D. L'OBJECTIF D'ACCROISSEMENT DE LA CAPACITÉ DE JUGEMENT MAINTENU

1. Une poursuite de la politique de création d'emplois dans un contexte de progression continue des entrées

La progression continue du contentieux (+ 6 % en moyenne annuelle toutes juridictions confondues depuis près de quarante ans), due notamment à la montée en charge du contentieux de masse (droit au logement opposable, revenu de solidarité active, réforme du contentieux de l'éloignement des étrangers, réforme de la procédure applicable aux contentieux sociaux, contentieux électoraux avec la publication des décrets relatifs au découpage cantonal) et d'autres paramètres (suppression de la contribution à l'aide juridique, questions prioritaires de constitutionnalité) expliquent la poursuite de la politique de création d'emplois, initiée par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ).

En effet, le nombre d' affaires enregistrées dans toutes les juridictions administratives augmente (+ 12 % pour les TA et + 9 % pour les CAA et + 22 %pour le Conseil d'État depuis 2010).

Cette montée en charge du contentieux devra être confirmée, en 2016, avec la mise en oeuvre de plusieurs réformes, sans qu'il soit possible d'en évaluer l'impact budgétaire précis à ce stade : la réforme du droit d'asile, qui institue de nouvelles voies de recours, la réforme du droit des étrangers, le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXI ème siècle, le contentieux de la mise en oeuvre des techniques de renseignement avec l'institution d'une formation spécialisée ou plus marginalement la dépénalisation du stationnement payant à compter du 1 er octobre 2016 dont les recours en cassation se feront devant le Conseil d'État.

Création d'emplois de magistrats administratifs depuis 2009

(en ETP)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

+ 30

+ 20

+ 20

+ 5

+ 17

+ 14

+ 14

+ 29

Source : Commission des finances, d'après les données issues des projets annuels de performances du programme 165

Comme celui de 2015, le schéma d'emplois pour 2016 prévoit la création de 35 emplois supplémentaires, dont 29 magistrats administratifs et 6 agents de greffe .

Le plafond d'autorisation d'emplois pour 2016 s'établit à 3 819 ETPT .

Ces créations s'opèrent principalement en faveur des tribunaux administratifs et du traitement du contentieux de l'asile (au titre de l'effet de report des créations d'emplois décidées en gestion 2015). Il est vrai que la CNDA , avant son rattachement au présent programme (le 1 er janvier 2009), avait subi une détérioration préoccupante de ses délais de jugement , conséquence de « l'explosion » des demandes d'asile, elle-même résultant du contexte international.

Afin de remédier à cette situation, la CNDA a bénéficié d'un plan volontariste de renforcement de ses moyens humains (présidents permanents et rapporteurs). Le tableau ci-dessous présente les créations d'emploi dont elle a bénéficié.

Évolution des effectifs de la CNDA depuis 2009

(en ETPT)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

PLF 2016

223

243

294

318

341

349

358

367

Source : Conseil d'État

Au total, le plafond d'emplois de la Cour est fixé à 367 ETPT pour 2016, contre 358 ETPT en 2015.

Les crédits alloués à la CNDA passent de 22,9 millions d'euros en 2014 à 23,7 millions d'euros en 2016 (+ 3,6 %).

Cette politique de création d'emploi des juridictions administratives a ainsi contribué, avec la mise en place de nouvelles procédures et le renforcement de la productivité des personnels, à la réduction progressive des délais de jugement, malgré une dégradation prévisible pour la CNDA en 2016.

2. Une maîtrise des délais de jugement et de la qualité des décisions rendues

L'objectif principal du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » en matière de performance est la réduction des délais de jugement .

En effet, si l'exigence conventionnelle de « délai raisonnable de jugement », fixée par la Cour européenne des droits de l'homme a inspiré la jurisprudence du Conseil d'État 7 ( * ) , le législateur a imposé l'objectif de ramener le délai de jugement à un an 8 ( * ) . Ce délai, mesuré par l'indicateur le plus représentatif du programme (indicateur 1.1), peut être désormais considéré comme atteint, sauf pour la CNDA dont le délai se dégradera en 2016. Pour 2016, le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock est en effet de :

- 8 mois devant le Conseil d'État (contre 8 mois et 15 jours en 2015) ;

- 10 mois dans les CAA (contre 10 mois et 15 jours en 2015) ;

- 10 mois dans les TA , (délai identique en 2015) ;

- 7 mois et 7 jours à la CNDA (contre 6 mois et 8 jours en 2015 ), qui dépasse ainsi le délai de 6 mois et les nouveaux délais fixés par le législateur, avec la réforme du droit de l'asile ( cf. infra ).

Toutefois, cet indicateur n'est pas exempt de remarques. En effet, il agrège la totalité des affaires en stock en fin d'année, y compris les affaires réglées par simple ordonnance ou des affaires dont le jugement est contraint par des délais particuliers 9 ( * ) , et ne reflète donc pas la réalité de la situation. Il ne permet pas de mettre en évidence les délais des affaires « ordinaires » qui intéressent les citoyens, et qui peuvent être très longs comme en matière d'urbanisme ou de contentieux fiscal. Il est regrettable que l'indicateur qui permettait justement de distinguer ces affaires ordinaires et de mesurer leurs délais de traitement ait été supprimé depuis le projet annuel de performances pour 2015 .

Par ailleurs, il semble que la maîtrise des délais de jugement s'accompagnera du maintien de la qualité des décisions rendues . Ainsi, les taux d'annulation des décisions juridictionnelles pour 2016 restent relativement stables, voire diminuent, sauf pour la CNDA :

- par les CAA des jugements rendus par les TA (16 % prévu en 2016 contre 17 % en prévision actualisée pour 2015, 16,3 % en 2014 et 16,8 % en 2013) ;

- par le Conseil d'État des décisions de la CNDA (3 % prévu en 2016, soit un taux légèrement supérieur au 2,3 % en 2015, mais un chiffre très nettement amélioré au regard des performances précédemment enregistrées : 5,3 % en 2013 et 4,7 % en 2014).

Le mode de calcul de cet indicateur, pourrait néanmoins être affiné , afin de ne plus calculer ce taux par cohorte de dossiers mais par dossiers individuels, en tenant compte de leur complexité. Cette amélioration devrait être possible lorsque le nouveau système d'information décisionnel sera opérationnel.

3. Le cas particulier de la CNDA : une dégradation prévisible du délai de jugement en 2016

Comme indiqué supra , la progression des moyens de la Cour a porté ses fruits : les délais moyens de jugement ont été divisés par deux entre 2009 et 2015 , pour quasiment atteindre le délai, considéré comme incompressible, de 6 mois (6 mois et 8 jours, en prévision actualisée 2015 ) .

Outre les bénéfices humains profitant aux justiciables de la Cour, la compression des délais représentait un enjeu budgétaire majeur : ainsi, nos collègues Jean-Claude Frécon, alors rapporteur spécial de la présente mission, et Pierre Bernard-Reymond, pour la mission « Immigration, asile et intégration », dans leur rapport d'information commun relatif à la CNDA 10 ( * ) , estimaient à environ 16,25 millions d'euros le coût mensuel de la prise en charge sociale des demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA , pesant sur la mission « Immigration, asile et intégration ».  La Cour des comptes, dans son référé de juillet 2015 relatif à l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile, précise que - selon le ministère de l'intérieur - une réduction d'un mois permettait une baisse de 10 à 15 millions d'euros .

Toutefois, le délai prévisible moyen de jugement de la CNDA - dont le niveau d'activité dépend essentiellement de celui de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) - le taux de recours contre ses décisions de refus étant très élevé (plus de 85 % en 2014) - et du nombre de demandeurs d'asile - devrait connaître une dégradation ponctuelle en 2016 . La charge de travail de la CNDA devrait ainsi augmenter avec le déstockage important des dossiers en instance à l'OFPRA , qui pourrait entraîner une augmentation sensible des recours (potentiellement 15 000 recours supplémentaires), et avec la mise en oeuvre de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 portant réforme du droit d'asile , qui modifie son architecture (création de chambres et sections) et qui fixe à cinq semaines les délais de jugement pour la procédure à juge unique et cinq mois pour les décisions rendues par les formations collégiales. Néanmoins, le renforcement important de ses moyens en 2015 (anticipation dès 2015 des recrutements prévus durant le triennal 2015-17 avec l'arrivée de 15 nouveaux rapporteurs) devrait permettre de maintenir un délai aux alentours de 7 mois et 7 jours en 2016, un délai raisonnable au vu du contexte, mais ne respectant pas les nouveaux objectifs fixés par le législateur .

Votre rapporteur spécial constate que la CNDA - qui examine les recours contre les décisions de l'OFPRA - fera face à une situation délicate ces prochains mois. Néanmoins, contrairement à l'OFPRA, elle ne sera que très peu confrontée aux demandes d'asile, dans le cadre de la répartition européenne , la très grande majorité des demandeurs devraient obtenir le statut de réfugié comme indiqué par le rapporteur spécial Roger Karoutchi, dans la mission « Immigration, asile et intégration » et ne formuleront donc pas de recours.  L'activité de la Cour se concentrera ainsi principalement sur les recours des demandeurs d'asile qui n'entrent pas dans le cadre de la répartition européenne et dont le nombre est plutôt stable sur la première moitié 2015.


* 7 Arrêt « Magiera » du 28 juin 2002, qui reconnait la responsabilité pour faute simple de l'État du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice administrative.

* 8 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ).

* 9 Comme les référés, les contentieux des reconduites à la frontière ou les contentieux des refus de titres de séjour accompagnés d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

* 10 « La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) : une juridiction neuve, confrontée à des problèmes récurrents ». Sénat, rapport d'information n° 9 (2010-2011), page 44.

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