EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (art. L. 131-13 [nouveau] du code de l'éducation) - Création d'un droit d'accès à la restauration scolaire

Le présent article a pour objet , d'une part, d'instaurer un droit d'accès à la restauration au profit des élèves de l'enseignement primaire , et, de l'autre, d'interdire toute discrimination fondée sur la situation de l'élève ou de sa famille .

I. Le texte initial

La proposition de loi prévoit de compléter par un nouvel article L. 131-13 le chapitre premier « l'obligation scolaire » du titre troisième « l'obligation scolaire, la gratuité et l'accueil des élèves des écoles maternelles et élémentaires » du livre premier, qui détermine les principes généraux de l'éducation au sein du code de l'éducation.

Le choix de cette situation au sein du code de l'éducation « vise à marquer l'importance accordée à ce nouveau droit et à induire qu'il est intrinsèquement lié au caractère obligatoire de l'instruction » 50 ( * ) , ce qui est d'autant plus paradoxal que la proposition de loi n'a pas pour objet de faire de la restauration scolaire une compétence obligatoire de la commune.

Pour mémoire, la proposition de loi déposée en 2012 par notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen (CRC) prévoyait de créer un titre IV bis dans le livre V relatif à la vie scolaire 51 ( * ) . Une autre possibilité, également préférable au choix fait par l'auteur de la proposition de loi, eût été de compléter le chapitre II relatif aux compétences des communes au sein du titre premier « la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales ».

L'article dans sa rédaction initiale

Le chapitre I er du titre III du livre I er du code de l'éducation est complété par un article L. 131-13 ainsi rédigé :

« Art. L. 131-13. - L'inscription à la cantine, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon la situation de leur famille.

« Ce droit concerne le repas du midi pour les jours scolaires. »

A. Création d'une obligation, pour les communes et les établissements privés, d'accueillir tous les élèves dans les cantines existantes

En créant un droit d'inscription au service de restauration scolaire au profit des élèves, la proposition de loi instaure une obligation d'accueil de l'ensemble des élèves pour l'autorité responsable de la restauration scolaire. Cette dernière est :

- dans l'enseignement public, la commune ou, le cas échéant, un EPCI compétent, à l'instar d'un syndicat intercommunal à vocations scolaire (SIVOS) ;

- dans l'enseignement privé, l'établissement lui-même.

L'exercice de ce droit est cependant limité à l'existence préalable d'un service de restauration scolaire . Obligatoire dans les collèges et les lycées, en application des articles L. 213-2 et L 214-6 du code de l'éducation, la mise en oeuvre d'un service de restauration scolaire demeure facultative dans le premier degré.

En conséquence, les communes ne proposant pas ce service ne se verront pas contraintes de le faire ; les élèves scolarisés dans ces communes ne pourront faire valoir ce droit .

B. Réaffirmation de l'interdiction des discriminations à l'accès fondées sur la situation de la famille

La deuxième phrase de l'alinéa réaffirme l'interdiction des discriminations à l'accès au service public de la restauration scolaire selon la situation des familles . Comme le précise l'exposé des motifs, cette disposition vise à prévenir le refus d'accès aux cantines scolaires d'enfants dont au moins l'un des parents est chômeur ou sans activité professionnelle.

Ces pratiques sont toutefois d'ores et déjà illégales et sanctionnées par une jurisprudence constante du juge administratif. Ce dernier a en effet jugé que « le seul critère de l'activité professionnelle des deux parents ne peut légalement fonder la limitation de l'accès à la cantine » 52 ( * ) , ce critère constituant un « critère de discrimination sans rapport avec l'objet du service public en cause » 53 ( * ) . De plus, l'interdiction générale des discriminations que prévoit l'article L. 225-1 du code pénal s'applique également au service public de la restauration scolaire.

Vos rapporteurs considèrent que cette disposition du présent article est largement superfétatoire. Non seulement elle ne fait que réitérer des dispositions législatives déjà en vigueur , mais sa rédaction laisse à désirer : venant après l'affirmation que l'accès à la cantine « est un droit pour tous les enfants scolarisés », elle est susceptible de laisser croire qu'il existerait des cas dans lesquels une discrimination pourrait être établie .

II. Le texte adopté par l'Assemblée nationale

La commission des affaires culturelles et de l'éducation a adopté deux amendements :

- un amendement de Mme Gilda Hobert, rapporteure, précisant le champ d'application de la proposition de loi aux seules cantines des « écoles primaires », maternelles et élémentaires , puisque l'accès aux services de restauration scolaire des collèges et des lycées ne peut faire l'objet de restriction ;

- un amendement du Gouvernement supprimant le deuxième alinéa de l'article L. 131-13, qui faisait référence aux « repas du midi pour les jours scolaires », disposition floue et qui portait atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.

Lors de l'examen du texte en séance publique, les députés ont adopté un amendement présenté par le groupe écologiste. Cet amendement étend le champ de l'interdiction des discriminations à l'accès à celles fondées sur la « situation » de l'élève , du fait notamment de troubles de santé ou d'un handicap.

III. La position de votre commission

Outre les problèmes d'ordre rédactionnel, votre commission estime que le dispositif de cette proposition de loi pose deux difficultés majeures .

Premièrement, les dispositions visant à interdire les discriminations à l'accès à la restauration scolaire sont largement superfétatoires . En l'état du droit, ces pratiques sont d'ores et déjà interdites et sanctionnées par le juge administratif.

De plus, les moyens d'une sanction rapide d'une éventuelle discrimination existent : le juge administratif admet le recours à la procédure du référé-suspension de l'article L. 521-1 du code de justice administrative contre une délibération municipale modifiant le règlement de la cantine scolaire 54 ( * ) . Compte tenu des doutes sérieux qui peuvent exister quant à la légalité de ces délibérations, le préfet peut déférer lesdites délibérations devant le juge administratif et demander leur suspension .

Deuxièmement, le droit d'accès à la cantine scolaire instauré par cette proposition de loi présente une contradiction fondamentale . Si la restauration scolaire constitue un service public annexe de celui de l'enseignement, qui répond à des impératifs d'intérêt général, alors ce service devrait être assuré au profit de tous sur l'ensemble du territoire. Ce choix a été fait pour l'enseignement secondaire public , l'État en ayant ouvert l'accès à tous avant d'en décentraliser la compétence aux collectivités territoriales. Dans le cas présent, il est rendu impossible par la situation financière des communes et de l'État , ce dernier devant nécessairement compenser la charge ainsi occasionnée.

Or la proposition de loi ne remet pas en cause le caractère facultatif du service public de la restauration scolaire à l'école primaire. Elle se borne à imposer une obligation supplémentaire aux communes ayant fait le choix de proposer ce service . Le droit d'accès créé par ce texte restera ainsi lettre morte pour les élèves dont la commune dans laquelle ils sont scolarisés n'offre pas de service de restauration scolaire .

Ce texte apparaît ainsi comme une demi-mesure , d'intention louable mais sans intérêt sur le plan juridique , inapplicable faute de moyens suffisants et qui sera source de coûts et de risques contentieux pour les communes comme pour les établissements privés .

La mise en oeuvre de ces dispositions pourrait avoir divers effets indésirables . Elle pourrait se traduire par une augmentation des tarifs de la restauration scolaire , quand certaines communes incapables d'accueillir l'ensemble des élèves pourraient être susceptibles de renoncer à offrir un service de restauration scolaire . Enfin, les communes qui ne le proposent pas à ce jour ne seraient certainement pas incitées à le faire .

Votre commission n'a pas adopté de texte pour cet article.

Article 2 - Compensation des charges

I. Le texte de la proposition de loi

Le présent article prévoit que les charges qui résulteront de l'application de la proposition de loi seront compensées :

- pour les communes, par la majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ;

- pour l'État, par la création d'une taxe additionnelle aux droits relatifs sur le tabac.

II. La position de votre commission

Il ressort des auditions menées et des pièces examinées par vos rapporteurs qu' une estimation précise des charges résultant de l'application de la proposition de loi est impossible . Le rapport de notre collègue députée Gilda Hobert estime ce coût à « quelques dizaines de millions d'euros dans les hypothèses les plus hautes » 55 ( * ) .

S'il est relativement modeste, ce coût serait supporté par un certain nombre de communes qui seraient contraintes d'engager des investissements importants .

Dans un contexte de réduction substantielle des financements de l'État aux collectivités territoriales et de réforme annoncée de la DGF, vos rapporteurs considèrent que la majoration de la DGF prévue par le présent article relève de la fiction .

Votre commission n'a pas adopté de texte pour cet article .

*

* *

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre commission, à l'initiative de ses rapporteurs, a rejeté la proposition de loi.

En conséquence, en application de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte adopté par l'Assemblée nationale.


* 50 Rapport n° 2616 (XIV e législature) de Mme Gilda Hobert, précité.

* 51 Proposition de loi n° 561 (2011-2012) de Mme Brigitte Gonthier-Maurin et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 25 mai 2012.

* 52 Tribunal administratif de Lyon, 21 janvier 2010, Commune d'Oullins, n° 0903116.

* 53 Conseil d'État, 23 octobre 2009, Fédération des conseils de parents d'élèves de l'enseignement public du Rhône et Mme Pasquier, précité.

* 54 Conseil d'État, 23 octobre 2009, Fédération des conseils de parents d'élèves de l'enseignement public du Rhône et Mme Pasquier, précité.

* 55 Rapport n° 2616 (XIV e législature) de Mme Gilda Hobert, précité.

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