E. QUELQUES IDÉES PROSPECTIVES SUR LE DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

À titre prospectif, reprenant les réflexions envisagées par notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest, votre rapporteur a souhaité ouvrir quelques pistes de réflexion et présenter certaines idées prospectives en vue d'améliorer la prévention et le traitement des difficultés des entreprises.

En premier lieu, l'éclatement de la compétence juridictionnelle relative aux entreprises, et singulièrement en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises, entre le tribunal de grande instance (TGI) et le tribunal de commerce (TC) nuit à la lisibilité de l'institution judiciaire et n'est pas justifiée sur le fond. Le TGI est compétent pour les exploitants agricoles, les professionnels libéraux et les associations, tandis que le TC est compétent pour les commerçants et les sociétés commerciales : cette répartition vaut y compris pour les procédures du livre VI du code de commerce. S'agissant des artisans, ils sont soumis à une réelle « schizophrénie judiciaire », puisqu'ils relèvent du TGI pour l'ensemble de leurs activités, sauf en cas de difficulté économique relevant du livre VI, auquel cas ils relèvent du TC...

Pour remédier à cet éclatement des procédures collectives entre TC et TGI , deux options sont envisageables : soit attribuer au TC la compétence sur l'ensemble des contentieux et procédures concernant les entreprises, soit intégrer l'ensemble de la justice commerciale au sein du TGI, par exemple sous forme de chambre échevinée. Cette seconde solution a la préférence de la conférence nationale des présidents de TGI, entendue en audition 37 ( * ) , qui prône l'instauration d'un tribunal de première instance unique (TPI).

Votre rapporteur rappelle que, à l'inverse, notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest plaidait régulièrement pour la constitution de réels tribunaux économiques complets, compétents pour tous les types d'entreprises.

Avant même une telle réforme, il conviendrait de résoudre la situation des artisans. En effet, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, votre rapporteur insiste sur la nécessaire réflexion concernant l' extension de la compétence des tribunaux de commerce aux artisans , au-delà du livre VI du code de commerce, dans un souci de cohérence. Ceci supposerait l'intégration dans le corps électoral et l'éligibilité des ressortissants du répertoire des métiers qui ne sont pas en même temps immatriculés au registre du commerce et des sociétés, pour l'élection des membres des tribunaux de commerce.

Par ailleurs, une réflexion a pu être menée sur la manière de mieux articuler le droit des entreprises en difficulté et le droit boursier , lorsque des sociétés cotées sont concernées par un dispositif de prévention ou par une procédure collective. Une telle information, confidentielle dans le premier cas et publique dans le second, pèse nécessairement sur le marché et les cours des titres des sociétés concernées.

Lors des auditions, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a fait savoir que le droit actuel lui paraissait suffisant, même si le livre VI du code de commerce ne prévoit à aucun moment sa consultation, sauf en cas de mise en oeuvre du mécanisme de « cession forcée » ou de « dilution forcée », instauré par la loi du 6 août 2015 précitée, à l'encontre d'une société cotée. Cette position s'appuie sur un constat pratique.

L'AMF a diffusé en 2009 une position n° 2009-14, actualisée depuis, sur l'information financière diffusée par les sociétés en difficulté 38 ( * ) .

Du point de vue du droit des entreprises en difficulté, la question posée est celle de la bonne information de l'AMF, le plus en amont possible, sur les difficultés rencontrées par une société cotée pouvant conduire à la mise en oeuvre de dispositions du livre VI du code de commerce, afin qu'elle puisse veiller aux meilleures conditions d'information du marché et des investisseurs sur un événement pouvant peser lourdement sur les cours

En 2000, après une concertation avec une autorité qui était encore à l'époque la Commission des opérations de bourse (COB), le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ) avait diffusé une recommandation précisant les cas dans lesquels les professionnels concernés étaient invités à avertir l'autorité de régulation en cas de procédure de prévention ou de procédure collective concernant une société cotée. Cette recommandation demeure valable aujourd'hui.

Ainsi, sans révéler d'autres éléments, le conciliateur peut avertir l'AMF de l'existence d'une procédure de conciliation, laquelle est par ailleurs soumise à une règle de confidentialité. Il en est de même pour le mandat ad hoc . En revanche, le jugement d'ouverture d'une procédure collective n'étant pas, par nature, confidentiel, il y a lieu pour l'administrateur et le mandataire de préparer une communication particulière en lien avec l'autorité, car une telle information fait incontestablement partie de celles qui doivent être délivrées au marché, sous peine de poursuites.

En pratique, l'AMF se considère correctement informée par les administrateurs et mandataires lorsque des sociétés cotées sont concernées par un dispositif de prévention ou une procédure collective, d'autant que certains d'entre eux sont plus spécialisés dans les dossiers de sociétés cotées. Dès lors, sur la base du dispositif d'information conçu en 2000 et de la position formulée en 2009, après réflexion interne, l'AMF considère qu'il n'y a pas lieu de légiférer pour mieux articuler le droit boursier et le droit des entreprises en difficulté.

D'autres idées mériteraient d'être étudiées de façon approfondie, par exemple l'idée récurrente - mais combien pertinente - de mieux coordonner les obligations résultant du droit du travail avec celles résultant du droit des procédures collectives , en créant un véritable droit du travail des entreprises en difficulté plus cohérent, notamment sur les questions de délais.

Les règles de représentation des salariés devant le tribunal de la procédure collective pourraient aussi être simplifiées.

Ont également pu être évoqués en audition la possibilité, à l'initiative de l'administrateur judiciaire, de pouvoir remplacer les comités de créanciers prévus par la loi par un mécanisme de liberté de constitution des comités de créanciers, dans leur nombre comme dans leur composition , en fonction de la nature de l'endettement à apurer, pour voter sur le plan de sauvegarde ou de redressement, pouvant inclure les actionnaires, ainsi que l' intervention de l'Association de garantie des salaires (AGS) dans les phases préventives , en particulier en conciliation, alors qu'elle est limitée aujourd'hui par la loi aux procédures collectives - ce qui soulèverait des questions de financement ou de niveau des garanties apportées aux salariés.


* 37 Selon la conférence, le contentieux du TGI concernant les entreprises serait apprécié des magistrats.

* 38 Cette position est consultable à l'adresse suivante :

http://www.amf-france.org/Reglementation/Doctrine/Doctrine-list/Doctrine.html?category=I+-+Emetteurs+et+information+financi%C3%A8re&docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F582bd083-1226-4bb7-ba41-9f339bcdee1b.

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