DEUXIÈME PARTIE - L'EXÉCUTION DU BUDGET DE L'ÉTAT EN 2014

I. L'APPARENTE MAÎTRISE DES DÉPENSES MASQUE L'ABSENCE D'ÉCONOMIES PÉRENNES ET DE CHOIX STRATÉGIQUES CLAIRS

A. LES NORMES « ZÉRO VOLUME » ET « ZÉRO VALEUR » ONT ÉTÉ RESPECTÉES GRÂCE À DES ÉCONOMIES DE CONSTATATION ET DES OPÉRATIONS IRRÉGULIÈRES

La dépense, sur le périmètre de la norme « zéro valeur » , c'est-à-dire les dépenses du budget général hors dette et pensions, les taxes affectées plafonnées et les prélèvements sur recettes, est passée de 280 milliards d'euros en 2013 à 276,7 milliards d'euros en 2014. Elle a donc diminué de 3,3 milliards d'euros d'une exécution l'autre.

Sur le périmètre de la norme « zéro volume » , la baisse atteint 4 milliards d'euros : les dépenses s'élevaient à 368,8 milliards d'euros en 2013 contre 364,8 milliards d'euros en 2014.

L'examen de la répartition et du détail de la moindre dépense constatée en 2014 par rapport à 2013 conduit cependant à nuancer très fortement la gestion budgétaire « sérieuse et responsable » affichée par le Gouvernement .

1. Près de 2,5 milliards d'euros d'« économies » ne proviennent pas d'efforts budgétaires de l'État
a) La sous-exécution de la norme « zéro valeur » est liée pour plus d'un tiers à la diminution des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales

Comme le montre le graphique ci-après, sur les 3,3 milliards de diminution des dépenses de l'État entre l'exécution 2013 et l'exécution 2014, près de la moitié de la baisse (1,6 milliard d'euros) est liée à la réduction des prélèvements sur recettes, dont 1,2 milliard d'euros de diminution des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales. Plus du tiers de la réduction de la dépense sur la norme « zéro valeur » ne provient donc pas d'un effort budgétaire de l'État, mais d'une contrainte accrue sur les dépenses des collectivités territoriales .

Graphique n° 12 : Évolution des dépenses sur le périmètre
de la norme « zéro valeur »

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

b) Le respect de la norme « zéro volume » a pour seul motif la réduction de la charge de la dette

De même, concernant la norme « zéro volume », celle-ci est mécaniquement respectée dès lors que c'est le cas pour la norme « zéro valeur » et que la diminution de la charge de la dette a fait plus que compenser l'augmentation des contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions ».

Graphique n° 13 : Évolution des dépenses sur le périmètre
de la norme « zéro volume »

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

Au total , plus de la moitié des économies sur le périmètre « zéro volume » (3,3 milliards d'euros sur un total de 4 milliards d'euros) a reposé sur des dépenses qui ne sont pas directement impactées par la gestion budgétaire de l'État : la diminution des prélèvements sur recettes (1,6 milliard d'euros) et la baisse de la charge de la dette (1,7 milliard d'euros).

2. La sincérité des normes de dépenses est remise en cause par les nombreuses opérations irrégulières au regard de la charte de budgétisation

La norme de dépenses en valeur est censée représenter l'ensemble des dépenses de l'État pilotables par le gestionnaire public : à ce titre, elle exclut un certain nombre de dépenses, comme la charge de la dette et les contributions au CAS « Pensions », dont les paramètres ne sont pas directement pilotés par le Gouvernement. S'il est aisément compréhensible qu' un agrégat trop large et peu maîtrisable viderait la norme en valeur de sa substance , en conditionnant son respect à la conjoncture économique plus qu'aux choix de l'exécutif, il convient aussi de limiter les dépenses exclues de son périmètre : pour que la norme constitue un outil fiable de suivi de la gestion budgétaire du Gouvernement, elle ne doit pas être trop facile à contourner .

C'est pourquoi la charte de budgétisation , annexée aux lois de programmation des finances publiques et rappelée dans le cadre du projet de loi de finances initiale, pose des règles de calcul de la norme visant à assurer une comparaison pluriannuelle fiable, sur un champ constant . Le principe général posé par la charte est que « les mouvements constituant une simple réimputation au sein du périmètre de la norme (par exemple, entre budget général et prélèvements sur recettes) ou les mouvements équilibrés en recettes et en dépenses, entre ce périmètre et une autre entité (par exemple, les collectivités locales), ne doivent pas être comptabilisés dans ce calcul ». En d'autres termes, il faut neutraliser les sorties du périmètre de la norme qui ne correspondent pas à une réelle diminution des dépenses. De même, l'intégration de nouvelles dépenses au sein de la norme doit être neutralisée : un élargissement du périmètre de la norme ne traduit pas une augmentation des dépenses à périmètre constant.

Or force est de constater que le nombre et l'ampleur des opérations budgétaires qui ont fait l'objet, en 2014, d'un traitement irrégulier au regard de la charte de budgétisation , interrogent quant à la sincérité du respect de la norme de dépenses.

a) Des irrégularités récurrentes, relatives aux comptes d'affectation spéciale et aux fonds de concours

L 'exclusion de l'ensemble des comptes d'affectation spéciale (CAS), ne paraît pas justifiée dès lors que les dépenses de certains d'entre eux ne présentent pas de différence de nature avec celles du budget général. Ces opérations font l'objet d'interrogations récurrentes de votre commission des finances ainsi que de la part de la Cour des comptes 45 ( * ) . Il s'agit d'une fraction des dépenses de gestion du patrimoine immobilier de l'État, des dépenses du CAS « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien » pour la norme « zéro valeur » d'une part, de la variation du solde du CAS « Pensions » correspondant à son fonds de roulement pour la norme « zéro volume » d'autre part.

Loin de connaître une décrue, l'usage des CAS pour limiter artificiellement l'exécution des dépenses sous norme s'est maintenu en 2014. Est notamment visé un rétablissement de crédits donnant lieu à l'utilisation de 125 millions d'euros pour des dépenses auparavant effectuées à partir du programme 212 « Soutien de la politique de défense » sur le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Sur la même mission « Défense », le programme militaire « Syracuse » a été financé à hauteur de 16 millions d'euros  à partir du CAS « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien ». Enfin, l'inscription, sur le CAS « Participations financières de l'État », d'une souscription obligataire en faveur de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) ainsi que d'une avance d'actionnaire au profit de la société nationale Corse Méditerranée paraissent également similaires à des dépenses d'ordinaire portées par le budget général.

Le rattachement tardif de certains fonds de concours permet lui aussi de diminuer artificiellement la dépense , puisque leur montant est déduit de l'exécution sans que les crédits rattachés ne puissent être consommés au cours du même exercice. Le cas du fonds de concours relatif au fonds de péréquation adossé à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) est particulièrement significatif dans la mesure où son rattachement à l'exercice 2014, intervenu le 31 décembre pour un montant de 190 millions d'euros, paraît largement fictif.

b) Des transferts fiscaux aux collectivités territoriales n'ont pas été neutralisés

Plusieurs dispositions de la loi de finances initiale pour 2014 semblent avoir été traitées de manière non conforme à la charte de budgétisation régissant le calcul des normes de dépense, conduisant là aussi à une diminution « en trompe-l'oeil » des crédits. Ainsi, les dispositifs prévus aux articles 41 et 42 n'ont pas été neutralisés par des mesures de périmètre , alors même qu'ils consistent en l'affectation de nouvelles ressources fiscales aux collectivités territoriales, sans transfert de compétences associé 46 ( * ) . Les montants en jeu sont considérables : ils s'élèvent, au total, à plus de 1,7 milliard d'euros . Le Premier président de la Cour des comptes, auditionné par la commission des finances le 28 mai 2015, a confirmé que ces opérations constituaient « une source de préoccupation » en ce qu'elles « altèrent le suivi et la lisibilité de l'évolution des dépenses ».

c) Le programme d'investissements d'avenir : d'importantes débudgétisations qui interrogent le caractère « exceptionnel » des dépenses du programme

Les dépenses effectuées dans le cadre du programme d'investissements d'avenir sont considérées « exceptionnelles » et ne sont, à ce titre, pas prises en compte dans la norme de dépenses .

La définition du périmètre de ces dépenses exceptionnelles n'est pas clairement établie et pose des problèmes de doctrine, n'excluant pas l'usage de cette notion par le Gouvernement pour des questions d'opportunité. Si la question n'est pas nouvelle - dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'exercice 2012, la Cour des comptes soulignait déjà la fragilité des justifications permettant de qualifier certaines dépenses d'exceptionnelles - elle est posée avec d'autant plus d'acuité que la mise en oeuvre du programme d'investissements d'avenir (PIA) conduit à sortir du périmètre de la norme des sommes importantes et ce, de façon récurrente : les dépenses exceptionnelles s'élevaient à 10,1 milliards d'euros en 2013 et 14,3 milliards d'euros en 2014, dont 11 milliards d'euros de PIA 47 ( * ) .

Le PIA 2, lancé en 2014 et qui fait suite au premier programme d'investissements d'avenir créé en 2009, concerne neuf missions du budget général et un compte de concours financiers, pour un montant total de 12 milliards d'euros 48 ( * ) , dont la répartition est précisée dans le graphique ci-après.

Graphique n° 14 : Répartition des crédits du PIA 2 entre missions, après redéploiements intervenus en 2014

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

L'annonce d'un troisième programme d'investissements d'avenir, qui traduit la pérennisation d'un dispositif initialement pensé comme temporaire , renforce encore davantage la nécessité de préciser la nature des dépenses « exceptionnelles » afin d'éviter, comme la Cour des comptes en identifiait le risque dès 2012, que ce ne soit « l'incapacité à absorber des dépenses aussi significatives dans la norme qui motive leur classement en ?dépenses exceptionnelles? ». La Cour des comptes a ainsi recommandé, dans son rapport relatif à la gestion budgétaire et aux résultats de l'exercice 2014 49 ( * ) , d'élargir le périmètre des normes de dépenses aux décaissements annuels effectués par les opérateurs dans le cadre des programmes d'investissements d'avenir (PIA).

Sans se prononcer sur l'opportunité d'une telle inclusion, qui remettrait en cause la notion même de dépenses exceptionnelles, il paraît nécessaire, a minima , que les crédits des programmes d'investissements d'avenir (PIA) soient utilisés pour financer des dépenses conformes à leur objet : l'exposé général des motifs de la loi qui les a créés 50 ( * ) prévoyait à cet égard « un cloisonnement total des crédits [du PIA] avec les autres dépenses du budget général ». Cette condition minimale n'a pas été respectée en 2014 : les fonds PIA ont financé plusieurs dépenses qui relevaient auparavant, ou auraient pu relever, du budget général de l'État.

Dès la répartition initiale des fonds du PIA en loi de finances étaient patentes plusieurs irrégularités, dont la plus manifeste concerne la mission « Défense » : le PIA a ainsi compensé l'insuffisance des recettes exceptionnelles prévues dans la loi de programmation militaire, à hauteur 1,5 milliard d'euros , alors même que les dépenses financées n'étaient pas conformes à l'objet des investissements d'avenir. Paraît également critiquable le financement par le PIA, pour 150 millions d'euros, de la modernisation du système d'information de l'État à travers la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». Le PIA a également été mis au service du financement de projets préexistants , notamment le prototype de quatrième génération Astrid et le réacteur expérimental Jules Horowitz, à hauteur de 900 millions d'euros.

Les redéploiements intervenus entre les différents programmes par loi de finances rectificative, que retrace le tableau ci-après, ont parfois eu pour seul objet de compenser par le PIA l'insuffisance des crédits budgétaires apparue en cours de gestion : c'est notamment le cas pour la mission « Défense », qui a vu 500 millions d'euros supplémentaires se substituer à des crédits budgétaires annulés . Il en est de même pour les deux nouvelles actions, « Nano 2017 » et « Projets agricoles et alimentaires d'avenir » créées en deuxième loi de finances rectificative : l'un comme l'autre projet préexistaient à leur intégration au périmètre du PIA et étaient jusque-là financés par des crédits du budget général.

Tableau n° 15 : Redéploiements intervenus en 2014 au titre du programme des investissements d'avenir, par mission et programme budgétaire

(en millions d'euros)

Missions

Programmes

LFI 2014

LFR 1

LFR 2

Allocation finale

Écart prévision LFI / allocation finale

Agriculture

0

0

120

120

120

Économie et développement durable de l'agriculture et des territoires

0

0

120

120

120

CCF Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés

1000

0

0

1000

0

Prêts aux petites et moyennes entreprises

1000

0

0

1000

0

Défense

1500

250

250

2000

500

Excellence technologique des industries de défense

1500

250

250

2000

500

Direction de l'action du Gouvernement

150

0

-24

126

-24

Transition numérique de l'État et modernisation de l'action

150

0

-24

126

-24

Écologie, développement et mobilité durables

1940

-220

-146

1574

-366

Innovation pour la transition écologique et énergétique

1100

-170

-100

830

-270

Projets industriels pour la transition écologique et énergétique

470

0

0

470

0

Villes et territoires durables

370

-50

-46

274

-96

Économie

1680

-30

192

1842

162

Économie numérique

570

0

0

570

0

Innovation

690

-30

192

852

162

Projets industriels

420

0

0

420

0

Enseignement scolaire

150

0

-12

138

-12

Internats de la réussite

150

0

-12

138

-12

Recherche et enseignement supérieur

5340

0

-341

4999

-341

Écosystèmes d'excellence

4120

0

-129

3991

-129

Recherche dans le domaine de l'aéronautique

1220

0

-212

1008

-212

Sport, jeunesse et vie associative

100

0

-16

84

-16

Projets innovants en faveur de la jeunesse

100

0

-16

84

-16

Travail et emploi

150

0

-24

126

-24

Formation et mutations économiques

150

0

-24

126

-24

Total général

12010

0

0

12010

0

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Au total, plus de la moitié (cinq sur neuf) des missions bénéficiant de fonds PIA ont fait l'objet d'opérations de débudgétisations, pour un montant total supérieur à 2,5 milliards d'euros, soit 20 % des fonds PIA. Le graphique ci-après présente leur répartition entre les différentes missions concernées.

Graphique n° 16 : Répartition des débudgétisations sur crédits PIA
entre missions

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires


* 45 Cour des comptes, « Le budget de l'État en 2014 - résultats et gestion », mai 2015, recommandation n° 9.

* 46 L'article 41 prévoit l'affectation de nouvelles ressources fiscales aux régions en substitution de la dotation générale de décentralisation (DGD), pour 901 millions d'euros, et l'article 42 le transfert aux départements de la totalité de la ressource fiscale nette perçue par l'État au titre des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), à hauteur de 830 millions d'euros.

* 47 Les dépenses exceptionnelles en 2014 comprennent la cinquième tranche de la dotation en capital du MES pour 3,3 milliards d'euros et les programmes d'investissement d'avenir (PIA) à hauteur de 11 milliards d'euros.

Les dépenses exceptionnelles de l'État en 2013 étaient constituées du versement des troisième et quatrième tranches de la dotation en capital du MES (6,5 milliards d'euros), de la participation de la France à l'augmentation de capital de la banque européenne d'investissement (BEI), s'élevant à 1,6 milliard d'euros ainsi que de l'augmentation exceptionnelle du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (PSR-UE), pour un montant de 1,79 milliard d'euros.

* 48 La différence entre les dépenses exceptionnelles au titre du PIA (11 milliards d'euros) et le montant total du PIA 2 (12 milliards d'euros) provient du milliard d'euros ouvert sur le compte de concours financier « Prêts et avances ».

* 49 Cour des comptes, « Le budget de l'État en 2014 - résultats et gestion », mai 2015, recommandation n° 8.

* 50 Premier projet de loi de finances rectificative pour 2010 en date du 21 janvier 2010, p. 11.

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