SECTION 2 - Agences des cinquante pas géométriques

Article 8 (art. 4 de la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer) - Prolongation de trois années de l'activité des agences de la zone des cinquante pas géométriques

Le présent article tend à prolonger de trois années l'activité des agences de la zone des cinquante pas géométriques.

À ce jour, il existe deux agences de ce type : une en Guadeloupe et une en Martinique . Elles sont compétentes pour la mise en valeur des « espaces urbains et secteurs occupés par une urbanisation diffuse » 18 ( * ) des zones des cinquante pas.

Les zones des cinquante pas géométriques

Elles correspondent à une surface d'une largeur de 81,20 mètres décomptés à partir de la limite du rivage de la mer (article L. 5111-2 du code général de la propriété des personnes publiques).

Propriétés de la puissance publique depuis l'édit de Saint-Germain-en-Laye de 1674, les zones des cinquante pas géométriques ont d'abord facilité la défense des îles des Antilles. Elles sont aujourd'hui un instrument de préservation du littoral.

Elles font partie du domaine public maritime de l'État (article 5111-1 du code précité). Elles bénéficient, à ce titre, des garanties d' inaliénabilité et d' imprescriptibilité : sauf procédure de déclassement préalable, elles ne peuvent pas être cédées à une personne privée et ne font pas l'objet de prescriptions acquisitives 19 ( * ) .

À partir de la fin XVIII ème siècle, une partie des zones des cinquante pas géométriques a été occupée par des personnes ne disposant pas de titre de propriété . Comme le soulignait notre collègue Serge Larcher, « l'abolition de l'esclavage a conduit les travailleurs des plantations à se diriger vers les terres disponibles du littoral pour s'y établir, faute de moyens pour acquérir les terrains mieux situés (...) Ce mouvement séculaire s'est renforcé au XX ème siècle du fait de l'exode rural et de la pénurie des logements sociaux » 20 ( * ) .

En 1996 , 12 000 occupations sans titre étaient recensées en Guadeloupe , soit 16 % de la surface de la zone des cinquante pas géométriques de l'île. La situation était encore plus préoccupante en Martinique où l'on recensait 15 000 occupations représentant 38 % de la surface de la zone 21 ( * ) . Au total, 15 % de la population de la Guadeloupe et de la Martinique y vivraient.

En réponse à cette situation, la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 22 ( * ) a lancé un processus de régularisation de la situation foncière des occupants sans titre des zones des cinquante pas de Guadeloupe et de la Martinique. Elle a créé deux dispositifs complémentaires :

- la cession à titre gratuit aux communes et aux organismes de logements sociaux des terrains pour mener des opérations d'aménagement à des fins d'utilité publique (article L. 5112-4 du code général de la propriété des personnes publiques) ;

- la cession à titre onéreux de terrains au bénéfice des occupants qui ont construit un édifice à titre professionnel ou personnel dans la zone des cinquante pas avant le 1 er janvier 1995 (article L. 5112-5 et L. 5112-6 du code précité). Les dossiers correspondants doivent être déposés auprès du préfet avant le 1 er janvier 2016 , sous peine de forclusion de la procédure de régularisation.

Les agences des zones des cinquante pas de Guadeloupe et de la Martinique ont été créées en 1996 afin de participer à la gestion de ces zones et notamment d'accompagner ce processus de régularisation foncière.

Constituées pour une durée limitée, elles devaient cesser leur activité au 1 er janvier 2016 (actuel article 4 de la loi n° 96-1241 précitée). Constatant que leurs objectifs n'ont pas été atteints , le Gouvernement propose de proroger leur activité de trois ans .

1. Le bilan mitigé des agences des cinquante pas

Les agences des cinquante pas géométriques sont des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) exerçant deux missions : une mission prioritaire d'accompagnement du processus de régularisation et une mission secondaire d'aménagement foncier (article 5 de la loi n° 96-1241 précitée). Le bilan de chacune de ces deux missions apparaît aujourd'hui mitigé.

1.1. Un processus de régularisation inachevé

Ces agences interviennent lors de plusieurs phases d'une procédure de régularisation complexe. Elles assistent le demandeur dans sa démarche mais participent également à l'instruction de son dossier .

Schéma simplifié de la procédure de régularisation des titres
dans les zones des cinquante pas géométriques

Source : commission des lois du Sénat

À ce jour, seuls 504 dossiers reçus par l'agence des cinquante pas géométriques de Guadeloupe ont abouti à une cession effective , ce qui représente seulement 8,9 % des dossiers. En Martinique , le nombre de cessions est un peu plus important (765) mais ne représente qu'une faible part des dossiers reçus ( 13, 4 %) 23 ( * ) .

Au total, le nombre d'occupations illégales ne diminue guère car, dans le même temps, les constructions illicites sur les espaces littoraux se poursuivent, les dispositifs de police de l'urbanisme 24 ( * ) n'étant que rarement utilisés pour y mettre fin.

À ce jour, il resterait environ 6 500 occupations régularisables en Martinique et 8 000 en Guadeloupe .

Ces difficultés peuvent s'expliquer par :

- la lourdeur de la procédure de régularisation ( Cf . supra ) ;

- la complexité des dossiers de reconstitution des titres de propriété ;

- le faible niveau de ressources des occupants , bien qu'une aide spécifique de l'État (article 3 de la loi n° 96-1241) soit attribuée à environ 45 % d'entre eux pour un montant total de 500 000 euros ;

- la localisation d'une partie des occupations illégales dans des zones inconstructibles au titre des plans de prévention des risques naturels (PPRN), occupations qui ne sont pas régularisables de ce fait. Si seulement 6,15 % des cas sont concernés à la Martinique, cette difficulté est plus importante en Guadeloupe où 42 % des occupations sont situées dans des « zones rouges » du PPRN 25 ( * ) .

1.2. Une compétence d'aménagement aux résultats inégaux et parfois peu compatibles avec la mission de régularisation

Cette compétence « secondaire » des agences des cinquante pas géométriques (article 5 de la loi n° 96-1241 précitée) consiste à réaliser des études d'aménagement sur la zone mais également à organiser des travaux de voies d'accès, de réseaux d'eau potable et d'assainissement. Ces travaux sont exécutés en coordination avec les communes qui peuvent également participer au financement de ces opérations.

En Guadeloupe, seule une dizaine de chantiers d'équipement ont été menés, l'État et l'agence des cinquante pas géométriques ayant eu des divergences importantes sur ses compétences en matière d'aménagement.

A l'inverse, les travaux menés par l'agence des cinquante pas géométriques de la Martinique semblent très conséquents au regard de la durée de vie limitée de cet établissement public ( Cf . infra) : entre 10 et 15 années seraient nécessaires pour terminer les travaux envisagés dont le coût est estimé à 300 millions d'euros 26 ( * ) .

Enfin, il existe un risque que l'activité d'aménagement des agences soit privilégiée face à la mission de régularisation car elle est plus aisée techniquement à exercer et est considérée comme plus valorisante pour les agents.

2. La prolongation de l'activité des agences des cinquante pas géométriques

2.1. Une prolongation de leur durée d'activité pour trois années supplémentaires

Le présent projet de loi propose de prolonger de trois années l'activité des agences des cinquante pas de Guadeloupe et de la Martinique, qui seraient dès lors dissoutes au 31 décembre 2018 et non, comme le prévoit le droit en vigueur, au 1 er janvier 2016.

Le Gouvernement souhaite ainsi éviter toute rupture dans la gestion de la zone des cinquante pas . Ce délai supplémentaire serait utilisé par les agences pour assurer l'accompagnement des procédures de régularisation jusqu'à leur terme 27 ( * ) et terminer les travaux engagés.

2.2. Une solution de court terme qui ne doit pas masquer la nécessité de créer un dispositif pérenne

Votre rapporteur constate qu'il s'agirait d'une quatrième prolongation de la durée d'activité des agences des cinquante pas qui avaient été créées en 1996 pour une durée initiale de dix ans 28 ( * ) .

Si une proposition de loi sénatoriale est à l'origine de la prolongation consentie en 2013 29 ( * ) , le rapporteur du texte, notre collègue Serge Larcher, estimait déjà qu'il s'agissait d'une « mesure d'urgence permettant de disposer d'un délai supplémentaire pour réfléchir à l'avenir des zones des cinquante pas » . La situation n'a toutefois guère évolué depuis.

La solution de court terme proposée par le présent projet de loi peut donc apparaître comme une « fuite en avant » , le risque étant que la situation n'évolue pas d'ici 2018 et que la durée d'activité des agences soit à nouveau prolongée sans qu'un dispositif pérenne ne soit mis en place.

Votre rapporteur serait ainsi favorable à une mesure de plus long terme qui consisterait notamment à recentrer les agences sur leurs compétences de régularisation, au détriment de leur compétence d'aménagement, et à confier la gestion des zones des cinquante pas géométriques aux collectivités territoriales. Il estime toutefois indispensable que cette réforme d'envergure s'appuie sur les travaux du groupe de travail sur la gestion du domaine foncier de l'État en outre-mer mis en place par la délégation sénatoriale à l'outre-mer.

Le rapport du groupe de travail devant être prochainement rendu public, votre rapporteur a jugé préférable d'attendre ses conclusions pour proposer, le cas échéant en séance publique, des solutions de plus long terme indispensables à la bonne gestion de ces zones.

Votre commission a adopté l'article 8 sans modification .


* 18 Ces espaces sont définis par voie règlementaire. Ils se distinguent des « espaces naturels » dont la gestion est confiée au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (art. L. 5112-8 du code général de la propriété des personnes publiques).

* 19 Prévue aux articles 2258 et suivants du code civil, la prescription acquisitive permet à une personne pouvant se prévaloir d'une possession continue, paisible et publique d'un bien de l'acquérir.

* 20 Rapport n° 566 (2012-2013) sur la proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques fait au nom de la commission des affaires économiques (http://www.senat.fr/rap/l12-566/l12-566.html).

* 21 Ce problème d'occupation sans titre s'est posé avec moins d'acuité en Guyane et à La Réunion où il existe pourtant des zones des cinquante pas. Dans le cas de La Réunion par exemple, la situation des occupants sans titre a été régularisée dès 1922 et la publication d'un décret a permis la délivrance de titres de propriété.

* 22 Loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer.

* 23 Source : étude d'impact du présent projet de loi.

* 24 Ces dispositifs comprennent notamment la contravention de grande voirie qui vise à réprimer les atteintes au domaine public en infligeant une amende au responsable et en lui ordonnant de restaurer le domaine dans son intégrité (article L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques).

* 25 Source : Conseil général de l'environnement et du développement durable et Inspection générale de l'administration , « Rapport relatif aux problématiques foncières et au rôle des différents opérateurs aux Antilles », 2013 (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/
144000393/).

* 26 Source : rapport précité du Conseil général de l'environnement et du développement durable et de l'Inspection générale de l'administration.

* 27 Pour mémoire, les occupants de la zone des cinquante pas ont jusqu'au 1 er janvier 2016 pour déposer leur demande de cession.

* 28 Lors de leur création, il était prévu que ces agences cessent leur activité en 2006. Ce délai a été prorogé par la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer (jusqu'en 2011), la loi de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (jusqu'en 2027 potentiellement), la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (jusqu'en 2013), la loi n° 2013-922 du 17 octobre 2013 visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques (jusqu'au 1 er janvier 2016).

* 29 Prolongation consentie par la loi n° 2013-922 du 17 octobre 2013.

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