N° 582

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1er juillet 2015

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention d' entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc ,

Par M. Christian CAMBON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Mmes Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mme Leila Aïchi , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Emorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, M. Gaëtan Gorce, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Jean-Vincent Placé, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

2725 , 2870 et T.A. 539

Sénat :

543 et 583 (2014-2015)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi d'un projet de loi autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc.

Du fait des liens anciens et privilégiés qui unissent nos deux pays, du grand nombre de ressortissants français qui se rendent régulièrement au Maroc et de l'importance de la communauté marocaine en France, notre coopération judiciaire, qu'elle soit civile ou pénale, est très active. Les difficultés qui ont affecté la relation bilatérale franco-marocaine au cours de l'année 2014 et qui se sont traduites par une suspension de la coopération en matière pénale mais également en matière civile et plus généralement sur toutes les questions de sécurité et de justice en a été d'autant plus préjudiciable pour nos deux pays. Cette crise est désormais surmontée et la relation franco-marocaine devrait connaître un nouvel élan marqué par un approfondissement des différents domaines de coopération.

En matière de coopération judiciaire pénale, le présent protocole devrait ainsi permettre d'aller plus loin en facilitant les échanges d'information entre la justice marocaine et la justice française, en incitant les magistrats de chaque pays à ouvrir des procédures mettant en cause les ressortissants de celui-ci dès lors qu'ils sont mieux placés pour les mener à bien et, de manière générale, en favorisant un traitement plus efficace et plus rapide des affaires pénales.

Certes, certains aspects du protocole ne sont pas d'une lecture aisée et peuvent susciter plusieurs interprétations, comme l'ont souligné les personnes entendues par votre rapporteur, en particulier des représentants d'associations de défense des droits de l'homme et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. C'est pourquoi, après être revenu au préalable sur le contexte global des relations franco-marocaines et sur le bilan de l'entraide pénale entre les deux pays, le présent rapport s'efforcera d'expliciter l'ensemble des dispositions du protocole additionnel et d'examiner leur portée ainsi que leur conformité aux principes de notre droit et de nos engagements internationaux.

I. LA FRANCE ET LE MAROC : UNE COOPÉRATION JUDICIAIRE TRÈS ACTIVE DANS LE CADRE D'UNE RELATION DURABLE ET PRIVILÉGIÉE

Les liens de coopération entre la France et le Maroc, anciens et marqués par un dialogue particulièrement dense depuis le début des années 90, se déploient à la fois dans les domaines économique, culturel, sécuritaire et judiciaire, ces deux derniers aspects revêtant une importance particulière compte tenu du haut niveau de la menace terroriste que doivent affronter les deux pays. Si non seulement l'entraide judiciaire, très active jusqu'alors, mais également d'autres aspects de la coopération franco-marocaine, ont été suspendus pendant quelques mois en 2014, ces relations sont aujourd'hui relancées et devraient même connaître un nouvel élan.

A. UNE COOPÉRATION TRÈS RICHE DANS LES DOMAINES ÉCONOMIQUE, CULTUREL ET SÉCURITAIRE

Outre des relations d'amitié anciennes, les deux pays partagent de nombreux intérêts communs en matière de développement économique, de culture et de lutte anti-terroriste, ce qui explique l'intensité de leur coopération dans ces différents domaines. Dans la période récente, le développement de ces relations a été favorisé par les progrès réalisés par le Maroc en matière de protection des droits de l'homme.

1. Une coopération économique et culturelle en plein essor

La France est actuellement le premier partenaire commercial du Maroc , son premier client et son deuxième fournisseur après l'Espagne, les exportations de la France vers le Maroc s'élevant à 2,5 milliards d'euros tandis que les importations françaises depuis le Maroc se montent à 2 milliards d'euros. En outre, ses investissements au Maroc placent la France au premier rang des investissements directs à l'étranger (IDE) dans ce pays avec près de 12 milliards d'euros en 2014, ce qui représente plus de la moitié des IDE dans le pays. Les filiales d'entreprises françaises au Maroc emploient plus de 120 000 personnes.

Parallèlement à une démarche visant à promouvoir un développement plus inclusif et plus équilibré, notamment à travers l'initiative nationale pour le développement humain (INDH) qui tend à améliorer la situation des communes rurales et des quartiers urbains défavorisés en luttant contre la pauvreté, le Maroc conduit notamment une politique de grands investissements en matière d'infrastructure afin de poser les bases de sa croissance future. Les entreprises françaises contribuent de manière importante à ce développement, qu'il s'agisse de la LGV Tanger-Kénitra ou encore de la plateforme aéronautique de Casablanca qui assure la maintenance de 80 % des avions d'Airfrance.

La coopération entre les deux pays et le partenariat entre leurs entreprises revêtent également une importance essentielle dans le domaine du développement durable, le Maroc ayant engagé des efforts importants en la matière. Ainsi, la grande centrale solaire de Ouarzazate est soutenue par l'Agence française de développement (AFD) en cofinancement avec les bailleurs européens. Les prochaines années devraient voir le Maroc progresser dans l'ensemble des énergies renouvelables, au premier rang desquelles l'éolien, qui devrait constituer un terrain propice à la coopération entre les entreprises marocaines et les entreprises françaises.

Le Maroc constitue d'ailleurs le premier bénéficiaire des financements de l'AFD, une capacité d'engagement de l'agence de 600 millions d'euros sur la période 2014-2016 étant destinée à l'appui aux politiques publiques et à l'accompagnement des opérateurs marocains en Afrique subsaharienne. Le Maroc constitue en effet l'un des premiers investisseurs en Afrique et les entreprises françaises (notamment Accor, Thalès, Sanofi, Air Liquide, Axa ou encore Alstom) capitalisent sur leur implantation au Maroc pour rayonner plus largement en Afrique en soutien des entreprises marocaines.

La coopération en matière d'éducation est également très avancée et s'appuie notamment sur un réseau d'enseignement du français au Maroc très développé avec près de 32 000 élèves, le développement de sections internationales francophones dans de nombreux lycées marocains depuis 2014 et plusieurs projets de « colocalisation » universitaires. Enfin, en matière culturelle, il convient notamment de relever les deux expositions consacrées au Maroc au Louvre et à l'institut du monde arabe en 2014-2015 et le lancement par M. Laurent Fabius à Rabat le 9 mars de la saison culturelle France-Maroc 2015 qui prévoit de nombreux événements culturels au cours de l'année 2015 au Maroc.

2. Les défis partagés de la lutte anti-terroriste et de la stabilité régionale

La menace terroriste que la France et le Maroc doivent affronter est sensiblement de la même nature des deux côtés de la Méditerranée.

En effet, plus de 1 500 personnes ont quitté la France, et sans doute plus de 2 000 le Maroc, à la suite d'un parcours de radicalisation qui passe souvent par Internet, afin de rejoindre des groupes terroristes, au premier rang desquels Daech et Jabbat Al Nosra, en Syrie ou en Irak. Certains de ces terroristes reviennent dans leur pays et représentent ainsi une menace sérieuse pour sa sécurité.

En outre, au cours de la période récente, les deux pays ont partagé la même expérience douloureuse et traumatisante des attentats, avec pour le Maroc celui de la place Jemaa el Fna qui fit 17 morts le 28 avril 2011 (en mai 2003, les attentats de Casablanca avaient fait 41 morts) et pour la France les atrocités commises par Mohammed Mérah en mars 2012 puis les attentats de Paris en janvier dernier, enfin l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier le 27 juin. En outre, l'attentat du Bardo à Tunis, survenu le 18 mars 2015, puis celui de Sousse le 27 juin, montrent que la menace de nouvelles actions est extrêmement forte.

Or, la stratégie adoptée par les deux pays pour lutter contre cette menace majeure est très similaire . Dans les deux cas, il s'agit d'une stratégie globale : certes contrôler et surveiller les filières et les réseaux terroristes, certes les réprimer en justice dès que la préparation d'un attentat peut être démontrée, mais aussi agir en amont sur les causes politiques et sociales du phénomène.

En ce qui concerne en particulier la surveillance et la répression des mouvements terroristes, le diagnostic étant identique, le Maroc et la France ont ainsi développé une politique convergente :

- dans les deux pays, les capacités des services sécuritaires ont été renforcées, en particulier pour leur permettre d'agir sur Internet, qui constitue l'un des principaux vecteurs de la menace, les réseaux sociaux offrant un moyen inégalé pour les terroristes de propager leurs messages et de recruter dans toutes les classes de la société ;

- parallèlement, l'arsenal juridique a été complété afin de permettre à la justice d'appréhender et de réprimer l'ensemble des faits d'organisation et de préparation des actes terroristes . Ainsi, dans les deux pays, le financement des réseaux et l'apologie de terrorisme ont fait l'objet de nouvelles dispositions pénales afin que la répression en soit renforcée ;

- enfin, l'accent a été mis sur la coopération internationale, indispensable pour agir contre des filières qui se jouent des frontières . Compte-tenu de l'importance de la communauté marocaine en France et des fréquents allers retours entre nos deux pays, il est indispensable que les services de renseignement et les services judiciaires puissent échanger de manière permanente afin de surveiller et de réprimer les réseaux transnationaux. À cet égard, les services de renseignement marocains constituent un partenaire de premier choix pour les services français en raison de leur efficacité.

Par ailleurs, le « G4 », lancé en 2013, réunit les ministres de l'intérieur français, espagnol, marocain et portugais sur les questions de sécurité. Deux réunions quadripartites se sont tenues à Rabat, le 23 février 2013 puis à Paris, le 20 février 2014. Une nouvelle réunion a eu lieu le 29 avril 2015 à Lisbonne et a permis d'améliorer les échanges d'informations et de renforcer la coopération technique et opérationnelle entre les services concernés avec des actions communes dans les quatre pays.

Enfin, le Maroc peut aider la France dans ses démarches visant à soutenir les efforts des musulmans de France pour mieux lutter contre le radicalisme. Le roi Mohamed VI a inauguré le 27 mars à Rabat le premier « Institut de formation des imams prédicateurs et des prédicatrices ». En concertation avec le bureau des cultes du ministère de l'intérieur, 50 imams français vont être formés au Maroc durant trois ans dans ce cadre. S'il est nécessaire, à terme, que la formation des imams français puisse avoir lieu entièrement en France, en attendant, cette démarche constitue une aide utile pour aider notre pays à lutter contre le radicalisme.

De manière plus globale, la France et le Maroc sont l'un pour l'autre des partenaires de première importance pour le maintien de la stabilité régionale.

Ainsi, la gestion de la crise malienne implique un étroit dialogue stratégique avec le Maroc . Par ailleurs, les deux pays mènent des efforts conjoints pour tenter d'améliorer la situation en Libye où le Maroc entend jouer un rôle diplomatique de premier plan, Rabat ayant réuni à plusieurs reprises les deux Parlements rivaux libyens en vue de former un gouvernement d'union nationale.

3. Une coopération facilitée par les progrès réalisés par le Maroc en matière de défense des droits de l'homme

Avec la nouvelle Constitution de 2011, le Royaume s'est engagé à « protéger et promouvoir les dispositifs des droits de l'Homme et du droit international humanitaire et contribuer à leur développement dans leur indivisibilité et leur universalité » et à « bannir et combattre toute discrimination à l'encontre de quiconque, en raison du sexe, de la couleur, des croyances, de la culture, de l'origine sociale ou régionale, de la langue, du handicap ou de quelque circonstance personnelle que ce soit ».

Alors que l'ancienne Constitution ne prévoyait l'égalité entre hommes et femmes qu'en matière de droits politiques, la nouvelle dispose que « l'homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Royaume et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution et [...] des lois du Royaume ».

L'ensemble des droits humains sont mentionnés dans le nouveau texte aux articles 19 à 36 : droit à la vie, à la sécurité ; liberté de pensée, d'expression, d'opinion, de création, de publication ; protection de la vie privée ; libre accès à la l'information; liberté de la presse ; liberté de réunion, de circulation, de manifestation pacifique, d'association ; droit à la santé, à l'éducation, à un logement décent, au travail, à l'eau, au développement durable; droit de propriété, liberté d'entreprendre, etc.

En outre, la plupart des institutions garantes de ces droits et libertés sont inscrites dans la constitution, ainsi la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH), le Médiateur, l'Instance de lutte contre la corruption, la haute autorité audiovisuelle et le conseil de la concurrence.

Ces progrès réels et remarquables ne doivent cependant pas occulter le fait que les moyens alloués à la justice restent modestes et que la mise en oeuvre concrète des nouveaux droits doit être améliorée. De même, la lutte contre la corruption, dénoncée par plusieurs observateurs, y compris dans la charte de réforme approuvée par le Roi en juillet 2013, doit être intensifiée. Enfin, le système pénal reste fondé essentiellement sur l'usage de l'emprisonnement et les garanties d'un procès équitable ne sont pas toujours respectées au niveau local. La justice marocaine ébauche cependant indéniablement un processus de transformation positive, stimulé par le Roi et sous la pression de la nouvelle opinion publique marocaine et celle des institutions internationales.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page