C. PLUSIEURS FACTEURS DE RISQUE PÈSENT SUR L'EXÉCUTION 2015

L'exécution 2014 induit des risques budgétaires significatifs sur l'exercice 2015 . Outre les reports de charges accrus - qui sont la manifestation la plus directe du fait que l'État repousse des dépenses inéluctables - doivent être signalés la reprise de l'augmentation des dépenses de personnel ainsi que le risque, persistant, d'une augmentation de la charge de la dette qui résulterait d'une remontée des taux d'intérêt souverains.

1. Des reports de charges importants

La gestion budgétaire de 2014 est maîtrisée au prix de reports sur la gestion 2015 en augmentation.

Restes à payer, charges à payer et report de charges

La double budgétisation , en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), correspond à la différence entre l'engagement juridique de l'État à réaliser une dépense et le paiement effectif de celle-ci . Si ces deux opérations peuvent coïncider, par exemple en matière de dépenses de personnel, il est également possible que l'engagement et le paiement n'aient pas lieu la même année.

Les restes à payer résultent de la différence entre les engagements juridiques (qui correspondent aux autorisations d'engagement) et les paiements de l'année (effectués en crédits de paiement) sans considération du service fait . Les charges à payer sont une notion proche mais différente : elles supposent que le service a été fait. En d'autres termes, si les restes à payer peuvent s'expliquer par un décalage normal entre engagement budgétaire et paiement, par exemple dans le cadre d'une opération d'investissement, les charges à payer constituent bel et bien des dettes, certaines et exigibles .

L'existence de charges à payer est inévitable : l'enregistrement du service fait et le paiement ne peuvent être tout à fait simultanés, en raison notamment du délai de traitement des factures. En effet, si l'ordonnateur certifie que le service a été fait, c'est en revanche le comptable public qui traite et enregistre les pièces justificatives telles que les factures : le décalage entre la certification du service fait et le paiement de la facture, qui ne peut intervenir qu'après l'enregistrement de celle-ci, est donc pour partie lié à l'organisation du circuit de la dépense de l'État.

Le report de charges correspond à l'ensemble des dépenses obligatoires au sens du décret de 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique 52 ( * ) , dont l'article 95 prévoit qu'il s'agit des « dépenses pour lesquelles le service fait a été certifié au cours de l'exercice précédent et dont le paiement n'est pas intervenu ». Outre les « charges à payer », le report de charges inclut aussi les dettes envers les fournisseurs . Ces dettes sont constituées dès lors que le service a été fait et la facture enregistrée, sans que le paiement ne soit intervenu faute de crédits disponibles.

En d'autres termes, le report de charges signale que l'État repousse sur les exercices suivants une dépense inéluctable.

Schéma n° 21 : restes à payer, charges à payer et report de charges

Restes à payer avec service fait, factures non enregistrées

= Charges à payer

Restes à payer sans service fait

Dettes : service fait et facture enregistrée

DONT

Report de charges

Restes à payer

Montant des CP décaissés

Montant des AE engagées

Source : commission des finances du Sénat

Les charges à payer comme les dettes de l'État ont connu une hausse importante en 2014 . Comme le montre le graphique ci-après, le total des charges à payer de l'État a augmenté de plus de 1 milliard d'euros entre 2013 et 2014, soit un accroissement de plus de 10 %.

Graphique n° 22 : Évolution des charges à payer depuis 2011

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

Les dettes de fonctionnement s'élevaient à 8 724 millions d'euros au 31 décembre 2014, soit un montant supérieur aux crédits alloués aux missions « Logement » ou « Justice ».

Elles ont connu une hausse de plus de 30 % (+ 2 053 millions d'euros) par rapport à 2013. L'ensemble des composantes de la dette de fonctionnement tend à croître, mais la plus grande partie de l'augmentation est portée par les dettes à l'égard des fournisseur s, qui ont atteint 4 332 millions d'euros. À titre de comparaison, les dettes de fonctionnement n'avaient crû que de 30 millions d'euros entre 2012 et 2013 et elles avaient diminué entre 2011 et 2012.

Comme le souligne la Cour des comptes 53 ( * ) , la dette à l'égard de la sécurité sociale a également fortement augmenté ; elle s'élève désormais à 368 millions d'euros, soit une hausse de 50 % par rapport à 2013 .

Cette hausse exceptionnellement importante de l'endettement non financier de l'État témoigne du caractère artificiel d'une large part de la maîtrise des dépenses affichée par l'exécutif. Elle fait peser un risque budgétaire significatif sur les années à venir : si l'ensemble des créances détenues sur l'État ne seront pas toutes exigées en 2015, ces dettes n'en devront pas moins être acquittées.

2. Une maîtrise incertaine des dépenses de personnel

Les dépenses de personnel ont repris leur hausse en 2014 : la masse salariale totale de l'État (y compris budgets annexes) est passée de 81,1 milliards d'euros en 2013 à 82,1 milliards d'euros en 2014.

Comme le montre le graphique ci-après, cette augmentation est portée par la reprise en base de l'exécution 2013 pour 272 millions d'euros, les effectifs s'étant finalement avérés supérieurs à l'estimation du projet de loi de règlement pour 2013, la sous-estimation du GVT solde (138 millions d'euros). Les « autres variations » expliquent la hausse observée à hauteur de 195,3 millions d'euros, dont 182 millions d'euros de surcoûts OPEX .

Le « rebasage de dépenses au profil atypique » , qui vise à neutraliser les changements de périmètre intervenus en cours d'année , s'élève à 298 millions d'euros . La plus grande partie de cet agrégat correspond à une opération particulière du ministère de l'écologie : suite au transfert des parcs et ateliers et à la mise à disposition des personnels auprès des collectivités locales, la masse salariale correspondante est remboursée par fonds de concours au ministère.

Graphique n° 23 : Décomposition de l'évolution de la masse salariale totale de l'État entre 2013 et 2014

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

Si son impact est plus important que prévu en termes de masse salariale, le schéma d'emplois n'en a pas moins été sous-exécuté de presque 700 ETP : alors qu'une réduction de 3 280 ETP était prévue, elle n'a été réalisée qu'à hauteur de 2 584 ETP.

Graphique n° 24 : Schémas d'emplois prévus et réalisés en 2013 et en 2014

(en emplois équivalents temps plein - ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

Les incertitudes exprimées par la Cour des comptes dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'exercice 2013 54 ( * ) se sont donc concrétisées : « dans le contexte nouveau d'une stabilisation des effectifs , les mesures salariales déjà mobilisées pourraient se révéler insuffisantes pour maintenir la stabilisation en valeur de la masse salariale. Les risques identifiés dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2013 se sont matérialisés et pourraient se prolonger en 2014, en particulier les moindres départs en retraite qui compliquent la réalisation du schéma d'emplois, les dépassements de la mission Défense et le dynamisme des ?mesures diverses? ».

Pourtant, contrairement aux deux années précédentes, les départs en retraite effectifs, à hauteur de 44 691 ETP, se sont avérés très proches des prévisions initiales qui les estimaient à 44 788 ETP . Le taux de non-remplacement a de nouveau diminué et s'élève à 6 %, contre 15 % environ en 2013, traduisant l'objectif du Gouvernement d'une stabilisation des effectifs.

Graphique n° 25 : Départs en retraite et taux de non remplacement depuis 2011

(en ETP et en %)

L'écart entre prévisions de la loi de finances initiale et réalisation du schéma d'emplois, dont le tableau ci-après détaille la répartition, repose en grande partie sur le dépassement des schémas d'emploi du ministère de la justice (+ 172 ETP) ainsi que de celui de l'intérieur (+ 619 ETP) et de l'agriculture (+ 158 ETP). Les actions conduites par ces deux derniers ministères ne relevaient pourtant pas des politiques publiques prioritaires du Gouvernement. De même que pour les mouvements budgétaires intervenus en cours d'année, ce dérapage des effectifs en 2014 par rapport aux prévisions ne paraît pas résulter de décisions de l'exécutif mais de facteurs plus conjoncturels.

Tableau n° 26 : Écart entre prévisions de la loi de finances initiale et réalisation du schéma d'emplois en 2014 par ministère (classé par ordre croissant)

(en ETP)

Ministères

Écart entre prévision de la LFI et réalisation du schéma d'emplois en 2014

Défense

-126

Économie et finances

-108

Éducation nationale

-84

Écologie, développement durable et énergie et Égalité des territoires et logement

-45

Affaires étrangères

-5

Redressement productif

-3

Outre-mer

0

Réforme de l'État, décentralisation et fonction publique

0

Affaires sociales et santé

3

Travail, emploi, formation professionnelle et dialogue social

9

Enseignement supérieur et recherche

15

Culture et communication

40

Services du Premier ministre

50

Agriculture, agro-alimentaire et forêt

158

Justice

172

Intérieur

619

Total du budget général

695

Contrôle et exploitation aériens

0

Publications officielles

1

Total des budgets annexes

1

Total général

696

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

La capacité du Gouvernement à tenir ses engagements et à maîtriser l'évolution de ses effectifs en accord avec ses priorités stratégiques paraît d'autant moindre que l'objectif d'une stabilisation des effectifs n'est pas respecté : depuis le début du quinquennat, environ 6 500 ETP ont été supprimés. Si le ministère de l'éducation nationale a bénéficié de la création d'environ 18 000 postes, d'autres ont au contraire connu d'importantes réductions, parmi lesquels le ministère de l'intérieur et surtout celui de la défense (- 15 000 ETP depuis l'été 2012).

L'évolution de la masse salariale en 2015 paraît donc incertaine, selon que le Gouvernement poursuivra la politique qu'il affiche, c'est-à-dire celle de la stabilisation, ou celle qu'il mène depuis quelques années : une réduction modérée mais réelle des effectifs.

3. Le double risque du bas niveau des taux d'intérêt sur la dette souveraine

La faiblesse actuelle des taux d'intérêt permet une relative maîtrise de la charge de la dette malgré l'augmentation continue de son encours . Ainsi, alors même que la dette de l'État a augmenté de plus de 100 milliards d'euros entre 2013 et 2014, soit une hausse d'environ 4,6 %, la charge de la dette a diminué de 1,7 milliard d'euros sur la même période (soit une baisse de près de 4 %).

Graphique n° 27 : Évolution de l'encours et de la charge de la dette de 2008 à 2015

(en milliards d'euros)

Note de lecture : l'encours de la dette de l'État se lit par rapport à l'échelle de gauche, la charge de la dette par rapport à celle de droite. Ainsi, en 2014, la charge de la dette s'est élevée à 43,2 milliards d'euros pour un encours de 1 602,8 milliards d'euros.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Il peut sembler paradoxal que la France emprunte dans de meilleures conditions alors que sa note a été dégradée par l'agence Standard & Poor's début 2012, que l'objectif de déficit budgétaire n'est pas atteint et que la dette publique augmente continûment. Cette situation, liée à la politique accommodante menée par la BCE et au rôle central de la France en zone euro, qui rend peu probable un éventuel défaut du pays, porte deux risques budgétaires .

Le premier réside dans une remontée soudaine des taux d'intérêt réels , pouvant par exemple résulter d'un éventuel resserrement la politique monétaire de la BCE.

Le second serait que le Gouvernement substitue des économies liées à la faiblesse prolongée de la charge de la dette à des réformes de politiques publiques, plus pérennes . Cette possibilité est, certes, restreinte par la définition d'une norme de dépenses « en valeur » qui exclut la charge de la dette. Elle demeure cependant réelle en ce qui concerne la norme « zéro volume ». Cette dernière a ainsi été respectée en 2014 alors que l'augmentation des dépenses du CAS « Pensions » en 2014, à hauteur de 2,3 %, a été bien supérieure à l'inflation.


* 52 Décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

* 53 Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'exercice 2014, p. 118.

* 54 Cour des comptes, rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'exercice 2013.

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