombant à l'État. »

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - L'Assemblée des communautés de France semble avoir largement inspiré la plume du gouvernement. Je trouve en effet que vous êtes assez favorable à l'ensemble de ces mesures.

Je ne suis pas d'accord avec votre argumentation sur les maigres moyens des départements. Il appartient à l'État de compenser suffisamment l'aide sociale versée par les conseils généraux.

Par ailleurs, je suis opposé à toutes les tentatives de faire du département, au mieux, un sénat des collectivités territoriales. C'est inconstitutionnel. Une collectivité, c'est un territoire, une assemblée élue et des compétences précises, d'après la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Je relève que vous êtes favorable au seuil des 20 000 habitants tout en relevant les difficultés pour changer le seuil. Je reconnais que ce seuil est tout à fait envisageable sur certains territoires. Néanmoins, dans certains départements ruraux, le seuil de 20 000 habitants conduira à n'avoir que 3 ou 4 intercommunalités de dimensions considérables sur le département.

Pour mémoire, le seuil de 5 000 habitants était déjà contesté. De nombreuses dérogations ont été mises en place pour les territoires de montagne et l'outre-mer. La carte a été douloureuse et compliquée à établir. Il faut garder de la souplesse. On peut même s'interroger si le seuil implique des fusions ou des démembrements des intercommunalités existantes pour correspondre aux bassins de vie ?

M. Alain Berthéas . - Un certain nombre de communautés sont organisées selon un découpage historique qui ne correspond plus aux réalités de la vie des habitants. Faut-il faire un redécoupage pour tenir compte de ces réalités ou s'en tenir au découpage actuel ? Il y a en tous cas des incohérences dans la carte actuelle des intercommunalités.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Je suppose que vous préconisez une évolution de la carte intercommunale par la loi, avec la même méthode que celle des commissions départementales de la coopération intercommunale mise en place par la loi du 16 décembre 2010. Ce texte prévoyait notamment un droit d'opposition des élus aux initiatives préfectorales intempestives.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - J'ai eu la chance d'échanger avec vous lors du dernier congrès de l'AdCF.

Je pars du constat fait par le Sénat, tous bords confondus, avec le rapport de MM. Krattinger et Raffarin. Dans le panorama de l'intercommunalité établi par ce rapport, il y a dix régimes fiscaux différents, avec des degrés d'intégration très contrastés.

On dit que le département joue un rôle en matière de solidarité : c'est aujourd'hui une réalité. La mission de solidarité territoriale est souvent indispensable. Cela n'empêche pas d'armer les intercommunalités pour y participer, mais on ne peut pas se passer du département. Les départements gardent un rôle irremplaçable, et bien au-delà de 2020.

En mars dernier, on n'a pas voté pour l'élection de tous les délégués intercommunaux au suffrage universel direct, car le fléchage, lors des élections municipales, n'était applicable qu'aux communes de 1.000 habitants et plus, régies par le scrutin de liste proportionnel. Ne faisons donc pas semblant de croire que les intercommunalités sont des collectivités territoriales.

Mme Jacqueline Gourault . - Il faut faire progresser l'égalité entre tous les territoires !

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Il ne faut pas opposer départements et intercommunalités, mais il faut mettre de l'ordre dans le « qui fait quoi ». Nous sommes empoisonnés par l'idéologie du millefeuille. Il ne faut pas oublier qu'il existe aussi de nombreux organismes issus du démembrement des collectivités.

Le Gouvernement a le courage de s'attaquer au problème de la rationalisation de l'organisation territoriale dans une logique d'égalité. La problématique, c'est d'armer les intercommunalités, mais pas de faire l'impasse sur le département, car on en a besoin ! Si on veut aller plus loin, on peut toujours les supprimer, mais aucune structure n'est prête aujourd'hui à reprendre les compétences du département, sauf ponctuellement au cas par cas, pour certaines d'entre elles.

Un EPCI, ce n'est pas une collectivité territoriale !

Mme Jacqueline Gourault . - On s'énerve sur les conseils généraux, alors qu'ils existent au moins jusqu'en 2020 et, en réalité, ad vitam aeternam .

Les départements doivent aider les territoires, tous les territoires. Si on reste sur l'idée que la justification du département, collectivité territoriale dotée de compétences effectives, c'est la proximité et la ruralité, si on est toujours dans la défense exclusive de la ruralité...

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Il ne faut pas raisonner sur des cas pathologiques...

Mme Jacqueline Gourault . - ... le département doit aussi aider les zones urbaines et péri-urbaines, les agglomérations...

Je n'aime pas l'idée de la tutelle d'une collectivité sur une autre, par exemple la tutelle de la région dans le domaine économique avec un schéma prescriptif. Je n'aime pas non plus cette idée en matière de solidarité territoriale - je ne sais pas ce que c'est d'ailleurs - c'est-à-dire la tutelle du département sur les communes et les intercommunalités. Les communes sont des collectivités territoriales.

Que les départements subsistent, très bien, mais la question a de toute façon été close par le Premier ministre.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Nous parlons de l'avenir des départements car on a proposé leur suppression...

Mme Jacqueline Gourault . - L'association des grandes villes de France a lancé à l'Assemblée nationale une organisation parlementaire pour défendre l'urbain. Pour l'image du Sénat, je ne voudrais pas qu'on se cantonne à la défense des ruraux, ce serait une catastrophe pour le bicamérisme.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - C'est idiot de dire qu'il faut des départements uniquement dans les zones rurales !

Mme Jacqueline Gourault . - Je suis d'accord.

M. Philippe Kaltenbach . - Arrêtons d'opposer le monde rural et le monde urbain : chacun a besoin de l'autre. Pendant les campagnes électorales, la ruralité est parfois utilisée avec des visées électoralistes. Mais rural et urbain sont liés et c'est d'ailleurs pour cela que le Gouvernement a évolué sur la question : au départ, les départements devaient être supprimés à l'horizon 2020, puis il a été décidé de conserver les départements ruraux. Devant la difficulté de définir objectivement ces derniers, le Gouvernement a porté à cinquante le nombre de département maintenus. Finalement, le choix a été de conserver tous les départements, sauf lorsqu'il existera une métropole sur leur territoire. Les départements vont donc perdurer sur 95 % du territoire, leurs compétences dans le domaine social et leur rôle de cohésion territoriale venant en aide et en soutien aux communes et aux intercommunalités.

Les choses sont donc clarifiées et il est inutile de rouvrir ce vieux débat, l'objectif unique qui doit être poursuivi doit être le service aux citoyens.

J'ai noté dans vos propos un soutien marqué au projet de loi, ce qui n'a pas été le cas de toutes les associations nationales d'élus. Je pense que l'avenir est aux regroupements de communes : le mouvement est enclenché, rien ne pourra l'arrêter. Les intercommunalités auront des compétences de plus en plus larges. D'ici quelques années, les élus des intercommunalités seront désignés au suffrage universel direct. C'est une tendance naturelle : les citoyens souhaiteront de plus en plus choisir les élus de leur intercommunalité.

Concernant vos propositions sur les intercommunalités, je souhaiterai revenir sur le seuil de 20 000 habitants qui sera désormais nécessaire pour constituer une communauté de communes, seuil qui est souvent critiqué. Avez-vous effectué un sondage auprès de vos adhérents et auprès des intercommunalités sur la pertinence de ce seuil ?

Sans un seuil précisément fixé, il sera très difficile d'opérer des regroupements mais si on veut un seuil, il faut bien le calibrer. Quel est le seuil adéquat ? L'alternative est de créer des incitations financières aux regroupements mais en la matière, il n'existe plus beaucoup de marges de manoeuvre.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Il en existe d'autant moins que ces incitations seraient financées aux dépens des autres collectivités.

M. Philippe Kaltenbach . - Sans un seuil, il n'y aura pas de regroupements. Bien sûr, le seuil de 20 000 habitants pourrait être modulé pour l'outre-mer et pour les zones de montagne.

Enfin, quelque chose m'a frappé : vous êtes les seuls, parmi les associations nationales d'élus, à ne pas avoir parlé du nerf de la guerre que sont les moyens financiers. C'est une bonne chose d'obtenir des compétences mais encore faut-il avoir les moyens financiers de les exercer, sinon elles resteront lettre morte. On a entendu les régions, les départements, très inquiets de l'état de leurs finances. Les communautés de communes et les communautés d'agglomération sont-elles inquiètes à ce sujet ? Créer de grandes intercommunalités, leurs donner plus de compétences, plus de pouvoirs, va nécessiter plus de capacités financières. Les intercommunalités disposent-elles de ces capacités aujourd'hui ? Pourront-elles les avoir par les mutualisations et par les transferts de moyens ? Quelle est votre analyse des contraintes financières qui pèsent actuellement et qui pèseront demain sur les intercommunalités ?

M. Jérôme Bignon . - Je ne suis pas du tout d'accord avec l'idée qu'il ne faille pas regarder d'une manière différente le monde rural et les villes. Il ne s'agit pas de les opposer, cela n'aurait pas de sens, mais il s'agit de prendre en compte leurs différences, qui sont réelles. Je viens d'un département très rural, et dire qu'il n'existe pas de différences entre les habitants de la campagne et ceux des villes, c'est nier une réalité. J'ai vécu une partie de ma vie en ville comme professionnel du droit puis j'ai vécu dans le monde rural, en tant que maire d'une petite commune - elle-même résultant d'une fusion - au sein d'un petit canton de 6 000 habitants. J'ai présidé une communauté de communes qui a exercé dès 1994 la compétence scolaire sur son territoire. J'ai été pionnier dans mon département sur ce sujet car j'ai senti qu'il existait dans les campagnes des écarts d'opportunités entre les populations. Je me suis dit que l'école permettrait de donner une chance équivalente à tous les enfants. Dire qu'il n'y a pas de différences profondes entre le monde rural et les villes, c'est méconnaître une réalité ! Monsieur Kaltenbach, je vous invite à venir dans mon département pour le constater.

M. Philippe Kaltenbach . - J'ai dit qu'il ne fallait pas les opposer, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problème.

M. Jérôme Bignon . - Ne pas les opposer sous-entend qu'il n'existe pas de problème, alors qu'il y a un vrai problème, plus grave qu'on ne pense.

Vous connaissez mieux les villes mais je connais mieux la campagne. Les personnes que nous entendons aujourd'hui mettent le doigt sur des problèmes fondamentaux, mais il est très difficile de trouver une solution : ni le Gouvernement, ni personne n'a de solution équilibrée et satisfaisante. La proximité me paraît être un élément d'équité. Dès qu'on crée de grosses collectivités, les habitants se sentent abandonnés. Vous pouvez estimer que c'est un sentiment subjectif mais il est profond. Avec un seuil de 20 000 habitants qui correspondra à 40 ou 50 communes de 200 habitants, vous créerez de la distance. Avoir en tête que la proximité est un facteur d'équité est essentiel : la ruralité souffre, à tort peut-être, d'un sentiment profond d'injustice.

La diversité, c'est la liberté : l'uniformité n'est ni comprise ni acceptée. Pourquoi ce seuil de 20 000 habitants ? Qui le propose ?

Avec M. Germinal Peiro, un député socialiste très investi dans le monde rural, nous avons étudié pendant une année, dans le cadre de la commission d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, la politique d'aménagement du territoire en milieu rural. Il en ressort qu'il n'existe aucun modèle uniforme de la ruralité. Des études très sophistiquées ont été menées et il en ressort que ce n'est pas la taille des collectivités qui compte, mais les talents des personnes, les projets de territoires, la qualité des hommes et des femmes qui mènent ces projets. Un seuil de 20 000 habitants ne veut rien dire : ce n'est ni une bonne, ni d'ailleurs une mauvaise idée, mais je n'ai vu nulle part une telle proposition. Je me rappelle avoir participé à plusieurs réformes statutaires de collectivités d'outre-mer avec MM. Pierre Mazeaud et Jean-Jacques Hyest, quand il était député. À une époque, tous les statuts d'outre-mer étaient identiques. Leurs élus nous ont sollicités en nous demandant qu'on élabore des statuts qui répondent à leurs besoins. L'idée était de donner un outil permettant de valoriser les territoires, pour des gens de qualité inégale, car il n'y a pas que de bons élus. Il faut garder en tête ces idées.

Aujourd'hui, l'unité de la France n'est plus menacée et il n'est pas nécessaire d'avoir une pensée uniforme. Les seuils pourraient donc varier fortement sur tout le territoire. Dans le cas de la Somme, qui compte 500 communes de moins de 500 habitants, 15 communes de plus de 3 500 habitants à 600 000 habitants, je voudrais rappeler qu'il existe un très grand nombre de petites communes extrêmement dispersées et que, dans chacune de ces communes, il existe une église, une mairie, un local communal qui sert de salle des fêtes, une voirie, etc. Or une communauté de communes ne va jamais exercer toutes les compétences communales. La communauté de communes de la région d'Oisemont va-t-elle par exemple prendre en charge les 32 églises des XV e et XVI e siècles de ses communes-membres, alors que le département ne sera plus là pour aider ?

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Il serait intéressant, d'autant que le Gouvernement annonce une rencontre avec le monde rural, que nos invités - qui disposent des outils pour le faire -, recensent le nombre de SCoT mis en oeuvre par des intercommunalités où l'espace agricole est regardé comme autre chose qu'une variable d'ajustement, le nombre de SCoT où la politique de développement économique incorpore la dimension agricole, enfin, les SCoT qui luttent contre l'étalement urbain. Car, la ruralité c'est « tendance », tout le monde s'émeut, mais qui fait quoi ?

M. Marc Fesneau . - Monsieur Bignon, il est vrai que s'exprime parfois, entre le rural et l'urbain, un sentiment de défiance. La ruralité vit l'urbain comme une menace et l'urbain, quant à lui, se plaint des mécanismes de compensation financière en faveur des territoires ruraux qui n'accueillent pourtant pas la plus grande part de la population.

Nous devons toutefois nous employer à lutter contre cette opposition entre l'urbain et le rural. Souvent, ces territoires partagent des problèmes communs même s'ils s'expriment différemment. La démographie médicale en est un exemple. En outre, une grande majorité de ruraux vivent le jour dans la ville parce qu'ils y travaillent ou que leurs enfants y étudient.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Ce n'est pas toujours vrai.

M. Marc Fesneau. - Tout à fait. Comme je l'ai dit précédemment, qu'il s'agisse du rural ou de l'urbain, il y a une grande diversité de situations.

L'Assemblée des Communautés de France a toujours veillé à ne pas opposer les territoires urbains et les territoires ruraux. Seulement, il y a un paradoxe : plus on parle de la ruralité, moins on s'en occupe. Ces territoires s'appauvrissent et se sentent abandonnés, ce qui les expose à la tentation d'un vote extrémiste.

Nous défendons une conception positive de la ruralité : ces territoires peuvent se projeter vers l'avenir. Il est possible d'y réimplanter des activités.

Monsieur Hyest, nous ne souhaitons pas la mort des départements.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - On a pourtant pu le lire dans certains écrits de l'association.

M. Marc Fesneau . - Dire que le département est la collectivité des solidarités sociales et territoriales ne soulève pas l'objection. Toutefois, ne nous illusionnons pas : si, aujourd'hui, les communes craignent pour la pérennité de certains de leurs équipements, c'est bien parce que le département ne peut plus contribuer à leur financement.

M. Philippe Bas , président . - La question n'est pas de découvrir aux départements une nouvelle compétence de soutien aux communes : ils l'ont déjà. Dénoncer les difficultés de financement que rencontrent les départements est une chose, en conclure qu'ils auraient renoncé à agir en faveur des communes en est une autre. Dans la Manche, le conseil général apporte 15 millions d'euros à travers les contrats de territoires, espérant ainsi susciter un effet de levier.

Pour l'avenir, le problème est de savoir comment assurer la pérennité de cet investissement des départements auprès des communes et des intercommunalités.

M. Alain Berthéas . - Monsieur Bignon, plus qu'un seuil arbitraire, ce qui confère une véritable légitimité à une fusion ou un regroupement de communes, c'est le projet de territoire. Une approche réaliste des intercommunalités conduit à lier leur taille aux besoins qui s'expriment dans le territoire. C'est vrai aussi pour les régions : les plus grandes ne sont pas forcément les plus pertinentes. Leur taille doit être adaptée aux réalités territoriales. Dans une grande région telle que celle qui résultera de la fusion entre l'Auvergne et Rhône-Alpes, comment les petites intercommunalités seront-elles prises en compte ? Un équilibre doit être trouvé.

Monsieur Kaltenbach, la question du financement est effectivement cruciale. Mais cela est vrai pour tous les niveaux de collectivités. À cet égard, la réduction de la DGF pose problème.

Monsieur Vandierendonck, je vous enverrai le SCoT Sud-Loire. Vous pourrez constater que les préoccupations que vous avez soulevées sur les besoins en habitat, foncier agricole, emploi et transport sont prises en compte.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - La région et le département ont-ils contribué à l'élaboration de ce SCoT ?

M. Alain Berthéas . - Bien entendu, nous avons ainsi tenu compte des réalités et des influences des territoires voisins du nôtre, y compris grâce à un inter-SCoT.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Les prescriptions du SCoT sont plus facilement respectées lorsqu'il a été ainsi élaboré par la concertation.

M. Marc Fesneau . - Ceci pourrait d'ailleurs inspirer les politiques de co-construction que nous avons précédemment évoquées.

Monsieur Bignon, nombre des difficultés des communes que vous évoquiez sont aujourd'hui réglées par les intercommunalités, qu'il s'agisse, par exemple, de la voirie ou de la mutualisation du personnel. Ces intercommunalités permettent même parfois aux communes de retrouver les compétences qu'elles n'étaient plus en mesure d'exercer.

S'agissant du seuil de 20 000 habitants pour la constitution des regroupements intercommunaux, il permet de donner un cap mais il n'est pas applicable à tous les territoires.

M. Jérôme Bignon . - Il y a parfois un problème de gouvernance : qui décide lorsque l'ensemble est trop vaste et les conseillers communautaires trop nombreux ?

M. Marc Fesneau . - Je vous l'accorde.

Monsieur Hyest, je ne pense pas, en défendant certains aspects de ce projet, être plus dans la ligne de ce Gouvernement que dans celles des précédents. La promotion de l'intercommunalité est un objectif partagé depuis longtemps.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Mes propos visaient ceux qui souhaitent remplacer les départements par une fédération d'intercommunalités.

M. Marc Fesneau . - Enfin, je pense effectivement que la question financière est très importante. J'observe, d'une part, que, s'il s'agit de freiner la dépense, les investissements seront les premiers à en pâtir et que, d'autre part, les conséquences des restrictions budgétaires sur les mécanismes de péréquation financière sont susceptibles de remettre en cause le processus coopératif.

M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie.

Audition de confédérations syndicales (Jeudi 20 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Nous remercions ce matin les confédérations syndicales françaises les plus représentatives qui ont accepté notre invitation à échanger sur la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et tirant les conséquences du remodelage de la carte des régions. L'un des deux rapporteurs, M. René Vandierendonck, a auditionné en septembre les fédérations syndicales de la fonction publique territoriale. Avec Jean-Jacques Hyest, l'autre rapporteur, nous avons souhaité adopter une approche plus globale cette fois-ci, en auditionnant les confédérations. Les forces vives représentatives des salariés français ont en effet des choses à dire sur l'organisation territoriale la plus appropriée à une politique porteuse de croissance et d'emploi. Les régions ont en la matière un rôle moteur, certes, mais les métropoles, les agglomérations, les villes, articulées aux départements, ont également leur rôle. Le législateur ne peut ignorer leur point de vue. Vous pouvez naturellement ajouter toutes les considérations sur la fonction publique territoriale qu'il vous plaira.

M. Frédéric Gousset, conseiller fédéral de la CFTC . - Merci de nous recevoir. La CFTC a déjà eu l'occasion, notamment lors de la grande conférence sociale de juillet dernier, de donner un avis favorable au principe de la réforme territoriale. Notre pays a besoin de clarifier les compétences de ses territoires pour une meilleure administration, lisible par les citoyens et les 1,8 million d'agents territoriaux chargés de la faire fonctionner. Mais à quel prix ? Nous sommes nombreux à ne pas y voir clair, et la présentation en trois tronçons législatifs successifs ne nous aide pas. Mme Lebranchu était favorable à une seule loi.

Le mille-feuille reste peu lisible, et n'a pas profité du choc de simplification - nous saluons à ce propos les récentes déclarations du président du Sénat M. Gérard Larcher en faveur de la clarification des compétences. Le mauvais exemple de la métropole lyonnaise renforce nos craintes : la loi devait préciser le régime des agents, mais à quelques semaines de la mise en oeuvre du nouveau dispositif, les agents du conseil général du Rhône ne savent toujours pas quel sera leur avenir. Alors que ces changements ont des conséquences directes sur la vie familiale, la mobilité fonctionnelle, l'organisation du temps de travail, le droit syndical, les avantages sociaux - parfois durement négociés - M. Gérard Collomb a indiqué qu'il n'avait « pas les moyens de préserver le régime antérieur des agents » - dont le coût a été évalué à 20 millions d'euros pour la métropole.

Les agents territoriaux sont à 75 % des cadres de catégorie C, dont la rémunération est souvent très proche du Smic, les fonctionnaires n'étant pas tous privilégiés. Certains perdront, selon leurs calculs, presque un mois de traitement. Est-ce la réforme que vous nous proposez ? La mise en oeuvre du premier volet de la réforme territoriale tourne au fiasco. Marseille Métropole demain, le Grand Paris et ses sous-territoires après-demain, préparent de nouvelles usines à gaz. Pour les régions, nous craignons le pire.

Nous ne rentrerons pas dans le débat politique entre élus locaux, car c'est votre prérogative. Nous pensons plutôt aux agents publics qui font tourner les services publics. Combien seront concernés à terme par les différents volets de la réforme ? Sans doute des centaines de milliers, dont un quart ou un tiers de contractuels. Or ils n'y sont pas associés ! Et comment pourraient-ils l'être lorsque les informations d'un jour sont démenties le lendemain, que le puzzle est monté, démonté, remonté autrement, et que la complexité des régimes juridiques s'accroît ? Nous applaudissons à la fusion de collectivités pour un meilleur service rendu à la population, mais quid des doublons de postes, quid des cadres dont les fonctions d'encadrement croîtront, quid des agents mis au placard et des risques psycho-sociaux qui vont avec ? La mutualisation des services implique certes la diminution des effectifs, mais selon quel protocole procéder à cette saignée ? Il aurait été préférable de se poser toutes ces questions plus tôt...

Les mobilités peuvent certes être un accélérateur de carrière pour ceux qui sauront saisir les opportunités, mais les agents de catégorie C
- largement majoritaires - privilégient leur lieu de vie et leurs choix familiaux : quel accompagnement, quel plan de formation, quelles compensations à la mobilité a-t-on prévu pour eux ? Certains articles du texte seraient de nature à nous rassurer, mais l'expérience en la matière n'incite pas à la confiance... Car non seulement les agents publics sont depuis plusieurs années la première variable d'ajustement - les études montrent que leur pouvoir d'achat est en berne - mais ils vont se voir imposer des changements à l'impact très lourd sur leur carrière et leur vie.

Pour ces raisons, nous appelons les parlementaires à intégrer dans la loi les mesures d'accompagnement social indispensables à la mutation nécessaire de nos territoires, dont les agents publics territoriaux vont être les premiers à subir le choc alors qu'ils devront en même temps en être les moteurs.

Mme Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT . - Merci de nous recevoir. Nous représentons les agents publics, mais aussi les salariés, partenaires sociaux et assurés sociaux. Tous ont une attente très forte. Les agents estiment majoritairement que l'action publique n'est plus ce qu'elle a été, n'est pas ce qu'elle pourrait être, ni ce qu'elle devrait être. Tous expriment une forte attente de sens et de qualité de service rendu. Ils rejoignent en cela les usagers, citoyens et salariés des entreprises qui comptent, pour le développement économique de leurs territoires, sur une action publique lisible et démocratique. Voilà l'enjeu premier de cette réforme, la condition de la cohésion sociale et du consentement à l'impôt.

Le redécoupage territorial est à notre sens un faux débat, dont l'aspect politique a quelque peu décrédibilisé ceux qui l'ont animé, en faisant passer les intérêts particuliers avant l'intérêt général.

La réforme ne doit pas se faire contre l'État. Nous sommes plutôt dans une dynamique de construction positive, non pas en opposant les pans de l'action publique les uns aux autres, mais en trouvant une cohérence entre eux. Bref, il faut dépasser les logiques de chapelles. Ce qui peut conduire à remettre en question les rôles respectifs des régions et des services de l'État. Prenons le temps de réfléchir à la nouvelle organisation que nous ciblons, et de détailler le processus permettant d'y arriver.

Du reste, la question de la transition entre l'ancienne organisation territoriale et la nouvelle est peu abordée. Or il y a un risque de superposer des complexités, de brouiller le message envoyé à nos concitoyens. Sur tous ces points, écoutons les agents publics, professionnels concernés au premier chef.

La question de l'équilibre des territoires est importante. Mais que prendre en compte ? Le PIB ? L'équité régionale ou infrarégionale ? Se retrouver loin du centre de décision de sa région peut être un problème. Réfléchissons aux inégalités entre territoires urbains et territoires ruraux, et aux outils de péréquation. Rediscutons du sens de l'action publique avec les citoyens. Le débat public a été quelque peu instrumentalisé : qui parle au nom de qui ? Les tentatives de mariage forcé entre territoires ont fait émerger un certain rejet de l'autre. La qualité du débat public comptera dans la réussite de la réforme.

Les métropoles soulèvent un certain nombre de questions. Quel équilibre trouver dans les régions à plusieurs métropoles ? Comment les régions dépourvues de métropole survivront-elles ? Comment les choses se passeront-elles hors des métropoles ? Certaines compétences restent partagées entre les régions et les métropoles : qui décidera ? Comment faire émerger l'intérêt général ? Les choses, en la matière, ne sont pas si claires.

Pacte d'avenir pour la Bretagne, Pacte Lorraine : l'État, les collectivités, les partenaires sociaux ont commencé à travailler ensemble et sont déjà parvenus à prendre des décisions intelligentes et consensuelles. Nous devrons nous en inspirer, et faire en sorte que la réforme ne casse pas cette dynamique.

Les transferts de compétences sont à envisager à un double point de vue : l'efficacité de l'action publique, d'une part ; la mise en oeuvre par les agents, d'autre part. Nous devrons nous donner des moyens financiers et entreprendre le dialogue social indispensable pour réussir la transition. Ces transferts auront aussi un impact sur le secteur privé, sur les conventions collectives des entreprises de transport ou sur la capacité des entreprises à répondre à des marchés publics dont le périmètre se sera agrandi. Anticipons : réalisons des études d'impact, mettons l'accent sur la responsabilité sociale de la commande publique.

L'action sociale des départements est un filet de protection majeur en période de crise : préservons-le. Du reste, séparer totalement l'économique et le social, n'est-ce pas réduire notre capacité à agir ? Attention également aux politiques structurantes pour la cohésion sociale, et qui feront l'objet de schémas prescriptifs : petite enfance, prise en charge du vieillissement... Nous ne pourrons faire l'impasse sur les questions financières et fiscales. Ayons le courage d'une véritable réforme de la fiscalité locale, qui ne se limite pas à du rafistolage.

Les regroupements d'acteurs publics ne conduiront pas mécaniquement à des structures plus efficaces. Regrouper pour faire des économies, peut-être, mais encore faut-il le faire intelligemment. Cela impose d'intégrer tous les partenaires sociaux à la réflexion. C'est pour l'heure une grande faiblesse de la réforme. Son aspect européen ne peut non plus être éludé. Il faudra réorganiser le recours aux fonds européens comme le Feder, et réfléchir globalement au financement de l'économie et du social.

N'oublions pas que chaque territoire est différent, et soumis à des contraintes qui lui sont propres : territoires regroupés, non regroupés, territoires d'outre-mer... Examinons les processus de transfert de compétences en en tenant compte.

M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral de FO . - La position de la confédération Force ouvrière et de l'ensemble de ses fédérations et unions départementales est la même depuis 2012 : nous sommes catégoriquement opposés à la réforme territoriale et à une logique de République des territoires. Le bloc constitutionnel que forment l'État, les régions, les départements et les communes est progressivement remplacé par une association Europe-régions-intercommunalités-grosses communes. Ni le président de la République, ni un président de conseil régional n'ont, seuls, mandat pour redécouper un territoire. Le référendum local par lequel les Alsaciens ont refusé la fusion de leurs départements en une collectivité unique sera abrogé par la réforme : c'est un scandale du point de vue de la démocratie.

Après dix années de retrait des services publics de proximité et de désertification, cette réforme annonce un abandon encore plus grand des territoires par la puissance publique. Les élus locaux, conseillers généraux, maires et conseillers municipaux sont les derniers représentants de la puissance publique à proximité du citoyen. Refuser de passer d'un élu pour 104 habitants à un élu pour 2 000 habitants est d'autant plus important que nous n'avons plus de services publics de proximité. Faire des intercommunalités à plus de 20 000 habitants aggraverait le phénomène et ouvrirait la porte à tous les poujadismes, à tous les extrémismes et à tous les communautarismes.

Nous sommes attachés au maintien de régions à taille humaine et anti-communautaristes. La procédure retenue ne nous convient guère, mais l'attribution aux régions de capacité d'adaptation réglementaire nous inquiète davantage encore : il est hors de question de se réveiller demain ou après-demain avec un Smic alsacien et un autre breton. Ce serait l'anéantissement de l'égalité de droit républicaine. Or c'est bien ce vers quoi nous allons : les élus favorables à la collectivité alsacienne unique arguaient de l'absence de salaire minimum en Suisse et en Allemagne et du besoin d'accroître la compétitivité de leur - admirable possessif - territoire !

Au vu de tous les textes de transfert de missions de l'État vers les collectivités, votés ou en préparation - formation professionnelle, santé, transition énergétique -, nous serons très attentifs à ce que le mandat des conseils départementaux pour 2015-2020 ne soit pas celui de la disparition totale des missions départementales. La réforme de l'administration territoriale de l'État (Réate) a transformé le préfet de département en sous-préfet de région, au point que d'aucuns se demandent s'il existe encore un représentant de l'État au niveau départemental. Constitutionnellement, la suppression des conseils départementaux entraînerait celle des départements. Plus de préfets, plus de conseils généraux : la disparition institutionnelle serait scellée.

Nous revendiquons avec fierté le principe d'un élu pour 104 habitants. Dans certains départements, il faudrait regrouper plus de 200 communes pour parvenir à 20 000 habitants, chèvres et vaches comprises. C'est une aberration totale !

Le personnel des collectivités n'aura jamais connu un tel mouvement de mobilité forcée, géographique ou fonctionnelle. En 2005, nous avons négocié un cadre national pour le transfert des agents de l'État aux conseils régionaux ou généraux. Les mobilités à venir sont incertaines au niveau local et dépourvues d'encadrement au niveau national. Les conférences territoriales de l'action publique pourront de surcroît faire évoluer les missions des collectivités tous les trois ou six ans... Ce mouvement brownien de l'ensemble du personnel privera celui-ci de toute garantie de respect de ses droits fondamentaux. Cette évolution, je doute que le Parlement l'accepterait pour le secteur privé. Et pour cause : elle est inadmissible.

Si cet abandon devait malgré tout être validé, le minimum serait qu'un cadre national protège tous les agents publics - contractuels ou agents sous statut pour ceux qui ont la chance d'en avoir un - des mobilités géographiques non consenties, comme de toute dégradation de son contrat ou de son statut. Mon organisation m'a donné à l'unanimité mandat pour employer des mots forts : cette réforme est antirépublicaine.

M. Jean-Michel Pecorini, secrétaire national de la CFE-CGC . - La CFE-CGC est attentive aux évolutions de la cartographie des régions susceptibles d'améliorer la situation économique, l'emploi, les services publics et la cohésion sociale. La société civile doit être entendue et quel que soit le découpage envisagé, les moyens nécessaires doivent être donnés aux organisations syndicales pour remplir leur mission auprès des salariés.

Parmi les missions des représentants des salariés de l'encadrement et des agents de la fonction publique, la protection sociale collective et individuelle dans le milieu professionnel constitue des préoccupations intemporelles. Quelles que soient les nouvelles configurations, nous demandons que le pouvoir d'achat des salariés ne soit pas obéré par des levées locales d'impôts en sus de la fiscalité nationale, déjà fort lourde. Enfin, nous serons vigilants à ce que les liens entre les citoyens et l'État, et entre les grandes métropoles et les milieux ruraux, ne soient pas distendus.

Les objectifs du projet de loi ne divergent pas nécessairement des nôtres, mais nous portons sur le texte un regard critique. L'organisation territoriale et la cohérence de l'action publique doivent certes être améliorées, mais la réforme doit rester lisible par les citoyens. Davantage de clarté est nécessaire pour les acteurs de la puissance publique comme pour les organismes sociaux paritaires, les corps intermédiaires et les citoyens, afin de faciliter l'accès aux services publics de proximité que sont, prioritairement, l'assurance maladie, l'assurance chômage et l'assurance vieillesse.

La réorganisation territoriale ne sera pas sans conséquence sur les services rendus aux salariés par les organismes sociaux paritaires. Les articles 2 et 3 du projet de loi rendent les régions compétentes en matière de soutien économique. Elles devront pouvoir s'appuyer sur les partenaires les plus proches des entreprises que sont les organisations syndicales, et notamment la seule organisation syndicale représentative des salariés au niveau de l'encadrement. La CFE-CGC disposant d'une implantation dans chaque région, elle est au plus près des problèmes de financement des entreprises.

Le texte autorise la délégation de compétence à d'autres collectivités territoriales ou groupements, ce qui est contraire aux objectifs de clarté et de cohérence. La possibilité offerte aux régions d'entrer au capital de sociétés commerciales est louable, mais il faudra préciser les conditions d'entrée, le taux de détention de capital maximal et de cession par la région afin d'éviter certaines dérives clientélistes et de faire de la région le dirigeant de fait d'une entreprise privée.

Le chapitre 1 er du titre II traite de la suppression de la clause de compétence générale et définit strictement les compétences dévolues au département. La fin du chevauchement de compétences est une nécessité, mais les possibilités de dérogations restantes sont trop nombreuses. Le chapitre 4 fait du sport, de la culture et du tourisme des compétences partagées entre les collectivités territoriales. L'article 29 crée un guichet unique pour les aides et subventions qui devaient être limitées à ces compétences partagées. Cependant, les collectivités pouvant déléguer l'instruction, la gestion et l'attribution de subventions et d'aides relevant de leurs compétences propres, les effets de la suppression de la clause de compétence générale sont annulés... Pour rendre cet article efficace, sans doute pourrait-on créer des guichets uniques transparents et identiques dans toutes les régions. L'égalité citoyenne et territoriale serait assurée et l'article 29 plus en cohérence avec l'article 26 créant les maisons de service au public.

Le titre IV est relatif à la transparence financière des collectivités territoriales. L'intention est bonne. Elle permettra aux contribuables de mieux cerner la pertinence du rapport adressé par la collectivité à la chambre régionale des comptes. Le chapitre 2 précise la responsabilité financière des collectivités territoriales et prévoit leur participation au paiement des condamnations prononcées sur le fondement des traités européens. Or, en l'absence de sanction des décideurs, c'est en définitive le contribuable qui en assume le coût.

La CFE-CGC estime que ce texte ne répond pas à l'ensemble des questions que pose la réunion de plusieurs régions. Beaucoup d'organismes sont découpés à ce niveau : caisses d'assurance retraite, centres des relations avec les entreprises... La fusion de régions réduit-elle le nombre de ces organismes ? Modifie-t-elle leur composition ?

Jacqueline Donnedu, représentante de la CGT, membre du Conseil économique, social et environnemental . - Merci de nous recevoir. La CGT a déjà exprimé au niveau confédéral son désaccord avec les finalités de cette réforme, qui reprend le sens et les contenus d'un certain nombre de réformes successives. Nous pourrons vous faire parvenir nos propositions en matière sociale, économique, environnementale et démocratique : elles répondent aux défis d'aujourd'hui et de demain.

La restructuration de la puissance publique s'accélère, entraînant un bouleversement du vivre-ensemble et du faire-société. Le présent texte prolonge une logique d'organisation du territoire autour de quelques grands pôles d'excellence et du couple métropole-région - où doivent se concentrer les activités économiques et la production de richesses - au service d'une finalité supposée universelle quoique mal définie : la compétitivité. Pôles de compétitivité, autonomie des universités, loi hôpital patients santé territoires - bientôt prolongée par une autre -, création des métropoles, transition énergétique - qui se résume à ouvrir la maîtrise de la production d'énergie au secteur marchand... Le big bang institutionnel se profile, avec la création des métropoles, le redécoupage des régions, la remise en cause des conseils généraux, le renforcement des intercommunalités, la redéfinition des missions et des prérogatives respectives de l'État et des collectivités territoriales, la réorganisation des administrations centrales et des services déconcentrés... Tout cela participe d'une vision élitiste de l'organisation territoriale qui attise des volontés régionalistes et remet en cause l'unité républicaine, l'égalité territoriale et la cohésion sociale.

Les réformes devraient avoir pour objectif de corriger les inégalités sociales et territoriales, de renforcer les services publics, de promouvoir un aménagement équilibré des territoires, le progrès social et le développement économique. Au lieu de cela, ses résultats sont la paupérisation, la précarisation du salariat, l'explosion du chômage, l'intensification de la pauvreté, le rétrécissement des services publics, le recul du potentiel industriel, le renforcement des inégalités et la mise en concurrence des territoires et des femmes et des hommes qui y vivent et y travaillent.

Simultanément, la réforme de l'État remet en cause les fonctions de régulation économique et de redistribution sociale du service public. L'État s'est désengagé de bon nombre de ses prérogatives, a abandonné ses leviers d'intervention économique et n'a plus, faute de personnel en nombre suffisant, les moyens d'assumer certaines de ses missions, en particulier de contrôle. Nous avons moins d'État, et l'État s'est placé au service des intérêts financiers en établissant un environnement législatif, réglementaire, fiscal et social propice à l'essor marchand et à la financiarisation de l'économie. Les exonérations sociales et fiscales, les mesures de simplification, les milliards d'euros d'aides nouvelles accordées aux entreprises au moyen du pacte de responsabilité - que le Gouvernement finance par une amputation équivalente des dépenses publiques - en sont quelques illustrations.

La réforme est préparée dans une opacité bien peu démocratique. Les consultations engagées par le Gouvernement depuis le début de l'automne ne sont pas à la hauteur des enjeux. Vous-mêmes, vous auriez pu solliciter l'avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui aurait pu s'appuyer, pour émettre des préconisations qui fassent consensus, sur les débats des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser). Enfin, la reconquête de la confiance de nos concitoyens ne peut faire abstraction d'une consultation des organisations syndicales.

Ce projet de loi ne renforce pas la démocratie sociale dans les territoires. Les conseils de développement sont insuffisants et leur composition doit être revue. Qu'est-il prévu pour l'avenir des Ceser ? Certes, des réformes sont souhaitables. Mais lesquelles ? Quels seront les leviers de l'État pour conduire une véritable politique industrielle, ou une véritable politique écologique des transports ? C'est pourtant l'État qui est censé fixer les objectifs stratégiques déclinés par les collectivités territoriales. Il ne suffit pas de distribuer des aides financières aux entreprises... La CGT réclame d'ailleurs une évaluation et un contrôle systématiques de toute aide publique versée à une entreprise.

Les décisions prises actuellement auront des conséquences négatives sur la qualité du service public, sur l'investissement public et donc, sur l'économie et l'emploi. Les réformes engagées ont pour vocation d'inscrire les territoires dans la compétition économique mondiale pour appliquer le dogme de la baisse du coût du travail sans s'attaquer à celui du capital. Elles auront pour conséquence une baisse inédite des dépenses sociales et publiques et l'ouverture au secteur marchand de nouveaux espaces. Pourtant, c'est l'intérêt général qui devrait être la clé de voûte de la refonte de l'action publique. Celui-ci réclame une vigoureuse réindustrialisation, porteuse d'une nouvelle croissance assise sur le travail, la consolidation et le renforcement des services publics, un aménagement équilibré et solidaire des territoires, la mise en place d'une démocratie sociale effective et une réforme fiscale incluant la fiscalité locale.

La réorganisation territoriale doit répondre de manière durable aux besoins sociaux, économiques et environnementaux. Pour cela, il faut mettre l'accent sur la coopération et la mutualisation au lieu d'inciter à la mise en concurrence qui aboutira à la balkanisation des territoires, entre espaces urbains drainant les richesses et les financements publics et espaces ruraux voués à la désertification. Une telle politique requiert un État stratège garant de l'intérêt général et de l'effectivité des droits fondamentaux.

M. Philippe Bas , président . - Merci pour ces propos, qui ont révélé certaines préoccupations partagées, portant sur les garanties sociales lors des mutualisations et des regroupements, sur la nécessité de maintenir la solidarité entre les territoires et la proximité des services publics, ou sur la question de l'accès des PME aux marchés publics. Le débat sur la carte des régions a pu vous paraître réducteur : à nous aussi ! C'est pourquoi le Sénat a insisté pour que le Premier Ministre vienne remettre en perspective cette réforme au cours d'une journée de débats au sein de notre assemblée. La carte des régions ne peut pas être établie indépendamment d'une réflexion sur la répartition des compétences.

Nous sommes sensibles au souci que vous avez exprimé de maintenir un maillage suffisant d'élus dans notre pays, qui reste très jacobin. À certains égards, l'élu local reste l'antidote à la culture centralisatrice. Nous souhaitons une bonne articulation entre la réorganisation des collectivités territoriales et la réforme de l'État. Bien sûr, nous veillons à ce que cette réforme ne soit pas un mécano administratif élaboré à huis clos par les représentants des collectivités territoriales et de l'État. C'est pourquoi vous êtes ici ! Nous aurions aimé saisir le Cese. Malheureusement, le Parlement inscrit ses travaux dans un calendrier qu'il ne maîtrise pas. C'est le Gouvernement qui aurait pu saisir ce Conseil. Nous essayons de compenser cette lacune par le présent échange. De plus, nous recevrons tout à l'heure M. Delevoye, président du Cese, qui est la troisième assemblée de notre République.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Vous n'avez pas cédé à la tentation de défendre des intérêts catégoriels, tout en évoquant les préoccupations des quelque 1, 8 million d'agents territoriaux. Ceux-ci disposent d'un statut commun, ce qui devrait faciliter les mutations et transferts. À la faveur de la réorganisation des compétences, ne pouvons-nous pas envisager de nouvelles avancées de la décentralisation ? Par exemple, ne serait-il pas cohérent de confier aux régions, qui sont déjà chargées de la formation professionnelle, la politique de mobilisation pour l'emploi ? Le RSA est payé par le département et géré par les CAF : baroque ! Il paraît que le revenu d'activité remplacera à la fois le RSA et la prime pour l'emploi (PPE). Comment organiser cela ?

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Sans en être surpris, je suis impressionné par la qualité de votre réflexion collective. Vous avez soulevé la question de l'équité territoriale : un rapport a été rendu à Mme Pinel sur l'ingénierie territoriale. Comment un chef-lieu de canton peut-il espérer pérenniser une fonction publique territoriale de qualité ? « Je suis condamné aux débuts de carrière et aux rebuts », se désole l'élu d'une collectivité reculée. Réfléchissez-vous à la manière de rendre les postes plus attractifs ? Faut-il passer par une bonification indiciaire ? Y attacher des missions spécifiques ? Comment gérer la fonction publique territoriale en échappant au système de l'escalator ? Il est presque impossible, par exemple, de recruter sur profil une équipe enseignante pour un collège du 93 sur la base d'un projet dérogeant aux critères des commissions paritaires. Est-il normal que la liberté d'administration des collectivités territoriales conduise à de telles disparités dans les régimes indemnitaires ? Entre un poste d'attaché dans une commune de grande ruralité et un poste de 32 heures tranquilles dans un conseil régional, l'écart peut être de 600 euros !

Mme Catherine Tasca . - Je me réjouis que votre réflexion soit aussi approfondie. Nous avons besoin de vos contributions ! Comment gérer au mieux la période de transition inhérente à l'application de cette réforme ?

Mme Jacqueline Doneddu . - La politique de l'emploi dépend de l'État et doit rester de sa compétence exclusive. Les dépenses publiques et sociales décidées par l'État doivent être assurées par l'État. Les politiques d'accompagnement social et professionnel des publics en difficulté peuvent être prises en charge par les collectivités territoriales, et en particulier par les conseils généraux, à condition qu'on leur en donne les moyens : il s'agit d'éviter que ne se reproduisent des transferts de dépenses sociales sans compensation, comme ceux de l'APA ou du RSA. La préparation des assises du travail social est l'occasion de réfléchir à la thématique « quelle politique de travail social » ?

Des conférences territoriales de l'action publique existent : n'est-ce pas dans cette enceinte que doivent être définies les mesures transitoires ? Cette réforme est précipitée, improvisée. Il faut approfondir le débat. En réalité, c'est la deuxième loi qui comptera : l'important, c'est la répartition des compétences. Le découpage, en lui-même, est accessoire. On a mis la charrue avant les boeufs...

M. Philippe Bas , président . - Sur ce point, nous sommes tous d'accord !

M. Laurent Caruana . - Les schémas régionaux prévus par le projet de loi ne clarifient pas suffisamment les compétences. Les classes moyennes, que nous représentons, ne veulent pas d'un accroissement de la fiscalité. Comment la transition sera-t-elle financée ? L'objectif de ce projet de loi est de dégager des économies d'échelle.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - On nous annonce des merveilles...

M. Laurent Caruana . - Le préfet de la région Rhône-Alpes a indiqué récemment que la mise en place de la métropole de Lyon générerait des surcoûts plus importants que toutes les économies à prévoir... La période de transition nous réserve des surprises !

M. Pascal Parageau . - Il serait intéressant de faire la liste des missions effectivement transférées par l'État aux régions depuis l'acte II de la décentralisation en 2004. Ces transferts interviennent parfois discrètement, de manière perlée, par des amendements ou des cavaliers législatifs qui ne donnent lieu à aucune concertation, à la faveur de lois thématiques. C'est ainsi que la territorialisation de certaines politiques publiques - l'école, l'énergie, la santé - progresse sans le moindre débat. Le projet de loi dont nous discutons crée un droit d'adaptation normatif ou réglementaire pour les treize régions, dont les exécutifs pourront adapter les règles nationales « à leur territoire ». Souhaitons-nous que treize barons puissent adapter à leur guise, sur « leur territoire », les règles de la République ? Nous sommes viscéralement attachés à l'égalité des droits, tout particulièrement en matière sociale. Nous ne sommes pas jacobins, mais Républicains, oui ! Nous défendons une décentralisation obligatoire : un conseil général ne doit pas « pouvoir décider » de gérer le RSA, ou les routes, selon sa fantaisie. L'État peut décentraliser certaines missions, à condition qu'il s'assure qu'aucune adaptation ou privatisation n'est possible. Nous sommes totalement opposés à une décentralisation de la politique de l'emploi.

Nous avons abordé la réforme du RSA avec le Gouvernement pour la première fois en février dernier lors des assises de la fiscalité. Nous sommes tous d'accord avec les conclusions du rapport Lefebvre : une fusion entre le RSA et la PPE est de fait impossible, car elle susciterait des difficultés sans nombre. Pourtant, on nous a annoncé cette semaine que la décision était prise ! On fusionne d'abord (au mépris du consensus dégagé) et on avise ensuite... Cette décision est à l'image de cette réforme territoriale. À quoi sert la concertation ?

De 2005 à 2008, l'État a garanti un cadre national. Nous ne remettons pas en question la libre administration des collectivités territoriales, mais souhaitons que l'État fournisse un cadre national à la fonction publique territoriale, dont nous défendons la spécificité et où nous souhaitons voir se multiplier les titularisations. Toute mobilité doit respecter le statut. Nous risquons d'avoir treize APA différentes dans treize zones régionales, gérées tantôt par les intercommunalités, tantôt par les métropoles, tantôt par les conseils généraux. Il ne s'agit plus d'une réforme territoriale mais d'une déformation de l'État, qui met en péril l'égalité.

M. Johann Laurency . - L'intégration totale ou partielle du régime indemnitaire dans le traitement soumis à pension réduirait les inégalités entre collectivités.

Mme Jocelyne Cabanal . - Il ne s'agit pas de s'interdire toute fiscalité supplémentaire mais de reposer la question fiscale toute entière. Que financer en priorité ? Les salariés sont prêts à faire des efforts, s'ils savent pourquoi. Le flou qui règne sur la liberté du pouvoir réglementaire nous alerte : place à l'intelligence collective ! Certes, les frontières entre les responsabilités de l'État et celles des régions bougent, mais il ne faut pas les figer. Ce qui compte, c'est la qualité de la relation entre l'État et les régions. En matière d'emploi, il faut garantir l'égalité nationale et prendre en compte les réalités locales. État, région, partenaires sociaux doivent réfléchir ensemble. Les frottements entre l'État et la région ne se régleront pas uniquement par une profusion de textes réglementaires ou législatifs.

La première problématique, sur le RSA, avant la question de sa fusion avec la PPE, c'est de s'intéresser à la personne. Nous devons avoir une vision globale des allocataires et ne pas aborder le RSA avec une logique de guichet. Simplifier le dispositif est bienvenu, pourvu que cela n'occulte pas la question de son financement, qui n'est assuré qu'à 40 %.

Nous pouvons interpeller les collectivités territoriales sur leur responsabilité en tant qu'employeurs. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est un outil précieux, qu'il faut utiliser ! La liberté d'administration ne garantit pas la capacité à gérer les parcours professionnels...

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - La mutualisation peut l'être !

Mme Jocelyne Cabanal . - Certes. Le dialogue social est essentiel également, au sein de la fonction publique territoriale. Il peut prendre la forme d'accords, pas forcément nationaux. La discussion avec les agents les aide à parler des difficultés qu'ils rencontrent. La départementalisation des CAF pourrait être un exemple inspirant.

M. Frédéric Gousset . - La loi s'adresse à tous les citoyens avant même de s'adresser aux fonctionnaires. Pour autant, il est parfois difficile de comprendre qui fait quoi, et la situation ne va pas s'arranger avec ce projet de loi, qui crée encore plus de niveaux de décentralisation sans clarifier totalement les compétences - d'autant qu'il y aura toujours des compétences partagées. C'est ce qui explique la désaffection de nos concitoyens pour la politique. Quant à donner de nouvelles compétences économiques aux régions, lesquelles envisagez-vous effectivement de transférer : Pôle Emploi ?

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Les régions sont chargées de la formation professionnelle. Pourquoi ne s'impliqueraient-elles pas aussi dans les politiques de soutien à la recherche d'emploi ?

Mme Jacqueline Doneddu . - S'il y avait de véritables dispositifs territoriaux de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, cette question-là serait réglée.

Mme Jocelyne Cabanal . - Nous devons intégrer la GPEC dans la définition des politiques publiques. Quel est l'impact sur l'emploi des schémas régionaux de santé ?

M. Frédéric Gousset . - Si l'on considère que, pour l'entreprise, le bon niveau d'intervention est la région, pourquoi ne pas raisonner de même pour l'emploi ? Les conseils généraux ont eu du mal à gérer le RSA, dans son aspect paiement comme dans son aspect accompagnement. La gestion d'un dispositif législatif revient naturellement à l'État, et relève plus de la déconcentration que de la décentralisation.

L'évolution du statut, voire sa disparition - annoncée par nombre de leaders politiques, surtout à droite - font l'objet d'un travail avec les syndicats, sous l'égide de Mme Lebranchu. La variation des régimes indemnitaires est liée à l'inégalité des territoires. Intégrer le niveau indiciaire dans le calcul des retraites éviterait que les rémunérations soient beaucoup plus faibles dans les territoires les moins bien dotés. Comment gérer au mieux la période de transition ? Elle est très anxiogène pour les agents, qui devront bénéficier d'un accompagnement individuel des mobilités.

M. Philippe Bas , président . - Merci à tous.

Audition d'organisations patronales et d'organismes consulaires (Jeudi 20 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Nous entendons à présent les représentants des forces vives - employeurs, organisations syndicales, associations intervenant dans le domaine social et médico-social - sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Nous ne souhaitons pas débattre de ce texte entre élus uniquement, mais entendre les attentes des acteurs économiques à l'égard des collectivités territoriales. Comment améliorer l'efficacité des politiques publiques ?

M. Alain Griset, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat . - Cette réforme est très importante pour les entreprises d'artisanat et les chambres des métiers et de l'artisanat, pour qui la proximité, la réactivité, la rapidité de décision et la simplification des procédures sont fondamentales.

La fiscalité représente un coût pour les entreprises. Les collectivités se plaignent des baisses de dotations de l'État : il ne faudrait pas qu'elles augmentent les impôts locaux, qui viseraient en priorité les entreprises... Il faut rationaliser. Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous avons une chambre unique pour la région : nous avons fusionné les trois établissements pour mutualiser les fonctions de back-office . C'est un exemple à reprendre ailleurs.

M. Benoît de Charette, président de la chambre régionale de commerce et d'industrie de Bourgogne . - Merci pour cette audition, et pour cette réforme, qui est une occasion historique. Les missions importantes des collectivités doivent être articulées avec celles que nous assumons pour l'Etat et les entreprises. Nous avons le désir ardent de voir se préciser qui fait quoi dans les territoires régionaux. Deux questions se profilent : comment prendre en compte les missions des chambres de commerce et d'industrie, réaffirmées par la réforme de juillet 2010, par rapport aux compétences nouvelles des régions et des métropoles ? Comment prendre en compte la proximité et l'équité entre territoires ?

Cela passe d'abord par la nécessaire co-construction des politiques publiques économiques avec la région. Le leadership régional est sain ; il ne doit pas être remis en cause, mais nous revendiquons une participation effective - elle est du reste inscrite dans le texte dans le cadre du schéma régional du développement économique et de l'innovation et du schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire. Dans l'élaboration des schémas de développement du tourisme ou pour l'accessibilité des services, nous sommes un peu oubliés... Evitons également les doublons, que nous ne pouvons plus nous permettre, comme la prolifération des agences, souvent redondantes avec les services des chambres.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Tout à fait.

M. Benoît de Charette . - Il faut faire confiance au réseau consulaire, avec qui les régions ont l'impérieuse obligation de contractualiser. Cela se fait déjà : j'ai là la convention que j'ai signée avec la région Bourgogne. Mais il faut continuer, autour du triangle : « définir, dérouler, évaluer les politiques » - car il s'agit de fonds publics des deux côtés.

En tant qu'établissement public de l'État, nous devons appliquer sa politique, tout en contractualisant avec les régions : sans doute y a-t-il une petite ambiguïté à lever dans le texte. Nos missions gagneraient à y être réaffirmées, afin qu'elles soient claires pour tout le monde !

M. Patrick Bernasconi, vice-président du Mouvement des entreprises françaises . - Le MEDEF et les entreprises soutiennent une réforme qui apportera plus d'efficacité, diminuera le nombre de strates territoriales et facilitera le développement économique et social. Le découpage des régions doit avoir du sens, et non suivre des logiques électorales. Nous en attendons une définition du « qui fait quoi ». Nous le savons bien dans les entreprises, une décision, même sous-optimale, vaut mieux qu'une absence de décision. Ce débat a été lancé il y a longtemps : il y a urgence. Pour assumer des responsabilités plus importantes en matière économique, il faudrait associer ces non-électeurs que sont les entreprises, qui ont parfois des solutions à préconiser et ont besoin d'être informées rapidement, sur la fiscalité par exemple. Nous voyons donc d'un très bon oeil le principe du rendez-vous tous les trois ans. Les économies se font par la mutualisation, mais aussi par la réduction, comme celle des organismes de développement, au nombre de 600 en Rhône-Alpes !

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Nous sommes d'accord pour promouvoir le recentrage des actions de développement économique et la rationalisation du paysage institutionnel, sans cacher nos objectifs d'optimisation des coûts. Les rapports des juridictions financières abondent sur la prolifération des organismes - soit dit sans préjudice de leur savoir-faire : notre pays ne peut plus se payer le luxe de cette dispersion. L'image du millefeuille territorial fait oublier que dans l'angle mort des différentes couches se logent les agences qui vivent sur la bête.

M. Patrick Bernasconi . - Dans cet angle mort se situent aussi nombre de syndicats intercommunaux dont la petite taille pose problème : je le vois bien dans mon domaine d'activité.

M. Philippe Bas , président . - La région vous semble être le bon échelon à condition qu'il soit ouvert à la co-construction. Mais les entreprises ont aussi besoin d'interlocuteurs locaux : villes et intercommunalités. La région peut être le planificateur stratégique, mais la mise en oeuvre - la mobilisation du foncier, par exemple - nécessite d'autres interlocuteurs. Vous nous dites que lorsqu'ils sont trop petits, ils manquent d'ingénierie, cela vous pénalise ?

M. Alain Griset . - Un bon exemple des bénéfices à tirer de la régionalisation est la formation. Les conseils régionaux ont développé l'apprentissage - très important pour l'artisanat - après une analyse préalable des besoins ; ils en ont ensuite confié la gestion à des opérateurs tels que les chambres de métiers et de l'artisanat. Ce schéma pourrait être étendu à l'économie : la stratégie définie par la région s'appliquerait à travers des conventionnements.

Un autre échelon légitime est celui des métropoles ou des communautés de communes, qui ont la proximité suffisante pour adapter les politiques aux territoires.

M. Benoît de Charette . - La question du niveau de compétence pour assurer l'équité des territoires se pose : à trop limiter la région à un rôle purement stratégique, nous risquons de décliner sa vision dans le désordre ; il faut donc que cette stratégie soit suffisamment prescriptive. Cela se pose dans les mêmes termes entre chambres de commerce et d'industrie régionales et territoriales. Le problème est d'autant plus important que les régions sont plus grandes.

M. Patrick Bernasconi . - La politique de formation doit être co-construite avec les partenaires sociaux. J'ai peur que les relations entre les régions et les métropoles soient compliquées et que les deux entités se fassent la guerre...

M. Philippe Bas , président . - Les chambres consulaires doivent savoir que nombre de nos collègues se préoccupent de leurs capacités d'investissement en termes de formation : des amendements seront déposés pour les sauvegarder.

M. Jean-Pierre Vial . - Nous partageons tous, même les départementalistes, le constat qu'il y a trop d'acteurs sur le terrain. Mais dans votre discours, entre les régions et les intercommunalités, le fait départemental semble avoir disparu : le même raisonnement doit-il s'appliquer pour les chambres consulaires départementales ? Puisque la région est le pôle principal de la politique de formation, ne faut-il pas qu'elle le soit aussi pour la politique de l'emploi, ainsi que pour les universités et la recherche ? Les pôles de compétitivités ont été une vraie chance ; les liens entre entreprise et recherche sont un facteur de réussite. Vous parlez de réglementation : pensez-vous qu'une décentralisation du pouvoir réglementaire au niveau régional améliorerait les choses ?

M. Alain Griset . - Il ne peut pas y avoir de déconnection entre la formation et l'activité économique. Former pour former n'a pas de sens ! Notre logique consiste à être suffisamment souple pour nous adapter aux évolutions des besoins : beaucoup d'emplois ne sont pas pourvus et c'est cela qui doit guider la politique de formation.

Concernant les chambres départementales, la question se pose plus en termes d'organisation que de structure : dans le Nord-Pas-de-Calais
- pour montrer l'exemple, peut-être - nous avons une chambre unique, mais tout en maintenant des sites dans tous les arrondissements, pour préserver des interlocuteurs de proximité. D'autres régions ont préféré garder une chambre par département, mais, dans tous les cas, les fonctions support sont mutualisées. Pourquoi garder des structures départementales ? Parce qu'il y a toujours un préfet de département et des politiques économiques départementales. La chambre unique du Nord-Pas-de-Calais a ainsi une convention avec le Nord et une autre avec le Pas-de-Calais.

M. Benoît de Charette . - Sur la question de la politique de l'emploi et de la formation, effectivement liées, entre niveaux national et régional, l'exemple de la Bourgogne est éclairant : nous devons faire face à la problématique très particulière des sous-traitants, très nombreux en milieu rural, mais sans perdre de vue la cohérence nationale de la politique de l'emploi.

M. Philippe Bas , président . - La politique de l'emploi recouvre des notions très différentes : les caractéristiques de l'indemnisation du chômage sont déterminées par les partenaires sociaux dans la convention de l'UNEDIC - cela ne peut pas être délégué à la région. La création de Pôle Emploi était fondée sur l'idée que le rapprochement entre l'indemnisation et le soutien à la recherche d'emploi aurait pour conséquence que l'institution ainsi créée aurait intérêt à être efficace dans la seconde fonction pour faire des économies dans la première : le caractère théorique de ce raisonnement n'échappe aujourd'hui à personne. Mais avec une telle articulation, quelle dimension pourrait-elle être confiée aux régions sans casser Pôle Emploi ? La gestion des contrats aidés dans le secteur médico-social marchand, associatif ou public, aujourd'hui du ressort des DIRECCTE, pourrait-elle être confiée aux régions ?

M. Alain Griset . - En Haute-Savoie, la vallée de l'Arve compte plusieurs dizaines d'entreprises artisanales sous-traitantes de grands groupes et dont l'efficacité est reconnue dans le monde entier. Elles appellent une politique adaptée localement, comme la région de Toulouse pour l'aéronautique. Sans mettre en cause la politique nationale, nous ne pouvons pas échapper à la nécessaire cohérence entre politique de formation et caractéristiques de l'emploi au niveau local.

M. Patrick Bernasconi . - La loi sur la formation nous permettra d'agir pragmatiquement. Nous sommes confrontés à un véritable défi : définir une politique adaptée aux besoins régionaux, pour que les 300 000 à 500 000 emplois actuellement non pourvus le soient. L'apprentissage est malheureusement victime de règles invraisemblables. Les Allemands ont été pragmatiques : ils ont réorienté des fonds consacrés à la formation longue vers l'apprentissage et l'ont autorisé dès quatorze ans. En France, il faut attendre dix-huit ans. À cause de ces règles absurdes, plus personne ne veut embaucher d'apprentis. Arrêtons de vouloir amener tout le monde à bac + 5 ; arrêtons d'attendre bêtement que les jeunes aient dix-huit ans et passent quatre ans à traîner dans la rue, au lieu d'être pris en charge pour apprendre savoir-faire et savoir-être. Mais je m'écarte peut-être du sujet...

M. Philippe Bas , président . - Au contraire, nous sommes au coeur du sujet.

M. Jean-Pierre Vial . - Absolument.

M. Philippe Bas , président . - Faut-il renforcer le pouvoir régional pour débloquer l'apprentissage, construire une osmose avec les entreprises et récupérer des moyens alloués aux filières longues de l'éducation nationale ?

M. Benoît de Charette . - Nous revenons à la co-construction. Les accords signés entre le réseau consulaire et les régions depuis deux ou trois ans intègrent de plus en plus la dimension de la formation.

M. Patrick Bernasconi . - Je ne veux pas la mort du département, mais je veux que les compétences soient clarifiées. Nous voyons bien que le social et la proximité relèvent du département. C'est à vous, et non au MEDEF, de décider ce qu'il doit faire exactement.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Mais lorsqu'une compétence a été confiée à un niveau, les autres ne doivent plus pouvoir y toucher.

M. Patrick Bernasconi . - Oui. Je suis à cent pour cent pour la fin de la clause de compétence générale. La proximité peut être très bien traitée par la mutualisation. Le rôle d'interlocuteur des entreprises est enfin reconnu pour la formation. Il faudrait que ce soit le cas aussi pour l'aménagement du territoire, le transport, la mobilité... d'autant que les entreprises sont de gros contributeurs dans ces domaines.

M. Benoît de Charette . - Vraie avancée dans ce domaine, nous travaillons avec les communes dans le cadre des écoles supérieures de commerce. Les pôles de compétitivité ont été une réussite, du point de vue de la liaison entre universités, entreprises et collectivités.

La question de l'échelon départemental se pose aussi pour le réseau consulaire ; à nous de voir quel est le bon maillage : le département ou le bassin - qui a plutôt ma faveur. Nous devons éviter la prolifération des agences. De 265 chambres, nous sommes arrivés à une centaine aujourd'hui, mais nous devrons redéfinir notre maillage en fonction des compétences dévolues aux nouvelles structures.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Nous l'entendons tous les matins : je cherche des gens, mais je n'en trouve pas, ou alors inadaptés. Sauf exception, Pôle Emploi ne résout pas ce problème. Nous avons fait les missions locales, les maisons de l'emploi pour les jeunes...

M. Benoît de Charette . - Les écoles de la deuxième chance !

M. Jean-Jacques Hyest , rapporteur . - C'est extrêmement coûteux, surtout pour l'État. Ne pensez-vous pas que la région serait l'acteur adéquat - avec tous ses partenaires - pour assurer la politique de l'emploi consistant à permettre aux demandeurs d'emploi de trouver du travail ? Nous pourrions alors supprimer des structures annexes qui sont une source de dépenses publiques considérables, plus peut-être que les collectivités locales qui sont souvent mises en accusation.

M. Alain Griset . - Elles ont souvent à gérer une situation qu'elles n'ont pas créée et qui est due à l'absence de liaison entre la formation et les besoins d'emplois du territoire ; c'est donc cette dernière question qui est essentielle.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Les chiffres sont alarmants : le nombre de titulaires d'un bac professionnel qui s'inscrivent à l'université et ne finissent pas leurs cursus, le nombre de décrocheurs, inscrits en filière générale mais qui n'arrivent pas jusqu'au bac... Certes, nous pouvons connaître des années fastes où les crédits du Fonds européen de développement régional financent à 50 % l'école de la deuxième chance, mais cela ne durera pas. Le service public d'orientation et d'adaptation à l'emploi doit être au niveau régional, puisque c'est à ce niveau que - tout le monde le dit - seront concentrées les aides à la création d'emplois. Les organisations syndicales, que nous avons entendues avant vous, nous l'ont dit : elles suivront de près les futures conventions, qui ne devront pas seulement fixer un nombre de créations d'emplois, mais bien des actions spécifiques de formation et une gestion prévisionnelle des compétences par bassin d'emploi.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Le but de l'action publique n'est pas de conserver des fonctions et des fonctionnaires dans leurs ministères.

M. Jean-Pierre Vial . - J'avais posé une question sur la décentralisation du pouvoir réglementaire.

M. Benoît de Charette . - Oui, dans le cadre d'une cohérence nationale. Notre pays s'apprête à franchir une nouvelle étape dans la décentralisation. Passer de 22 régions à 13...

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Nous préférerions 14.

M. Benoît de Charette . - Disons entre 13 et 15. Cela renforcera les pouvoirs des régions. Notre réseau consulaire gère près d'un quart des apprentis de ce pays à travers ses centres de formation des apprentis, avec des résultats plutôt meilleurs que la moyenne ; il gère l'alternance, où un tiers des formations dispensées ne sont pas renouvelées, afin de les adapter constamment. Nous ne sommes pas installés dans un fromage, nous cherchons à coller à la réalité du terrain : nous formons ainsi des soudeurs pour Areva...

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - On en cherche partout !

M. Benoît de Charette . - Ce n'est pas la mode, mais c'est un métier très technique. Peut-être devrons-nous arrêter dans un ou deux ans.

M. Alain Griset . - Je suis plus réservé sur la régionalisation des normes : d'une part, bon nombre d'entre elles dépendent du niveau européen ; d'autre part, même les entreprises artisanales peuvent travailler dans plusieurs régions : se plier à une norme différente à chaque fois nous compliquerait la tâche. En fait, ce que nous réclamons, c'est moins de normes, plutôt qu'un changement de compétence.

M. Patrick Bernasconi . - Je comprends que vous ne vouliez pas gérer l'indemnisation du chômage et ainsi hériter d'un déficit d'une trentaine de milliards d'euros ; pourtant, la manière dont on la gère pourrait déterminer un plus ou moins rapide retour à l'emploi.

M. Philippe Bas , président . - Merci pour cette audition très riche : les chefs d'entreprise ont montré que leur efficacité se traduisait aussi par la maîtrise des horaires.

Audition d'associations oeuvrant dans le domaine social (Jeudi 20 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Nous souhaitions entendre la voix des associations oeuvrant dans le domaine social, car le débat sur les collectivités territoriales ne peut pas rester dans l'entre soi de leurs représentants. Comment percevez-vous la réforme de l'organisation territoriale d'un point de vue social et médico-social ?

M. Dominique Balmary, président de l'Uniopss . - Merci de votre invitation : nous avons déjà eu l'occasion d'être entendus par la Commission des affaires sociales, jamais par celle des lois. Nous en sommes heureux, car la réforme qui se profile nous concerne au premier chef. Elle semble avoir cantonné un peu rapidement le domaine du social et du médico-social à la compétence de principe du département. Le projet de loi aurait pu aller au-delà d'une redéfinition des frontières des collectivités territoriales. Il aurait été souhaitable que les citoyens soient placés au coeur du système, dans une région soucieuse de la transparence et de la lisibilité de son offre d'aides et de soins. Nous aurions ainsi pu avoir une vision stratégique et gestionnaire plus affinée que ce que le texte nous propose. La politique sociale est en train d'évoluer. Il est impératif que l'organisation administrative du territoire ne vienne pas contredire cette évolution. Ceux qui s'adressent aux associations ont des demandes de plus en plus globales qui touchent à plusieurs domaines à la fois. Les réponses doivent se faire transversales, comme le plan de lutte contre la pauvreté, adopté dernièrement, qui prend en compte l'ensemble des phénomènes intéressant la pauvreté. La réforme devrait être une excellente occasion de décloisonner les secteurs pour répondre à la complexité de la demande.

La prévention est une donnée qui commence seulement à être prise en compte dans la mise en oeuvre des politiques sociales. Elle ne représente que 4 % des dépenses nationales de santé. Le projet de loi sur la santé de Mme Touraine corrige ce manque en fixant un objectif net et précis. Tous les acteurs des politiques sociales doivent intégrer cette vision de moyen terme. Quand il s'agit de handicap ou d'insertion, les mesures, réparatrices, sont souvent d'urgence. Il nous manque une vision plus structurelle de l'évolution des besoins. La réforme territoriale devrait se saisir de cet enjeu et doubler les politiques sociales d'une fonction de prévision. La question territoriale est accessoire ; l'essentiel, c'est le fond des politiques mises en oeuvre.

Sans avoir une vision claire des compétences qui seront attribuées aux régions, nous pouvons dégager un certain nombre de principes qui devront présider à leur répartition. Premièrement, il faut inscrire les politiques sociales dans la durée, au niveau local, territorial et national. Deuxièmement, face à la complexité croissante des besoins, l'accompagnement des citoyens est indispensable pour qu'ils ne s'égarent pas dans le labyrinthe de leurs droits. Je sais, pour avoir exercé les fonctions de délégué à l'emploi au ministère du travail, que l'accompagnement professionnel et social des demandeurs d'emploi a été très difficile à mettre en place. On en parle depuis trente ans, et c'est seulement aujourd'hui que Pôle Emploi commence à expérimenter son dispositif dans les régions. Troisièmement, rien ne pourra se faire sans décloisonner les politiques sociales pour qu'elles se complètent entre elles - politique du logement, de la ville, du développement économique. La région pourra combiner ces différents domaines, favoriser la transversalité et leur désenclavement. Quant aux citoyens, il est important de les faire participer à la mise en oeuvre de ces politiques. La loi reste muette sur le sujet. Allons vers plus de démocratie participative.

Enfin, nous n'avons arrêté aucune position sur le sujet délicat de la clause de compétence générale. Il nous semble souhaitable de la faire disparaître, mais il est encore trop tôt. Les compétences sont trop enchevêtrées. Dans un contexte budgétaire contraint, il serait dangereux d'un point de vue financier de faire disparaître cette clause dès maintenant.

M. Arnaud de Broca, secrétaire général de la FNATH . - Votre invitation est une agréable surprise. La réforme touche l'ensemble de nos adhérents et nous y avons été peu associés. Nous n'avons pas d'opposition ni d'accord de principe sur les périmètres géographiques ; cependant, nous regrettons le manque de réflexion en amont. Par conséquent, nous considérons que le projet de loi en l'état actuel n'est qu'une première étape qui doit être suivie d'un travail sur les compétences. Elles devront être clarifiées pour gagner en efficacité. À l'heure actuelle, les écoles, les collèges et les lycées obéissent à des logiques différentes en matière d'accessibilité. Idem pour les transports ou l'emploi : une harmonisation est indispensable. On perdra également en efficacité si l'on éloigne les centres de décision, avec pour seul souci l'organisation géographique. Les agences régionales de santé n'ont pas montré tout leur potentiel. On peut les rendre plus efficaces sur un territoire plus vaste. Les personnes en situation de handicap ou les personnes qui souffrent d'isolement ont besoin de dispositifs de proximité. Il faut mettre le citoyen au coeur de l'action et des politiques. Enfin, je ne suis pas certain qu'en rapprochant des régions ou des collectivités en difficultés financières, on développera les moyens de l'action sociale. Nous souffrons déjà d'un déficit d'accompagnement financier. Ne le creusons pas. Certes, les grandes régions pourront bénéficier des fonds européens. Il faudra néanmoins veiller à ce que les besoins des personnes en situation de handicap soient pris en compte dans la répartition de ces fonds. C'est prévu dans les textes européens ; ce n'est pas toujours appliqué.

Ce projet de loi nous a été imposé sans concertation en amont. Reste à définir le périmètre dans lequel nous pourrons en examiner les conséquences, compétence par compétence.

Mme Malika Boubékeur, conseillère à l'Association des paralysés de France . - Au nom de l'APF et de son président M. Alain Rochon, je vous remercie pour cette invitation : nous n'avons pas été habitués à échanger avec la commission des lois.

Je souhaiterais vous faire part d'un certain nombre de constats, d'alertes et de points de vigilance face à un projet de loi qui veut donner une meilleure visibilité aux institutions territoriales. Les personnes en situation de handicap et leurs familles sont concernés ; pour autant, il est difficile de mesurer l'impact des nouvelles dispositions sur leur quotidien. Les maisons départementales des personnes handicapées sont gérées par le département. Elles offrent aux handicapés des solutions qui relèvent de leur droit spécifique
- accompagnement, soins, etc. - et ont un statut de groupement d'intérêt public que nous voudrions sauvegarder. Tous les acteurs sont représentés dans la commission exécutive de ces établissements - le conseil général, les services de l'État et les associations. Sur quelle collectivité départementale s'adosseront-ils financièrement et administrativement ? Pour nous, l'échelon de proximité le plus adéquat pour l'ensemble des usagers en situation de handicap est celui qui leur permet de se déplacer vers leur lieu d'accès au droit. Qu'adviendra-t-il également de la stabilisation des équipes dans laquelle la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie a tant investi ? Nous craignons que cet acquis se délite. À Lyon, à compter du 1 er janvier 2015, les compétences sociales seront transférées du département vers la métropole. Nous nous retrouverons donc avec deux interlocuteurs dans les MDPH. Il faudra trouver de nouveaux agents pour une nouvelle instance, la Maison métropolitaine et départementale des personnes en situation de handicap.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Lyon reste un cas particulier où la métropole prend toutes les compétences du département. Dans l'éventualité d'une seule MDPH pour le département du Rhône et pour la métropole de Lyon, il faudra s'organiser, sans que cela relève du domaine législatif.

Mme Malika Boubékeur . - Je parlais des personnels.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Dans ce cas, oui, il ne sera pas facile de faire venir des fonctionnaires d'État. Toutes les MDPH ne fonctionnent pas idéalement.

Mme Malika Boubékeur . - Les moyens de fonctionnement posent problème. Un budget de 66,3 millions d'euros est prévu dans le PLF 2015, alors que la CNSA consacre 64 millions d'euros au fonctionnement des cent MDPH. Comment re-ventiler ce budget en cas de variation du nombre de ces établissements ? La CNSA joue un rôle important pour l'harmonisation des pratiques dans l'ensemble du territoire. La commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées garantit l'équité des droits accordés aux personnes dans l'ensemble du territoire. Il faut maintenir ces dispositifs. Vous examinerez dans quelques mois le projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement. Nous saluons la création des conseils départementaux de la citoyenneté et de l'autonomie, dispositif qui reprendra a minima les prérogatives des actuels conseils départementaux consultatifs des personnes handicapées et des comités départementaux des retraités et personnes âgées. Il s'agit d'un dispositif consultatif distinct de celui d'accès au droit. Comment s'opéreront les transferts de compétences entre le département et la future collectivité territoriale dans le domaine de l'hébergement des adultes en situation de handicap ? C'est le premier poste budgétaire des conseils généraux. La question vaut aussi pour l'aide à domicile et les services d'accompagnement à la vie sociale. Quel impact le droit d'option des départements pourra-t-il avoir sur la gestion des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, et sur les conventions élaborées par les agences régionales de santé avec leurs partenaires ? Enfin, le transfert des compétences transversales interroge la cohérence des interventions sociales sur un même territoire. Par exemple, les transports scolaires ne seront plus gérés par le département, mais par la région, au 1 er janvier 2015. Pour un élève en situation de handicap, le département rembourse une aide aux familles ; il organise ce transport scolaire quand le service public échoue à répondre au besoin. Qui financera cela dans le nouveau système ? Le département au titre de la compétence sociale, ou la région au titre de la compétence des transports ?

M. Philippe Bas , président . - Vous êtes en attente d'éclaircissements ; ce n'est pas surprenant, car le projet de loi ne modifie pas les compétences du département en matière sociale. L'avenir des départements a été interrogé. Il est utile de savoir ce qui vous préoccupe.

Mme Malika Boubékeur . - L'équité territoriale ne doit pas être un vain mot, mais une réalité.

M. Thierry Nouvel, directeur général de l'UNAPEI . - Le secteur associatif dans le domaine du handicap s'est construit au plus près des personnes, dans un territoire restreint. Les associations ont ensuite grossi et se sont rapprochées les unes des autres. Le fait régional est nouveau en France, même s'il a des racines historiques profondes. La loi dite « Hôpital, patients, santé et territoires » a créé les agences régionales de santé, consolidant ainsi le fait régional dans notre domaine. Les lois de décentralisation des années 80 ont consolidé le mouvement associatif au niveau du département. Il n'est pas simple de structurer au mieux les réponses aux situations de handicap : il faut fédérer des personnels pour qu'ils travaillent ensemble, mettre en place des structures, etc. Toute modification de la logique des pouvoirs publics percute nos organisations. La question de l'organisation territoriale est présente dans nos réseaux, puisque nous avons été incités à nous rapprocher et à nous concentrer au-delà de l'échelle départementale. Le transfert des compétences aux métropoles ne se fera pas de la même manière selon que les organisations agissent au niveau du département ou sont implantées au coeur de la métropole. La métropole lilloise regroupe peu ou prou l'ensemble des associations ; ce n'est pas le cas dans le Rhône. La question du transfert des centres d'aide par le travail au département a fait débat, ces deux dernières années. Il est fondamental de définir une politique claire sur le sujet. Quel que soit le découpage des territoires, la question de l'égalité de traitement des personnes se pose. Elle n'est pas correctement assurée. Une solidarité financière entre les territoires contribuerait à améliorer la situation. La question de la région est centrale pour nous.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Vous êtes tous les jours au contact des collectivités et vous connaissez leur architecture. Le Parlement n'a pas envisagé de modifier les compétences du département dans le domaine social. Toutes les métropoles ne sont pas destinées à remplacer le département ; le cas lyonnais est spécifique. Rien n'a été décidé en Ile-de-France. Vous avez relié la réforme territoriale à celle de l'État, insistant ainsi sur la nécessité d'adapter les structures de l'État aux nouvelles donnes territoriales. Ce sont là des problèmes qui relèvent de l'administration ; malgré la décentralisation et le transfert de responsabilité au département, nous n'envisageons pas de toucher au bloc du médico-social. Les interlocuteurs resteront les mêmes. Le vrai problème est dans l'opposition d'une région en charge de l'insertion économique et d'un département responsable de l'insertion sociale. Vous redoutez que la compétence sociale soit donnée à de grandes intercommunalités, mais nous savons bien qu'on ne fait pas d'action sociale à 20 000 habitants.

M. Philippe Bas , président . - Comme toujours, les interlocuteurs du mouvement social ont réussi à prendre le pouvoir. C'est eux qui ont auditionné notre rapporteur ! Il n'y a pas lieu de porter la discussion sur la décentralisation, car aucun pouvoir n'est transféré de l'État aux collectivités locales. Au Sénat, nous souhaitions étudier les possibilités d'un rééquilibrage du texte par des mesures de décentralisation. Jusqu'à présent, notre réflexion s'est concentrée sur la région, dont on veut faire une collectivité en charge du développement économique et territorial. Il faudrait ajouter l'emploi aux compétences de la région. Il serait bon également de pouvoir mesurer l'effet qu'auraient des mesures de décentralisation dans le domaine des politiques sociales. Nous ne nous sommes pas engagés dans cette voie pour l'instant, car les départements sont asphyxiés par un service de prestations sociales sur lequel ils n'ont que peu de prise. Nous risquons d'avoir à faire face à des besoins considérables sans avoir les moyens suffisants d'y répondre. Dans les départements, l'expansion des charges sociales n'est pas compensée par des ressources qui sécuriseraient les besoins. Vous ne souhaitez pas que le domaine du social et du médico-social passe au département. Manifestement, vous n'êtes pas pressés de faire évoluer la décentralisation. C'est du moins ce que confirme votre silence sur ce point.

Mme Gisèle Jourda . - J'ai présidé l'Association pour adultes et jeunes handicapés, l'APAJH. Les lois successives ont mis les associations face à leurs responsabilités. En période de budget contraint, les départements se laissent parfois aller à une politique d'immixtion dans la gouvernance des associations. Il faudrait clarifier le rapport entre les associations et leur chef de file, département ou région. On ne peut pas mettre en danger le rôle et la mission publique des associations. Comment les préserver ?

M. Thierry Nouvel . - La relation entre les associations gestionnaires et leurs autorités de tarification est un vrai sujet. Le statut même de ces associations a fait l'objet de nombreux débats. Je n'ai jamais vu d'ingérence dans la gouvernance des associations que je dirige. Je doute que cela soit lié à la réforme de l'organisation territoriale.

M. Bas évoque la décentralisation. Nous nous posons plutôt la question de la recentralisation d'un certain nombre de compétences au niveau régional, notamment depuis la création des agences régionales de santé.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Les ARS ont des antennes locales...

M. Thierry Nouvel . - Elles ne décident rien. Le délégué territorial de l'ARS dialogue avec les associations, peut s'opposer à certaines décisions, mais ne peut en prendre.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Le médico-social reste financé par l'État.

M. Thierry Nouvel . - C'est plus compliqué. Certains établissements sont financés par les conseils généraux.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Il y a en effet des établissements à triple tarification, comme les établissements pour personnes âgées : tarification de l'hébergement et de l'allocation personnalisée par le conseil général, et tarification des soins par l'ARS. Mais comment faire autrement ?

M. Thierry Nouvel . - C'est pour cela que nous posons la question de la recentralisation de cette compétence au niveau régional. En matière de handicap, les sources de financement ont été empilées au fil du temps. Concrètement, l'impossible fongibilité des budgets pose problème, par exemple pour créer des places médicalisées dans les départements qui ne font que de l'hébergement. Pire : lorsqu'un département a trop de places en établissement et service d'aide par le travail, je ne peux les redéployer sur d'autres types d'établissements en raison de la nature différente des crédits
- budget de l'État dans un cas, budget de la sécurité sociale dans un autre. Mais vous avez raison : la question de la recentralisation n'est pas d'actualité, compte tenu des craintes que vous avez mentionnées.

M. Jean-Pierre Vial . - Dans le fonctionnement des établissements, certains domaines relèvent du département, d'autres nécessitent une coordination régionale. Il serait utile de disposer d'une note détaillée sur tous ces sujets.

M. Philippe Bas , président . - Nous vous remercions. Vous trouverez dans les débats du Sénat la trace de vos interventions !

Audition M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (Jeudi 20 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux d'accueillir M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, que j'ai connu lorsqu'il était sénateur avant qu'il ne devienne un ministre de la fonction publique reconnu pour son attachement au dialogue social. Nous avons par ailleurs souhaité que la réflexion du Sénat sur l'organisation territoriale de la République ne soit pas déconnectée de la réalité, et c'est pourquoi nous avons auditionné un grand nombre d'acteurs, parmi lesquels les organisations syndicales, les présidents des assemblées permanentes des chambres consulaires, ou encore les chefs d'entreprises, dont la qualité d'investisseur en fait les interlocuteurs naturels des collectivités territoriales. Nous sommes également partis, hors nos murs, à la rencontre des élus locaux, afin de recueillir d'autres points de vue sur l'organisation territoriale que ceux présentés par les grandes associations d'élus.

Votre angle de vue, Monsieur le président, sur ces questions territoriales nous permettra d'alimenter notre recherche de solutions aux problèmes économiques et sociaux auxquels nos territoires sont confrontés : la lutte contre le chômage, le développement de la vie des entreprises, la mise en oeuvre de la meilleure politique de l'emploi possible et l'articulation des différents échelons territoriaux pour assurer le meilleur service à nos concitoyens et assurer la mise en oeuvre des grandes priorités nationales.

En outre, je me souviens que vous nous aviez précédemment alertés sur l'état de souffrance de notre démocratie. À ces raisons qui nous ont incités à vous inviter, j'ajouterai également la remarque formulée par la représentante de la Confédération générale du Travail (CGT) que nous auditionnions ce matin et qui a ouvertement regretté que notre commission n'ait pas saisi, à titre liminaire, le Conseil économique, social et environnemental. Après avoir signalé à cette personnalité votre audition de cet après-midi, il m'a fallu lui faire observer que nous n'étions pas maîtres de l'ordre du jour et qu'il eût mieux valu que le Gouvernement procédât lui-même à cette saisine en temps utile, avant de solliciter l'examen du Parlement.

M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental . - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, c'est un plaisir de partager avec vous les questions ainsi que les attentes et les critiques qui sont les miennes. Il y a plusieurs façons d'aborder l'organisation du territoire et je regrette la méthode, quel que soit le gouvernement en cause, qui a été suivie par cette réforme.

La carte territoriale ne doit pas être un objectif, mais une réponse à la question de l'offre territoriale à mettre en oeuvre pour atteindre la meilleure performance économique et assurer la meilleure cohésion sociale possible dans l'économie de flux qui caractérise la mondialisation. En effet, on assiste à un double bouleversement - celui de la circulation de l'information et celui des modes énergétiques - qui va modifier en profondeur la géopolitique et l'organisation des territoires. Deux exemples me paraissent à cet égard illustratifs. Lorsqu'en 1945, les Américains estimaient que les relations commerciales permettaient d'instaurer la paix, ils utilisèrent principalement deux technologies : le téléphone, pour assurer la remontée de l'information, et le container, pour abaisser considérablement le coût des transports. Mais la transformation profonde induite aujourd'hui par le numérique implique une remise en cause déchirante de l'organisation verticalisée de notre société, qui est issue de la Monarchie et qu'a endossé notre République. Notre perception que, dans le monde moderne, nous pouvons maîtriser la circulation des capitaux, des idées, des marchandises et des hommes est désormais totalement erronée.

Il ne s'agit plus de conquérir de nouveaux territoires géographiques, comme du temps de la colonisation avec laquelle s'est amorcée la première forme de mondialisation, mais d'acquérir de nouveaux espaces d'innovation, en gérant non plus la richesse des sols et des sous-sols, mais désormais l'intelligence. L'économie n'est plus ainsi fixée sur un territoire et la puissance d'un État industriel ne réside plus dans la possession de la bombe atomique, mais désormais dans celle des banques de données : c'est pourquoi Mme Angela Merkel et M. Barack Obama ont pris acte de cette nouvelle conception de la performance économique qui repose sur la capacité de mesurer les besoins d'un marché et d'assurer le développement d'une offre singularisée et, par conséquent, d'une industrie qui permette de la proposer.

Fort de ce constat, deux questions doivent être posées du point de vue des territoires : quelles sont les mesures qui doivent être prises pour que les jeunes du monde entier aient envie de venir étudier en France et que les capitaux convergent également vers notre pays ? Aujourd'hui, le pouvoir d'attractivité d'un territoire est essentiel et attire l'intelligence et la recherche tout en demeurant un facteur de cohésion sociale.

Nous ne sommes plus dans une économie physique, mais chimique. Ainsi, l'organisation territoriale doit suivre cette évolution : alors que l'économie rurale reposait sur les villages et que l'économie industrielle s'organisait autour des villes, l'économie est désormais celle de l'innovation et de l'intelligence, impliquant de nouveaux modes de connexion et de collaboration. Une telle évolution implique nécessairement la disparition de mythes qui prévalaient jusqu'alors : on peut désormais inscrire toute activité économique dans n'importe quel territoire au monde et payer ses impôts dans n'importe quel État au monde. Une deuxième étape est d'ailleurs franchie avec la déconnection des finances de l'économie.

Rappelons-nous l'issue d'une bataille, qui a pourtant laissé totalement insensible la classe politique dans son ensemble, qui s'est livrée sur la question essentielle du maintien de la place financière de Paris. Un trader haute-fréquence assure vingt-sept mille opérations par seconde et quatre-vingt-dix-huit pour cent des échanges commerciaux mondiaux quotidiens sont financiers. Les donneurs d'ordre de la place de Paris sont ainsi partis pour Londres car la différence du temps, qui se mesure en nanosecondes, requis pour passer un ordre entre Paris et la City, crée une distorsion de concurrence qui nous est défavorable. Ainsi, quelle que soit l'offre territoriale proposée, l'absence d'attractivité et un retard technologique se solderont par des échecs pour les territoires incapables d'y remédier.

Une telle réalité remet en cause le mythe de l'égalité entre les territoires : dans une logique d'offre territoriale, il importe d'optimiser le développement des capacités d'attractivité des différents territoires en fonction de leurs caractéristiques. Il nous faut donc réfléchir à une offre territoriale qui ne soit plus celle du passé, mais qui contienne plutôt, et c'est une occasion qui me paraît manquée, une dimension prospective qui définisse une organisation territoriale moderne dans une société moderne.

Plusieurs faits nous conduisent à constater que la réforme territoriale proposée ne répond pas aux exigences actuelles. En effet, les trois sujets politiques abordés par l'ensemble des gouvernements du monde entier concernent le choc des territoires, à savoir la localisation des activités selon les territoires, la démographie et le choc des générations, ainsi que le choc des identités, comme en Europe qui a besoin d'accueillir une population d'origine extra-communautaire d'ici à 2030 pour assurer son développement économique. Il faut ainsi, d'un côté, assurer l'attractivité des territoires pour les investisseurs et, de l'autre, garantir la cohésion sociale afin d'éviter les chocs identitaires.

Autre élément qu'il me paraît important intégrer : la croissance est actuellement faible et devrait demeurer comme telle. Les taux de croissance sont bien souvent avancés pour équilibrer les budgets et ne reflètent nullement la réalité économique à laquelle ils sont censés correspondre. La faiblesse du taux de croissance avive la précarité de la cohésion sociale, dans un contexte où l'Europe représente 6 % de la population mondiale pour 20 % du produit intérieur brut mondial et 50 % des transferts sociaux. La question aujourd'hui réside dans celle d'un projet territorial : comment ancrer dans les territoires une performance économique de dimension mondiale tout en maintenant une cohésion sociale qui semble, notamment aux États-Unis, présenter de sévères risques de dislocation ? Il s'agit également de prévenir la désespérance des populations et les éventuelles occurrences d'une sorte d'« infarctus territorial » induisant l'irruption de la violence sociale et empêchant la stabilité des territoires et des personnes qui s'y trouvent.

Une autre mécanique doit également être intégrée par cette démarche de prospective territoriale : le développement de l'économie numérique et de la robotisation qui menace à terme 40 % des emplois américains et 52 % des emplois européens. Cette évolution illustre le bien-fondé de l'intuition de Keynes qui prévoyait la création de plus de richesses par de moins en moins de travail. Une telle tendance ne peut que bouleverser les relations sociales et les politiques fondées sur la solidarité. Aujourd'hui, l'offre territoriale, que promeut le projet gouvernemental, est abordée en termes d'organisation des pouvoirs républicains, issue de la Monarchie, et non d'optimisation des potentiels. Un certain nombre de questions aurait ainsi dû être posé, comme la place, dans le monde, de la régulation publique, issue du modèle européen et français, dans une économie de flux mondial de tendance ultralibérale. C'est un enjeu déterminant, puisque la dimension des défis impose la dimension des réponses et il eût fallu évaluer, avec exactitude, le niveau des régulations continentales et le rôle qu'y joue l'État, avant que d'envisager les déclinaisons territoriales à mettre en oeuvre pour renforcer l'attractivité.

Par ailleurs, le fait métropolitain - qu'envisageait d'ailleurs la précédente loi - est majeur : 30 % de la richesse mondiale sont captés par les soixante plus importantes métropoles mondiales alors que, dans les quinze prochaines années, ce seront 75 % de la richesse mondiale qui le seront par les six cents plus grandes aires métropolitaines. Ainsi, les aires métropolitaines sont en marche et il convient de construire des régions métropolitaines à l'échelle de la planète. D'ailleurs, celles-ci connaissent un seuil limite : au-delà de trois millions d'habitants, elles connaissent une réelle forme de saturation. Il importe d'y mêler les universités, les centres de recherche, les capitaux et les décideurs politiques ce qui, du reste, n'est pas le cas en Allemagne dont les collectivités territoriales ont réduit de près de cent milliards d'euros leurs investissements, ce qui devrait, à terme, amoindrir considérablement leur performance économique. À l'inverse, on constate, au niveau européen cette fois, une prise de conscience qui devrait conduire au déblocage de 300 milliards d'euros en faveur du développement des infrastructures.

M. Paul Krugman, Prix Nobel d'économie, déclarait qu'il fallait repenser l'économie numérique et je m'attendais à ce que l'État, alors qu'il engageait la réforme absolument nécessaire de la réorganisation territoriale, conduise cette analyse prospective qui prenne en compte l'évolution de la conjoncture internationale et aboutisse à reconfigurer le territoire de manière optimale. Or je crains qu'une approche extrêmement classique, consistant dans un premier temps à dresser une carte et à attribuer les compétences, ne soit suivie. Il faut ainsi aujourd'hui gérer la captation des flux qui passent par les territoires et la valeur ajoutée qu'ils créent : à cet égard, la Banque mondiale a annoncé l'inclusion, dans les trente années qui viennent, de près de 2,5 milliards de personnes dans la classe moyenne, dont un gain quotidien de 10 à 100 dollars représente le seuil d'inclusion. Ce chiffre comprend une centaine de millions d'Européens, peu de personnes en Afrique alors que la quasi-totalité des personnes concernées se trouve dans la région Asie-Pacifique. Si 10 % de cette nouvelle classe moyenne, soit 250 millions de personnes, se rendait en France, dont le nombre de touristes annuels est de 80 millions, comment bénéficier de cette manne ? Les défis qui se posent aux territoires résident bel et bien dans la capacité de capter la valeur ajoutée que génèrent les flux.

Cette perspective souligne la question de l'inadaptabilité de la fiscalité à un tel phénomène. Ainsi, toute la fiscalité des collectivités locales est fondée sur la propriété foncière issue de la société rurale ou sur l'outil économique ou industriel, et non sur les flux. En outre, avec le quinquennat, nous ne sommes pas en mesure d'ouvrir des « chantiers républicains » impliquant l'ensemble de la classe politique et assurant la stabilité des dispositifs notamment fiscaux. L'ensemble des investisseurs internationaux considère d'ailleurs la France comme un marché trop étroit et trop à risques, du fait des revirements que connaît la réglementation du fait des alternances politiques tous les cinq ans. Il eût fallu ainsi assurer la stabilité, dans le temps, de la réforme et veiller à ce que nul cycle électoral n'en perturbe la mise en oeuvre effective puisqu'il s'agit avant tout de préparer l'avenir et non de se livrer à je ne sais quel jeu de pouvoirs.

En outre, la réforme ne doit plus apparaître comme une punition mais porter plutôt une réelle espérance : une telle démarche doit ainsi être prospective et mieux prendre en compte l'opinion des citoyens.

C'est la raison pour laquelle privilégier la potentialité et la diversité des territoires implique de remettre en cause les idées d'égalité et d'uniformité. Ceux-ci pourraient ainsi se voir reconnaître des pouvoirs différents, voire des capacités dérogatoires, en fonction de leurs caractéristiques.

Enfin, s'agissant de ce que j'évoquais précédemment comme le choc des identités, il importe que les limites des territoires respectent l'histoire et la géographie. D'ailleurs, la prise en compte des seuls intérêts économiques pour délimiter les frontières, notamment par la France et le Royaume-Uni, demeure l'origine des conflits au Moyen-Orient. Lorsqu'on ne respecte pas la géographie, l'histoire et la culture des hommes, à un moment ou un autre, les frontières suscitent les heurts identitaires et avivent les violences. Je crains ainsi que l'actuel projet territorial relève d'une conception surannée qui ne saisisse pas les défis de l'avenir.

Il est naturel que les régions doivent devenir métropolitaines, tout en veillant au devenir des territoires interstitiels. À l'évidence, il importe que ces régions développent leur potentiel d'attractivité obéissant, en cela, à une conception moderne de la puissance qui ne se limite ni au nombre d'habitants ni à la superficie. Notre intelligence cartésienne est ainsi mise à mal : en Europe, par exemple, les petites régions d'Italie du Nord sont plus puissantes que les vastes régions peuplées du Sud de l'Italie ! En outre, l'évolution des aires métropolitaines mondiales illustre cette déconnection de la puissance avec la population et la superficie : alors que des aires de 10 à 12 millions d'habitants déclinent, des métropoles de 2 à 4 millions d'habitants connaissent un réel dynamisme. Dans une économie d'innovation, la capacité de recherche, favorisée par les partenariats entre les universités et les entreprises, est essentielle : le pouvoir des territoires doit ainsi assurer cette forme de maillage. L'offre territoriale de l'État, en matière d'université et de politiques de l'emploi, doit ainsi être très fortement corrélée aux caractéristiques des territoires. Il importe que les régions soient capables de mettre en oeuvre les transversalités plus nécessaires que jamais. En outre, les investissements privés doivent, à terme, se substituer aux dotations publiques dans une logique d'efficience et en offrant des garanties publiques aux capitaux privés.

Enfin, cette évolution doit également amorcer celle de la comptabilité publique qui doit aider l'État capitaliste, auquel je crois, à optimiser la gestion de son patrimoine. D'ailleurs, les collectivités locales devront, à terme, tirer leurs principales ressources non de la fiscalité, mais de l'optimisation de la gestion de leur patrimoine, fût-il privé. Aujourd'hui, les principes de la comptabilité publique, qui repose sur l'équilibre entre les actifs et le passif, le fonctionnement et l'investissement, ne peuvent rendre compte des investissements dans les territoires que les acteurs locaux devraient conduire afin d'instiller la dynamique que j'appelle de mes voeux. En effet, les régions qui vont pouvoir se développer, seront celles qui investiront les fonds publics dans des programmes de recherche qui ne sont cependant pas sans risque ! L'exemple de l'Institut Gustave Roussy, qui accueille des équipes de recherche nord-américaines et qui devrait devenir l'un des cinq premiers laboratoires de recherche au monde, le prouve : c'est en recherchant des modes de rémunération et des investissement alternatifs à ceux fixés par la comptabilité publique que cette entité publique française a considérablement renforcé son attractivité ! Alors que l'on souhaite libérer aujourd'hui les initiatives dans les territoires, il faut ainsi réfléchir à l'évolution des réglementations comptables et des structures budgétaires qui en freinent désormais le dynamisme.

L'éducation est aussi un domaine prioritaire pour le développement des territoires. Dans ce domaine, la centralisation nivèle manifestement l'innovation. Alors qu'il faudrait valoriser les initiatives des étudiants dans l'économie de l'innovation et de l'intelligence, le système éducatif ne sanctionne que les échecs ! Alors que le principe d'égalité est réaffirmé, on assiste à la marginalisation, voire à l'exclusion, d'un nombre grandissant d'étudiants ! L'expérimentation devrait ainsi être mise en oeuvre au niveau des territoires, sous réserve d'un encadrement préalable.

Si je suis tout à fait favorable à la fin de la clause de compétence générale, l'approbation par les préfets des schémas régionaux suscite, en revanche, ma réserve, car elle participe d'une forme de défiance alors que la confiance demeure le principe même de l'économie de l'innovation. Une telle démarche reflète une défiance analogue à celle éprouvée à l'encontre du marché dont l'encadrement est considéré comme prioritaire, ce qui nuit à son développement. Les Anglo-saxons en ont une conception plus saine : la régulation intervient a posteriori , ce qui n'entrave pas l'essor du marché !

Un tel état d'esprit nous condamne à ne pas profiter des potentiels que recèle notre pays ! Il importe de sortir du carcan décentralisateur pour libérer les initiatives des territoires et gagner la bataille du digital. Aujourd'hui, l'État ne doit plus contrôler mais réguler, et les régions doivent disposer de pouvoirs dérogatoires qui leur permettent de soutenir les initiatives innovantes. La force de la France réside dans l'inventivité et toute réforme la restreignant au motif d'économies budgétaires prises comme objectifs exclusifs est vouée à l'échec. Retrouver une société de confiance est un impératif. Or l'État central ne fait confiance ni aux territoires ni aux élus locaux ! Mais prenons aussi garde à ne pas substituer au centralisme de l'État celui de la région qui reviendrait à consacrer une gestion partisane du développement des territoires ! Il faut ainsi réfléchir à une nouvelle forme de contrôle garantissant l'équité de l'argent public et redéfinir les relations entre les élus et leurs administrés sur de nouvelles bases.

On peut également imaginer un partenariat très dynamique entre les régions et les départements dont l'évolution doit suivre les caractéristiques locales. ll faudrait ainsi que la fiscalité fasse l'objet d'un grand chantier républicain entre la majorité et l'opposition, afin que l'imposition ne devienne plus confiscatoire et contribue à aggraver les inégalités. La définition d'une fiscalité régionale, fondée sur la richesse économique, constituerait une première piste et si l'on suivait le principe de l'adéquation entre la nature des dépenses et des ressources, les départements devraient bénéficier, en matière de solidarité nationale, d'un impôt partagé sur la contribution sociale généralisée (CSG).

S'agissant du rôle du préfet, je souhaiterais que celui-ci dispose d'un droit de contentieux et non plus d'un pouvoir de contrôle qui traduit la défiance de l'État vis-à-vis des collectivités locales.

En ce qui concerne ces dernières, il importe de remettre en cause le mythe de la géographie et répondre aux deux questions essentielles que sont l'accès et la qualité des services publics. La technologie permet désormais de décrocher la géographie de la création de pôles d'intelligence administrative et de remédier ainsi aux écarts de qualité aujourd'hui constatés qui peuvent être sources d'insécurité juridique pour les élus. De tels pôles garantiraient d'ailleurs aux maires une même qualité sur l'ensemble du territoire. En outre, la réforme actuellement en discussion devrait apporter des outils pour activer les fusions de communes et favoriser l'émergence d'une logique de services administratifs aux compétences géographiques dépassant les circonscriptions politiques. D'ailleurs, on observe une démarche analogue dans les grandes entreprises qui accroissent simultanément leur puissance et la déconcentration de leurs entités locales dans un souci de proximité et d'efficacité. Pourquoi les grandes régions métropolitaines ne délégueraient-elles pas à des pôles départementaux un certain nombre de tâches, comme l'accompagnement local des politiques sociales, tandis que les communes pourraient déléguer les tâches administratives, dont le suivi leur est difficile, à des pôles de mutualisation de services à l'échelon intercommunal ?

Le seuil de 20 000 habitants ne devrait pas être retenu pour les établissements publics de coopération intercommunale puisque prendre le nombre d'habitants comme seul critère de légitimité relève d'un cartésianisme suranné. Il vaut mieux prendre en compte les bassins de vie et leurs interactions, ce que, du reste, ne fait pas l'actuel projet d'organisation territorial qui fait fi de l'histoire et des flux entre ces bassins et leurs habitants ! Seule une réflexion pertinente sur la notion d'offre territoriale aurait permis de redéfinir les contours des régions, en fonction de la réalité quotidienne de nos concitoyens et des perspectives de développement et d'attractivité. Je crains que la configuration bientôt retenue pour notre organisation territoriale ne réponde pas aux défis du monde de demain et qu'elle suscite l'incompréhension des Français qui seront tentés par des réflexes identitaires extrêmement lourds et considéreront cette réforme comme aiguillée par la recherche du pouvoir et non comme l'expression d'un projet de société.

M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie, monsieur le Président, pour votre intervention dont le contenu nous prouve que nous avions raison de vous entendre. Nous souhaitons donner en effet du sens à cette réforme territoriale qui ne doit pas se limiter à un transfert de compétences entre collectivités, mais contribuer au développement de notre pays. Je rappellerai, sur ces chantiers de l'avenir que vous appeliez de vos voeux, que la composition de notre commission, avec deux rapporteurs issus de la majorité et de l'opposition sénatoriales, reflète le souci qui est le nôtre, et que vous partagez, d'un consensus le plus large sur le contenu de cette réforme.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - L'audition du Président Delevoye nous incite, comme chaque fois, à placer la prospective au coeur de notre vision de législateur. Parmi les lois que nous avons votées, celles de 1982 présentaient cette dimension prospective dont les autres lois décentralisatrices ne sont, finalement, que la continuité. Le contrôle relève également d'une forme de propension naturelle de l'État, qui n'est plus un acteur du développement économique à part entière mais dont l'administration ne répond pas aux besoins exprimés localement. En outre, nous avons modifié la Constitution pour permettre aux collectivités ultramarines, dont chacune d'elles présente des spécificités institutionnelles, voire organiques pour la Nouvelle-Calédonie, de mieux s'organiser en fonction de leurs caractéristiques géographiques. D'ailleurs, les plus performantes d'entre elles ont choisi de fusionner le département et la région, ce qui a conduit à modifier la Constitution pour autoriser une telle démarche ! Si l'on ne peut supprimer un niveau de collectivités sans modifier la Constitution, il est possible de créer, par la loi, des collectivités spécifiques, à l'instar de la métropole de Lyon. On peut très bien créer une collectivité unifiée de l'Alsace par la loi ! Il n'y a donc plus d'obstacles constitutionnels pour assurer une telle démarche.

La fusion des départements, prévue par la loi du 16 décembre 2010, puis supprimée, devrait être autorisée à nouveau. Il est parfois difficile cependant d'entrevoir le lien entre départements et régions ; comme je le dis souvent, il y a des Picards, mais pas de Picardie ! Même si je suis très en faveur de la décentralisation, il me faut reconnaître que certains élus peuvent se tromper et qu'une forme de contrôle doit être maintenue et aller au-delà du contrôle a posteriori , voire de celui conduit par la Cour des comptes qui ne peut empêcher certains investissements aux finalités incertaines et aux conséquences désastreuses pour les finances des collectivités locales ! Les exemples abondent de ces investissements de prestige surdimensionnés par rapport aux collectivités où ils étaient conduits !

Il faudrait également s'interroger sur le contenu des schémas régionaux au caractère prescriptif. Certes, le schéma de développement de la régional d'Île-de-France est cohérent et l'ensemble des schémas de développement locaux des collectivités de cette région doivent s'y conformer. Cette exigence concerne également les plans locaux d'urbanisme. Cette réalité implique de doter la région de réelles responsabilités en la matière.

Il me semble enfin que le numérique ne peut pas tout régler. En effet, plus il y a de numérique, plus la présence humaine est nécessaire. Si cette condition n'est pas réunie, la diffusion du numérique devrait conduire à un appauvrissement de la démocratie au sein des territoires qui connaissent déjà de sérieuses difficultés. En effet, nombreuses sont les personnes pour lesquelles l'usage des nouvelles technologies est difficile et qui éprouvent le besoin d'un interlocuteur pour les guider dans leurs démarches.

M. Jean-Pierre Vial . - Suite aux propos fort intéressants et stimulants tenus par le Président Delevoye, j'aurai une question sur l'effet de la décentralisation. À la suite des Trente Glorieuses qui marquent le développement sans précédent de notre pays, on pourrait évoquer les « Trente heureuses » qui scandent le formidable développement économique conduit par les acteurs locaux, sous l'effet de la décentralisation amorcée en 1982. Il faudrait évaluer l'apport de la décentralisation dans la modernisation de notre pays et ce, tandis que la réforme que nous examinons actuellement conduit à une recentralisation rampante. Les propos tenus par le Président Delevoye nous exhortent à alléger le carcan administratif et s'inscrivent à l'opposé de ce qui nous est proposé. Alors que l'on constate que la réforme proposée renforce le paradigme de l'État centralisateur, quelle pourrait être la manière d'en modifier le dispositif afin d'assurer une plus grande décentralisation sans laquelle le développement des territoires me paraît compromis ?

M. Jean-Paul Delevoye . - Le numérique va en effet renforcer le besoin en contacts humains car si le numérique va individualiser l'offre administrative, la compréhension de son mode de fonctionnement implique un accompagnement. La décentralisation a en effet concouru à l'accélération du développement et de l'équipement de nos territoires. Mais force est de constater une fausse donne affectant initialement les relations entre l'État et les collectivités territoriales puisque, de 1982 à 1992, les dépenses de fonctionnement ont été valorisées au détriment de l'investissement public. Si une commune, par exemple, transférait la totalité de ses charges à l'échelon intercommunal, elle continuerait à toucher la même dotation communale tandis qu'augmenterait, dans le même temps, la dotation intercommunale.

J'aurais souhaité que l'évaluation de la décentralisation conduite de 1982 à 1992 concernât autant ses points positifs que négatifs. Le système reposant sur les compensations financières grève le budget des collectivités locales qui sont désormais soumises à l'arbitrage de l'État qui ne peut plus soutenir le développement local, engendrant une sorte d'auto-asphyxie du modèle institué à partir de 1982.

Comment faire en sorte que les dotations de l'État permettent d'optimiser les dépenses d'investissement et que les prochaines fusions entre échelons administratifs n'induisent pas, au final, une hausse des dépenses de fonctionnement ? Les départements qui se sont engagés dans la mutualisation, de façon volontaire, devraient être incités financièrement à la maîtrise des coûts de fonctionnement.

L'acceptation de l'impôt, sa nature, ainsi que sa dynamique même doivent également faire l'objet d'une réflexion. En effet, il me paraît évident que si la nature fiscale demeure différente de celle de la dépense, le risque d'une rupture d'égalité pourrait concerner certains départements connaissant un accroissement de la démographie des personnes âgées avec, en retour, une diminution de leurs ressources, vis-à-vis de la politique de solidarité nationale.

Enfin, il m'apparaît que d'autres questions n'ont pas été abordées, comme celle des services départementaux d'incendie et de secours : sommes-nous dans une démarche de responsabilisation impliquant un dialogue entre l'État et les départements ?

Les lois comme celle que vous examinez à présent devraient, au contraire de ce que nous constatons, jeter les bases d'un partenariat gagnant-gagnant entre l'État et les collectivités territoriales.

M. Philippe Bas , président . - Merci, Monsieur le président, pour votre contribution et celle du Conseil économique, social et environnemental que vous présidez, à la réflexion conduite par notre Commission des lois.

Audition M. Christian Vigouroux, président de la section du rapport et des études du Conseil d'État (Jeudi 20 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Je vous transmets les excuses de M. Sauvé, vice-président du Conseil d'État, qui ne peut être parmi nous aujourd'hui : nous aurons d'autres occasions de l'entendre. Nous recevons M. Christian Vigouroux, président de la section de l'Intérieur du Conseil d'État.

Nombre de nos interlocuteurs ont insisté sur la nécessité de simplifier, clarifier les compétences, renforcer la lisibilité des politiques publiques. Or les mêmes considèrent souvent qu'il faut accepter de ne pas mettre toutes les collectivités territoriales sous la même toise et qu'à l'exception des communes, qui doivent conserver la clause de compétence générale, il faut les transformer en collectivités territoriales spécialisées... à condition qu'elles coopèrent entre elles, ce qui requiert des schémas d'organisation, et que les délégations soient possibles. Simplicité ?

Nous souhaitons vous interroger sur des points précis et délicats. Faut-il adapter le droit aux spécificités des territoires ? Que signifie la délégation d'un pouvoir réglementaire aux régions ? S'agit-il d'adapter les modalités d'application de certaines lois ? De prévoir des procédures de déclenchement de l'initiative législative par le vote d'une collectivité territoriale ? De conférer aux collectivités territoriales une faculté d'expérimentation ?

Le texte que nous examinons comporte des schémas régionaux prescriptifs. L'approbation préalable de ces schémas par le préfet inquiète certains élus, car elle rappelle l'acte de tutelle le plus fort qui existait avant la décentralisation.

M. Christian Vigouroux, président de la section de l'intérieur du Conseil d'État . - Le Sénat dispose évidemment de toutes les lumières souhaitables en matière juridique. Nos avis ne sont pas publiés, je m'en tiendrai donc nécessairement à la loi. Mais depuis quelques années, nos rapports publics révèlent - avec l'aval du Gouvernement - une large part de nos avis, qu'ils soient rendus sur des questions ou sur des textes.

Le pouvoir réglementaire des régions est inscrit dans la Constitution. Si une question se pose, elle ne concerne donc que les modalités. Il nous arrive de refuser la mention du pouvoir réglementaire des régions dans un texte de loi : nous le faisons au motif qu'elle est inutile, ou qu'elle peut entraîner la nécessité d'ajouter la même précision pour les autres collectivités. Les gouvernements ont parfois du mal à entendre cette position, mais le Conseil d'Etat est adverse à la répétition des dispositions constitutionnelles dans les lois.

Ce pouvoir réglementaire se manifeste de mille manières : par exemple, dans un avis rendu sur une proposition de loi de simplification des normes, déposée par le sénateur Doligé, nous avons affirmé qu'une disposition donnant au président du conseil général le pouvoir d'adapter les critères d'agrément des assistants maternels ne se heurte à aucun principe de valeur constitutionnelle. La décision du Conseil constitutionnel de 2002 sur la loi relative à la Corse énumère les conditions dans lesquelles le législateur peut détailler les modalités du pouvoir réglementaire d'une collectivité territoriale. Il n'est ni originel ni autonome comme celui de l'article 21 de la Constitution. Notre avis de 2002 précise que c'est au législateur de moduler le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, matière par matière et au cas par cas. C'est une autre raison pour laquelle nous sommes réticents à le voir mentionner dans la loi. Ce pouvoir réglementaire ne s'exerce que pour les compétences des collectivités territoriales et sous réserve du respect des grands principes du droit. Lors du vote de la loi constitutionnelle de 2003, un amendement qui introduisait la réserve des collectivités territoriales à l'article 21 de la Constitution n'avait pas été adopté. Dans l'exercice de leur pouvoir réglementaire, les collectivités territoriales doivent respecter le principe d'égalité. Une collectivité peut exonérer les entreprises de certains impôts, mais dans un but général et en fonction des différences objectives de son territoire, comme l'a déclaré le Conseil constitutionnel le 20 avril 2012.

La loi module au cas par cas le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales : le RSA est entièrement défini par l'État, les exonérations d'entreprise, non. Notre avis du 15 novembre 2012 insiste sur la nécessité de bien articuler le pouvoir réglementaire d'une collectivité territoriale avec celui du Premier Ministre comme avec celui des autres collectivités territoriales. Lorsque le Gouvernement agit sur la base de l'article 37 car il n'existe pas de loi, il ne peut pas définir les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent agir : seul le législateur peut le faire. Nous avons affirmé en mai 2013 que celui-ci doit préciser les conditions dans lesquelles l'exercice du pouvoir réglementaire par une collectivité territoriale peut encadrer, coordonner ou influencer le même pouvoir réglementaire d'une autre collectivité territoriale, dans le cadre de schémas en particulier.

Les collectivités territoriales peuvent fixer les modalités d'application de la loi dans les limites de leurs compétences. Elles peuvent aussi compléter les orientations nationales, comme le précise l'article L 1311-1 du code de la santé publique. Elles peuvent même les adapter, comme notre avis de 2012 l'a laissé entendre, à condition que le législateur en ait ouvert cette voie. Le Conseil constitutionnel comme le Conseil d'État ont admis qu'une collectivité territoriale peut devenir chef de file sur une compétence donnée, ce qui donne à son pouvoir réglementaire une prééminence sur celui des autres collectivités territoriales. Le même avis envisage les cas dans lesquels le silence du législateur peut être interprété comme reconnaissant le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, dans le champ de leurs compétences.

Le schéma régional prescriptif est un mode d'expression fréquent du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Il peut avoir l'ambition de traduire la clause de compétence générale de la collectivité territoriale qui l'élabore. Avec les schémas d'aménagement régionaux, nous ne sommes pas loin de la clause de compétence générale... Si cette clause est supprimée, la question se simplifiera : chaque schéma traitera la compétence de la collectivité territoriale qui l'aura élaboré.

Nous avons dans notre rapport sur le droit souple dénoncé l'enchevêtrement des schémas et les expressions telles que « tenir compte de », « s'inspirer de », « être compatible avec » ou « être conforme à ». Pour dissiper ces perplexités, nous avons produit quelques lexiques illustrés - ce qui est toujours mauvais signe... La prescriptibilité des schémas régionaux frise la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Le Conseil d'État a donc, par précaution, demandé que soit substitué le terme de compatibilité à celui de conformité et, en cas de doute, a recommandé l'approbation par le préfet, non pour rétablir une tutelle de l'État mais pour introduire un tiers médiateur.

Notre rapport public de 2011, en sa page 389, rappelle que le Conseil d'État a estimé que le principe d'égalité faisait obstacle à l'adoption de dispositions spécifiques à la région Île-de-France en matière d'intervention foncière : tout écart au principe d'égalité doit être justifié. Nous avons validé - comme le Conseil constitutionnel - la théorie du chef de file, qui crée une faille dans le dogme de l'égalité absolue des collectivités territoriales : l'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre ne fait pas obstacle à ce que le législateur organise les conditions dans lesquelles des collectivités peuvent exercer en commun certaines de leurs compétences. Toutefois, le Conseil constitutionnel a estimé le 9 décembre 2010 que l'institution du conseiller territorial, dans les formes qui lui étaient alors présentées, était une tutelle de la région sur le département. L'avis que nous avons rendu en juin 2011 sur le schéma corse a imposé que ce soit l'État qui définisse l'échelle et le degré de détail du schéma.

La clause de compétence générale est décrite dans certains traités de droit administratif, par Yves Jegouzo ou par Jean-Marie Pontier (dans son article Mort ou survie de la clause générale de compétence ) comme un mort-vivant qui ne se porte pas trop mal... Nous ne voyons pas plus d'objection à son maintien qu'à sa suppression : c'est une question d'opportunité. En principe, la compétence relève de la loi. Sans méconnaître l'article 34 de la Constitution, qui réserve au Parlement les principes fondamentaux des compétences des collectivités territoriales, un article a été introduit dans le code général des collectivités territoriales pour rendre possible un transfert de compétences entre régions et départements. Certes, les collectivités territoriales n'ont pas la compétence de leur compétence, mais à travers les transferts, les délégations et les renvois, elles s'en approchent ! Le Conseil d'État s'en est ému, et a affirmé que la compétence des collectivités territoriales ne relève pas de délégations ou de contrats entre elles. Sur ce point, le Conseil constitutionnel s'est montré plus ouvert que le Conseil d'Etat - ce qui est rare. Du coup, nous ne bloquons plus des suppressions de clause de compétence générale assorties d'un rattrapage par délégation. À titre personnel, j'en reste cependant à notre position initiale.

La clause de compétence générale est supprimable, comme l'a affirmé le Conseil constitutionnel le 9 décembre 2010. Mais il n'est jamais question de la supprimer pour les communes ! Comme il est de tradition chez nous, nous prévoyons des amortisseurs à la réforme, en veillant à ce que la suppression de la clause de compétence générale ne dénature pas la collectivité territoriale, en l'assouplissant par des délégations ou des transferts, en ouvrant la possibilité de prendre toute compétence qui n'a pas été affectée à une autre collectivité territoriale et en conservant de multiples compétences partagées : le tourisme, la culture et le sport sont réputées être des compétences insécables.

M. Philippe Bas , président . - Il n'est pas question en effet de supprimer la clause de compétence générale des communes. Elles délèguent une partie de leurs compétences aux intercommunalités. Le département ne devrait-il pas avoir une compétence de solidarité territoriale ? De nombreux conseils généraux ont conclu des contrats de territoire avec des intercommunalité ou des villes : le département aura-t-il encore sa place dans les domaines concernés ?

M. Christian Vigouroux . - Ce fut un point d'achoppement lorsque nous avons examiné les textes dont nous parlons. Qu'allait-il rester au département ? Le social ? L'article qui traitait du soutien aux collectivités territoriales était abrogé. Nous nous sommes demandé si le département n'allait pas devenir une coquille vide. Comme une disposition faisait du soutien général aux communes une compétence spéciale forte, nous avons considéré que ce ne serait pas le cas.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Dans la région Île-de-France, le schéma directeur de la région Île-de-France est approuvé non par le préfet mais par décret en Conseil d'État. Tout schéma doit être porté à la connaissance de l'État, qui doit pouvoir défendre ses intérêts fondamentaux. La multiplication des schémas est étouffante. Président d'un syndicat mixte d'études et de programmation, j'élabore un Scot. Je suis confronté à quatre schémas contradictoires ! Si la région reçoit des compétences économiques, elle doit participer à l'aménagement du territoire. Je n'ai jamais cru à la clause de compétence générale : après tout, la compétence est donnée par la loi. Laissons donc vivre le mort-vivant...

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Le Conseil d'État devrait se pencher sur l'hétérogénéité des intercommunalités et la diversité de leurs fonctionnements juridique et financier. La Cour des Comptes a affirmé que ce n'était pas la « collectivité territoriale » qui avait le mieux rationalisé ses dépenses... La notion de chef de file est un progrès. Quand le Conseil constitutionnel déclare que cela consiste à déterminer les modalités de l'action commune, c'est un peu faible ! La compatibilité est hautement nécessaire. Seuls 20 % de notre territoire sont couverts par des Scot. Comment lutter contre l'étalement urbain sans cet outil ?

L'idée en vogue actuellement est que les schémas peuvent être prescriptifs... s'ils sont élaborés en coproduction. Que signifie ce terme en droit ?

M. Éric Doligé . - Les amortisseurs ne doivent pas reproduire, après la suppression de la clause de compétence générale, des situations qui existent aujourd'hui. À cet égard, dans le cadre de la contractualisation État-région, d'autres collectivités sont invitées à apporter des financements pour des compétences qui leur sont étrangères ; mais pas question pour elles de se soustraire à cette contribution, elles seraient montrées du doigt, bannies peut-être. Écrire que les transports scolaires relèvent de la compétence des régions, mais qu'elles pourront déléguer cette compétence aux départements, c'est absurde ! Les décisions du Conseil constitutionnel peuvent-elles être renversées ? Parler de compétence sur l'économie, c'est comme évoquer la ruralité : ces termes sont trop vagues. Les compétences pourront-elles être adaptées à la taille des collectivités territoriales ? Définir un territoire en fonction de sa population et non de sa géographie pose des problèmes. Si j'admire moi aussi la qualité des études du Conseil d'État, je ne suis pas satisfait de ses décisions.

M. Philippe Bas , président . - Les sections administratives sont séparées du contentieux par une cloison étanche...

M. Éric Doligé . - Le fait que les avis ne soient pas publiés réduit la transparence de vos travaux. Bien souvent, vous convoquez le justiciable la veille pour le lendemain...

M. Christian Vigouroux . - Nous sommes attentifs à la cohérence des schémas. Nous rêvons d'un Scot qui soit une synthèse, car c'est la vocation de cet outil. Nous veillons à prendre en compte le rôle de l'État dans la préservation des grandes infrastructures et de leur cohérence. Une vue égalisatrice des intercommunalités serait réductrice. La notion de chef de file apporte une souplesse bienvenue. La coproduction, pourquoi pas ? Il faut simplement préciser clairement qui préside le groupe de travail, qui le réunit, quelle est sa composition et comment sont prises les décisions. Dès 1967, la loi d'orientation foncière prévoyait de la coproduction pour les plans d'occupation des sols. La délégation permet des modulations de responsabilité : une délégation peut être partielle, temporaire, répartie... Cette marge de souplesse est bénéfique, pourvu que les délégations ne volent pas en tous sens, ne soient pas données, reprises, rendues, redonnées. Les compétences, en effet, doivent être précisément définies. Que signifie la compétence sur l'économie : celle-ci inclut-elle les installations industrielles classées, la fiscalité, etc. ? C'est une de nos préoccupations : nous demandons souvent au gouvernement d'être le plus précis possible. Depuis quelques années, la mise à disposition de nos documents a progressé, ils sont même disponibles sur notre site internet.

M. Philippe Bas , président . - Merci. Transmettez également nos remerciements à M. Christian Vigouroux pour la contribution régulière du Conseil d'État à nos travaux.

Audition d'entreprises de travaux et de services, partenaires des collectivités territoriales (Jeudi 20 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie d'être présents pour cette audition d'un genre nouveau que nous inaugurons aujourd'hui. Dans le cadre de l'examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, nous avons souhaité élargir le spectre de nos auditions en invitant un échantillon d'entreprises. De nombreux projets d'aménagement, de développement des réseaux de transport ou des voies de communication sont menés dans les collectivités territoriales, qui, de ce fait, sont amenées à traiter avec les entreprises.

La réforme territoriale doit permettre d'apporter de nouvelles réponses aux questions économiques et d'emploi notamment. Nous souhaitons donc connaître votre avis concernant l'impact de cette réforme et les améliorations que vous en attendez.

La commission des lois a d'ores et déjà rencontré les représentants des chambres consulaires et des organisations patronales. Nous nous sommes également rendus à Chartres où nous avons pu rencontrer les représentants de deux pôles pharmaceutique et cosmétique, qui se sont développés sur plusieurs départements et même plusieurs régions.

Avant de vous écouter, il me semble important de rappeler brièvement les grandes étapes du parcours législatif d'un texte au Sénat ou à l'Assemblée nationale. Le projet de loi est d'abord examiné par l'une des commissions permanentes. La commission des lois compte 49 sénateurs. C'est sur le projet de loi modifié issu de ses travaux que le Sénat se prononcera ensuite en séance publique.

La réforme territoriale concernant directement les collectivités territoriales, le Sénat en a été saisi le premier. L'Assemblée nationale délibèrera ensuite sur le texte transmis par le Sénat et non pas sur le projet de loi initial du Gouvernement.

La commission des lois a désigné deux rapporteurs sur ce texte : M. René Vandierendonck pour l'opposition sénatoriale et M. Jean-Jacques Hyest pour la majorité, traduisant ainsi l'esprit de recherche de consensus qui anime nos travaux.

Dans le court laps de temps dont nous disposons, je souhaite que chacun d'entre vous puisse s'exprimer, puisque nous puissions vous poser des questions complémentaires.

M. Bernard Hagelsteen, conseiller du président de Vinci Concessions .- Le groupe Vinci représente 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 190 000 collaborateurs, dont 108 000 travaillent en France, et 266 000 chantiers. Vinci est une grande entreprise ou, plutôt, l'équivalent de plusieurs petites et moyennes entreprises mises ensemble.

Nous nous sentons tout à fait concernés par les dispositions contenues dans ce projet de loi.

Selon une enquête de la Banque Postale, qui dispose d'un département consacré à l'investissement public, le secteur des travaux publics représente 18 % de la dépense totale des collectivités territoriales, tous types confondus.

Nous n'avons pas de commentaires à formuler sur la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités qui pourrait être décidée. Nous travaillerons avec les collectivités que le législateur nous désignera comme interlocuteurs.

Je tiens cependant à souligner trois points.

Tout d'abord, et ce n'est pas nouveau, la France se caractérise par une particulière complexité de son secteur public, avec une certaine lourdeur, alors qu'à l'inverse, dans le secteur privé, les entreprises peuvent prendre des décisions très rapidement. J'en parle d'autant plus librement que je viens moi-même du secteur public.

Ensuite, décider qu'une entité unique, la région, rassemblera l'ensemble des compétences d'entretien et de développement du réseau routier, ainsi que le réseau des transports collectifs, me paraît tout à fait positif et cohérent au regard des enjeux et des besoins dans le domaine des transports.

Enfin, les entreprises s'interrogent sur le temps que prendra cette nouvelle définition des compétences des collectivités territoriales. Les délais ne sont pas neutres. Nous avons un vrai besoin de décisions, d'actions économiques, d'investissements... Le temps qui sera pris pour désigner l'autorité publique compétente va avoir un effet de ralentissement sur la prise de décision et donc un impact économique, puisque les collectivités territoriales sont à l'origine de 70 % des dépenses d'investissement.

Comment sera répartie la dette publique attachée aux différentes compétences transférées ? Pour les lycées, par exemple, qu'adviendra-t-il si les départements ne sont plus compétents ?

Pour 2015, les dépenses d'investissement des collectivités territoriales vont être en baisse. Avec des taux d'intérêts particulièrement bas actuellement, de nouveaux outils pourraient être utilisés par les collectivités. Je pense par exemple à l'idée, développée par l'Institut de la Gestion Déléguée et l'Union patronale des industries routières et de transports, d'un nouveau contrat d'engagement global d'entretien, d'exploitation et d'investissement, portant sur l'ensemble du réseau de transports d'une collectivité territoriale. Un tel contrat générerait une réduction des coûts d'entretien et permettrait ainsi d'accroître les investissements.

Aujourd'hui, nous devons prendre en considération la baisse importante des investissements sur les réseaux routiers non concédés. Ces systèmes de gestion sont d'ailleurs très discutés. Peut-être faudrait-il prévoir leur ouverture, quand celle-ci se fait dans l'intérêt public et permet une amélioration de la qualité du réseau et des infrastructures ?

En dernier point, les discussions autour de la réforme territoriale doivent prendre en compte les évolutions concrètes et pratiques du pays. Aujourd'hui, la moitié de la population française vit en ville, mais la moitié n'habite pas dans les centres-ville. Si on regarde les vingt agglomérations les plus peuplées, les habitants des noyaux urbains bénéficient d'une desserte importante par les transports collectifs ferrés lourds. Plus on s'éloigne du centre, plus le taux de couverture par les transports en commun diminue et l'utilisation de la voiture augmente. Il existe aujourd'hui une véritable fracture sociale entre les habitants du centre et ceux de la périphérie des agglomérations. Nombreux sont les habitants des périphéries qui ont l'impression que les décideurs publics ne se préoccupent pas d'eux. L'utilisation de la voiture génère un véritable encombrement sur les axes routiers qui relient les domiciles aux bureaux.

À cet égard, nous avons deux propositions concrètes. En premier lieu, il serait nécessaire de faire une place plus importante à l'organisation de transports collectifs sur les routes. Les décisions récentes du Conseil d'État vont d'ailleurs dans ce sens, comme en témoigne la décision rendue à propos du tunnel de Toulon. En second lieu, il faudrait développer le covoiturage, qui n'est pas suffisamment utilisé sur les trajets entre domicile et bureau, en raison de la congestion. À ce propos, les véhicules de covoiturage pourraient être autorisés à utiliser les voies réservées aux transports collectifs.

M. Pascal Grangé, directeur général délégué de Bouygues Construction . - Monsieur le Président, je vous remercie de votre invitation. Je représente le groupe Bouygues Construction, qui est un groupe dont la taille est légèrement inférieure, en termes de chiffre d'affaires, à celle de mon prédécesseur.

Par ailleurs, à la différence de Vinci, nous n'exerçons qu'une partie de ses activités, à savoir les bâtiments, les travaux et les chantiers de service public. Nous représentons un chiffre d'affaires annuel de 11 milliards d'euros et la moitié de nos collaborateurs sont localisés en France.

Concernant le projet de loi, nous aurons trois commentaires généraux.

En premier lieu, nous adhérons à l'esprit du texte. Nous croyons en effet qu'aller dans le sens du regroupement et de la mutualisation améliorera la cohérence et l'efficacité des missions à accomplir.

En deuxième lieu, nous souscrivons à l'idée de supprimer les différents étages de compétence générale. En effet, la superposition de celles-ci engendre un flou et une désorganisation peu propices à l'efficacité. Néanmoins, nous sommes vigilants quant au risque de laisser certaines compétences orphelines. À vouloir être trop prescriptif, il ne faudrait pas provoquer chez certaines collectivités territoriales de l'immobilisme.

En troisième lieu, vous le savez, les entreprises visent à la fois le long terme et le court terme. Or, si nous sommes sensibles aux réformes, celles-ci nous inquiètent lors de la période de changement. Dans cette période économique difficile, cette réforme, dont certains ressorts peuvent être incompris, ne doit pas provoquer un immobilisme préjudiciable aux entreprises.

Mme Anne Gourault, directrice déléguée du développement et des relations institutionnelles de Suez Environnement . - Merci de nous avoir invités à cette table ronde. Notre entreprise a deux activités principales : la gestion et la distribution de l'eau, d'une part, et la gestion et le traitement des déchets, d'autre part. Nous avons une ambition internationale, même si 40 % de notre chiffre d'affaires est réalisé en France.

Nous avons deux principales contributions à apporter au débat sur ce projet de loi.

En premier lieu, nous sommes favorables à la régionalisation entreprise par ce texte, notamment le renforcement de la planification régionale en matière de prévention et de gestion des déchets.

En second lieu, nous saluons le renforcement de l'intercommunalité. À notre niveau d'expert des services de l'eau et des déchets, il importe de concilier les deux impératifs de proximité et de planification stratégique. Le renforcement de l'intercommunalité permettra de mieux répondre aux nouveaux enjeux d'investissement, dans un contexte où les collectivités territoriales voient leur budget contraint.

Enfin, ce débat pourrait être l'occasion d'aborder la question des partenariats public-privé, notamment les nouveaux modes d'investissement ciblés par la loi qui a instauré les SEM à opération unique.

M. Didier Imbert, directeur des relations institutionnelles de SITA France . - Je vais aborder en particulier le contenu de l'article 5, qui prévoit une remontée de la planification de la gestion des déchets au niveau régional. Cette disposition s'inscrit dans le contexte de la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, en particulier de son titre IV relatif à l'économie circulaire. Notre métier demande un haut niveau de planification influencé directement par les directives européennes, qui prévoient à la fois des critères de proximité et d'autosuffisance minimale dans le traitement des déchets. Il nous appartient de définir les infrastructures et les capacités de traitement pour répondre aux besoins des populations en évitant aussi bien le surplus que la sous-évaluation.

Actuellement, la planification des déchets non dangereux se situe à l'échelle départementale et celle des déchets dangereux à l'échelle régionale. Une remontée au niveau régional permettrait d'avoir une vision partagée plus efficace, en particulier dans le domaine de l'économie circulaire. Cette planification intègre plusieurs schémas, dont celui visant à la promotion de la biomasse.

Alors que le débat persiste parmi les collectivités territoriales sur cette régionalisation de la planification, notre profession affiche une position partagée. En effet, l'évolution naturelle des flux de déchets incite à une mutualisation des flux plus intégrée. En effet, l'augmentation des déchets utiles va provoquer un éclatement des flux actuels. Or les centres de tri ne pourront faire face à l'accroissement de la demande d'automatisation que par la mutualisation des flux. Dans les dix prochaines années, la réduction des flux de déchets utiles réduira la rentabilité de certains centres de tri, qui nécessite un seuil critique de 100 000 tonnes.

Si l'effet de massification des flux existe, nous sommes également attachés aux critères de proximité. Dans deux régions, l'Île-de-France et l'Alsace, la planification régionale intègre déjà ces deux critères. Cette régionalisation de la planification pose néanmoins plusieurs difficultés, notamment en raison de la nouvelle carte territoriale.

Les grandes régions créent en effet un risque problématique d'éloignement des territoires. Aussi, nous proposons une transition en deux étapes : dans un premier temps, il s'agira de planification de l'ensemble des capacités de traitement des déchets au niveau d'un grand bassin de vie, voire du département. Dans un second temps, il s'agira de mettre en cohérence les différentes planifications des infrastructures nécessaires, en particulier, pour la stratégie de l'économie circulaire.

Aujourd'hui, nos régions ne sont pas nécessairement prêtes à accueillir un tel niveau de planification, aussi nous vous encourageons à mettre en place un calendrier différé pour ce transfert de compétences.

M. Igor Semo, directeur des relations institutionnelles de la Lyonnaise des Eaux . - Un des objectifs de l'article 14 du projet de loi est de regrouper les différents syndicats intercommunaux, « notamment dans les services de l'eau ». Selon la page 84 de l'étude d'impact, il existe 3 113 syndicats de gestion de l'eau pour un total de 4 600 syndicats intercommunaux. Je vous propose de comparer ces chiffres. Ainsi, 35 000 services publics de l'eau sont attachés aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale. Dès lors, un regroupement des syndicats de gestion de l'eau nous paraît favorable, afin de permettre un meilleur investissement dans le renouvellement du réseau. Nous souhaitons en effet porter cet investissement de 0,6 % par an à 1,5 % par an. Nous pensons que les services des communes isolées devraient être transférés vers des syndicats intercommunaux. Néanmoins, il ne faudrait pas obliger les syndicats intercommunaux qui ont bâti leur légitimité depuis plusieurs années à se regrouper au risque d'une explosion.

M. Thierry Durnerin, directeur général de la Fédération des entreprises publiques locales . - La Fédération des entreprises publiques locales rassemble 997 sociétés d'économie mixte, 217 sociétés publiques locales et bientôt les premières sociétés d'économie mixte à opération unique à la suite de l'initiative du Sénat, il y a un an, qui a abouti à l'adoption de la loi du 18 juin 2014.

Ces entreprises regroupent 60 000 personnes et représentent 13 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Les collectivités locales en sont les créatrices, les actionnaires de référence, les donneurs d'ordre. Bref, les élus en sont les patrons au quotidien. Ces sociétés ont toujours répondu présentes aux rendez-vous de la décentralisation. Elles entendent être, une fois de plus, à la disposition et au service des collectivités locales de demain, avec leurs compétences redéployées, d'autant qu'elles constituent un panel très large d'outils permettant de répondre aux différentes attentes des élus : SEM, SPL et SemOp.

Permettez-moi cependant d'évoquer l'inquiétude des 230 entreprises publiques locales dont l'actionnaire de référence est un conseil général. Elles emploient 10 000 personnes pour un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros dans l'aménagement, le logement, le développement économique, l'énergie, les transports, le tourisme, le haut-débit, etc. La moitié sont au service de l'ensemble des collectivités locales sur le territoire du département
- communes, intercommunalités, département lui-même - et sont ainsi l'opérateur de proximité choisi pour mettre en oeuvre certaines compétences. L'autre moitié de ces entreprises travaillent quasi exclusivement pour le département qui les a créées. Dans la réforme à venir, il ne s'agirait pas de jeter le bébé avec l'eau du bain. Il faudrait donc, dans le futur texte, quelques dispositions pour sécuriser et accompagner ces entreprises publiques locales.

M. Alexandre Vigoureux, responsable juridique de la Fédération des entreprises publiques locales . - La fédération n'a pas vocation à se prononcer sur la répartition des compétences. Toutefois, deux éléments nous semblent fondamentaux.

D'abord, il faut avoir une répartition claire, pérenne et stable des compétences pour sécuriser les participations dans les sociétés existantes et à venir. Aujourd'hui se posent déjà des problèmes de nature organisationnelle et capitalistique ; il serait préférable de ne pas en ajouter de nouveaux.

Deuxième élément : dans l'hypothèse de nouveaux transferts entre deux collectivités, il faudra veiller à ce qu'il n'y ait pas de déperdition qui laisserait une société en déshérence, afin que le rôle d'autorité organisatrice des collectivités en charge des compétences puisse continuer à pleinement s'exercer par le biais de ces entreprises. Les entreprises publiques locales sont des opérateurs et non des autorités organisatrices, rôle qu'il revient aux collectivités d'exercer. Il faudrait donc que ces entreprises sachent quelle collectivité est l'autorité organisatrice au service de laquelle elles exercent leur mission. En tout état de cause, il convient d'éviter qu'il y ait des compétences orphelines, que des compétences ou fractions de compétence aujourd'hui investies par des collectivités puissent ne pas être prises en compte dans le spectre des nouvelles compétences.

La fédération accueille très favorablement les logiques de regroupement des compétences : ainsi, la compétence « mobilité », consacrée par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, permet de faire foisonner différents services publics, au bénéfice des entreprises locales, car cela favorise la mutualisation et la création d'entités de taille suffisante.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Sur l'article 5, le but de la loi est bien de clarifier les compétences. Vous avez dit vous-même que l'échelon régional était le plus pertinent, même s'il semble difficile de ne pas consulter les départements. Le schéma régional des déchets ultimes d'Ile-de-France a ainsi été rejeté par le conseil général de Seine-et-Marne. En tout état de cause, le transfert ne sera pas immédiat et laissera le temps de s'adapter.

Bien entendu, il y aura beaucoup d'amendements pour nous demander de tout changer pour ne rien changer, comme pour les lois de décentralisation précédentes...

Concernant les compétences qui seraient oubliées, supprimer la clause de compétence générale revient bien à attribuer une compétence à une collectivité, de sorte que les autres ne peuvent plus l'exercer. Mais si, pour un domaine de compétence précis, il n'y a pas de disposition particulière, les collectivités pourront toujours prendre des initiatives.

Concernant les entreprises publiques locales, vous êtes opérateurs. Il y aura peut-être des restructurations, mais cela s'est toujours fait : ainsi, dans le domaine du logement social. Imaginons une SEM locale ou départementale aménageur de zones d'activité pour des collectivités locales ; ce n'est pas parce que la compétence économique revient à la région que les communautés de communes ou d'agglomération ne vont plus opérer sur le terrain. La région planifie mais ce n'est pas elle qui va s'occuper de telle ou telle zone d'activité économique. Certes, si le département n'est plus compétent, ce sera peut-être la communauté d'agglomération qui prendra le relais. Mais c'est la vie, réforme territoriale ou pas ! Les SEM ont évolué, connu des heurs et des malheurs...

La dernière innovation du Sénat parle bien d'un objet unique : la collectivité ne créera pas une société si elle n'a pas la compétence correspondante. Il y aura peut-être quelques exemples où la société n'aurait plus de raison d'être à la suite de la réforme mais ce ne sera pas le cas le plus fréquent.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Le problème est de construire les évolutions à venir. Vous voulez sécuriser certaines choses à l'occasion de ce projet de loi. En janvier, il y aura également le projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte. Certains pourraient également en profiter pour suggérer des dispositions supplémentaires. Il existe également une directive européenne sur la commande publique : peut-être que sa transposition serait l'occasion de mettre en cohérence l'ensemble de ces questions. Quoi qu'il en soit, nous avons bien compris vos préoccupations.

La compétence économique va certes aller à la région, mais il y aura un débat sur les contours : qui sera chargé de l'insertion par l'économique, le département au titre de sa compétence sociale ou la région au titre de sa compétence économique ? Comment voyez-vous la place de l'économie sociale et solidaire et de l'insertion par l'économique dans cette nouvelle summa divisio entre région et département ?

M. Didier Imbert . - Nous pratiquons l'insertion par l'économique depuis très longtemps. Nous avons des partenariats avec des entreprises et des associations d'insertion, notamment dans le secteur du tri des déchets.

A l'occasion du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire, des dispositions sur la responsabilité élargie du producteur ont été introduites, obligeant les éco-organismes chargés de gérer les filières à prévoir, dans leurs cahiers des charges, une part réservée à l'insertion. Dans le volet « économie circulaire » du projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte, il est également prévu que les activités liées au réemploi soient réservées à l'insertion. Je n'ai pas d'avis sur le niveau le plus pertinent d'exercice de cette compétence. Je remarque en revanche que les entreprises d'insertion ont compris qu'elles avaient besoin de sorties sur emploi marchand. Il ne faut pas arriver à un système qui détruirait des emplois marchands au profit des emplois solidaires, même si ceux-ci sont tout à fait nécessaires.

Audition, en commun avec la commission des affaires européenes, de Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, Ministre-présidente du Land de Sarre, et M. Peter Friedrich, Ministre du Land de Bade Wurtemberg, chargé du Budesrat, des Affaires européennes et internationales
(Mardi 25 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - M. le président Jean Bizet et moi-même sommes heureux d'accueillir Mme Annegret Kramp-Karrenbauer et M. Peter Friedrich.

Mme Annegret Kramp-Karrenbauer est aujourd'hui ministre-présidente de Sarre. Elle a commencé sa carrière publique en 1984 comme conseillère municipale de Püttlingen puis est entrée au Bundestag en 1998. En 1999, elle fut élue au parlement de Sarre et elle a rejoint en 2000 le gouvernement de la Sarre où elle a occupé différentes fonctions ministérielles. Mme Kramp-Karrenbauer est devenue Ministre-présidente de la Sarre le 10 août 2011. Elle a présidé en 2008 la Conférence permanente des ministres de l'éducation des Länder et elle est plénipotentiaire chargée des affaires culturelles franco-allemandes depuis août 2011.

M. Peter Friedrich est devenu en 1992 suppléant du président régional de l'organisation de jeunesse du Bade-Wurtemberg, puis en 1997 président régional de la même organisation. Parallèlement, il devient membre du comité directeur du SPD. En 2005, il fut membre du Parlement fédéral allemand et, depuis mai 2011, il est ministre chargé du Bundesrat, de l'Europe et des affaires internationales du Land de Bade-Wurtemberg, ce qui fait de lui un membre du Bundesrat. Depuis mai 2011, il est également président de la commission des questions de l'Union européenne au Bundesrat.

Nous vous avons invités car nous sommes en train d'examiner le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République qui vise à mieux répartir les compétences entre les différents niveaux de collectivités. La commission des lois a nommé deux rapporteurs, M. Jean-Jacques Hyest, membre du groupe UMP, et M. René Vandierendonck, membre du groupe socialiste. Ce choix démontre notre volonté de parvenir à un large consensus sur cette réforme et c'est pourquoi il nous a semblé utile de comparer notre organisation territoriale à la vôtre, qui est fort différente. Notre pays est traditionnellement centralisé et les collectivités territoriales dépendent fortement de l'État pour leur financement, la part des impôts étant minoritaire dans leurs ressources.

Le texte vise à renforcer le pouvoir des régions au détriment de celui des départements. En outre, et cela vous étonnera sans doute, notre gouvernement a souhaité redessiner la carte des régions, chose qui serait impensable dans votre pays. Nos régions ne sont pas héritières d'une longue histoire mais le fruit d'une décision politique nationale.

Votre système fédéral nous intéresse car, en dépit de notre centralisation historique, notre pays accorde depuis 1982 de plus en plus de pouvoirs aux collectivités.

Enfin, la Constitution confie au Sénat le soin de représenter les collectivités territoriales, si bien qu'il examinera ce projet de loi avant l'Assemblée nationale. La commission des lois poursuivra donc son travail jusqu'à la mi-décembre avant que ne commence le débat dans l'hémicycle.

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - À mon tour, je salue Mme Annegret Kramp-Karrenbauer et M. Peter Friedrich. Je me permets également de saluer votre ambassadeur, Mme Susanne Wasum-Rainer, avec laquelle nous avons des contacts suivis puisque l'ambassade d'Allemagne nous invite très régulièrement.

À l'occasion de la réforme de la PAC de 2011, des membres du Bundesrat étaient venus nous rendre visite pour que nous parvenions à une position commune : lorsque c'est le cas, la France et l'Allemagne se font plus aisément entendre à Bruxelles.

Nos systèmes respectifs sont largement le résultat des legs de l'histoire. Le fédéralisme a marqué l'unité allemande alors que la France privilégiait un système unitaire qui s'est décentralisé depuis une trentaine d'années avec, parfois, des tentatives de recentralisation.

Comment gérer au mieux nos services publics, comment prendre en charge l'action sociale, comment favoriser le développement économique dans nos territoires, quelles infrastructures devons-nous réaliser, comment promouvoir un développement durable ? Voilà quelques-unes des grandes questions auxquelles toutes nos collectivités doivent apporter des réponses. Pourrez-vous donner des précisions sur les moyens financiers et humains dont vous disposez pour exercer vos compétences ? Les nouvelles règlementations européennes induisent des préoccupations communes : nous échangerons prochainement avec M. Friedrich au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) lors de la session à Rome. La commission des affaires européenne a récemment émis un avis politique après un débat sur le paquet déchet qui inquiète les collectivités, qu'elles soient françaises ou allemandes.

Nous portons aussi une attention toute particulière aux fonds structurels : la consommation des crédits n'est pas toujours satisfaisante. Nous devons donc identifier les blocages.

Enfin, nous travaillerons avec la commission des affaires économiques sur le plan d'investissement de 300 milliards d'euros que la Commission européenne va présenter.

Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-présidente du Land de Sarre . - Cette invitation témoigne d'une profonde confiance entre votre pays et le mien et de l'intense et fructueux échange que nous entretenons.

Aujourd'hui, 60 % des enfants de Sarre apprennent le français, soit le taux le plus élevé de tous les Länder. Le gouvernement de Sarre a présenté en janvier dernier un ambitieux projet pour l'avenir européen puisqu'il souhaite que la Sarre devienne plurilingue en l'espace d'une génération, le français complétant l'allemand. La Sarre sera alors le seul Land plurilingue de la République fédérale d'Allemagne. Des éducateurs de langue maternelle française accompagneront dès le plus jeune âge la génération qui vient de naître.

La Sarre veut être le médiateur des intérêts français et une porte d'entrée sur l'Allemagne.

La Sarre va créer des pôles de compétitivité, des clusters , sur le modèle français. Nous souhaitons commencer par l'industrie automobile qui est aujourd'hui le secteur industriel le plus important avec 80 000 employés au niveau transfrontalier. Cette coopération suppose de comprendre et de connaître son partenaire. La coopération transfrontalière entre nos deux pays est unique en Europe et elle va permettre de construire l'avenir.

Mon quotidien est marqué par les acquis de notre coopération. Ainsi en est-il de l'université franco-allemande de Sarrebruck qui permet à plus de 5 000 étudiants par an de passer la moitié de leurs études en Allemagne et l'autre moitié en France, du secrétariat franco-allemand des échanges en formation professionnelle avec plus de 4 000 apprentis par an dans 50 domaines d'apprentissage, du lycée franco-allemand avec plus de 1 000 élèves. La coopération franco-allemande universitaire concerne 450 étudiants et 2 500 jeunes ont déjà obtenu un double diplôme. Il existe aussi un réseau de 100 crèches bilingues en Allemagne et en France.

Chaque jour, 18 000 frontaliers se rendent en Sarre, 1 000 en Lorraine et 8 000 au Luxembourg. Environ 70 % des importations et des exportations sarroises sont réalisées dans l'Union ; 106 filiales et succursales d'entreprises françaises sont enregistrées en Sarre où elles y emploient 3 000 personnes et 67 entreprises sarroises avec 119 succursales sont implantées en France.

Des textes permettent de signer des accords et des traités au niveau régional : nous voulons garantir la sécurité juridique des structures de coopération afin de maintenir la continuité des réseaux et des structures transfrontalières. Le droit à l'expérimentation en France nous semble opportun car il donnera aux régions transfrontalières une certaine autonomie, notamment pour gérer les fonds européens.

Les régions transfrontalières sont confrontées à des défis particuliers : la grande région Saar-Lor-Lux est un réseau de coopération dont l'intensité est unique dans l'Union européenne : un État national souverain, le Luxembourg, collabore avec succès avec des Länder fédérés mais aussi avec la Lorraine et la Wallonie.

En France, nous sommes confrontés aux défis des différentes structures administratives. Il serait souhaitable que votre réforme territoriale renforce les relations franco-allemandes en prenant en compte l'importance des régions transfrontalières.

Vive la France, vive l'Allemagne et vive la coopération transfrontalière !

M. Philippe Bas , président . - Merci pour cette intervention qui a touché le coeur de mes collègues. Vous avez montré votre intérêt pour le droit à l'expérimentation et pour la coopération transfrontalière qui peut aller au-delà de nos régions respectives.

Merci aussi de vous être exprimée en français.

M. Peter Friedrich, ministre du Land de Bade-Wurtemberg, chargé du Bundesrat, des Affaires européennes et internationales . - Merci pour votre invitation.

Le Bade-Wurtemberg et la France ont une frontière très perméable de 184 kilomètres. Ma région n'aurait jamais existé sans Napoléon et divers Länder ont dû leur création à la France. A contrario , Montbéliard était la résidence du duc de Wurtemberg au XIV ème siècle. Nous avons donc des liens étroits depuis très longtemps. Les Allemands se rappelleront toujours du discours de Charles de Gaulle en 1963 sur le traité d'amitié franco-allemand... Le Bade-Wurtemberg est proche de l'Alsace et il s'agit du premier foyer de coopération européenne. Nous avons un euro-campus avec Fribourg, Strasbourg, Karlsruhe et Bâle. Notre région accueille plusieurs dizaine de milliers de frontaliers chaque jour. Il s'agit d'un exemple vraiment réussi d'intégration européenne. N'oublions pas les 400 jumelages entre nos villes

Nous voulons développer la formation en alternance avec l'accord-cadre sur la formation professionnelle ainsi que la transition énergétique bien que nous n'ayons pas les mêmes intérêts de part et d'autre. Pour les déchets, nos initiatives mutuelles pourraient déboucher sur des projets de coopération à l'exportation.

Votre réforme territoriale sera certainement décisive pour votre pays mais aussi pour la coopération transfrontalière. Le maire de Kehl, lors de son départ, a dit que pendant ses seize ans de mandat, il avait travaillé en bonne intelligence avec Strasbourg, mais qu'il n'avait toujours pas compris comment la mairie fonctionnait. Et M. Ries peut en dire de même pour la mairie de Kehl. Mais ces incompréhensions n'empêchent pas de travailler ensemble.

Votre réforme territoriale ne peut aboutir à une parfaite homogénéité entre nos institutions. En revanche, nos relations doivent être parfaites. Notre système fédéral tient au fait que l'État allemand est né très tard et que les Länder, les communes et les villes ont toujours joué un rôle de premier plan. Leur autonomie en matière de recettes n'est pas totale. En revanche, elle l'est pour les dépenses. Notre système fiscal nous permet de collecter directement certaines taxes. Le Bade-Wurtemberg compte 10,5 millions d'habitants et son budget annuel s'élève à 40 milliards d'euros.

L'échelon national est compétent en matière de défense et d'emploi, mais la plupart des organes d'exécution sont aux mains des Länder et des communes.

La loi accorde aux Länder des dotations financières et un pouvoir de décision. Ils jouent un rôle national très important : le Bundesrat est la seule chambre parlementaire au monde qui est constituée de gouvernements. En matière de droit européen, le Bundesrat a quasiment le même rôle que l'État fédéral. Bien qu'ils n'aient pas de pouvoir en matière de politique étrangère, ils mènent des politiques d'accompagnement, notamment en matière transfrontalière. Dans le domaine éducatif et culturel, le Bundesrat représente la République fédérale d'Allemagne et il dispose d'une représentation à Bruxelles. Enfin, il a conclu des partenariats régionaux, notamment avec l'Alsace et la région Rhône-Alpes.

Nous avons constamment des débats sur l'évolution du fédéralisme, en particulier sur la répartition des moyens financiers entre l'État fédéral et les Länder. Nos compétences sont réparties entre les différents échelons et, parfois, nos marges de manoeuvre sont un peu limitées, surtout en matière européenne.

Je ne vais pas vous donner de conseils sur le découpage de vos régions mais nous espérons que nous pourrons continuer à travailler ensemble. Je crains que nous nous retrouvions avec des régions immenses ce qui diluerait l'intérêt des projets transfrontaliers.

Nous avons mis en place un certain nombre de structures transfrontalières, comme les eurodistricts ou la conférence franco-germano-suisse du Rhin supérieur. Si nous arrivons à tirer profit de notre potentiel géographique, nous aurons sans doute plus d'écoles et d'universités que d'autres régions plus centrales, à condition de travailler de façon transfrontalière. Avec la France, nous avons affaire à des trinités de compétences : le département, la région et l'État. Nous espérons que la réforme dira qui est compétent et dans quel domaine. La répartition des compétences est plus importante que le découpage des régions.

Comme l'a dit Mme Kramp-Karrenbauer, vive l'amitié franco-allemande !

M. Philippe Bas , président . - Mes collègues ont beaucoup apprécié votre intervention qui nous a permis de comprendre comment vous perceviez notre pays, même si vous avez pris soin de ne pas interférer avec nos débats en cours.

Vous appelez de vos voeux une meilleure répartition des pouvoirs entre l'État et les régions alors que le projet de loi insiste plutôt sur la répartition de ceux-ci entre les départements et les régions : la définition des compétences est au coeur de nos réflexions.

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Les répartitions de compétences vous semblent plus importantes que le tracé des régions, mais notre gouvernement a commencé autrement.

Depuis des décennies, la France a du mal à faire émerger un modèle de formation par alternance aussi performant que le vôtre. En Allemagne, les métiers manuels sont bien plus valorisés que chez nous. Comment faire pour améliorer les choses en dépassant le cadre transfrontalier ?

Notre région n'arrive pas à consommer les fonds structurels européens. Comment faites-vous ? Avec les nouvelles modalités de répartition, les régions qui ne consomment pas la totalité des fonds qui leur sont attribués se voient pénalisés l'année suivante par de moindres dotations.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Nos collègues députés auraient dû écouter M. Friedrich : leur regard aurait peut-être été moins hexagonal lors du découpage des régions.

Vous évoquez des coopérations transfrontalières mais aussi des difficultés avec la France dues aux diverses strates de compétences. En Allemagne, qui est compétent en matière d'université, de recherche et d'emploi ? Nos régions ne seraient-elles pas mieux à même de traiter de ces questions ?

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Est-il préférable d'avoir des dotations garanties par la Constitution ou une autonomie fiscale contingente ?

Vous prônez l'expérimentation pour les territoires transfrontaliers. Enfin, vous souhaitez la simplification des compétences dans notre pays. Comment adapter la règlementation à la diversité des situations et des territoires, sachant que nous sommes soumis à un contrôle de légalité ?

M. Pierre-Yves Collombat . - Je remercie nos invités. En France, l'Allemagne est une référence, mais j'ai cru comprendre que la répartition des compétences n'y est pas toujours aussi claire, car les Länder sont le bras armé de l'État fédéral, d'où certains chevauchements.

M. Jacques Bigot . - Pour améliorer les relations transfrontalières avec la Sarre et le Bade-Wurtemberg, il faut l'Alsace-Lorraine !

La France cherche à doter les grandes régions de compétences économiques. Qu'en est-il en Allemagne ? Nous sommes focalisés sur nos très grandes entreprises alors que l'économie allemande semble plus portée par les entreprises elles-mêmes que par le politique.

M. Michel Amiel . - La réforme des métropoles va se faire dans les Bouches-du-Rhône contre l'avis de 109 maires sur 119. En Allemagne, qui est compétent en matière sociale et de droit du sol ?

M. Mathieu Darnaud . - Le budget de la région Rhône-Alpes s'élève à 2,5 milliards d'euros, alors que le Bade-Wurtemberg dispose de 40 milliards d'euros.

Dans le débat sur la réforme territoriale, il y a les tenants du département et ceux de la région. Dans le Bade-Wurtemberg, comment s'exerce la répartition des pouvoirs entre le Länder et le Länderkreis ?

M. Yves Pozzo di Borgo . - Même au Sénat, certaines régions sont plus fortes que d'autres : les Normands dirigent cinq commissions sur sept, plus la questure !

J'ai longtemps fait partie de l'inspection générale de l'éducation nationale. Quoique l'un de ses ministres l'ait comparée à un mammouth, sa structure centrale est assez faible ; beaucoup de compétences sont exercées au niveau local, mais toujours a minima : les budgets sont gérés depuis Paris, les inspecteurs d'académie n'ont pas tout pouvoir, le nombre d'enseignants par discipline étant déterminé au niveau central... Les seules compétences véritablement décentralisées sont la construction des établissements et la gestion des agents techniques et de service. Ce ministère serait depuis longtemps plus efficace s'il était davantage décentralisé. Comment nos amis allemands gèrent-ils leur système éducatif ?

M. Philippe Bas , président . - Les Länder subventionnent-ils les projets d'investissement des districts et des villes qui les composent ? Qui s'occupe de la construction et de l'entretien des routes ? Qui décide de l'implantation des collèges ? Les districts, enfin, ont-ils des compétences en matière de développement économique ?

Mme Annegret Kramp-Karrenbauer . - Nous n'avons pas la même conception de l'État. L'Allemagne fédérale a toujours eu une structure décentralisée : les Länder sont l'ossature de la République. Il n'est pas faux de parler de « mythes » : 90 % des parents allemands vous diraient qu'ils préfèrent le système d'éducation centralisé à la française. Or les Länder ont les compétences de la politique scolaire, de la gestion de la police et d'une partie de celle de la justice. Il en résulte une concurrence entre Länder, du fait notamment que les structures scolaires ne sont pas partout les mêmes. Près de 60 % des écoliers de Sarre apprennent le français, mais ne retrouvent pas cette possibilité s'ils déménagent, par exemple, en Rhénanie-Palatinat. L'équivalent allemand du baccalauréat varie d'une région à l'autre. L'étude Pisa a révélé les difficultés qui découlent de ces disparités. La perception des problématiques varie d'un Land à l'autre - à l'exception de la formation en alternance : l'administration fédérale contribue à son organisation, en coordination avec les employeurs et les syndicats, afin de définir les différents métiers et les contenus enseignés. C'est un aspect de notre système qui fonctionne très bien. L'enseignement supérieur est, lui, du ressort des Länder, même si l'État fédéral s'est beaucoup engagé, ces dernières années, dans le domaine de la recherche et si la Loi Fondamentale a été modifiée en ce sens. Les Länder débattent actuellement d'une extension de cette coopération à l'enseignement secondaire.

En matière de sécurité intérieure, seule la police aux frontières relève de l'État fédéral. L'administration de la justice dépend elle aussi largement des Länder. La coopération avec l'État s'est cependant améliorée dans ce domaine comme dans celui de l'éducation. Les cadres des forces de police suivent des formations communes et nombre de tactiques sont développées en commun. Des effectifs peuvent, en cas de besoin, être détachés d'un Land à l'autre.

Les finances des Länder présentent d'importantes différences. La Sarre, région industrielle, a été rattachée tardivement à l'Allemagne, si bien que les sièges de ses grands groupes se trouvent plutôt au Bade-Wurtemberg, qui perçoit l'essentiel des recettes fiscales. Un système de péréquation est donc nécessaire, tant entre Länder qu'entre échelon fédéral et régional. C'est une pierre d'achoppement de nos négociations.

Le développement de notre économie bénéficie de certains programmes européens ; les Länder en pilotent d'autres. La Sarre s'attache à les concerter pour en obtenir le meilleur impact. Nous souhaitons pouvoir proposer des zones industrielles à des prix intéressants afin de soutenir les entreprises qui créent des emplois.

La question des infrastructures est d'actualité : outre les autoroutes, construites et entretenues par l'État, les projets des Länder concernant leur propre réseau routier sont annoncés dans le cadre de plans de transport. Nous avons également besoin d'infrastructures numériques établissant des connexions rapides, notamment grâce à la fibre optique : c'est un argument important pour attirer les entreprises.

La coopération transfrontalière a fait en quelques années des progrès considérables, même si des difficultés surgissent parfois lorsque nous traitons avec des régions autonomes. Le sommet des grandes régions européennes peut être une occasion d'étonnement : nous ne savons pas toujours qui, parmi les représentants de différentes institutions françaises, est notre véritable interlocuteur. Ils ne sont d'ailleurs pas toujours d'accord entre eux, ni bien au fait des intérêts qu'ils défendent.

Le droit à l'expérimentation doit être défini en adoptant le point de vue des citoyens. Certains habitants de la Sarre se rendent quotidiennement en Moselle ; pour eux, le passage transfrontalier est une réalité bien plus concrète que l'État fédéral : Paris est plus proche que Berlin. Mes concitoyens aspirent à une bonne qualité de vie, à un accès facile aux emplois et à la sécurité, sans obstacle aux frontières. Les policiers français doivent pouvoir poursuivre un malfaiteur en Allemagne, avec leurs armes, sans autorisation spéciale ; un malade doit pouvoir accéder aux urgences de l'hôpital le plus proche, même s'il se trouve de l'autre côté de la frontière.

La formation en alternance est l'un des aspects concrets du phénomène transfrontalier. Près de 8 % des jeunes de Sarre sont au chômage et, du fait de l'évolution démographique, six cents places d'apprentis n'ont pas été pourvues. La Lorraine elle, compte plus de 20 % de jeunes chômeurs. Une convention cadre permet désormais aux jeunes Français de suivre une formation en alternance dont la partie pratique se déroule en Allemagne, tandis que les cours ont lieu en France. L'inverse est proposé aux Allemands. Si les divers aspects administratifs ont été réglés, des obstacles culturels subsistent dans les esprits. Les parents français restent réticents à l'égard de la formation en alternance, en dépit d'exemples de réussite : je me suis rendue en janvier dernier dans la première section franco-allemande d'un lycée professionnel qui forme des mécaniciens de l'avionique. Elle a attiré de nombreux élèves parce que la partie française a organisé un concours de recrutement, chose impensable en Allemagne car synonyme d'élitisme. Notre ambition est de créer un réseau de lycées professionnels franco-allemands, notamment dans le domaine social et paramédical. Une action concertée en ce sens, notamment avec la Lorraine dont nous partageons beaucoup d'intérêts, a davantage de chances de réussir. Les éducateurs, comme les personnels soignants de part et d'autre de la frontière, devraient être formés ensemble. La difficulté sera évidemment d'adapter l'apport allemand aux spécificités françaises.

Certaines de nos entreprises qui apparaissent comme de grands groupes à l'étranger sont pour nous des petites et moyennes entreprises (PME), même si elles emploient plusieurs milliers de salariés. Elles sont les véritables moteurs de l'innovation qui permet à l'économie allemande de progresser. La Sarre compte ainsi plusieurs producteurs d'équipement minier qui, dans le passé, réalisaient 90 % de leur chiffre d'affaires en Rhénanie-Westphalie ou en Sarre, et 10 % à l'étranger. Cette proportion s'est inversée : la technologie de cette industrie est désormais exportée vers les mines colombiennes ou chinoises, pour un chiffre d'affaires annuel de 260 millions d'euros concentré dans une PME familiale qui n'est pas cotée en bourse. Voilà l'intérêt d'être plus novateur et plus flexible : les PME forment un tissu économique plus résistant aux crises que quelques grands groupes.

M. Philippe Bas , président . - Merci, madame la ministre-présidente. Votre réponse très complète nous a fait toucher du doigt la puissance des Länder allemands lorsqu'ils interviennent dans des domaines d'action dont certains échappent évidemment à nos présidents de région.

M. Peter Friedrich . - La réalité est une composition complexe de divers éléments : les citoyens allemands ont sur notre efficacité un point de vue analogue à celui des citoyens français sur celle de leur administration. Nous avons, nous aussi, beaucoup d'améliorations à faire. Le président Bizet m'interrogeait sur l'emploi des fonds européens : ils font l'objet en Allemagne d'une gestion décentralisée, particulièrement efficace pour la répartition du Fonds social européen (FSE).

Nos communes jouissent d'une grande liberté d'autogestion : elles disposent de leur budget et d'une compétence règlementaire en matière d'aménagement, d'urbanisme ou encore de gestion des déchets. Les districts sont organisés sur le même modèle : des compétences leurs sont attribuées et ils remplissent des missions, notamment pour le Bund . Les communes perçoivent elles-mêmes certains impôts, et peuvent en faire varier le taux. Les districts sont financés par une redevance des communes et par une subvention du Land. Nous nous efforçons de ne pas laisser la concurrence fiscale s'introduire entre nos territoires, l'évasion fiscale étant une préoccupation générale.

Les Länder sont compétents en matière d'éducation : ils sont les employeurs des enseignants et des chercheurs. Les communes mettent les locaux à disposition et déterminent les sites des nouveaux établissements. Outre ses 100 000 enseignants, le Bade-Wurtemberg emploie encore 40 000 policiers : ce sont ses deux principaux ensembles de salariés. Le Land est également compétent en matière de justice et en matière fiscale - d'où des velléités de concurrence pour attirer les entreprises. Si le Bund fait les lois, elles sont mises en oeuvre par nos agences, comme les caisses d'assurances maladie, d'assurance chômage ou de retraite, qui se gèrent elles-mêmes. Les chambres de commerce et d'industrie, ou encore d'artisanat, assurent, elles aussi, des missions de service public, notamment en matière de formation professionnelle et de contrôle économique.

L'application uniforme des lois est assurée par les juridictions, dont la hiérarchie est dominée par la Cour constitutionnelle. Leur jurisprudence est particulièrement importante dans le domaine des médias.

Les plans locaux d'urbanisme, les cadastres et, en général, le droit foncier sont du ressort des communes. Elles peuvent, lorsqu'elles se voient chargées de missions incombant normalement au Land, demander à en être relevées par l'intermédiaire du district.

Si le Bade-Wurtemberg abrite les groupes Daimler, Mercedes-Benz, Porsche, Bosch ou Hugo Boss, ils ne représentent que 2 % de notre économie. Le reste repose sur les PME qui se gèrent elles-mêmes.

La coopération transfrontalière devrait autoriser des collectivités territoriales des deux pays à se réunir en districts administratifs auxquels elles délégueraient des missions. La langue n'est pas nécessairement un obstacle : notre coopération avec la Suisse allemande n'est pas plus facile qu'avec la France.

M. Philippe Bas , président . - Merci pour vos réponses, monsieur le ministre. Les Français ont parfois une réputation d'arrogance, mais nous sommes aussi capables d'admettre humblement que nous sommes moins bien organisés que nos voisins. Nos échanges auront fait apparaître nos préoccupations communes, tout en facilitant l'acceptation de nos différences. Je laisse à Jean Bizet, orfèvre en matière de relations franco-allemandes, le soin de conclure notre séance.

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Vous nous avez apporté, monsieur le ministre, des pistes de réflexion nouvelles pour le moment où nous nous pencherons sur les compétences de nos collectivités. Dans les régions transfrontalières comme la Sarre, l'esprit européen a bien plus d'influence qu'ailleurs. Le droit à l'expérimentation avait jadis été évoqué dans certaines régions, l'exemple allemand nous incite à l'essayer à nouveau.

La formation en alternance est un enjeu fondamental qui mérite que l'on aille au-delà de la coopération transfrontalière. La sélection des élèves français par concours lui apporterait un prestige supplémentaire.

La péréquation financière est également au coeur de nos réflexions, de même que la mise à plat de la fiscalité locale. Voilà plus de vingt ans que je la défends : la mutualisation entre nos structures va dans le sens de l'histoire.

Vous avez parlé du numérique : c'est un point sur lequel nous pourrions avancer de concert. Le rapport de nos collègues Gaëtan Gorce et de Catherine Morin-Desailly sur la gouvernance européenne de l'internet a fait apparaître notre communauté de vision sur l'enjeu de l' open data . Nous ne pourrons la mettre en oeuvre qu'ensemble.

J'ai noté avec intérêt que vous aviez décentralisé la consommation des fonds structurels. Nous devrions peut-être nous en inspirer : la Basse-Normandie a manqué récemment d'obtenir 4 millions d'euros du cadre financier pluriannuel.

Vous nous donnez, dans l'ensemble, l'impression d'un grand pragmatisme : lorsqu'un Land ne peut assurer la mise en oeuvre de telle ou telle opération, vous n'hésitez pas à la déléguer. Nous aurons donc toujours intérêt à observer ce qui se passe de l'autre côté de ce qui ne doit plus être une frontière, dans le cadre de l'Europe élargie. Essayons de nous enrichir de nos différences.

Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes (Jeudi 27 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Nous avons le plaisir et l'honneur d'accueillir M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, qui pourra nous éclairer sur les enjeux financiers de la réforme territoriale. Nous devrons nous prononcer sur ce texte en décembre, et nous avons déjà procédé à de nombreuses auditions - présidents de Länder, universitaires, Conseil d'État, associations... Nous nous sommes même rendus sur le terrain, dans l'Eure-et-Loir, pour échanger avec les différents acteurs locaux de ce département.

M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes . - Je suis heureux de répondre à votre invitation.

Un certain nombre des mesures qui figurent dans le projet de loi soumis à votre examen concernent la Cour des comptes.

Ainsi, l'article 30, qui reprend l'une de nos préconisations, prévoit que l'exécutif local présentera à l'assemblée délibérante un rapport sur les suites données aux observations des chambres régionales des comptes. C'est une mesure utile qui renforcera la transparence de ces contrôles. Dans le même article, des précisions sont données sur les documents à remettre dans le cadre du débat d'orientation budgétaire qui sera organisé. Cela répond à nos recommandations pour enrichir ce débat et mieux informer les élus. Tout ce qui concerne la gestion de l'endettement et la structure de la dette sera particulièrement utile.

L'article 31 prévoit que la Cour remettra chaque année un rapport sur la gestion financière des collectivités territoriales. Nous avions anticipé, puisque nous avons présenté le deuxième rapport de ce type, il y a quelques semaines déjà. Inscrire ce rapport dans la loi va dans le bon sens. Les juridictions financières y trouveront un réel intérêt, et la Cour et les chambres régionales pourront travailler en complémentarité.

L'article 32 dispose qu'une expérimentation sera mise en place pour la certification des comptes de grandes collectivités territoriales, sur la base du volontariat. Elle ne peut être pertinente que dans le cas de collectivités d'une certaine importance ; ce ne serait qu'un excès de lourdeur pour les autres. Le dispositif proposé envisage à juste titre des travaux préalables à mener : sur quoi portera la certification ? Selon quelles modalités ? La question du compte financier unique devra également être résolue. La Cour est prête à apporter son concours à une telle expérimentation, mais la signification de « la Cour coordonne » mérite d'être précisée. Doit-il y avoir plusieurs acteurs ? Mieux vaudrait écrire « la Cour conduit » l'expérimentation, selon des modalités restant à préciser, sachant que pour l'Europe, la certification entre dans le champ concurrentiel. La Cour bénéficiera-t-elle d'un droit exclusif pour certains établissements à statut particulier ? Au-delà de l'expérimentation, je ne suis pas certain que ce soit son rôle de procéder elle-même à l'exercice de certification des comptes. Enfin, rappelons que certifier les comptes n'est pas un exercice de contrôle : vous le savez bien, puisque la Cour certifie les comptes du Sénat.

Je n'ai pas d'observations particulières sur les autres articles, sinon que la création d'un observatoire de la gestion publique locale me parait aller dans le bon sens. En revanche, certaines dispositions ne figurent pas dans le texte ; ainsi, rien n'est prévu au titre IV pour éviter que certaines collectivités, mises en garde par un contrôle budgétaire, ne récidivent dans leur mauvaise gestion des comptes.

J'en arrive à quelques remarques d'ordre général.

La Cour des comptes a eu de nombreuses occasions pour livrer ses constats ou ses observations sur la situation des finances publiques et des finances locales. Dans le cadre européen, l'État s'est engagé vis-à-vis de ses autres partenaires, non seulement sur les finances publiques, mais aussi sur les finances de la Sécurité sociale et sur celles des collectivités territoriales. Or il ne dispose pas d'outils pour faire respecter ses engagements au niveau des collectivités territoriales. Des propositions restent à faire pour améliorer la gouvernance entre l'État et les collectivités territoriales. Elles pourraient s'inscrire dans un cadre constitutionnel, puisque les articles 72 et 34 de la Constitution prévoient la « libre administration des collectivités territoriales dans le cadre des lois qui la règlementent ». Le législateur est donc en droit de fixer des règles pour encadrer les relations entre l'État et les collectivités.

Chacun doit contribuer à l'effort de redressement des comptes publics. Nous invitons l'État à clarifier ses compétences par rapport aux collectivités territoriales. À vouloir tout faire, il ne pourra plus exercer pleinement ses compétences régaliennes. Chaque nouvelle étape de décentralisation devrait s'accompagner d'une redéfinition des missions de l'État. Les juridictions financières n'ont jamais été très favorables à la clause de compétence générale. Nous verrions d'un bon oeil sa remise en cause. Il faudrait clarifier les compétences à tous les niveaux. Par exemple, dans le bloc communes et intercommunalités, on reste souvent à mi-chemin dans le partage des compétences. La mutualisation des moyens n'est pas menée à son terme, de sorte qu'elle crée des facteurs de dépenses supplémentaires plutôt que de maximiser les économies possibles. Nous avons également suggéré de conclure, au sein des intercommunalités, un pacte de gouvernance financière et fiscale. Ce pacte existe déjà ; il faudrait le rendre obligatoire. Quant aux régions, leur part de fiscalité pourrait être revue à la hausse, en fonction des nouvelles compétences qui leur seront attribuées. Enfin, des propositions restent à faire pour le calcul des péréquations.

M. Philippe Bas , président . - Le Sénat est toujours très attentif aux recommandations de la Cour des comptes. Dans les dispositions relatives à la transparence financière, vous n'avez pas mentionné l'article 33 qui inquiète les responsables des collectivités territoriales, car il est lourd de conséquences : quand l'État est condamné pour manquement à ses obligations par la Cour de justice de l'Union européenne, il peut engager une action récursoire à l'encontre des collectivités territoriales responsables du manquement. Mais s'il y a eu manquement, c'est que le contrôle de légalité a nécessairement été défaillant... La Cour des comptes s'est-elle penchée sur ce problème ? Enfin, vous nous avez dit que le Gouvernement disposait de moyens limités pour contrôler les dépenses des collectivités territoriales. La baisse des dotations est pourtant une contrainte réelle et substantielle.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - J'ai défendu l'idée de la certification des comptes, il y a vingt ans déjà. Cela fonctionnerait mieux que certains classements AAA. Je partage votre insatisfaction sur la rédaction de l'article 32. Les rapports de la Cour des comptes sur la situation des collectivités territoriales ont parfois été sévères. Néanmoins, il existe bien des communes qui récidivent dans la mauvaise gestion de leurs comptes. J'en connais ! C'est un phénomène récurrent. Quant à la clarification des compétences, elle est nécessaire. Au fil de la décentralisation, l'État a conservé ses compétences régaliennes tout en demandant de l'aide aux communes pour pallier ses manques pécuniaires. On a maintenant une police municipale à côté de la police nationale ; c'était hors de question, il y a trente ou quarante ans. Dans certains domaines, l'État accorde peu de crédits publics, tout en prétendant garder le contrôle.

Où sont les avancées de la décentralisation dans ce projet de loi ? Il ne propose en fait qu'une nouvelle répartition des compétences entre les collectivités. Les péréquations ont transformé la fiscalité locale en maquis impénétrable. Jusqu'à présent, l'État transférait des recettes sous forme de dotations, en même temps que les compétences. Une loi sur les finances des collectivités locales contribuerait à plus de clarté.

Enfin, le projet de loi ne modifie en rien le bloc communal. Ne faudrait-il pas aller plus loin ? Et pourquoi demander aux collectivités d'assumer une part si importante de l'effort de redressement des comptes publics, puisqu'elles doivent présenter des budgets en équilibre ?

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Depuis hier, Bruxelles a ouvert une procédure d'infraction sur le barrage de Sivens. L'article 33 prévoit la subrogation automatique de la responsabilité de l'État aux collectivités locales. Comme mon collègue jean-Jacques Hyest, je suis extrêmement réservé sur cette mesure. Concernant les crédits européens et leur mobilisation, l'État a mis en place une usine à gaz, dont l'exemple paroxystique est le Fonds social européen. D'autres États européens - la Belgique, par exemple - ont une procédure beaucoup plus fluide. Il y a quelques jours, une ministre- présidente allemande nous expliquait qu'elle n'échangerait pas pour tout l'or du monde la garantie constitutionnelle de ses dotations contre la prétendue autonomie fiscale dont nous nous gargarisons, ici... Selon les rapports de la Cour des comptes - que nous lisons attentivement, au Sénat ! -, l'optimisation de l'action publique doit être recherchée plutôt au niveau du bloc communal, en éliminant les doublons qui subsistent après le transfert des compétences. Pourquoi vos recommandations n'ont-elles pas d'effets ? Il y a plus de dix ans, vous avez dit que la communauté urbaine de Lyon devait prendre en charge l'entretien de la voirie dont elle avait la compétence. Pourquoi ce principe n'a-t-il pas été appliqué sur tout le territoire ? C'est parce que j'ai une haute idée de la juridiction financière que je vous fais remarquer cette disparité d'application.

Dans votre dernier rapport - et je vous en remercie - vous préconisez, pour aider des régions exsangues, de leur donner des recettes fiscales supplémentaires indexées sur leurs nouvelles compétences. Avant de créer un Ondam pour les collectivités territoriales, ne faudrait-il pas rendre leurs recettes fiscales plus cohérentes ?

M. Rémy Pointereau , rapporteur pour avis de la commission du développement durable . - J'ai été très contrarié, cet été, par les conclusions de votre rapport, reprises en boucle par les radios, selon lequel les collectivités territoriales dépensaient trop et avaient une dette abyssale. Nombre de citoyens nous ont interrogés. Vous savez pourtant d'expérience que la majorité des communes, surtout rurales, sont gérées en bon père de famille, et souvent presque bénévolement. Il aurait fallu parler davantage des transferts de compétences effectués par l'État, qui a chargé les communes ou les communautés de communes de fonctions supplémentaires : crèches, sports, PLUi, police municipale... En évoquant l'explosion de la dette, il aurait fallu mieux distinguer entre dépenses d'investissement et dépenses de fonctionnement. Contrairement à l'État, notre budget doit être équilibré et nous ne pouvons emprunter que pour investir. Rappelons-le, pour éviter d'inquiéter la population.

En quoi l'agrandissement des régions ou le transfert à celles-ci des routes départementales sera-t-il un facteur d'économies ? Les transports scolaires requièrent une gestion de proximité. Confier cette gestion à d'immenses régions, notamment dans le Sud ou l'Est de la France, générera-t-il des économies ? Il y a un ministre de l'égalité des territoires. Comment peut-on employer cette expression alors que les dotations par habitant sont, en moyenne, de 20 euros pour les communautés de communes, essentiellement rurales, de 40 euros pour les habitants des communautés d'agglomération et de 60 euros pour les communautés urbaines et les métropoles ? Pouvez-vous nous expliquer ces écarts ?

M. René-Paul Savary , rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Allez-vous faire évoluer le mode de calcul de la DGF ? Son logiciel de fonctionnement correspond à un modèle dépassé, dont la logique semble être : « Aide-toi, le ciel t'aidera » : plus on augmente la fiscalité, plus on est aidé. C'est une incitation à l'inflation fiscale. Mieux vaudrait reconnaître les efforts de celui qui gère avec rigueur et ne prélève pas d'impôts excessifs. Or, de tels gestionnaires sont actuellement pénalisés de manière systématique dans les dispositifs de péréquation.

Comment maintenir un équilibre budgétaire alors même que sont prises en permanence des mesures qui ne peuvent que déséquilibrer les budgets des collectivités territoriales, notamment des départements ? Dès 2016, les trois quarts d'entre eux ne pourront plus respecter les règles comptables d'équilibre, puisqu'ils ne pourront plus affecter leur épargne brute à l'amortissement, alors même qu'ils devront amortir les subventions d'investissement octroyées aux communes. Nous en avons longuement parlé à l'Assemblée des départements de France (ADF) : les règles comptables doivent être adaptées.

Une grande région, qui se verra confier 35 000 kms de routes, 600 collèges, 400 lycées, aura 25 000 personnels pour gérer l'ensemble ! Est-ce de la rationalisation ? Les départements qui ont fait de gros travaux sur leurs routes ou dans leurs collèges transféreront à la région un patrimoine bien entretenu et celle-ci touchera une dotation importante, puisqu'elle aura été calculée sur le fonctionnement ou l'investissement des dernières années. La situation inverse prévaudra si le département n'a pas fait son travail. Il y aura donc des déséquilibres. Cette déstructuration budgétaire ne fera qu'accentuer la pente sur laquelle glissent les budgets des départements.

Allons-nous parvenir à clarifier les compétences sociales ? Nous ne pouvons que faire des propositions par voie d'amendement, mais l'article 40 de la Constitution restreint notre marge de manoeuvre. Pour régler le problème des mineurs étrangers isolés ou celui des personnes âgées, il faut absolument clarifier les compétences des uns et des autres. Merci, en tout cas, pour le référé adressé à la ministre de la santé sur la tarification des EHPAD : les décrets ne sont pas pris, les financements mal répartis... Le dossier va peut-être enfin avancer !

M. Jean-Pierre Sueur . - Certaines des questions posées s'adressent à nous-mêmes : le Premier président n'est pas chargé de voter la loi... Son discours, très intéressant, aurait sans nul doute encore plus d'effet au Congrès des maires de France !

Vous avez raison de dire que, dès lors qu'il faut réduire la dépense publique après vingt-cinq années trop peu précautionneuses, les collectivités territoriales doivent prendre part à l'effort. Vos remarques sur l'intercommunalité sont très justes. N'y manque que l'évocation du moyen de s'assurer que, si une dépense ou une compétence est transférée, les personnels et les moyens afférents le soient aussi. Certaines collectivités territoriales sont vertueuses, d'autres, peut-être plus nombreuses, le sont moins.

C'est un partisan du non cumul qui l'affirme : dès lors que les parlementaires appelés à statuer sur l'organisation territoriale sont les représentants d'un niveau de collectivités, cela pose problème. Lorsque M. Raffarin nous a présenté sa loi de décentralisation en 2003-2004, il voulait en faire une loi pour la région. Résultat : seuls les départements ont gagné dans le processus...

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Pas vraiment...

M. Jean-Pierre Sueur . - La loi a été plus départementaliste que régionaliste. J'espère qu'il n'en ira pas de même pour ce texte, mais j'ai quelques craintes... Pourtant, les parlementaires n'ont pas vocation à se faire les relais d'un niveau territorial ou d'une strate de collectivités.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Dites-le en séance !

M. Jean-Pierre Sueur . - Nous sommes le pays au monde, à l'exception de l'Allemagne, dans lequel il y a le plus de dotation. Ce qui le justifie, c'est la mission de solidarité de l'État. Il devrait donc y avoir davantage de péréquation. Or la complexité du calcul de la DGF l'empêche. Il n'est pas possible que les ressources de grandes régions, surtout si elles ont davantage de compétences, proviennent exclusivement des dotations de l'État. La solution ? Baisser la dotation de l'État et augmenter d'autant la fiscalité locale. Bon courage !

M. Jean-René Lecerf . - Vous avez évoqué une nouvelle répartition des ressources fiscales des collectivités territoriales au profit des régions. S'agit-il de poursuivre la dévitalisation des départements ? Dans de nombreuses communes, l'État devient le principal payeur des impôts locaux, ce qui n'incite en rien à maîtriser la fiscalité locale et a même des effets pervers : membre de la commission communale des impôts directs d'une grande ville, j'ai constaté que les services fiscaux s'évertuaient à classer aussi bas que possible les bâtiments nouveaux, au risque de porter atteinte à la mixité sociale.

M. Michel Bouvard . - Merci pour cet éclairage. Je suppose que la Cour des Comptes attend de ce texte un accroissement de l'efficacité du fonctionnement des collectivités territoriales et de l'État et, donc, des économies.

Malgré la décentralisation, l'État a conservé certaines compétences, ce qui nuit au financement de ses missions régaliennes. Doit-il, dans son organisation, tirer les conséquences de la réforme de la carte des collectivités territoriales ? Par exemple, qu'adviendra-t-il des résidus du réseau routier de l'État gérés par la direction interrégionales des routes Rhône-Alpes-Bourgogne si la région devient Rhône-Alpes-Auvergne ? Il convient de compléter la RéATE à la lumière de la nouvelle organisation territoriale.

Les compétences doivent-elles être réparties uniformément par niveau de collectivité ou devons-nous, dans certains secteurs, envisager des adaptations territoriales, quitte à admettre des délégations de compétences d'une collectivité vers une autre ?

La question de la certification avait été abordée lors de la précédente réforme des juridictions financières. La Cour des Comptes ne saurait, bien sûr, mener une certification généralisée, mais elle pourrait fixer un cadre au travail d'acteurs privés, voire des orientations : information des assemblées délibérantes, structure de la dette...

Pour être efficace, la péréquation ne devrait-elle pas être plus vertueuse ? Au lieu d'avoir un effet pousse-au-crime sur la fiscalité, elle devrait prendre en compte l'efficacité de la gestion et ne pas récompenser celui qui a laissé filer la dépense.

M. Philippe Kaltenbach . - Merci pour cet exposé brillant sur les finances des collectivités territoriales. Pourriez-vous nous donner une liste exhaustive des doublons assurés par l'État malgré les transferts de compétences ? Il s'agit d'un véritable gisement d'économies. N'est-il pas temps de réformer la DGF, dont le fonctionnement est complexe, difficile à comprendre, et pas toujours très juste ? Les péréquations horizontales suscitent également des difficultés. Mieux vaudrait un système unique, juste et lisible. Tous les élus veulent davantage de moyens mais aucun ne souhaite augmenter les impôts. Nous devrions peut-être engager une réforme des bases fiscales qui fasse porter davantage la fiscalité locale sur les ménages, en l'indexant mieux sur le niveau des revenus, ce qui serait plus juste qu'un système fondé sur la valeur des biens. Les compétences, sur lesquels nous débattons, requièrent des moyens. Puisque les départements vont rester, finissons-en avec la clause de compétence générale, afin que chaque collectivité territoriale se concentre sur ses objectifs propres.

M. Didier Migaud . - Beaucoup de vos questions se rejoignent... et certaines réponses sont au-dessus de ma condition : respectueuse de l'organisation des pouvoirs publics, la Cour des Comptes n'a nullement l'intention de se substituer au législateur. Nous nous bornons à faire des constats et à formuler des recommandations. Le dernier mot appartient aux parlementaires, qui votent la loi.

Je vois que plusieurs d'entre vous ont été contrariés par notre dernier rapport sur les finances locales ; j'ai d'ailleurs eu un échange intéressant avec le comité des finances locales. Le rapport n'avait aucunement pour but de stigmatiser les élus locaux ou leur gestion des collectivités territoriales : je vous invite à le lire de bout en bout. Hélas, il peut arriver que notre message soit déformé ou réduit par les médias à quelques titres. Il y a eu, aussi, des sur-réactions à ce rapport, qui ont peut-être contribué à l'instauration d'un climat qui a pu paraître hostile. Des communiqués ont paru avant même que je ne le présente...

Nous raisonnons sur l'année 2013, à partir de chiffres officiels et des contrôles effectués par nos chambres régionales. Nous avons bien établi la différence entre la dette des collectivités territoriales et la dette de l'État ou de la sécurité sociale, en précisant dans le rapport que la première n'est pas de même nature que les deux autres, puisque les collectivités territoriales ne peuvent emprunter que pour financer des investissements. Cela dit, leurs emprunts sont comptabilisés dans la dette globale, telles que la définissent les traités européens et nos propres lois. Elles contribuent donc à la dette au sens de Maastricht, tout comme elles contribuent à la dépense. Elles sont donc responsables, pour un tiers, du non-respect par la France de ses engagements en matière de finances publiques : c'est incontestable. Bien sûr, nous avons fait remarquer que l'État contribuait aussi à la dépense locale puisqu'il prend des décisions qui ont des conséquences sur celle-ci, qu'il s'agisse de l'évolution des normes ou de la revalorisation de certaines catégories de personnel. Pour autant, les acteurs locaux ont une part de responsabilité. De même, constater que les dépenses augmentent plus vite que les recettes, ce n'est pas dénigrer la gestion des collectivités territoriales. Et les engagements de l'État valent pour tous ! Peut-être le législateur pourrait-il organiser différemment le dialogue entre l'État et les collectivités locales... mais cela dépend de vous.

Vous avez auditionné des élus allemands, qui n'ont pas de pouvoir fiscal. Pour autant, leurs recettes sont garanties et leur pouvoir, réel. En France, le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas d'autonomie fiscale aux collectivités territoriales mais uniquement une autonomie financière. Nous appelons à donner à la région une part plus importante de la fiscalité locale pour qu'elle puisse faire face aux transferts proposés par le texte.

Pour optimiser l'action publique, la clarification des compétences est essentielle. Nous avons remis il y a deux ans un rapport sur l'organisation territoriale de l'État, dans lequel nous avons formulé deux recommandations. D'abord, l'État doit mettre fin à un certain nombre de doublons et tenir compte de l'organisation territoriale dans sa propre organisation. Il doit s'interroger sur son propre fonctionnement : au 21 ème siècle, doit-il fonctionner comme au 20 ème , voire au 19 ème ? La question ne concerne pas seulement les sous-préfectures...

Le contrôle de légalité est exercé de manière très inégale selon les territoires ; savoir si l'article 33 est justifié relève de votre travail de législateur. Il est prévu qu'une commission soit mise en place, qui comprendrait pour moitié des membres du Conseil d'État et pour moitié des magistrats de la Cour des comptes, afin de proposer des solutions en cas de désaccord entre l'État et les collectivités territoriales.

Il importe également de clarifier les compétences entre les collectivités territoriales. Cela dégagera des économies, même si celles-ci ne seront pas perceptibles immédiatement. De même, des économies sont possibles dans les politiques publiques sans remettre en cause leur qualité : alors que nous sommes un des pays où la dépense publique est la plus élevée, notre score dans les évaluations est généralement médiocre. Hélas, cette réalité laisse relativement indifférents nos hommes politiques. Évaluer mieux l'efficacité de la dépense serait un facteur d'économies. Dans la santé, en particulier, il y a des marges de progrès, sans remettre en cause la qualité et l'accès aux soins. Mais pour chaque euro mal dépensé, il y a quelqu'un derrière, ce qui explique les récriminations...

Il y a aussi des marges de progression importantes dans le bloc communal. En nous appuyant sur des exemples, nous essayons de mettre en avant les bonnes pratiques. Certaines collectivités territoriales ont fait des efforts de mutualisation : nous les citons. Naturellement, certains élus peuvent ne pas se reconnaître dans nos observations : notre territoire n'est pas uniforme... ce qui justifie qu'une règle nationale s'applique différemment selon les territoires.

Dans le domaine de la santé et de l'action sociale, l'efficacité de l'action publique est obérée par la multiplicité des acteurs et, parfois, par la confusion des politiques. Il y a un gros travail d'évaluation des politiques publiques à mener ; le Sénat y a déjà consacré beaucoup de ses efforts.

Je partage vos propos sur la péréquation. Une mission a été constituée à l'Assemblée nationale sur le sujet. Le dispositif actuel n'est pas totalement satisfaisant : nous sommes prêts à vous aider.

Enfin, nous ne sommes pas opposés à la certification des comptes, pourvu qu'en soient bien précisés les objectifs et les modalités. Nous sommes prêts, là encore, à accompagner l'expérimentation.

Audition d'universitaires spécialisés dans l'approche comparative des organisations territoriales au sein de l'Union européenne (Jeudi 27 novembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Nos invités à cette table ronde ont en commun de s'être penchés, à un titre ou à un autre, sur l'approche comparée des organisations territoriales. M. Jean-Bernard Auby dirige, depuis 2006, la chaire « Mutation de l'action publique et du droit public » de l'Institut d'Études Politiques de Paris ; il a été professeur de droit public à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas entre 1994 et 2006 et directeur adjoint de l'Institut de droit européen comparé de l'Université d'Oxford. Il est, en outre, président d'honneur de l'Association française de droit des collectivités locales. M. Luciano Vandelli enseigne à l'Université de Bologne et à l'école supérieure d'administration publique qu'il a présidée plusieurs années. Il nous apportera le regard d'un grand voisin européen sur nos institutions locales. M. Robert Hertzog, professeur agrégé de droit public, enseigne à Sciences Po Strasbourg et à l'Institut Robert Schuman de Strasbourg. Il participe également aux travaux de l'Observatoire des finances locales. Il a également été élu à la communauté urbaine de Strasbourg et pourra ainsi nous faire bénéficier de sa double approche d'universitaire et de praticien. Fin connaisseur des institutions des pays européens, il a beaucoup oeuvré au sein du Conseil de l'Europe. Mme Marie-Christine Steckel-Assouère est maître de conférence à l'Université de Limoges, chercheuse au GRALE-CNRS de l'Université de Paris I et membre titulaire du Conseil national des universités dans la section droit public. Elle a dirigé un ouvrage collectif récemment publié, Regards croisés sur les mutations de l'intercommunalité . M. Hervé Le Bras, enfin, aujourd'hui chercheur émérite, est bien connu pour son oeuvre de démographe et de géographe. Il est souvent consulté sur l'architecture institutionnelle et ses relations avec la géographie réelle, et s'est récemment exprimé, notamment, sur le découpage régional devant la commission spéciale du Sénat.

M. Jean-Bernard Auby, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris . - Je vous remercie de votre invitation, qui m'honore.

Je constate que les réformes en cours, en dépit de quelques cahots ou palinodies, suivent certaines lignes de force. Comme si la crise économique poussait à aller vers l'essentiel, et à s'engager dans des voies dont on sentait depuis un moment déjà qu'elles devaient être suivies : une intercommunalité élargie et aux compétences étoffées afin de traiter le problème de l'émiettement communal ; une région érigée en niveau de pilotage stratégique. C'est une évolution que j'estime positive, et qui correspond à ce que les esprits éclairés prônaient depuis bien longtemps.

Une autre évolution se dessine, également salutaire à mon sens, qui tend vers une différenciation de l'administration des territoires urbains et celle des territoires ruraux, et voit corrélativement émerger la métropole, dont on sait toute l'importance dans la structuration de l'action publique.

Certes, des sujets d'hésitation demeurent. Ainsi du sort à réserver au département. Faut-il le conserver partout ? Avec quelles compétences ? La métropole ne peut-elle dans certains cas exercer ses compétences ? J'avoue que s'il y a quelque temps, j'aurais approuvé des deux mains sa suppression pure et simple, je suis moins tranché aujourd'hui. Il est des territoires ruraux sans métropole à proximité. Par ailleurs, entre les intercommunalités, appelées à couvrir des bassins de vie d'au moins 20 000 habitants et les treize régions de la nouvelle carte, qui réuniront chacune quelque cinq millions d'habitants, il manque certainement un échelon intermédiaire. Autre zone d'ombre, le système financier local, sur la soutenabilité duquel il convient de s'interroger - M. Hertzog vous en parlera mieux que moi.

Faire des intercommunalités et de la région les deux pôles forts sur lesquels s'appuyer n'est pas sans inconvénient. Ces deux échelons sont, politiquement parlant, les plus faibles ; c'est là un paradoxe qu'il faudra lever. Autre difficulté : contrairement à ce qui prévaut chez beaucoup de nos voisins, notre système territorial n'est pas articulé verticalement. Quand il existe, dans des pays comme l'Italie ou l'Espagne, un lien quasi hiérarchique entre niveaux de collectivités, les différents échelons territoriaux sont, chez nous, simplement superposés. C'est là un problème qu'il faudra traiter et dont le texte à venir, semble-t-il, se préoccupe. Enfin, reste devant nous la question du rôle que l'État doit assumer dans les territoires. J'estime que si celui-ci reste indispensable dans des domaines comme la sécurité ou la gestion de crise, il est beaucoup trop présent dans l'exercice des politiques publiques locales, alors même qu'il manque de moyens financiers.

Pour conclure, notre système territorial, partant de bases différentes de celles de ses voisins, tend, peut-être, à s'en rapprocher lentement. Restent, cependant, le défaut d'articulation verticale que j'évoquais, l'absence de structure de concertation ou de gouvernance commune entre État et collectivités et le fait que l'État veut conserver, par-delà toute raison, la maîtrise de toutes les compétences normatives, alors qu'il serait bon, sans aller nécessairement jusqu'à confier, comme l'ont fait l'Italie ou l'Espagne, des compétences législatives aux régions, de leur laisser une part du pouvoir réglementaire d'application de la loi, ce qui suppose d'accepter, corrélativement, que ces normes s'imposent aux autres collectivités.

M. Luciano Vandelli, professeur de droit public à l'Université de Bologne . - Votre invitation m'honore et est l'occasion de réfléchir aux évolutions de votre système territorial. Si les exigences de modernisation et de clarification des compétences, de rationalisation, de simplification et de transparence nous sont communes, partout en Europe, nous y apportons néanmoins des réponses assez différenciées. Je partage toutefois l'idée avancée par le professeur Auby que les spécificités nationales sont moindres qu'autrefois, ce qui nous amène à mettre en cause des éléments très enracinés dans notre tradition commune.

Alors qu'a toujours prévalu, historiquement, un principe d'uniformité dans l'organisation du système territorial, on en vient à différencier les territoires métropolitains et les autres. Dans le même temps, la gouvernance de chaque métropole est modulée, chacune étant dotée de moyens spécifiques. En France, c'est le législateur qui s'en charge, tandis qu'en Italie, chaque territoire est appelé à écrire son propre statut. La loi votée cette année crée des villes métropolitaines, collectivités qui, pour les villes les plus importantes, vont se substituer aux provinces, à compter du 1 er janvier 2015. Dans l'intervalle, chaque ville est appelée à définir son propre statut, sa gouvernance, les relations des communes et associations de communes avec la métropole.

S'agissant de la répartition des compétences, j'observe qu'en Italie, à la différence de la France, la clause de compétence générale n'a pas été mise en cause : c'est plutôt la contrainte financière qui amène les collectivités à réduire le champ de leur intervention.

En Espagne, en Allemagne et en Italie, les régions sont dotées d'un pouvoir législatif. En Italie, la réforme constitutionnelle, approuvée en première lecture au Sénat, prévoit de réduire ce pouvoir législatif, pour renforcer, en corollaire, la participation des régions à l'établissement des règles nationales, via un Sénat des représentations territoriales. Quant aux provinces, leurs compétences administratives, en vertu d'une récente réforme, s'amenuisent, pour être transférées aux villes métropolitaines, qui se renforcent. En l'absence de métropole, ces compétences vont, pour une part, aux régions, pour une autre part aux communes et associations de communes. J'ajoute que la métropole est appelée à jouer un rôle important dans l'élaboration et l'approbation d'un plan stratégique de développement économique du territoire.

Pour simplifier ce que vous appelez le mille-feuille - qu'en bon Bolognais je qualifierai plutôt de lasagnes -, nous n'avons pas supprimé les provinces, ce qui aurait supposé une réforme constitutionnelle. La loi relative aux métropoles, cependant, a prévu que celles-ci, de même que la ville métropolitaine, seront gouvernées par les maires et conseillers communaux. Il faut savoir que chez nous, en l'absence de cumul des mandats, chaque niveau de collectivité avait sa classe politique. Il n'y en aura désormais plus qu'une seule, prémices d'une simplification des compétences : les mêmes personnes auront à se prononcer sur la proximité et sur ce qui relève d'un territoire plus vaste.

Géographiquement parlant, nos régions sont de petite taille. Surtout, les plus petites sont aussi celles qui ont une langue différente et bénéficient parfois d'une protection internationale, comme le Val d'Aoste ou le Haut-Adige. Pour les autres, cependant, des fusions sont envisagées. Mais c'est avant tout sur les provinces que le débat est le plus vif. Alors qu'elles étaient 70 à l'époque de l'unité nationale, elles sont aujourd'hui 110, certaines de très petite taille. Simplifier appelle aussi, à mon sens, une réforme de l'administration de l'État, afin de faire des préfectures des bureaux généraux de la représentation de l'État, absorbant toutes les administrations périphériques.

Pour les communes, l'Italie n'a pas, comme la France, suivi la voie des fusions qu'ont empruntée l'Angleterre, l'Allemagne, la Belgique ou les pays du nord. En dépit d'incitations financières à la fusion, nous comptons toujours 8 100 communes. Depuis deux ans pourtant, la tendance semble s'inverser. Ainsi, dans la province de Bologne, six communes viennent de fusionner pour n'en former qu'une seule, de 30 000 habitants. Les avantages en sont multiples, tant pour le respect du pacte de stabilité que par le poids que peuvent prendre les subventions économiques.

Les associations intercommunales, enfin, au nombre de quelque 400, regroupent un peu plus de 2 000 petites communes, et la loi récente se donne pour objectif de parvenir à couvrir l'ensemble du territoire.

M. Robert Hertzog, professeur de droit public à l'Université de Strasbourg . - Je suis honoré de votre invitation, qui nous appelle à porter un regard comparatif sur les organisations territoriales en Europe. Je crois cependant qu'en ce domaine, comme en matière de finances publiques, nous avons plus à apprendre de nos erreurs que des exemples étrangers, et qu'une analyse sans concession des défauts ou des dysfonctionnements de notre système est susceptible de nous éclairer davantage que la recherche de modèles extérieurs. Pour avoir travaillé au Conseil de l'Europe, j'ai constaté que nos collectivités respectives diffèrent du tout au tout. Une commune danoise, par laquelle passe tout le welfare state , n'a rien à voir avec une commune française. Surtout, et c'est là le vrai problème, on peine à définir ce que serait le modèle français. La Constitution dispose que l'organisation de la République est décentralisée. Soit, mais si les Allemands savent fort bien ce qu'est un État fédéral, si les Italiens, les Espagnols, savent ce qu'est un État autonomique, nous serions bien en peine de dire ce qu'est un État décentralisé. Alors que la réforme des régions est en cours, nous n'avons pas de vraie vision de notre système. Au reste, si modèle il y a, on ne peut dire d'aucun qu'il soit la panacée, puisque partout, on cherche à réformer, que ce soit pour des raisons institutionnelles ou en vertu de contraintes économiques et financières. Le fait est que nous sommes engagés dans une mutation économique, géopolitique, financière irréversible. C'est une donnée qu'il convient, dans la réflexion, de garder présente à l'esprit.

Il peut être intéressant, en revanche, de se demander pourquoi certaines réformes sont entreprises, pourquoi certaines réussissent, pourquoi d'autres ne parviennent pas à prendre racine. Alors que bien des rapports ont été produits, qui décrivent parfaitement la situation, on peine, tant en matière d'organisation institutionnelle que de finances locales, à réformer. Or il est, à mon sens, un invariant. Pour qu'une réforme réussisse, il faut qu'elle s'appuie sur des études approfondies, de géographes, de démographes, d'historiens, sur le fondement desquelles se construit une négociation politique. Si l'on se contente, pour bâtir une réforme, du versant technocratique des experts, cela ne débouche pas, de même que si tout le champ est laissé à la seule négociation politique, le résultat n'est pas durable. Voyez l'exemple allemand : nous avons davantage à apprendre du fonctionnement politique du système que de son architecture.

Un système local doit trouver son équilibre en s'appuyant sur un territoire, des compétences, des ressources financières et humaines. À défaut d'être assis sur ce triangle, le système ne fonctionne pas. En France, cependant, nous devons travailler non seulement sur un triangle, mais sur des triangles superposés. Nous sommes pris entre la clause de compétence générale et l'interdiction de la tutelle. Pour en sortir, de deux choses l'une, soit on fait jouer le principe de subsidiarité, qui suppose un minimum de hiérarchie, soit on procède à une répartition rigoureuse des compétences.

Au demeurant, c'est souvent le législateur qui, en répartissant les compétences, a créé de la complexité. Le principe de spécialité exige, de fait, un difficile travail de rédaction. Quant à l'articulation verticale, elle ne saurait fonctionner qu'associée à de bons mécanismes de coopération. Le fédéralisme allemand n'est pas un fédéralisme de partage à l'américaine, mais un fédéralisme de coopération. Une telle coopération, engagée sur des bases volontaires, peut fonctionner. Mais il faut des moyens. Les régions ont pu jouer un rôle d'intermédiaire tant qu'elles avaient de l'argent ; ce n'est plus le cas à présent. On réforme, aujourd'hui, sans argent ; je dirais même plus, pour l'argent, pour trouver des économies. Or toute réforme a, dans un premier temps, un coût. Ce qu'il faut savoir, c'est si le coût que l'on expose aujourd'hui produira, à terme, une amélioration. Prenons l'exemple du projet de fusion départements-région en Alsace. Il est clair que le projet aurait eu, dans un premier temps, des surcoûts - ce qui n'est pas facile à expliquer au citoyen - mais pouvait générer, à terme, des bénéfices, certes difficiles à évaluer précisément, mais sur la survenue desquels tout le monde s'accordait. Cela suppose des études précises, qu'il serait important de mener.

Un mot sur les métropoles. La loi récente, en dépit des complications qu'elle introduit, représente une incontestable avancée. Si l'on se tourne vers les exemples étrangers, on constate les bénéfices d'un couplage entre région et métropole. Si l'on peine à se représenter le périmètre d'une région, chacun comprend bien de quoi on parle quand on évoque sa capitale. Il faut donc parvenir à une puissante synergie entre l'une et l'autre. Voyez la réussite d'une région comme le Bade-Wurtemberg, appuyée sur Stuttgart, métropole régionale. C'est pourquoi il faut, dans toute réforme, faire sans cesse l'aller-retour entre architecture institutionnelle et substrat économique et humain.

Mme Marie-Christine Steckel-Assouère, maître de conférences en droit public à l'Université de Limoges . - À mon tour de me déclarer honorée de votre invitation. Avant de brosser devant vous un tableau comparatif, permettez-moi de poser trois préalables. La rigueur scientifique impose de garder à l'esprit qu'une organisation territoriale est le fruit de l'Histoire et de la géographie, et qu'elle doit toujours tenir compte à la fois de la superficie mais aussi de la densité de population des territoires, pour éviter tout rejet de greffe, ce qui ne manquerait pas d'advenir si l'on se contentait de plaquer un modèle étranger.

En matière d'organisation territoriale, les mots ne recouvrent pas, en Europe, les mêmes réalités. Quand, en France, les régions ne disposent que d'un pouvoir administratif, elles jouissent, en Italie, d'un pouvoir législatif et sont même dotées, en Allemagne, d'un pouvoir constituant. Je mets de côté nos régions ultramarines, qui ne sauraient entrer dans le tableau, compte tenu de leurs spécificités.

Comparaison n'est pas raison. On peut se demander, au vu de telles différences, s'il est fructueux de s'interroger sur les pratiques d'autres pays. Ce que l'on constate, cependant, à y regarder de près, c'est, au-delà de la diversité des organisations territoriales en Europe, une tendance nette vers l'harmonisation.

Des organisations territoriales diversifiées, donc, où les États unitaires sont surreprésentés : neuf avec un niveau de collectivité, onze avec deux ou trois niveaux de collectivités, à quoi l'on peut ajouter les trois États fédéraux, à un ou deux niveaux de collectivités. La France compte parmi les États unitaires à trois niveaux de collectivités, comme la Pologne et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni, plus inclassable eu égard aux différences des pays qui le composent. Viennent ensuite deux États régionalisés, l'Italie et l'Espagne, à trois niveaux de collectivités.

Dans tous les États, cependant, on relève une volonté commune de valoriser les grandes agglomérations, ainsi que les régions. Avec cette particularité qu'en France, la métropole n'est pas une collectivité mais un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Le niveau régional est considéré comme le plus pertinent pour mettre en oeuvre les politiques économiques et réaliser des économies d'échelle pour l'accès au service public. Le projet en cours de discussion retient le seuil de 20 000 habitants pour la constitution d'un EPCI, seuil que l'on retrouve dans d'autres pays, pour des entités chargées de la gestion de l'eau, de la santé, de l'éducation...

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - C'est le seuil généralement retenu ?

Mme Marie-Christine Steckel-Assouère . - Ce peut être parfois 25 000, mais c'est plus généralement 20 000. On constate une sous-représentation des États cumulant organisation décentralisée et intercommunalité. Sur huit États concernés, six sont marqués par un émiettement communal. Et parmi eux, la France se distingue en cela qu'elle cumule trois niveaux de collectivité et un nombre pléthorique de communes, plus de 36 000 quand, ailleurs, le maximum est de 9 000. Il est vrai qu'elle a du même coup poussé, par des incitations financières, au développement de l'intercommunalité.

Pour autant, on observe une tendance à l'harmonisation de l'organisation territoriale des États européens, sous l'impulsion de fondements communs. Les impératifs économiques, tout d'abord, érigés par la plupart des pays en obligation juridique via la charte européenne de l'autonomie locale et le traité sur la stabilité. L'exigence de transparence, ensuite, qui s'impose aux collectivités, requises de rendre compte de leur administration aux contribuables, et que l'on retrouve dans le projet de loi en cours d'examen. Alors que compétences et financements croisés provoquent une dilution, c'est là une revendication démocratique forte. Alors que toutes les réformes engagées en France se donnent sous ce registre de la démocratie, il est au reste paradoxal de constater que, dans le projet de loi en cours de navette, les règles de consultation des populations locales sur les regroupements ont été supprimées par voie d'amendements...

Autre question, les dispositifs utilisés dans la plupart des pays sont quasiment les mêmes. Les pays d'Europe du Nord ont opté, dans les années 1990, pour un renforcement de la décentralisation quand les autres pays tendaient plutôt à recentraliser, sous la pression d'une raréfaction des ressources. Depuis le milieu des années 2000, on assiste à un renversement de tendance : on va d'une logique incitative vers une logique plus coercitive. La France s'inscrit dans ce mouvement. Alors que l'intercommunalité reposait sur le consentement des communes, elle devient, avec la loi du 27 janvier 2014, réformant le statut des métropoles de droit commun ou à statut particulier, contraignante. La voie consensuelle, incitative, n'ayant pas fonctionné, la France joue la carte autoritaire, comme l'ont fait le Danemark en supprimant les comtés ou la Grèce les départements, au profit des régions. De même, certains pays ont rendu les fusions de communes obligatoires, la loi ne leur permettant d'exercer certaines compétences qu'à partir d'un seuil de 20 000 habitants. Seuil que l'on retrouve dans la réforme en cours d'examen.

J'en viens à la clarification des compétences. Les pays européens sont tentés, même si persistent entre eux de grandes différences, d'aller vers une réduction des compétences des collectivités. La France s'inscrit dans cette tendance à alléger les structures territoriales, empilées au fil des textes de loi qui ont superposé aux différents niveaux de collectivités une multiplicité de structures intercommunales. Alors que l'on entendait simplifier, on a, à chaque fois, créé de nouvelles structures. Ce projet de loi marque la volonté, tout en respectant les diversités, d'aller vers l'unité. Parce que, même si son organisation est décentralisée, la France est une République une et indivisible.

Si la tendance est à recentraliser, c'est aussi parce que les États ont besoin de reprendre du pouvoir pour assurer le respect de leurs engagements en matière de redressement des finances publiques. Le projet de loi en cours d'examen prévoit ainsi que les collectivités pourront être amenées à prendre leur part des amendes réclamées par la Cour de justice de l'Union européenne en cas de manquement qui leur serait imputable. La France s'inscrit, par là, dans une tendance générale.

M. Hervé Le Bras, directeur d'étude à l'École des hautes études en sciences sociales, chercheur émérite à l'Institut national de la statistique et des études démographiques. - Je suis honoré de votre invitation, qui me fait partie à cette docte assemblée de juristes. Il est vrai que si ma spécialité me range plutôt du côté des sciences sociales et de l'Histoire, je n'en ai pas moins eu, au cours de ma carrière, l'occasion de me familiariser avec les questions qui nous occupent ici, pour avoir animé un groupe de prospective de la Datar dont j'ai présidé, in fine , le conseil scientifique.

Ce qui m'a frappé, lorsque le projet de nouvelle carte territoriale, fusionnant des régions, a été annoncé, c'est le défaut d'objectifs assignés à cette réforme. Certes, trois arguments étaient mis en avant dans la lettre du Président de la République - donner à nos régions une taille européenne, assurer leur dynamisme économique, réaliser des économies de fonctionnement. Mais ils se laissent aisément démonter. La taille critique ? Mais celle des Länders allemands est très variable, et leur coefficient de Gini, qui mesure la dispersion de la population, est double de celui des nouvelles régions françaises, dessinées comme sous l'influence de notre vieux tropisme, l'illusion de l'égalité. Le dynamisme économique ? Mais il n'y a aucune corrélation entre la taille des Länders allemands et leur PIB par tête. Même chose pour la croissance de leur PIB au cours des dix dernières années. Quant à la question des économies d'échelle, je souscris pleinement à ce qu'a dit Robert Hertzog. Il faut y regarder de près. Une étude de l'Institut Esprit public sur une éventuelle fusion entre Haute et Basse-Normandie fait apparaître que l'on y perdrait de l'argent les sept premières années, pour n'en gagner un peu - 5% - qu'à partir de la huitième.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Et combien de temps faudrait-il pour rattraper ce qui a été perdu ?

M. Hervé Le Bras. - Une vingtaine d'années, je crois...

Les départements ? J'ai été le seul, au sein de la commission Attali, à prendre leur défense, ce qui m'a donné droit à une petite annexe au rapport. Le département français, et c'est là sa qualité, est la division du territoire qui réalise le mieux la mixité sociale. Si l'on dresse une carte des revenus ou des niveaux d'éducation, par exemple, on voit, comme en négatif, se dessiner les départements. La teinture est la plus forte autour de la préfecture, et pâlit decrescendo jusqu'aux frontières du département, où l'on trouve les populations les moins bien loties. Le département, qui saisit la diversité sociale, est la division la plus apte à traiter les problèmes sociaux. Au cours de l'Histoire, ils ont meublé l'espace qui les entoure. Il serait regrettable de les mettre en cause. Sauf à privilégier, pour mettre en oeuvre des politiques sociales, la logique de l'homogénéité - comme dans le redécoupage, au reste remarquable, qu'a opéré François Lamy pour les quartiers prioritaires -, auquel cas les intercommunalités, plus homogènes, sont sans doute un instrument mieux adapté.

Les communes enfin, pour lesquelles j'ai un faible, ont évolué au cours de l'Histoire. En 1791, elles étaient 43 000. On a gagné un peu de terrain dans la première moitié du XIX ème siècle, mais on patine depuis. La dernière loi en date, la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, n'a donné lieu qu'à onze fusions. Sur 36 700 communes, ce n'est pas lourd...

Si les communes sont des réalités humaines incontournables, la question se pose, néanmoins, de leurs compétences, notamment en matière d'urbanisme. J'observe qu'au Danemark, où il ne reste certes qu'une soixantaine de communes, on n'en continue pas moins à prendre en compte, y compris dans les recensements, les paroisses, qui ont conservé certaines prérogatives.

J'en viens à la question des métropoles. La loi votée est intéressante, elle va dans le sens des évolutions de la société et de l'économie, mais je suis surpris de constater que lorsqu'on en vient à modifier, par fusions, la carte des régions, il n'en est plus question. Si bien que dans la nouvelle carte, certaines régions ont deux métropoles, certaines une seule, certaines aucune. Il y a là un manque d'articulation criant. J'abonde totalement dans le sens de Robert Hertzog : ce sont les métropoles qui sont visibles sur les territoires. L'idée de frontière en devient obsolète. D'ailleurs, ce n'est pas en ces termes que l'on raisonnait dans les temps anciens : voyez la carte de Cassini.

Ces évolutions appellent de nouvelles formes de gestion, articulant fermement les régions aux métropoles. J'ai dressé un atlas des pays de la Loire, que j'ai intitulé La forme d'une région , par un clin d'oeil à Julien Gracq qui évoque Nantes dans La forme d'une ville . La région Pays de la Loire, faite de lambeaux de régions historiques - Vendée, Anjou, Maine, Bretagne du sud - n'en est pas moins très cohérente. Disant cela, je me suis mis à dos les bonnets rouges, qui revendiquent Nantes pour la Bretagne... C'est d'ailleurs une caractéristique de ce redécoupage des régions que de réveiller des tendances très passéistes... La région Pays de la Loire, pourtant, forme une entité économique solide autour de Nantes et les responsables régionaux sont très satisfaits, quelle que soit leur couleur politique, de la puissance de la métropole nantaise, flanquée de relais régionaux - Angers, Le Mans, Saint-Nazaire, La Roche-sur-Yon - bien articulés entre eux.

Telles sont les quelques réflexions que m'inspire votre invitation. Il faut certes mener la réforme, mais s'est-on attaqué aux vrais problèmes ? Fusionner me semble moins urgent que régler le problème des doublons, de l'émergence des métropoles. Je suis sensible à l'idée émise par Jean-Bernard Auby de donner davantage de pouvoir réglementaire aux régions. Quand on dresse des cartes du chômage, de la sous-éducation, on voit se teinter de grands noyaux de territoire. Il serait bon que les régions puissent prendre en charge, à cette échelle, les problèmes spécifiques qui sont les leurs.

M. Philippe Bas , président . - Cette audition est source de multiples inspirations, au point que je regrette qu'elle n'ait pas eu lieu plus tôt. Je ne me hasarderais pas à tenter une synthèse, mais je n'en observe pas moins une certaine convergence entre vos interventions.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Nous avions déjà entendu, en d'autres occasions, quelques-uns d'entre vous, et notamment M. Le Bras, seul parmi les esprits éclairés à défendre le département, ce qui ne se laisse pas oublier. M. Auby a plaidé en faveur du pouvoir réglementaire des régions, tout en relevant que cet échelon territorial est politiquement faible. Il est vrai que ce ne sont pas elles qui attirent les personnalités politiques les plus en vue de notre pays. La notoriété des présidents de région est à peu près nulle.

M. Gérard Longuet . - Elle a beaucoup baissé avec le cumul.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Pourriez-vous préciser à quel type de pouvoir réglementaire vous pensez ? S'agit-il de l'application des lois ? Il est aussi une autre voie : M. Vandelli nous a rappelé ce qu'il en est en Italie, où l'on demande aux régions de définir leur statut. C'est ce que l'on songe, chez nous, à faire pour l'Ile-de-France, sans parvenir à aboutir.

Oui, monsieur Hertzog, il est bon de se pencher sur nos erreurs, sans se contenter de regarder ailleurs. La question des objectifs assignés à la réforme, enfin, m'inquiète tout autant que M. Le Bras. S'agit-il de faire des économies ? Mais on les fera de toute façon, puisqu'on nous enlève une partie de nos dotations... Atteindre la taille critique européenne ? M. Le Bras a suffisamment montré que ce concept n'a pas de sens. Surtout, nous avons voté une loi sur les métropoles, qui prend en compte le projet très abouti de la métropole lyonnaise laquelle, à l'instar des villes métropolitaines italiennes, reprend les compétences du département, voire davantage. Quelle relation, dès lors, entre métropole et région ? Quand la métropole représente 60 % du PIB d'une région, quel rôle reste à la région en matière de développement économique et d'emploi ? Comment les deux entités peuvent-elles s'articuler ? C'est une question que je me pose, tout en étant favorable aux métropoles - à condition qu'il n'y en ait pas trop. C'est pourquoi je comprends mal certaines fusions de régions, qui n'ont pas été pensées en relation avec la métropole. Pour moi, réunir Toulouse et Montpellier dans une même région est aberrant à tous points de vue.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Ce sont là des questions que l'on se pose collectivement. Quid de l'articulation entre région et métropole ? Si l'on donne, dans le projet de loi en cours d'examen, compétence exclusive à la région en matière économique, d'aide aux entreprises, il convient de se poser la question de ses relations avec la métropole, auxquelles la loi a reconnu un rôle dans les pôles de compétitivité ou la négociation des contrats de plan. Le Sénat avait considéré que région et métropole devaient aller de concert, sauf à risquer l'immobilisme. Quand un président de région et un président de métropole parviennent à s'accorder, ce peut être un puissant moteur. Quels éclairages pouvez-vous nous apporter sur ces questions ?

Défendre le département, ce n'est pas s'interdire de moderniser et de rationaliser ses compétences. Voyez la récente synthèse des ateliers sur la ruralité lancés par le Gouvernement. Les fameux pays, créés par la loi Voynet, puis stoppés par la loi de 2010 avant d'être ressuscités sous l'appellation de pôles d'équilibre territorial et rural, apparaissent spontanément dans le discours des communes, qui sont prêtes à s'entendre pour travailler, sur un bassin de vie, à une politique de la ruralité. Le président de l'association des pays vous le confirmera.

J'aimerais également recueillir votre avis sur la solidarité territoriale. Je pense à la possibilité pour les départements de concourir à des actions de maîtrise d'ouvrage intercommunale dès lors qu'elles répondent à un objectif de solidarité territoriale.

Le pouvoir normatif local ? Nous avons demandé au président de la section de l'intérieur du Conseil d'État s'il fallait conférer un pouvoir réglementaire aux régions. Il nous a répondu que les textes le leur reconnaissaient déjà, et qu'il leur suffisait de l'exercer.

M. Philippe Bas , président . - Il n'en a pas moins précisé que s'il s'agissait d'édicter des règles s'imposant aux départements et aux communes, ce serait inconstitutionnel. Car c'est ainsi que le Conseil d'État interprète l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Prenez le problème, crucial à mon sens, de l'artificialisation des sols. L'équivalent en terres arables d'un département de la taille des Hautes-Pyrénées disparaît tous les sept ans, sous l'effet de l'étalement urbain. Or les Scot ne couvrent que 20 % du territoire national. Est-il donc déraisonnable d'imaginer que la région, stratège, puisse produire un document, comme le fait déjà l'Ile-de-France, qui assure la compatibilité globale des politiques des différentes collectivités, sans pour autant ressusciter le spectre de la tutelle ?

M. Jean-René Lecerf . - Je vous remercie de la richesse de vos exposés. Il arrive que les enseignants, dont je fus, rêvent d'une université sans étudiant. Les pouvoirs publics n'en viennent-ils pas à rêver, de même, de collectivités territoriales sans citoyen ? Le projet de loi en cours d'examen met l'accent, de fait, sur les collectivités dont la légitimité citoyenne et démocratique est la plus faible - l'intercommunalité plutôt que la commune, la région plutôt que le département. Cela n'impose-t-il pas d'aller jusqu'au bout du raisonnement, en s'attaquant aux modes de scrutin ? Je pense au scrutin proportionnel, qui prévaut pour la région et prévaudra demain pour les intercommunalités, dicté par les partis politiques, dont la légitimité a tendance à s'effriter, alors que la véritable démocratie est communale et départementale.

Je me demande dans quelle mesure l'idée, portée par la précédente majorité, du conseiller territorial, qui réunissait en sa personne l'élu départemental et l'élu régional, n'était pas plus féconde que la stérile opposition entre départementalistes et régionalistes.

Ma dernière remarque, enfin, concerne la métropole. La locomotive de la région ? Comme sénateur du Nord, je puis vous dire que la métropole lilloise se moque de Valenciennes, de Cambrai ou de Dunkerque. Sans parler de Boulogne, Arras ou Calais, ni, a fortiori, de ce qu'il en sera, demain, de Laon, Compiègne ou Amiens... La véritable péréquation, c'est le département qui la réalise.

M. Gérard Longuet . - Il ne faut pas perdre de vue le lien qui existe, à mon sens, entre organisation territoriale et mode de production. Avant la Révolution Française, l'agriculture était le mode prédominant de production. Puis est venue la révolution industrielle, qui a su se marier avec le chemin de fer et le département. Aujourd'hui, on s'achemine vers une mondialisation de l'économie, avec des lieux de décision très circonscrits. La République ne peut y rester indifférente. Avez-vous le sentiment que les disparités en termes de densité de population se soient accentuées en France ? Pour moi, les Trente Glorieuses ont marqué une rupture, le passage d'un monde encore largement agricole vers une population active industrielle. Ce qui est en passe de donner, au-delà de ce que décrivait Jean-François Gravier dans Paris et le désert français , des villes environnées de déserts.

Ma deuxième question a trait aux centres de décision. Le budget de l'État représente 17 % du PIB, mais si l'on y ajoute les prélèvements sociaux, de l'ordre de 20 % à 22 %, ce sont près de 40 % de la dépense publique qui est décidée à Paris. On observe, dans le même temps, que la décision économique se délocalise hors de France et qu'à l'intérieur de nos frontières, le capitalisme régional tel qu'on l'a connu autrefois a vécu. Il ne reste guère de bourgeoisie industrielle que dans le Nord, dans la région lyonnaise, et peut-être une partie de la Bretagne, mais je puis vous dire que dans une région comme la Lorraine, elle a totalement disparu. La décision économique n'appartient plus aux territoires, elle est centralisée ou externalisée. Il en va de même de la décision en matière culturelle, parisienne et non plus provinciale, à l'exception de quelques manifestations teintées d'un passéisme régionaliste, que je ne réprouve pas, bien au contraire, mais dont on ne peut pas dire qu'elles soient tournées vers la modernité. J'ajoute que la carte isochrone de la France a changé avec l'apparition du TGV et des autoroutes. Lorsque l'on est à 250 kilomètres de Paris par le TGV, on prend l'habitude d'aller chercher des réponses là-bas plutôt que vers la capitale régionale, souvent moins bien desservie...

L'État est le plus grand perturbateur de l'organisation territoriale. De plus en plus impécunieux, il cherche des partenaires pour cofinancer ses projets. L'organisation territoriale se construit dans de tels partenariats avec des collectivités prêtes à jouer le jeu de l'État pour des raisons qui leur sont propres. Là-dessus, s'ajoute un autre facteur de désordre, l'Europe. M. Vandierendonck a évoqué les pays : je ne suis pas hostile à la vie associative qu'ils apportent, mais souvenons-nous qu'à l'origine, ils ont été portés par l'Europe, qui n'hésitait pas à mettre malicieusement la main à la poche, en déstabilisant l'organisation territoriale existante et surtout, en contournant l'État... Souvent de même, l'État n'hésite pas à court-circuiter les collectivités territoriales, pour peu qu'il trouve une ville prête à financer tel équipement qui le flatte. Le bon sens voudrait pourtant qu'une politique culturelle soit gérée contractuellement entre l'État et la région, charge à cette dernière d'assurer le lien avec les autres collectivités.

D'où deux questions. Quel poids reconnaître aux réalités techniques qui modèlent l'organisation territoriale ? Comment encadrer l'effort perturbateur de l'État qui, en tendant la sébile, désorganise le système ?

M. Philippe Bas , président . - Je comprends ce qui a été dit des métropoles, lieu de la puissance, de la notoriété, du dynamisme, mais n'oublions pas qu'il n'en existe que neuf ou dix sur le territoire. Il est des régions entières dépourvues de toute métropole, et que le relief rend, de surcroît, difficiles d'accès.

M. Gérard Longuet . - C'est sans doute pourquoi elles sont sans métropole.

M. Philippe Bas , président . - La métropole, de surcroît, n'est pas spontanément portée vers la redistribution en faveur d'autres territoires.

M. Gérard Longuet . - C'est le moins qu'on puisse dire.

M. Philippe Bas , président . - Lorsque l'on a voté la création de la métropole lyonnaise, beaucoup se sont demandés comment le département pourrait continuer de fonctionner. C'est qu'il y a un petit codicille : plus de 70 millions d'euros par an seront reversés au bénéfice du nouveau département du Rhône, soit le territoire extra-métropolitain. Si l'on élargit la réflexion à la région Rhône-Alpes, et que l'on se penche sur la malheureuse Auvergne, on se rend compte que construire l'organisation régionale autour de la métropole, c'est coller à une réalité géographique profondément injuste. Nous avons besoin de redistribution, et de lieux de pouvoir à même de compenser la concentration de la richesse autour de la métropole. C'est là une équation très compliquée.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Sans parler de Paris. Quand la métropole comptera, avec les intercommunalités associées, 7 à 8 millions d'habitants sur les 12 millions que compte l'Ile-de-France, que restera-t-il à la région, qui portait pourtant des politiques de cohésion ?

M. Jean-Bernard Auby, professeur des Universités à Science Po . - Vos réserves sont fondées, mais nous sommes, avec la métropole, face à un phénomène inéluctable. Elle est le fruit d'une économie de plus en plus mondialisée, tertiarisée, numérisée, orientée vers le développement durable et les villes intelligentes.

Un mot sur la question, qui commence à percer dans le débat, du pouvoir normatif local. Je comprends mal que l'éminent membre du Conseil d'État que vous avez cité estime que la région est déjà détentrice d'un pouvoir réglementaire. Le président de l'exécutif régional peut certes réglementer la circulation dans les ports régionaux, par exemple, mais cela ne va pas au-delà de telles broutilles.

M. Philippe Bas , président . - Toutes les collectivités territoriales détiennent, pour l'exercice de leurs compétences, un pouvoir réglementaire.

M. Jean-Bernard Auby . - La commune est dépositaire depuis longtemps d'un pouvoir réglementaire. Je pense, par exemple, aux pouvoirs de police du maire. À quoi s'ajoute le pouvoir des conseils municipaux en matière d'urbanisme, qui n'est pas négligeable.

M. Gérard Longuet . - C'est la liberté de choisir son voisin.

M. Jean-Bernard Auby . - Sans doute, mais c'est là un pouvoir réglementaire de bout de chaine. Quand à celui des départements et des régions, il est à peu près nul.

L'objection tirée de la disposition constitutionnelle relative à l'interdiction de la tutelle entre collectivités ne tient pas, à mon sens. Quand vous légiférez, vous prenez, en tant que législateur, des actes qui s'imposent à nous, sans être pour autant nos tuteurs. J'ajoute qu'en droit public, la tutelle est la faculté, reconnue à l'État, de s'opposer aux actes que prend une autorité publique, de les modifier, de les annuler. Autre chose est le fait d'édicter des normes dans un champ de compétence donné, comme le font le législateur et le Gouvernement en vertu de son pouvoir réglementaire.

Autre objection : ce serait un problème que de confier un pouvoir réglementaire à une instance politiquement faible. Mais tous les sondages confirment que les citoyens ont une image plutôt positive de la région. Quant aux faiblesses que vous avez relevées, tenant aux règles électorales et au cumul des mandats, rien n'empêche d'y remédier, pour lui rendre plus de légitimité.

En quoi pourrait consister le pouvoir réglementaire des régions ? Prenons l'exemple de la Bretagne qui, connaissant son littoral dans ses moindres détails, s'estime la mieux à même, pour le protéger, de déterminer les règles d'application de la loi littoral sur son territoire. Il ne s'agit pas de priver le Gouvernement de son pouvoir réglementaire, mais de donner la possibilité aux régions, dans certains secteurs, de fixer les règles d'application de la loi. Ces règles s'imposeront de fait aux autres collectivités sur le territoire régional, mais de la même manière que les règles fixées par le législateur ou le Gouvernement s'imposent à tous, sans qu'il soit question de tutelle.

M. Philippe Bas , président . - Vous nous incitez à la prise de risques, mais je trouve votre raisonnement très convaincant. La tutelle est la possibilité, pour l'État, d'empêcher l'entrée en vigueur d'une décision prise par une autre personne morale, collectivité ou établissement public. Autre chose est d'édicter une norme qui s'imposerait à une autre collectivité.

M. Robert Hertzog . - Confondre tutelle et pouvoir réglementaire est évidemment une erreur. D'autant que personne ne sait dire clairement ce qu'il faut entendre par tutelle, sinon par référence à des pratiques anciennes. Lorsque les autorités départementales ou communales définissent un plan local d'urbanisme (PLU), elles prennent des décisions qui s'imposent à tous. Dès lors que la loi dit que telle collectivité est compétente dans tel domaine, elle lui confère un pouvoir exclusif de réglementer. Les autres collectivités ne sont, de ce point de vue, que des opérateurs. Ce qu'il faut, c'est que la loi renvoie clairement le pouvoir réglementaire, dans tel ou tel domaine, à une collectivité - le tout est de savoir laquelle.

La redistribution se fait par le pouvoir fiscal. Or région et département n'en ont quasiment plus ; seules les communes et les intercommunalités conservent un pouvoir fiscal assez général. C'est pourquoi j'évoquais un manque de cohérence dans la réforme.

Un mot sur la méthode, enfin. Quand on dit que l'on veut supprimer un échelon, on suscite immanquablement des réactions de défense. On ne pourra pas passer en force. On se rend enfin compte, après trente ans, qu'il faut procéder en renforçant les entités que l'on entendait privilégier. C'est ce que l'on a fait pour les métropoles. C'est ce qui aurait dû être fait, il y a beau temps, pour les régions - et l'on sait bien pour quelles raisons on a transféré aux départements des pouvoirs qu'il n'était pas pertinent de leur confier, et qui les font beaucoup souffrir aujourd'hui.

Il faut créer un mouvement, en renversant la logique des compétences. La clause de compétence générale devrait revenir aux intercommunalités - dont il faudrait peut-être faire de véritables collectivités, tout en revoyant leur mode de scrutin. Pour avoir été adjoint dans une commune, j'ai constaté combien limitée était la liste des compétences qu'elle exerçait effectivement. Le tout est de ne pas parler de suppression. Au reste, si la fusion avait eu lieu en Alsace, peut-être est-ce la région que l'on aurait départementalisée, plutôt que l'inverse. Rappelons-nous aussi que les régions, quand elles ont été créées, dans les années 1950, l'ont été sur le modèle départemental, dont elles ont aujourd'hui quelque difficulté à sortir...

M. Hervé Le Bras . - S'agissant des densités, le mouvement que l'on a connu au cours des deux siècles passés est en train de s'inverser. Les communes comptant entre 500 et 2 300 habitants sont celles qui connaissent la plus forte croissance démographique. Leurs habitants ne sont pas des ruraux, ils ont un mode de vie urbain et travaillent souvent à distance. C'est là un mouvement général en Europe. Plus une région est éloignée d'un centre, plus sa croissance démographique est rapide. La transformation des modes de transport a, naturellement, beaucoup joué.

Le reproche d'égoïsme fait à la métropole ? Mais la région, précisément, ne peut-elle être un contrepoids ? C'est la région Midi-Pyrénées qui a ainsi encouragé le développement de la « Mecanic Valley », qui va du sud de l'Aveyron au Lot, et qui vise à encourager les PME sous-traitantes de l'aéronautique. Même chose avec le Choletais, dont le tissu de petites entreprises s'articule autour de Nantes.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Et d'une partie de la Vendée.

M. Hervé Le Bras . - Les économistes de l'industrie, comme Pierre Veltz, ont bien montré ce rôle de la région. La région de Bade-Wurtemberg, en Allemagne, qui a soutenu la création, autour de Stuttgart, d'un réseau de moyennes entreprises, en donne une illustration.

Nos métropoles ne seraient pas assez nombreuses pour former un tissu ? À mon sens, ce qui existe n'est déjà pas si mal. Edward Fox, dans son livre L'autre France , tente de montrer que l'Histoire de France peut se lire comme l'histoire de la victoire du pouvoir central étatique contre les villes périphériques, d'esprit plus girondin. Il l'illustre par l'image de la place de la Concorde, où l'obélisque représente le pouvoir central, entouré par les huit statues, représentant les principales villes métropolitaines, qui le regardent, domestiquées. Il n'y a guère que le centre de la France qui manque d'une métropole. Ce pourrait être Clermont-Ferrand, dont je regrette qu'elle ait été écartée.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - On a voulu, lorsque l'on a légiféré, retenir un critère démographique, de même que pour les communautés de communes.

M. Hervé Le Bras . - Toujours ce tropisme bien français du chiffre. La cohérence du peuplement compte plus que le nombre. La Datar pourrait être un outil pour mener une telle réflexion - une sorte de commissariat général à l'égalité des territoires...

Mme Marie-Christine Steckel-Assouère . - Le projet de loi prévoit une bonification de la dotation globale de fonctionnement (DGF), afin de récompenser les efforts entrepris pour prévenir l'étalement urbain. Mais la question des moyens financiers nécessaires à l'exercice des compétences n'en reste pas moins posée. Nous sommes impatients de savoir comment la loi de finances la règlera.

M. Luciano Vandelli . - Alors que je pensais être minoritaire, je m'aperçois que tel n'est pas le cas. J'appartiens à un pays qui a supprimé depuis longtemps la tutelle sur les communes, à une culture qui n'est guère portée à établir une hiérarchie entre les niveaux de collectivités, et pourtant, on ne s'offusque pas de voir les régions édicter des lois liant les communes et les provinces, qui exercent des compétences différentes. On fait ainsi jouer le pouvoir discrétionnaire entre les niveaux de collectivités. Il ne peut y avoir tutelle qu'entre des collectivités qui exerceraient les mêmes compétences. Les régions ont un pouvoir législatif, et les communes sont en charge de l'administration - ce qui n'empêche pas la carrière de maire d'être politiquement plus attrayante...

Le monde économique et social nous demande de la simplification. Dans une province composée de soixante communes, les petits entrepreneurs doivent connaître, pour chaque opération, soixante séries de règles, car chaque commune a les siennes. Nous sommes requis d'homogénéiser, soit en empruntant la voie de l'association de communes, soit via un pouvoir réglementaire intermédiaire, de niveau régional, entre l'État et la réglementation fractionnée des communes.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Chez nous, il existe des Scot.

M. Robert Hertzog . - L'Allemagne a dix-sept lois sur les marchés publics - seize Länders, plus le Bund. On imagine les problèmes que cela pose.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Chez nous, les permis de construire sont délivrés dans le cadre d'un PLU ou, pour le moins, d'une carte communale ; ils doivent tenir compte des règlements d'urbanisme, et sont soumis au contrôle de légalité, l'État étant le gardien de l'homogénéité. Ce que décrit le professeur Vandelli ne peut se produire en France. Pour approuver le schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), il faut un décret en Conseil d'État.

M. Philippe Bas , président . - Il me reste à vous remercier de ces éclairages.

Audition de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique, et de M. André Vallini, secrétaire d'État à la réforme territoriale (Jeudi 4 décembre 2014)

M. Philippe Bas , président . - Nous avons procédé à de très nombreuses auditions ouvertes à l'ensemble des sénateurs, en étendant le spectre des personnalités auditionnées à des représentants de la fonction publique territoriale et des grandes associations nationales d'élus, des personnalités étrangères et des universitaires. Nous nous sommes déplacés, comme vous, en région ; nous avons échangé avec des élus et interrogé les forces vives de nos territoires afin de bien mesurer ce qu'elles attendent de la réforme territoriale.

La commission des lois a désigné comme rapporteurs, au début de l'été, René Vandierendonck, membre du groupe socialiste et, au début du mois d'octobre, Jean-Jacques Hyest, du groupe UMP. La lisibilité politique de ce double choix est évidente : notre travail vise à atteindre un consensus.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique . - André Vallini et moi-même avons participé, dans toute la France, à des débats républicains tenus à huis-clos afin de favoriser la libre expression des participants ; nous étions vendredi dernier à Caen. Le projet, enrichi, a évolué sur de nombreux points.

Le Président de la République et le Premier ministre souhaitent que ce texte atteigne sa forme définitive à partir d'accords trouvés en amont avec le Parlement, en particulier avec le Sénat. Le président du groupe UMP, retenu ce matin par une session budgétaire dans son département, m'a fait part de son souhait que nous fassions mieux, cette fois, que lors de l'établissement de la carte régionale. Nos échanges ont fait apparaître des divergences transpartisanes. On nous reproche d'avoir changé d'avis au sujet des départements : c'est vrai. Envisageant tout à la fois la question constitutionnelle, la nécessité d'avoir des majorités et la question des solidarités territoriales, le Président de la République et le Premier ministre ont tranché : nous avons un mandat devant nous pour nous poser ensemble la question du devenir des départements. Nous devons en revanche être attentifs dès maintenant aux compétences essentielles maintenues à cet échelon.

Le rapport Raffarin-Krattinger posait l'alternative de très grandes régions dans lesquelles les départements seraient conservés, ou de petites régions sans département. Nous avons réalisé un choix intermédiaire : les régions sont assez grandes pour que se pose la question de l'échelon de proximité et du lien entre la région et le bloc communal. Certains préconisent que cette fonction continue d'être celle des départements.

Ce texte fait suite à la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, qui a créé la conférence territoriale de l'action publique (CTAP), outil essentiel pour adapter la gestion des compétences à la réalité géographique et historique diverse des régions de France. Conscient de cette diversité, l'État est prêt à faire confiance aux élus pour trouver des accords dans chaque région.

Leurs compétences économiques doivent être renforcées, afin que chacune définisse une stratégie originale associant l'enseignement supérieur, la recherche et le développement, et les transferts de technologie : quel secteur privilégier ? Pour quelles créations d'emplois ? Notre pays est victime de l'antienne de la fin du XX ème siècle selon laquelle l'économie des services allait substituer ses emplois à ceux perdus dans l'industrie. Il faut au contraire continuer à travailler sur ces deux piliers de l'économie, dans le cadre de stratégies élaborées par chaque région. Elles sont seules à pouvoir aider directement les entreprises, notamment par une entrée temporaire dans leur capital dans certains cas précisément définis - création, difficultés créées par de très gros marchés - qui requiert aujourd'hui de passer devant le Conseil d'État.

Nos échanges avec les deux commissaires européens compétents ont fait apparaître que les régions pourraient apporter leur garantie à des prêts bancaires de longue durée de la Banque européenne d'investissement (BEI), en particulier dans les secteurs présentant des risques en matière de technologie.

Les régions sont également confortées dans leurs fonctions relatives à la formation professionnelle. Espérons que cela contribue à mettre fin à la concurrence entre enseignement initial dans les lycées professionnels ou techniques et formations en apprentissage portées par les chambres des métiers, les chambres de commerce ou d'autres organisations. Nous ne sommes pas allés jusqu'à donner aux régions une compétence sur l'enseignement professionnel.

Les régions conduisent énormément de schémas, nécessitant beaucoup d'études, de recherches et, finalement, de dépenses publiques qui ne sont pas toujours utiles. Limitons-les au schéma régional de développement économique, d'innovation, d'internationalisation et au schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire, portant sur l'intermodalité et l'environnement. La nécessité d'un engagement des régions pour les infrastructures est manifeste : certains schémas de cohérence territoriale (SCoT) et plans locaux d'urbanisme (PLU), conçus en fonction de l'histoire locale, ont dû être entièrement repris après la création d'un pôle gare ou d'un dispositif d'intermodalité. La discussion est ouverte sur le contenu, l'opposabilité et la cohérence du schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire.

La question des instances exécutives et délibératives ne nous semble pas relever immédiatement de la définition des compétences.

Si la clause de compétence générale des départements est supprimée, vos débats et nos échanges nous ont conduits à créer à leur intention une compétence de solidarité territoriale : un projet structurant important pour une commune, une intercommunalité, ou toute autre organisation, qui ne se réaliserait pas faute d'aide du département, manquerait au pays. Beaucoup de zones rurales ou montagnardes en particulier connaissent de grandes difficultés d'ingénierie ; la compétence de solidarité territoriale pourra y remédier. Reconnaissons cependant que la réflexion à ce sujet est en cours : il faut le dire, nous ne sommes pas prêts.

La suppression des départements suppose la majorité nécessaire à une révision constitutionnelle. Nous avons cinq ans pour élaborer une solution, pendant lesquels les compétences sociales et de solidarité seront les plus observées par nos concitoyens.

Le débat se concentre sur les routes et les collèges. Est-il opportun de transférer l'ensemble des infrastructures de mobilité, pour plus de cohérence ? La question me semble relever de la CTAP. Dans certaines cités scolaires, les personnels non enseignants relèvent de trois employeurs différents : collège, région et État.

Nous discuterons le 15 décembre prochain de la proposition de loi de M. Pélissard et Mme Pires-Beaune sur les communes nouvelles. Ce sujet, qui n'existait pas il y a deux ans, suscite un intérêt croissant de la part de nos élus locaux : ils jugent avec raison que certaines communes ne pourront assumer les politiques publiques nouvelles demandées par nos concitoyens
- pour la petite enfance, notamment - faute d'une assiette fiscale suffisante.

Si la clause de compétence générale nous semble indispensable pour les communes, nous souhaitons supprimer le maximum de syndicats intercommunaux, dont le périmètre est inférieur ou égal celui d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. Cela représente 17 milliards d'euros de dépenses, 9 milliards d'euros en fonctionnement. Les syndicats départementaux qui fonctionnent bien, pour des frais modestes, seront évidemment conservés.

L'horizon de 20 000 habitants fera l'objet, comme le Premier ministre l'a promis avant l'été, d'adaptations. Les critères en seront la densité démographique et le temps nécessaire pour se rendre du centre de l'intercommunalité à sa frontière. La visioconférence ne saurait remplacer entièrement les rencontres entre élus, et j'ai pu me rendre compte moi-même que 20 000 habitants ne se trouvent pas aisément réunis dans nos régions de montagne. Une intercommunalité de 18 990 habitants en zone de vitalité démographique doit évidemment être conservée. Le seuil de 20 000 est un objectif fixé par souci des ressources fiscales. Si nous voulons préserver nos terres agricoles et nos espaces naturels, nous aurons à réformer la dotation globale de fonctionnement (DGF) en trouvant un autre critère que le seul bâti pour déterminer les dotations de l'État. Nous nous sommes donné jusqu'au mois de juin 2015 pour bâtir une proposition ; les préfets recevront d'ici-là des instructions simples.

Nombreux sont ceux qui souhaitent rouvrir le dossier des deux grandes métropoles de Paris et de Marseille. L'étude de l'OCDE sur l'évolution de leur PIB montre la nécessité de rationaliser la dépense publique dans ces grands ensembles, tout en y améliorant les conditions de logement et de transport. Marseille pose en outre des questions spécifiques en tant que grand port méditerranéen, qui perd de ses parts de marché par rapport à Gênes, Valence et Barcelone ; les équipements appellent une rationalisation. Nous sommes ouverts aux propositions de tous les groupes politiques et de tous les élus pour trouver un statut sui generis pour ces territoires, afin que leurs maires soient mieux entendus sur les plans d'urbanisme et sur leurs priorités d'investissement. Nous ne sommes pas favorables, en revanche, à leur donner la possibilité de lever l'impôt. La cotisation foncière des entreprises (CFE) varie de 5 à 30 sur l'aire de Paris, ce qui provoque beaucoup de dumping entre les territoires : seuls ceux qui peuvent la maintenir très bas continuent d'attirer des sièges sociaux. La concurrence n'est pas une valeur, mais un fait. Substituons-y la coopération en lissant la CFE, quel que soit le temps que cela doit prendre.

M. André Vallini, secrétaire d'État à la réforme territoriale . - Le gouvernement attend beaucoup du débat parlementaire sur ce texte, qui concerne au premier chef la Haute assemblée, chambre des collectivités locales. Le Premier ministre vous l'a dit le 28 octobre dernier : nous souhaitons que ce débat soit le plus constructif possible.

Aux régions le développement économique, aux départements la solidarité, aux intercommunalités la proximité. Le débat s'engage sur le développement économique, et il est passionnant : il s'agit, à titre expérimental et dans les régions qui le souhaiteront, d'adjoindre à l'aide aux entreprises, à leur internationalisation et à l'innovation, le service public d'accompagnement vers l'emploi. Ce serait une oeuvre décentralisatrice que l'on inscrirait dans la loi.

Cette réforme vient accompagner toutes les réformes territoriales en cours. La crise des finances publiques provoquée par la crise économique et sociale entraîne une baisse des dotations, difficile à supporter pour les collectivités. Les élus sont contraints à des efforts considérables de rationalisation de leur gestion, partant à des réformes : mutualisations, agrandissement des intercommunalités, avant même le vote de la loi. Les départements eux-mêmes se rapprochent - le Loiret, le Loir-et-Cher, l'Eure-et-Loir ; la Drôme et l'Ardèche. D'autres veulent aller plus loin, comme la Savoie et la Haute-Savoie, dont les deux présidents, que j'ai reçus il y a quelques jours, se proposent de créer une collectivité unique à statut particulier. Les élus locaux, en général, font preuve de beaucoup de créativité pour faire face à leurs difficultés.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Nos relations de travail avec vous et vos services, comme la direction générale des collectivités locales (DGCL), sont excellentes.

La réforme globale de la DGF, qui devait initialement intervenir dans le projet de loi de finances pour 2015, est repoussée à celui de 2016. Nous ne débattons pas d'un texte de décentralisation, mais d'organisation ; la décentralisation suivra cependant incessamment sous peu. Des annonces en ce sens, concernant des services de l'État, interviendront-elles avant la seconde lecture au Sénat ? Il est de la plus haute importance, pour contrôler la dépense publique, d'unifier le régime des aides économiques en évitant les doubles emplois.

Il n'y aura pas de vraie décentralisation sans déconcentration. Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ont pris un poids excessif, nombreux sont les préfets qui reconnaissent qu'elles ne rendent plus de compte qu'à leur ministère. Y aura-t-il un amendement gouvernemental sur Paris et Marseille ? Quand ?

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Je vous remercie de nous avoir apporté quelques éclaircissements supplémentaires. Nous avons un texte datant de juin 2014, dont l'objectif clairement annoncé était la dévitalisation des départements.

M. Jacques Mézard . - Leur suppression !

M. Philippe Bas , président . - L'expression est de M. Balladur.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Le gouvernement semble avoir reculé face aux difficultés constitutionnelles. Les solidarités territoriales continueraient à incomber aux départements.

Nous nous proposons de reprendre la philosophie de l'article 1 er A que nous avions inscrit dans le projet de loi sur la délimitation des régions, les élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. L'écoute que l'on nous avait promise s'est réduite à rien - le déroulement de la CMP a été caricatural. Nous préférerions être entendus !

Nous raisonnerons en fonction de la clarification des compétences
- cessons de laisser tout le monde s'occuper de tout ! La région doit fixer certaines règles en matière de développement économique, tout le monde se tenant au schéma régional. Les régions, compétentes en matière de développement économique, le seront également en matière de formation professionnelle, ce qui ne manquera pas de poser problème : l'acquisition de l'emploi ne saurait se limiter à leur périmètre. Les lycées, qui échoient aux régions, assurent aussi les formations post-bac ; les régions doivent avoir un rôle plus important dans les domaines de l'enseignement supérieur et de la recherche. Compétentes en matière de développement économique et de formation professionnelle, les régions seront nécessairement associées au service public de l'emploi. Nous ferons des propositions en ce sens sans attendre la deuxième lecture.

Un effort considérable a été accompli dans notre pays : l'ensemble des communes participent désormais à un EPCI à fiscalité propre. Cessons de fixer des seuils qui n'ont pas de sens - en Seine-et-Marne, toutes les intercommunalités sauf une ont plus de 20 000 habitants, et tout n'y est pas cohérent pour autant.

M. René-Paul Savary , rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - Voulez-vous vraiment clarifier les choses ? Les centres d'action médico-sociale précoce (Camsp), financés à 80 % par l'État et 20 % par le département, devraient l'être entièrement par l'État. Article 40 ! Rapprocher les foyers d'accueil médicalisés, double tarification département-ARS et les maisons d'accueil spécialisées (MAS), simple tarification, et appliquer le principe « un seul décideur, un seul payeur » ? Article 40 ! Et article 40 encore si nous proposons, comme vous le faites, une avancée pour le service d'accompagnement à l'emploi, qui pourrait être décentralisé. Après l'accompagnement au travail viendra la globalisation de l'accompagnement social, remettant l'usager au centre du dispositif. L'insertion sociale aura dès lors pour complément l'insertion professionnelle incombant à la région. Voulons-nous simplifier ? Article 40... Tout mon travail de clarification du texte dans le domaine social se heurte à l'interdiction du transfert de charges.

L'article 23 confie aux métropoles certaines actions sociales. Quelle vision globale pour le reste du territoire ?

Votre article 24, supprimant la clause de compétence générale des départements, leur accorde cependant le droit de continuer à accompagner financièrement les communes. Où trouveront-ils les moyens pour cela ? Et comment contribueraient-ils « au financement d'opérations d'investissement en faveur d'entreprises de services marchands » ? Qu'entendez-vous par là ?

Mme Valérie Létard , rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques . - La région étant désormais porteuse de la compétence économique, les auditions conduites par la commission des affaires économiques ont fait apparaître que les interrogations actuelles portent plutôt sur la construction du schéma régional. Devra-t-il entrer dans les moindres détails ou définir seulement les grands enjeux stratégiques ? Il est censé veiller à ce que les aides ne contribuent pas à la délocalisation de l'activité économique au sein d'une région ou vers une région limitrophe. Or des schémas seront adoptés conjointement pour les métropoles, et, à défaut d'accord, les orientations adoptées par la métropole devront prendre en compte le schéma régional. Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce point ? Comment imaginez-vous le pilotage et la coordination de l'ingénierie économique sur un territoire régional ?

M. Philippe Kaltenbach . - http://www.senat.fr/senateur/kaltenbach_philippe11084s.html Les propositions des élus de la métropole de Paris remettent en cause le schéma voulu par la loi du 27 janvier 2014 : qu'une capacité juridique soit reconnue aux conseils de territoire et qu'ils lèvent un impôt dynamique, la CFE. Si j'adhère entièrement à votre réponse, je souhaite que nous disposions très rapidement de l'amendement gouvernemental, le texte devant être débattu en séance à partir du 16 décembre prochain.

La démocratie dans ces conseils de territoires reste un sujet à traiter : les oppositions doivent y être représentées, ce que ne garantit pas le mode de scrutin actuel. Un cinquième échelon serait cause de paralysie. Comment les compétences du conseil de métropole s'articuleront-elles avec celles de la métropole ? Que deviendront, enfin, les départements de Paris et de la petite couronne, réunis dans le territoire de la métropole ? Vous vous étiez engagée à ce qu'une étude soit présentée au Parlement sur les conditions de leur suppression ou de leur fusion. Où en est votre réflexion ?

M. Jean-Pierre Sueur . - Quel est le dessein du Gouvernement ? Le fait est que ce débat a été marqué par des positions successives et changeantes. Nous pourrions faire valoir qu'elles témoignent d'une réflexion en cours. Et, après tout, la réalité est souvent ainsi : il n'existe pas de schéma a priori qu'on appliquerait ensuite.

Pour ma part, je rêve toujours d'une loi qui réorganiserait la France autour de régions et d'intercommunalités fortes. Cela suppose des évolutions autour des structures départementales sans aller jusqu'à décréter imprudemment leur disparition le jour J car je les crois nécessaires dans certaines circonstances - nous en avons beaucoup parlé à propos des zones rurales. Nous aimerions que le Gouvernement affiche une perspective claire sur ce sujet.

Mme Catherine Tasca . - L'écoute des ministres se traduira dans le débat parlementaire qui s'engage. Au Sénat, si attaché aux collectivités territoriales et à l'extrême diversité des territoires, chacun est conscient que tout schéma général peut être contredit par la réalité locale. Le Gouvernement n'a pas, pour autant, renoncé à la réforme, ce dont je le remercie également car la tentation était grande de baisser les bras.

La réforme a pour thème la clarification des compétences des collectivités. Comment la mener sans éclaircir le sort de la clause de compétence générale ? Comment articuler la compétence économique des régions avec celle des métropoles ? L'article 3 du projet de loi ne répond pas entièrement à cette interrogation.

Les intercommunalités sont évidemment au centre de cette réforme comme elles sont au coeur du paysage administratif de notre pays depuis la loi « Chevènement » du 12 juillet 1999. Le passage du seuil de 5 000 à 20 000 habitants, qui a déjà fait couler beaucoup d'encre, inquiète. Vous avez annoncé un article d'adaptation reposant sur deux critères qui sont d'ailleurs parfois difficiles à combiner : la densité démographique et la distance en temps. En quoi le seuil de 20 000 est-il facteur d'efficacité ?

M. Gérard César . - http://www.senat.fr/senateur/cesar_gerard90003b.html En rien !

Mme Catherine Tasca . - http://www.senat.fr/senateur/tasca_catherine04056j.html Qu'est devenue l'idée de réserver un sort particulier aux départements ruraux ? Enfin, l'article 33 du projet de loi prévoit une action récursoire de l'État à l'encontre de collectivités territoriales en cas de manquement aux obligations européennes. Cette disposition ne reflète-t-elle pas la faiblesse du contrôle de légalité ?

M. Jean-Pierre Vial . - Je m'associe aux propos de M. Savary : une partie de cette réforme est conditionnée par les engagements de l'État en raison de l'article 40. Les réserves de Mme Lebranchu m'inquiètent : le succès de la réforme ne dépend pas des seules collectivités. Elle l'a d'ailleurs constaté aux quasi-applaudissements qui ont suivi les observations sur les Dreal.

Au sujet des regroupements de départements, j'ai cru comprendre que M. Vallini en soutenait certains dans ma région Rhône-Alpes. Il a même évoqué la Savoie et la Haute-Savoie.

M. André Vallini, secrétaire d'État . - Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !

M. Jean-Pierre Vial . - Je n'ai pas parlé de la nouvelle collectivité... Que l'économie revienne aux régions, fort bien. À condition, toutefois, de ne pas oublier que son moteur est l'enseignement supérieur et la recherche, ce qui laisse entrevoir la complexité des articulations entre région et métropoles. Dans la région Rhône-Alpes, quid de Grenoble et de Lyon ?

Qu'adviendra-t-il des syndicats intercommunaux ? Ils constituent parfois un préalable aux regroupements. Pour preuve, un préfet très volontariste dans mon département, qui souhaitait atteindre le seuil de 20 000 habitants, a dû se résoudre à y avoir recours pour éviter une perte de compétences. L'on ne met pas en place une intercommunalité à marche forcée : on a souvent besoin de la souplesse des syndicats intercommunaux.

M. Mathieu Darnaud . - http://www.senat.fr/senateur/darnaud_mathieu14259y.html Qui fait quoi ? M. Hyest l'a bien dit, c'est la seule question qui vaille. Si nous voulons gagner en clarté, si nous voulons avancer, il faut y apporter une réponse nette.

Je suis un départementaliste convaincu. Le département est le bon échelon pour péréquer. Cela sera-t-il possible au sein des régions ? Le Gouvernement répond par la compétence relative à la solidarité territoriale. Encore faudrait-il la définir et, surtout, savoir sur quelles ressources il compte l'asseoir. La Drôme et l'Ardèche, dont M. Vallini a donné l'exemple, connaissent des situations très différentes : la Drôme a encore la capacité d'accompagner les territoires, l'Ardèche ne l'a plus.

La notion de proximité joue, même dans un État fédéral comme l'Allemagne ; c'est ce qui est ressorti de l'audition de la ministre-présidente de la Sarre la semaine dernière. C'est la raison pour laquelle le département en France a un sens profond. Des compétences structurantes telle que celle de la voirie doivent rester du ressort des conseils généraux.

Pardonnez mon insolence, si je dis avec le président Retailleau que la loi du nombre est celle de l'idiotie. Le seuil de 20 000 habitants n'a aucun sens sans un minimum d'ingénierie et de ressources. On ne pourra pas faire vivre l'intercommunalité en additionnant des communes pauvres dans certains territoires ruraux, il faut absolument repenser cette question.

M. Jacques Mézard . - Je caressais l'espoir que Mme la ministre ait eu une apparition, celle de la réalité de nos collectivités territoriales, s'étant rendue à Lourdes...

Mme Marylise Lebranchu, ministre . - Pas à Lourdes ; mais dans les Hautes-Pyrénées, oui !

M. Jacques Mézard . - Ceci explique sans doute cela... Hélas ! Ce texte, je l'ai dit et le maintiens, est dévastateur pour nos territoires interstitiels. Contrairement à Mme Tasca, dont je partage les questionnements, je n'ai pas le sentiment que le Gouvernement soit à l'écoute du Sénat. Nous en avons eu la preuve absolue lors de l'examen du premier texte consacré à la carte des régions : nos propositions ont été systématiquement balayées. Vivrons-nous la même expérience ?

J'ai toujours été favorable à la clarification des compétences. Où en est-on sur la clause de compétence générale ?

Je lis dans l'exposé des motifs : « le débat pourra s'engager sereinement sur les modalités de suppression des conseils départementaux à l'horizon 2020 »... Est-ce encore à l'ordre du jour : oui ou non ? Si oui, dites-le clairement. Nous le sentons bien, il y a eu un « juste avant » le congrès des maires ; nous sommes désormais dans le « juste après »... Votre objectif demeure-t-il, comme cela est inscrit dans le texte, de transférer la compétence de la voirie, des collèges et du transport scolaire des départements aux régions ?

Autre question qui appelle une réponse par oui ou par non, maintiendrez-vous le seuil de 20 000 habitants pour une intercommunalité ? Au demeurant, le texte ayant pris beaucoup de retard, il faudra laisser du temps aux intercommunalités qui ne sont pas encore prêtes.

Mme Tasca l'a souligné, le texte prévoit des pénalités à l'encontre des collectivités en cas de manquement aux règles européennes. Si vous imaginez pouvoir en appliquer sur la question des nitrates, vous lèverez une révolution sur nos territoires. Au rang des curiosités de ce texte, citons également la mise sous tutelle des collectivités par les chambres régionales des comptes ou encore les conventions entre chambres régionales des comptes et collectivités.

Quelle est la volonté du Gouvernement ? Il aurait beau jeu de nous dire « Travaillez, construisez, ne rendez pas copie blanche » si notre texte fait l'objet d'une destruction systématique à l'Assemblée nationale. Que les choses soient dites clairement, et nous gagnerons beaucoup de temps.

M. Yves Détraigne . - Depuis quelques années, texte après texte, nous augmentons les seuils des intercommunalités. Celui de 5 000 habitants favorisait une intégration avancée des communes au sein des EPCI à fiscalité propre. En passant à 20 000 habitants, on court le risque d'une dilution. Je connais une intercommunalité de 13 400 habitants dans la Marne, elle regroupe 60 communes. Comment, dans ce genre de secteurs, aller plus loin ? Nous aurions un groupement s'étendant sur 80 kilomètres de longueur, dont les membres, hormis la commune-centre, ne se sentiraient plus partie prenante. L'intérêt de l'intercommunalité en perdrait tout son sens. On ne peut pas décréter à Paris le seuil d'une intercommunalité dans une France, et c'est l'un de ses charmes, aux territoires aussi variés.

Une question transpartisane : au fil des années, nous renforçons les intercommunalités mais quel est l'objectif au final ? S'agit-il, en s'inspirant de la loi Paris-Lyon-Marseille de 1982, d'inverser la logique actuelle ? Les communes ne seraient plus la base de l'intercommunalité, mais en procéderaient pour se transformer en sections. Les élus qui commencent sérieusement à se poser la question seraient heureux de savoir, quelle que soit la réponse, ce qui se cache derrière cette manie législative.

Où en est la réflexion sur les moyens financiers dont disposeront les collectivités pour mettre en oeuvre les compétences nouvelles qui leur seront attribuées ? L'état de nos finances publiques ne nous offre plus le luxe de légiférer en repoussant à demain la question des ressources, sauf à décevoir les élus et les territoires chargés de mettre en oeuvre cette loi.

M. Daniel Gremillet . - La compétence économique aux régions, d'accord, mais on ne peut pas s'en tenir là. Si l'on veut un guichet unique, il faudra revoir l'architecture des services de l'État. La compétence formation professionnelle, qui est conforme à la vocation des régions, nécessitera un mariage à quatre : État, région, entreprises mais aussi régions voisines. Des passerelles interrégionales seront à aménager car chaque région n'offrira pas toutes les formations recherchées. Je le sais pour venir d'une région où le poids de l'industrie agro-alimentaire est très lourd.

Le Premier ministre, après le débat douloureux sur la carte des régions, a corrigé le tir par rapport au seuil de 20 000 habitants. Un point important à ne pas négliger dans cette discussion : la population et son adhésion à un projet intercommunal. Je ne suis pas certain que les critères de densité démographique et de distance en temps suffisent ; mieux vaudrait une approche plus fine, par bassin de vie.

M. Francis Delattre . - Merci de donner la parole à un sénateur qui n'est pas membre de l'éminente commission des lois...

M. Philippe Bas , président . - L'organisation territoriale de la France intéresse tous les sénateurs.

M. Francis Delattre . - Les départements de la grande couronne sont pris entre le marteau et l'enclume, entre une belle métropole dont les contours approchent ceux de l'ancien département de Paris supprimé il y a cinquante ans et des régions environnantes qui se renforcent. Devons-nous ressusciter le département de la Seine-et-Oise avec Versailles pour capitale ?

Les enjeux sont de taille pour la grande couronne. Dans mon agglomération, trois communes ont déposé plus de permis de construire que Paris intra-muros . Or le logement ne peut pas se concevoir sans les transports, que la future métropole revendique. Comment fera-t-on ? Interrompra-t-on les trajets à hauteur d'Épinay ? Que deviendrons-nous, nous les petits astéroïdes gravitant autour du soleil métropolitain ? Le Premier ministre, avec sa bonne ville d'Évry, connait la situation ; il doit certainement avoir quelques idées que nous aimerions connaître car nous sommes totalement dans le brouillard. Je joins nos doléances à celles des territoires ruraux, que nous sommes à moitié dans la grande couronne. Je ne sais pas comment nous pourrons fonctionner sans conseils généraux, coincés entre une région de 12 millions d'habitants et le Grand Paris. Je plaide pour leur maintien dans les départements de plus d'un million d'habitants.

M. Yannick Botrel . - Le Premier ministre a indiqué que le destin des départements différerait selon qu'ils sont urbains, ruraux, voire très ruraux ou en déshérence. Quels critères retiendrez-vous pour les classer dans ces trois catégories ?

Les syndicats intercommunaux ont tendance à disparaître à mesure que progresse l'intercommunalité, c'est exact. En revanche, il y va différemment des syndicats départementaux. Ces émanations du bloc communal sont peu nombreuses, je n'en connais que deux dans les Côtes-d'Armor. L'article 14 du projet de loi les maintient, je m'en réjouis dès à présent, je serai vigilant pour la suite.

M. Franck Montaugé . - La compétence économique surdétermine l'avenir des territoires. Quelle sera la contribution effective des territoires ruraux à la création de valeur et d'emploi en lien avec la métropole ? Évitons la caricature de territoires ruraux sous perfusion de dotations, quand bien même leurs dotations seraient adaptées. Cela m'amène à la question du seuil des EPCI à fiscalité propre. Dans le Gers, le passage à 20 000 habitants aboutirait à des territoires longs de 80 kilomètres et larges de 30 kilomètres. Cependant, la question ne porte pas tant sur le seuil que sur les ressources dont disposeront ces groupements de collectivités pour faire face aux besoins des populations. Dans les territoires ruraux, c'est l'interrogation principale.

M. François Bonhomme . - Si le texte a évolué entre juin et septembre, de nombreuses ambiguïtés demeurent, notamment sur la compétence de solidarité territoriale. Néanmoins, la faute originelle de ce projet de loi réside dans la fixation du seuil de 20 000 habitants. Mortifère pour les territoires ruraux, il diluera le sentiment d'appartenance. Quand la période est à la raréfaction des dotations publiques et à la dégradation des capacités d'autofinancement, on peine à imaginer comment cela fonctionnera avec des départements, affaiblis, dépouillés de leurs principales compétences et réduits au rôle de prestataire social. Abandonnons ce seuil pour retenir la notion de bassin de vie de l'Insee. C'est également la condition pour faire vivre la démocratie locale et la proximité amoindries par le nouveau mode d'élection des conseillers généraux.

Espérons que le Gouvernement revienne au moins sur ce point. Sinon, il ne nous restera qu'à allumer un cierge à Lourdes... Que le groupe RDSE, si attaché à la laïcité, s'autorise des invocations qu'il évite habituellement manifeste tout le désarroi des élus.

M. Jérôme Bignon . - Le seuil de 20 000 habitants pose un problème de déficit démocratique. Imaginez-vous 90 maires regroupés dans une salle qui n'a ni les dimensions ni l'équipement de celle-ci. Aux places du fond, ils n'entendent pas l'orateur qui s'exprime sans micro. Ils en repartent sans avoir compris de quoi il retournait. Vous me direz que les documents peuvent leur être envoyés par internet, sauf que le très haut débit n'a pas atteint toutes les campagnes. Un changement de programme ? Impossible de joindre les élus sur leur portable car le réseau de téléphonie mobile est trop faible. Résultat, les communautés renvoient à leur bureau...

La réalité des élus ruraux n'a rien à voir avec celle des élus urbains. Durant la campagne sénatoriale, j'avais suggéré que les stagiaires de l'ENA effectuent tous le tour des communes de France pour modifier leur regard sur ce qui représente tout de même 85 % de notre territoire. Qu'on ne s'étonne pas du sentiment d'isolement des élus ruraux.

Sans être insolent, madame la Ministre, les intercommunalités de 80 communes traversées par une quatre voies sont rares. S'il y en a, aucune sortie n'a été aménagée pour elles ; elles doivent se contenter de regarder passer les voitures. Dans ces zones, ce sont des petites routes, de moins en moins entretenues parce que les dotations qui leur sont consacrées ont diminué de 50 % en l'espace de trois ans.

Enfin, concernant les Dreal et au risque de vous choquer, le dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution dispose que les préfets sont les représentants de l'État dans leur département. Qu'ils fassent leur travail...

M. Gérard César . - Ils ne le font pas !

M. Jérôme Bignon . - C'est à eux qu'il revient de faire les arbitrages.

M. Philippe Bas , président . - Certaines questions sont derrière nous. Le texte a évolué depuis son dépôt le 18 juin dernier. Le Gouvernement a mis à profit ces six mois pour écouter, discuter et prendre des positions sur les départements qui ne sont pas celles que l'on lit dans l'exposé des motifs. Le débat sur leur suppression était d'anticipation en juin, il est dorénavant rétrospectif. Que feront les départements demain ? Voilà la seule interrogation d'actualité.

Plusieurs collègues ont évoqué la transformation de ce projet en un texte de décentralisation sur les régions. On ne comprendrait pas que des grandes régions stratèges en matière d'économie n'aient pas la compétence de lutte contre le chômage et de reconversion des bassins d'emploi. À cette question majeure, le Gouvernement devra répondre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre . - Effectivement, le débat sur les départements est derrière nous. La rénovation de la politique économique se pose partout en Europe, nous en parlions avec d'autres États membres hier, puisque l'organisation actuelle n'a pas empêché la crise. L'Italie, elle, a choisi de supprimer les provinces pour créer des aires d'initiative territoriale. Le Premier ministre a dit le changement de cap du gouvernement sur les départements. Reconnaissez qu'il y a une certaine noblesse à modifier sa position pour tenir compte de l'avis du Parlement.

Nous connaîtrons évidemment des moments difficiles au cours de nos débats ; comptez cependant sur ma volonté de faire converger au maximum votre vision avec celle des députés. Eux aussi connaissent les départements ruraux à faible démographie, certains y ont été élus. Je connais également les territoires de France : l'agglomération où je vis mais dont je ne suis plus présidente n'est pas traversée par une voie rapide ; sa voisine, en revanche, l'est. Mais je suis tout autant attentive aux territoires urbains où se côtoient l'hyper-richesse et l'hyper-pauvreté. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. À l'un de vos collègues députés qui avait écrit un texte pour démontrer l'importance des départements en zone rurale, j'expliquais que l'existence de conseils généraux n'avait pas mis fin à la situation dramatique dans ces territoires.

L'effort doit porter sur les départements très ruraux et les départements urbains en grande difficulté. Qui finance la solidarité ? La péréquation n'y suffira pas. Faut-il une assiette fiscale territoriale très large, un système de ticket modérateur ou la faire porter sur les familles au moment de la succession, sur la solidarité nationale ? J'entends vos remarques sur l'article 40 de la Constitution. Nous devons y réfléchir en amont de la discussion. En tout cas, l'existence de départements ne règle pas le problème.

Comme vous le savez, j'ai nommé un sénateur et un député pour réfléchir à une réforme de la DGF. Je l'ai fait car le milieu rural ne peut plus vivre avec une DGF assise sur le bâti et la population. C'est primordial si nous ne voulons plus que l'équivalent d'un département de terres agricoles disparaisse tous les dix ans, si nous voulons conserver nos zones Natura 2 000 et nos périmètres de captage, si nous voulons continuer d'assurer notre indépendance alimentaire en 2035. Il faudra prendre en compte les mètres carrés agricoles et les mètres carrés nécessaires à la protection de nos espaces dans l'assiette de la DGF.

Les métropoles, abcès de fixation de la demande de solidarité, ont une responsabilité. Pour son territoire malade où le pourcentage de vote aux extrêmes est si élevé qu'il atteint presque la majorité, Jean-Pierre Balligand, président de l'Institut de la gouvernance territoriale et de la décentralisation, demande à la métropole des logements pour ses étudiants et ses jeunes en alternance, un accompagnement de leur mobilité. C'est aussi cela l'obligation de solidarité. M. Mézard marque qu'il trouve cette remarque idiote, il n'empêche, certains sujets sont communs aux départements urbains et ruraux. Je m'engage à examiner de près où l'article 40 pourrait provoquer des blocages.

Autres abcès de fixation, les Dreal. C'est affaire de contrôle. La difficulté ne tient pas à elles - qu'on ne reproche pas aux fonctionnaires d'appliquer la loi - mais aux populations et à notre procédure, qu'ils proposent d'ailleurs de simplifier. Actuellement, 90 % des projets ne voient jamais le jour à cause des recours et des contentieux ; il faut dix ans, en moyenne, pour mener à terme un gros chantier. Avec MM. Vallini et Mandon et Mme Royal, nous nous attelons à simplifier notre droit. Il faudrait également inclure dans ce débat les Direccte. Quels personnels mettre à disposition des régions ?

Vous n'êtes pas sans le savoir, nous procédons actuellement à une revue des missions de l'État. Ses résultats seront publiés en février prochain. À partir de là et de l'évaluation de politiques publiques telle que les 85 milliards d'euros d'aides aux entreprises, nous ferons des propositions et débattrons avec les commissions. Dans le même temps, M. Cazeneuve travaille sur l'administration territoriale de l'État. L'échelon départemental s'est détérioré du fait que la RéATE, pourtant une bonne idée, s'est heurtée à la RGPP. Il faut redonner de l'ingénierie aux départements, rehausser le rôle du préfet et l'interministérialité des services, nous en sommes tous d'accord.

Le contrôle ou plutôt la culture du contrôle, nous en avons besoin pour nos exportations et importations agricoles. Sans cachet, comment certifier la qualité d'une viande animale venant de l'étranger ? Une réécriture du contrôle est à mettre en oeuvre, le Parlement sera appelé à en débattre.

Le Gouvernement présentera avant nos débats un amendement perfectible sur Paris et Marseille, je m'y engage. Il s'agit de donner un statut à ces territoires, sans revenir à un syndicat d'EPCI qu'a rejeté le Sénat, lui qui est à l'origine de la métropole du Grand Paris. Développement économique, logement et transport étant largement liés, nous trouverons des solutions. À propos de la Grande couronne justement, nous avons tenu Roissy, Saclay ou encore le grand ensemble Val-d'Oise hors du Grand Paris. En effet, la mobilité des salariés est une vraie question : être obligé de passer par Paris pour rejoindre l'aéroport quand l'on vient de chez M. Delattre paraît incohérent. Le dire n'est pas mettre en cause le projet de Grand Paris Express décidé par l'ancienne majorité, nous y avons même mis quelques milliards d'euros. Nous devrons porter ce sujet avec les élus de la Grande couronne et la région Ile-de-France qui est la seule à détenir un outil opposable.

Monsieur Hyest, vous avez posé une fort bonne question sur le lien entre économie et formation professionnelle.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - Merci !

Mme Marylise Lebranchu, ministre . - Le Gouvernement a ouvert la porte sur l'accompagnement vers l'emploi ; je l'ai dit à votre président, M. Larcher, qui est d'ailleurs l'initiateur du regroupement de l'ANPE et des Assedic au sein de Pôle emploi - l'idéal eût été de décentraliser les ANPE. Les parlementaires présenteront leurs amendements, je proposerai des expérimentations sous la forme de conventions d'objectifs et de moyens et d'un chef de filat. La plus forte opposition vient des missions locales.

M. René Vandierendonck , co-rapporteur . - Nous l'avons vu.

Mme Marylise Lebranchu, ministre . - D'autres pistes peuvent être explorées : la présence des régions au sein des conseils d'administration de Pôle emploi, le transfert aux régions de la tutelle des missions locales et des maisons de l'emploi, la fusion des structures d'accompagnement au niveau régional...

Monsieur Hyest, tout à fait d'accord sur le post-bac. Les BTS représentent parfois une voie de refuge pour des familles qui ne peuvent pas payer d'études longues à leurs enfants. Attention à l'égalité des possibles ! La discussion est ouverte sur les contenants, mais pas sur les contenus. Les centres de ressources technologiques sont de merveilleux outils au sein des lycées techniques.

Le seuil de 20 000 habitants pour les EPCI à fiscalité propre, mais M. Vallini y reviendra plus longuement, est documenté ; pour nous, il est le gage d'une intercommunalité qui fonctionne, d'une intercommunalité efficace. C'est la seule façon de sauver les communes, même si je ne suis pas certaine qu'il faille toujours laisser le choix : l'objectif n'est pas de les faire disparaître.

Madame Létard, si vous pouvez me résumer votre grand projet en trente lignes, je suis preneuse. Je n'ai qu'un dessein : redresser le pays, l'emploi. Nos concitoyens veulent aussi vivre correctement, ils attendent de plus en plus de services. Les territoires ne sont pas seulement des territoires de vie, ce sont aussi des facteurs de production. Certains créent moins de valeur qu'ils ne le pourraient parce qu'ils n'ont pas les outils, l'ingénierie. Disons les choses, un projet de communautés de communes ne peut pas aboutir si un assistant ne se charge pas de sa rédaction.

Nous devons absolument mentionner les services marchands, parce que la compétence économique est donnée aux régions ; ces services, ce sont le bureau de poste, la boulangerie ou encore le groupement de médecins qui doivent être accompagnés pour se maintenir.

Mon dessein est aussi de sortir de la logique de concurrence entre régions pour en venir à la coopération. C'est pourquoi j'ai défendu le transfert de la compétence voirie aux régions, le bon niveau pour la péréquation. Le Sénat pense différemment, soit. Nous en reparlerons mais n'oublions pas que des transferts en sens inverse peuvent être décidés au sein des conférences territoriales de l'action publique, ainsi pour les cités scolaires.

La clause de compétence générale, nécessaire durant la période transitoire, peut être supprimée de nouveau puisqu'il existe à présent des conférences territoriales et une clause de solidarité territoriale.

La gestion des fonds structurels européens étant désormais confiée aux régions, le texte prévoit logiquement qu'elles seront responsables en cas de manquement aux règles européennes. En revanche, l'État le restera pour sa part FSE. Nous éviterons ainsi des contentieux inutiles.

M. André Vallini, secrétaire d'État. - La certification des comptes des grandes collectivités territoriales garantit leur régularité et leur sincérité. Si certains élus sont réticents à s'engager dans ce processus, perçu comme suspicieux, lourd et coûteux, il est cependant facultatif et ne concerne que les collectivités dont les produits de fonctionnement sont supérieurs à 200 millions d'euros ; il est protecteur pour elles, puisque la convention précise le champ, le référentiel et les moyens du contrôle avec l'avis des ministres compétents ; il est progressif, enfin, avec un bilan intermédiaire après trois ans et définitif qu'après huit ans.

Les moyens nécessaires aux régions pour exercer leurs nouvelles compétences, provenant largement de la DGF et de la CVAE, seront en débat lors de la préparation du projet de loi de finances pour 2016. Il faudra non seulement rendre la DGF plus lisible, plus simple et plus équitable, notamment à l'égard du milieu rural, mais opérer des transferts de fiscalité, sans doute des départements vers les régions en fonction de leurs compétences respectives. Si les présidents de région ne souhaitent pas de transferts de compétences considérables, en dehors du domaine économique, ils prétendent néanmoins à d'importants transferts de CVAE.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur . - C'est cela !

M. André Vallini, secrétaire d'État . - Le débat aura lieu avec les associations d'élus, au sein du Comité des finances locales et au Sénat.

La seule solution pour sauver les communes françaises, c'est l'intercommunalité. Elles l'ont bien compris, et l'on assiste depuis vingt ans à une révolution silencieuse sur nos territoires : au 1 er janvier 2013, 200 mouvements de fusion ou de rattachement de communes isolées avaient eu lieu depuis la loi de 2010 ; au 1 er janvier 2014, 300. Une diminution de 2 600 à 2 150 intercommunalités en deux ans, c'est énorme ! Nous voulons aller encore plus loin, quitte à prévoir de multiples dérogations au seuil de 20 000 habitants, suivant des critères démographiques, géographiques, kilométriques... Prenons garde toutefois : une suppression complète de ce seuil ralentirait l'évolution.

La vraie question que les élus se posent, et que j'entends sur mon territoire, est celle de la stabilité : après la loi de 2010 et le redécoupage des cantons, nous proposons encore une nouvelle carte des intercommunalités. Nous en débattrons, et écouterons tout particulièrement le Sénat, monsieur Mézard.

Le conseil général de l'Isère discutait il y a quinze jours de la répartition de subventions. Une commune de 89 habitants s'est lancée dans un projet, très modeste à l'échelle du département, très important pour elle, de rénovation de sa salle des fêtes ; il est subventionné à 90 % par l'Europe, la région, le département et la communauté de communes ; manquent 10 %, que le maire nous demande.

M. René-Paul Savary , rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - La loi limite la subvention à 80 % !

M. André Vallini, secrétaire d'État . - C'est vous dire s'il y a lieu de se poser la question de la justification de communes de cette importance, et si la proposition de loi relative aux communes nouvelles est bienvenue. Elle suscite beaucoup d'intérêt : une dizaine de fusions sont envisagées rien que dans mon département.

Le Premier ministre a annoncé en avril dernier l'ouverture du débat, d'ici 2021, sur l'avenir des départements. S'il s'est déclaré favorable à leur suppression, il n'a jamais été question d'une date couperet. Les cartésiens que nous sommes voient l'organisation territoriale de la République comme un jardin à la française. Ce modèle est dépassé. Notre grand dessein, Jean-Pierre Sueur, est d'être utile aux territoires, de les aider à rendre le meilleur service aux citoyens. Oui, la loi a évolué, parce que le gouvernement a écouté le Parlement et les associations d'élus. Nous sommes pragmatiques : la France n'a plus besoin d'être administrée de la même façon de Lille à Perpignan ou de la Bretagne à l'Alsace. Il serait évidemment regrettable que les deux départements savoyards fassent sécession, mais l'administration territoriale de la République est capable de s'adapter à la réalité de ses différents territoires. Le rapport passionnant sur l'hyper-ruralité de votre collègue Alain Bertrand, que j'ai eu le plaisir de recevoir, dit à quel point il est important, notamment en milieu rural, que les intercommunalités aient une taille suffisante pour disposer d'ingénierie, rendre des services à la population.

M. René-Paul Savary , rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - Il faudrait qu'elles aient 40 000 habitants pour être rentables.

M. André Vallini, secrétaire d'État . - Vous n'y pensez pas ! On me dit que 20 000, c'est parfois déjà trop.

M. Philippe Bas , président . - Merci, monsieur le Ministre, nous sommes très sensibles au fait que Mme Lebranchu et vous ayez pris le temps de nous écouter et de nous répondre.

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