EXAMEN EN COMMISSION

Réunie mercredi 4 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. François Marc, rapporteur spécial, sur la participation de la France au budget de l'Union européenne (article 22 du projet de loi de finances pour 2016).

M. François Marc , rapporteur spécial . - L'article 22 du projet de loi de finances pour 2016 évalue le prélèvement sur recettes au profit du budget de l'Union européenne à 21,51 milliards d'euros, soit 767 millions d'euros de plus que le montant prévu par la loi de finances initiale pour 2015, en hausse de 3,7 %. La contribution française au budget communautaire prend la forme d'un prélèvement sur les recettes de l'État, voté chaque année en loi de finances. Entre 1982 et 2016, le montant en valeur de notre contribution a été multiplié par 5,5, passant de 4,1 à 21,51 milliards d'euros. Les écarts considérables entre la prévision et l'exécution de cette participation au budget de l'Union sont récurrents et posent problème au regard de la sincérité du prélèvement voté chaque année. L'estimation du prélèvement soumise au vote du Parlement doit être aussi précise et fiable que possible.

Deuxième bénéficiaire des dépenses de l'Union européenne, la France reste le deuxième État contributeur au budget communautaire derrière l'Allemagne et devant l'Italie, le Royaume-Uni et l'Espagne. Notre solde net, qui représentait moins de 400 millions d'euros en 1999, a été multiplié par près de vingt depuis, mais 2014 marque un arrêt apparent de la dégradation : de 9,4 milliards d'euros en 2013, il est revenu à 7,9 milliards d'euros en 2014.

Mais cette amélioration n'est qu'apparente et ne révèle aucune tendance de fond. Elle s'explique, selon le Gouvernement, par deux facteurs conjoncturels. D'abord, les contributions des États membres ne prennent pas en compte, en 2014, les rabais et corrections, à l'exception du chèque britannique, dans l'attente de l'entrée en vigueur en 2016 de la nouvelle décision « ressources propres » (DRP), avec effet rétroactif au 1 er janvier 2014. Les corrections et rabais instaurés par cette DRP et dus au titre de 2014 et 2015 n'auront d'impact que sur les contributions nationales 2016. Ensuite, le budget 2014 est inférieur à celui de 2013 ; le solde de la France étant négatif, toute diminution du niveau de dépenses améliore son solde net. J'ajoute que la baisse relative de la part de notre RNB dans celui de l'Union contribue à éroder la part de notre prélèvement assise sur la ressource RNB.

Comme à l'accoutumée, l'avant-projet de budget a été présenté par la Commission européenne au printemps ; la négociation du budget communautaire 2016 donne lieu aux postures habituelles : cet avant-projet prévoit une baisse de 5 % des crédits d'engagement et une hausse de 1,6 % des crédits de paiement par rapport au budget 2015, le Conseil y a opéré des coupes notables dans sa proposition du 4 septembre 2015, tandis que le Parlement européen a voté, le 27 octobre 2015, un projet encore plus ambitieux que celui de la Commission, tant au regard des crédits d'engagement que des crédits de paiement. La proposition d'augmentation des crédits formulée par nos collègues députés européens rendra plus difficiles les négociations lors de la phase de conciliation qui devrait aboutir d'ici la fin novembre. À nouveau, l'état du stock de restes à liquider (RAL), qui devrait dépasser 220 milliards d'euros à la fin 2016, est préoccupant.

Une note positive toutefois : le budget de l'Union est toujours davantage tourné vers l'investissement et la croissance, ainsi qu'en témoigne la mise en place en 2015 du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) qui vise la réalisation de 315 milliards d'euros d'investissements et répond à l'objectif de soutien à la croissance en Europe.

La DRP du 7 juin 2007 est en cours de remplacement par la DRP du 26 mai 2014, applicable à compter du 1 er janvier 2016 avec un effet rétroactif sur 2014 et 2015. Cette nouvelle DRP a fait l'objet d'un projet de loi en autorisant l'approbation, sur lequel j'ai rendu un rapport. Je répète qu'il s'agit à mon sens d'une occasion de réforme manquée : la nouvelle décision maintient l'essentiel du système en vigueur, voire aggrave ses défauts en créant de nouveaux rabais.

Sous réserve de ces différentes observations, je recommande toutefois à la commission d'adopter sans modification l'article 22 du projet de loi de finances pour 2016. Je conserve ma foi dans la construction européenne et vous invite à faire de même.

M. André Gattolin . - Le budget doit être voté et contrôlé par le Parlement. Or pour ce qui est de ce prélèvement sur les recettes de l'État, nous sommes dans une situation étonnante : face à un débit correspondant au prélèvement de 21 milliards d'euros, nous n'avons aucune entrée puisque pour des raisons comptables, aucune précision n'est apportée sur ce qui revient à l'économie française. Dans ces conditions, il est difficile d'expliquer à nos concitoyens l'intérêt de l'Union européenne et d'un budget commun.

La présentation de la contribution française devrait comprendre un document consolidé faisant figurer les pénalités versées par la France dans le cadre de contentieux pour usage abusif des aides agricole - héritage des gouvernements précédents. Nous n'avons pas de vision cumulative de ce que nous payons réellement. Dans mon rapport sur la citoyenneté dans l'Union, je proposais que le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) présente un document annuel sur les actions de l'Union européenne en France. Comment expliquer, sinon, l'intérêt de l'Union avec les éléments fragmentaires dont nous disposons sur ce que versent et reçoivent l'État et les collectivités territoriales ?

M. Éric Bocquet . - Vous avez évoqué un budget davantage tourné vers l'investissement et la croissance, mais nous n'en voyons pas les effets concrets. Les principaux piliers en sont le plan Juncker qui devrait libérer 315 milliards d'euros sur trois ans et l'assouplissement quantitatif mis en place par la banque centrale européenne (BCE) depuis le mois d'avril. Quelle part de ces fonds a reçu la France ? Quelle est votre analyse sur l'absence d'effets, pour le moment, en termes de relance économique ?

M. Richard Yung . - Le plan Juncker est une avancée, mais 315 milliards pour vingt-huit pays et étalés sur trois ans, ce n'est pas non plus une relance à la Roosevelt ! Le budget sur la période 2014-2020 est en baisse par rapport à la période précédente. Il y a des efforts à faire. Concernant les financements et les ressources propres, où en est le projet de taxe sur les transactions financières, régulièrement évoqué ? Le dispositif actuel est à bout de souffle, fragilisé par les nombreux rabais et corrections. Fidèle à ses principes, la France ne demande pas de rabais, mais l'effort doit être collectif. Peut-on espérer une remise à plat du dispositif à une échéance de deux à trois ans ?

M. Jacques Chiron . - Notre récent rapport d'information sur le e-commerce évalue à 168 milliards d'euros le montant de TVA qui échappe aux pays européens. Or une part du produit de la TVA est perçue par le budget européen. La Commission européenne s'attaque-t-elle à cette question ?

M. Francis Delattre . - On parle des 315 milliards d'euros du plan Juncker, mais en réalité ce sont 23 à 25 milliards d'euros disponibles, dont on attend un effet levier. Cet effet est-il réellement à la hauteur des espérances ? Une première sélection de projets éligibles en France a-t-elle été effectuée ? Par ailleurs, à travers son plan d'assouplissement quantitatif, la BCE soulage la dette des États et injecte de l'argent frais : quelle est la part reçue par les banques françaises ?

M. Yvon Collin . - Environ 500 millions d'euros ont été débloqués au niveau européen pour répondre à la crise de l'élevage. Est-ce une aide dédiée la filière porcine française ou une enveloppe globale ?

M. François Marc , rapporteur spécial . - C'est une enveloppe globale.

M. Yvon Collin . - Je vous remercie. Les aides à la pomme sont presque entièrement allées à la Pologne, ce qui explique ma question.

M. Jean-Claude Requier . - La France est le deuxième contributeur du budget européen et participe au chèque britannique depuis 1984. L'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la Suède obtiennent des rabais sur ce rabais. La France et l'Italie, pourtant des pays latins supposés tricheurs, sont les plus vertueux.

Votre note de présentation répond à la question que je me posais sur la différence entre les restes à liquider, qui s'élèvent à 220 milliards d'euros, les restes à payer, et les restes à réaliser de nos budgets communaux.

M. François Marc , rapporteur spécial . - Merci de vos questions qui témoignent de votre intérêt pour l'Europe.

Je conviens avec André Gattolin que les Français devraient être mieux informés des interventions européennes. Le jaune budgétaire annexé au projet de loi de finances relatif aux relations financières avec l'Union européenne détaille, rubrique par rubrique, les moyens budgétaires alloués par l'Union européenne à la France. En revanche nous n'avons pas, pour le moment, de bilan économique ni d'évaluation des conséquences et effets leviers de ces interventions sur la dynamique économique de notre pays.

Vous trouverez dans la note de présentation des éléments explicatifs sur la proportion du budget de l'Union européenne qui concerne la France. Ainsi, 10,5 % des dépenses, soit 13,5 milliards d'euros, sont réalisées sur notre sol. Nous sommes le deuxième bénéficiaire, principalement grâce à la PAC dont la part dans le total des aides est néanmoins en baisse : de 75 % les années précédentes, elle est passée à 68 % en 2013 puis à 63 % en 2014. En revanche, en se référant au retour par habitant, la France arrive en vingtième position avec 205 euros par an. En 2008, nous étions quinzième. Toujours à l'aune du retour par habitant, nous ne sommes que le onzième bénéficiaire de la PAC avec 205 euros par habitant, l'Irlande occupant la première place avec 269 euros par an. Ces chiffres nourrissent une inquiétude justifiée. Nous ne recevons aucun rabais ou surplus, et nous avons le sentiment de ne pas bénéficier d'un traitement de faveur.

Les contributions subies ou pénalités pour non-respect des règles figurent aussi dans le jaune budgétaire relatif à nos relations financières avec l'Union européenne. Nous y reviendrons, avec un point particulier sur la PAC.

Le comité de suivi du plan Juncker est en cours d'installation. Pour l'instant, la dotation de l'Union européenne au titre de ce plan s'élève à 16 milliards d'euros, celle de la Banque européenne d'investissement (BEI) à 5 milliards. Depuis le début de l'année, 28 opérations ont bénéficié du soutien du FEIS, dont deux concernent la France : un programme sur l'efficacité énergétique des bâtiments et un autre sur les énergies renouvelables. Toutefois, en phase de mise en place, les données n'ont pas encore été agrégées.

Il est vrai qu'une baisse des réalisations budgétaires européennes a été constatée entre 2013 et 2014 ; mais la programmation des dépenses est quant à elle en hausse de 2 % par an, même si, par la suite, les réalisations peuvent se révéler inférieures. Concernant la remise à plat que vous appelez de vos voeux, le groupe de haut niveau présidé par Mario Monti, formé il y a un an, réfléchit à une architecture pertinente des ressources de l'Union : le système en vigueur a mal vieilli. Enfin, l'affectation de la taxe sur les transactions financières a été annoncée ici et là, au profit de la transition énergétique, des ressources propres de l'Union... Nous n'avons pas d'éléments plus précis à ce sujet.

Pour répondre à Jacques Chiron, nous devons redoubler d'efforts pour lutter contre la fraude à la TVA, dont le montant estimé est supérieur au budget européen. À nous d'activer les dispositifs anti-fraude.

Les 500 millions d'euros d'aides agricoles sont attribués en plus du budget de la PAC : 64 millions reviendront à la France, principalement aux filières lait et porc. Elles seront financées grâce à des prélèvements sur les pays qui ont dépassé leurs quotas laitiers en 2014, notamment l'Irlande, l'Allemagne et le Danemark.

Le reste à payer, sur lequel m'interroge Jean-Claude Requier, est le total des factures en décalage d'un exercice à l'autre. Cet agrégat comptable est similaire aux restes à réaliser de nos budgets locaux. Alors que le reste à liquider est la somme des engagements sur plusieurs exercices qui ne sont pas encore couverts par des crédits de paiement.

Mme Michèle André , présidente . - La commission des affaires européennes examinera jeudi 5 novembre une proposition de résolution européenne sur le plan Juncker déposée par nos collègues Jean-Paul Emorine et Didier Marie, qui sera envoyée pour examen au fond à la commission des finances. Cette année, l'article 22 sera examiné jeudi 19 novembre à la suite de la discussion générale sur le projet de loi de finances.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification l'article 22.

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