B. UNE RÉFORME DU STATUT DE L'AGENCE FRANCE-PRESSE DEVENUE INDISPENSABLE

1. Une réforme de la gouvernance qui prolonge les réflexions du Sénat
a) La proposition de loi sénatoriale de 2011

La situation de l'Agence France-Presse (AFP) occupe depuis longtemps l'attention de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Héritière de l'agence Havas, l'AFP est la seule agence d'information mondiale non anglo-saxonne et constitue un véritable bijou du journalisme professionnel et indépendant. Elle incarne dans le monde la liberté d'information et joue un rôle unique dans le développement de la francophonie. De nos jours, elle constitue également un acteur européen de premier plan qui produit de l'information en six langues et qui est beaucoup plus impliqué dans le suivi de l'actualité des institutions européennes que les deux autres grandes agences mondiales, Associated Press (AP) et Reuters.

Si l'AFP dispose d'une position enviable au niveau mondial, son statut sui generis tel qu'il est défini par la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 n'est pas sans lui poser de véritables difficultés compte tenu, en particulier, de l'absence de capital de la société qui constitue un frein structurel à son développement. Par ailleurs, la composition de son conseil d'administration - comprenant uniquement des personnalités françaises sans véritable expérience internationale - ne correspond pas aujourd'hui à la réalité de l'activité de la société qui réalise la majorité de son chiffre d'affaires hors de France.

Consciente de ces difficultés, votre commission a organisé, le 12 janvier 2010, une table-ronde sur l'avenir de l'Agence France-Presse afin d'examiner les voies d'une réforme de son statut. Ce travail a été suivi du dépôt d'une proposition de loi5 ( * ) le 17 mai 2011 à l'initiative du président de votre commission de l'époque, Jacques Legendre .

Cette proposition de loi prévoyait notamment de :

- porter à cinq ans la durée du mandat des membres du Conseil supérieur de l'AFP chargé de la déontologie ;

- refondre la composition du conseil d'administration en ramenant à quatre le nombre de représentants des médias français d'information ;

- nommer au conseil d'administration six personnalités indépendantes disposant d'une expérience reconnue dans les domaines de l'information et du journalisme, de la vie internationale des entreprises de médias d'information et de la francophonie, dont au moins une personne de nationalité étrangère ;

- supprimer la commission financière et recourir à des commissaires aux comptes ;

- préciser, conformément au droit européen, que « les ressources publiques allouées à l'Agence France-Presse en compensation des missions d'intérêt général mises à sa charge n'excèdent pas le montant du coût net d'exécution desdites obligations » ;

- confier au contrat d'objectifs et de moyens (COM) le soin de définir les missions d'intérêt général incombant à l'Agence et ouvrant droit à une compensation financière ainsi que ses axes prioritaires de développement, ce COM devant être soumis pour avis aux commissions des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat ;

- soumettre l'AFP au contrôle de la Cour des comptes.

Cette proposition de loi, qui faisait a priori l'objet d'un large accord, n'ayant toutefois pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat. Le Gouvernement souhaitait donner du temps au temps et les évolutions statutaires envisagées n'ont pu, depuis lors, être mises en oeuvre.

b) Les mesures prévues par la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale

Afin de reprendre le travail de modernisation du statut de l'AFP, le Premier ministre a confié une mission à Michel Françaix, député de l'Oise. Dans sa lettre de mission en date du 4 octobre 2013, Jean-Marc Ayrault lui demandait en particulier d'évaluer « l'adéquation des conditions législatives, réglementaires et financières régissant l'exercice de ses missions par l'AFP ». Les propositions devaient tout à la fois « permettre de garantir l'indépendance éditoriale de l'AFP, de trouver des ressources de financement durables et de respecter le droit européen de la concurrence ».

Dans son rapport remis au printemps dernier, Michel Françaix a notamment validé le plan d'investissement à hauteur de 34 millions d'euros en considérant qu'il devait être porté par une filiale technique de moyens, cette filiale devant s'appuyer sur l'apport en fonds propres et en prêts d'institutions publiques.

Il a également proposé des évolutions dans la gouvernance de l'Agence afin, en particulier, d'ouvrir la composition de son conseil d'administration en réduisant le nombre de représentants de la presse à cinq ou six et en prévoyant la nomination de cinq à sept personnalités qualifiées, ce que proposait déjà Jacques Legendre en 2011. Michel Françaix proposait également que les membres du Conseil supérieur soient choisis parmi des personnes « en activité » et que le mandat du président-directeur général soit porté de trois à cinq ans .

Les propositions faites par Michel Françaix ont été reprises dans le cadre de la proposition de loi qui fait l'objet du présent rapport et qui n'a été modifiée qu'à la marge par la commission des affaires culturelles et de l'éducation, puis en séance publique.

À l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale, les principales dispositions de la proposition de loi relatives à l'Agence France-Presse prévoient que :

- la durée du mandat des membres du conseil supérieur, du conseil d'administration et de la commission financière passerait de trois à cinq ans, le mandat devenant renouvelable une fois ;

- les deux membres du conseil supérieur actuellement choisis par les autres membres de ce conseil, l'un parmi les anciens ambassadeurs, l'autre parmi les anciens préfets, seraient remplacés par deux parlementaires désignés par les commissions permanentes chargées des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat ;

- le conseil supérieur nommerait cinq personnalités qualifiées au sein du conseil d'administration tandis que le nombre de représentants des médias français passerait de huit à cinq ;

- un troisième membre du personnel, représentant les journalistes, rejoindrait le conseil d'administration ;

- l'expert nommé par le ministre chargé de l'économie et des finances au sein de la commission financière serait remplacé par un membre de la cour des comptes ;

- la parité s'imposerait pour la composition du conseil supérieur et du conseil d'administration.

Votre commission n'a pas souhaité remettre en cause ces dispositions qui constituent des avancées . Elle observe simplement que ces modifications concernent essentiellement le conseil d'administration et ne permettent pas d'instaurer une gouvernance équilibrée en l'absence de contrepouvoir effectif au président-directeur général et au conseil d'administration . Elle vous proposera donc d'aller plus loin dans la modernisation de la gouvernance de l'AFP en créant un véritable organisme de contrôle sous la forme d'une « commission de surveillance » de l'Agence et en prévoyant une internationalisation effective de son conseil d'administration.

2. Une adaptation du statut au droit européen devenue incontournable
a) Le contentieux engagé devant la Commission européenne

Si la proposition de loi de Michel Françaix trouve son origine dans la proposition de loi du 17 mai 2011 de Jacques Legendre relative à la gouvernance de l'Agence France-Presse, son calendrier d'adoption et donc le rythme de son examen tient davantage à la nécessité de mettre le statut de l'AFP en conformité avec le droit européen à la suite du contentieux ouvert devant la Commission européenne, le 22 février 2010, par l'agence de presse allemande « DAPD Nachrichten ». C'est en effet la plainte de ce concurrent de la filiale de l'AFP en Allemagne, AFP GmbH, qui a déclenché l'enquête de la Commission européenne sur la compatibilité du financement public de l'AFP avec le droit européen.

À l'occasion de l'instruction de cette plainte, la Commission européenne a été amenée à examiner le régime juridique de l'AFP depuis sa création par l'ordonnance du 30 septembre 1944 afin, en particulier, de déterminer l'ancienneté des aides dont elle bénéficie. Elle a ensuite examiné l'ensemble des aides publiques perçues, c'est-à-dire les aides sous forme d'abonnement, les règles générales de la procédure de faillite ainsi que l'exonération de la contribution économique territoriale (CET).

Le Gouvernement a été vigilant, dans le cadre de ce dialogue, à rappeler le caractère exceptionnel du rôle de l'AFP et le fait que sa mission d'intérêt général ne pouvait se limiter à son activité francophone, la loi ayant confié à l'AFP mission de « constituer un organisme d'information à rayonnement mondial » ce qui lui imposait d'exercer son activité dans les grandes langues de communication internationale.

Il a aussi défendu le fait que l'AFP représentait un intérêt particulier pour tous les pays européens compte tenu de l'attention plus soutenue qu'elle accorde aux thèmes européens et aux pays avec lesquels les États européens entretiennent des relations plus intenses comme les pays d'Afrique et du Proche Orient.

Au final, le Gouvernement a démontré l'impossibilité de rentabiliser l'activité de l'AFP compte tendu de la croissance des coûts consécutifs à la couverture géographique et de la faible monétisation de l'information internationale, légitimant, par là-même, le principe des aides publiques.

À l'issue de ce dialogue, le Gouvernement a pris un certain nombre d'engagements qui ne remettent pas en cause la mission de l'AFP mais qui mettent en conformité son statut avec le droit européen. Il a ainsi prévu de distinguer la subvention ayant pour objet de compenser les coûts nets des missions d'intérêt général exercées par l'AFP du paiement des abonnements souscrits par les services de l'État auprès de l'AFP dont le montant devra être conforme au prix du marché.

b) La spécificité de l'Agence France-Presse reconnue par la proposition de loi

Les engagements pris par le Gouvernement envers la Commission européenne se traduisent dans la proposition de loi par quatre dispositions :

- la commission financière de l'AFP se voit reconnaître la mission de s'assurer annuellement que la compensation financière versée par l'État n'excède pas les coûts nets générés par l'accomplissement des missions d'intérêt général. Cette disposition attribue donc à un organe de l'AFP indépendant le soin de veiller au respect des obligations de l'Agence en matière de règlementation européenne sur les aides publiques ;

- l'article 13 de la loi du 10 janvier 1957 précitée est modifié afin de prévoir que « les activités de l'Agence France-Presse ne relevant pas des missions d'intérêt général définies aux articles 1 er et 2 font l'objet d'une comptabilité séparées » . Cette disposition est la plus importante puisqu'elle permet d'assurer qu'il n'y aura pas de financements croisés des activités marchandes par des aides publiques ;

- la proposition de loi précise également que les prix des abonnements souscrits par l'État auprès de l'AFP seront dorénavant déterminés sur la base des « grilles tarifaires générales de l'agence » et que la convention devra prévoir les conditions de leur révision. Cette rémunération aux conditions du marché était demandée par la Commission européenne afin d'éviter une éventuelle surcompensation ;

- enfin, il est affirmé que « la responsabilité de l'État ne peut se substituer à celle de l'AFP envers ses créanciers », ce qui permet d'éviter de faire bénéficier l'Agence d'un éventuel avantage lié à la qualité du risque attaché à ses créances.

Votre commission estime que ces dispositions permettent non seulement de mettre le statut de l'AFP en conformité avec le droit européen en matière d'aides publiques mais qu'elles ont aussi le mérite de sécuriser le modèle de l'AFP pour l'avenir tout en reconnaissant la spécificité et l'importance de sa mission. Elle vous proposera donc de les adopter sans modification en considérant que l'AFP est aujourd'hui confortée dans son modèle juridique à défaut d'avoir pu stabiliser son modèle économique. Votre commission souhaite également donner acte au Gouvernement qu'il a défendu avec efficacité et pertinence l'AFP dans le cadre de ces échanges constructifs avec la Commission européenne.


* 5 Proposition de loi n° 522 (2010-2011) relative à la gouvernance de l'Agence France-Presse déposée par Jacques Legendre.

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