B. UN COÛT ÉLEVÉ POUR LES COLLECTIVITÉS, UNE COMPENSATION QUI RELÈVE DE LA FICTION

1. Un coût concentré sur certaines communes, dont la compensation est plus qu'hypothétique
a) Un coût inconnu mais probablement élevé et concentré

De l'aveu de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu, les conséquences financières de ce texte sont inconnues : « nous ne disposons pas de toutes les données permettant d'en évaluer les incidences, notamment en termes de coût . Mais nous pouvons nous engager à un travail entre les deux lectures, afin de prévoir des ajustements éventuels lors de l'examen du texte au Sénat » 39 ( * ) . Toutefois, aucun élément précis sur les coûts engendrés par cette proposition de loi n'a été porté à la connaissance de vos rapporteurs .

Le rapport de notre collègue députée Gilda Hobert estime ce coût « de l'ordre de quelques dizaines de millions d'euros dans les hypothèses les plus hautes intégrant les effets d'encouragement à l'inscription à la cantine que pourrait susciter la création de ce nouveau droit » 40 ( * ) .

Les informations portées à la connaissance de vos rapporteurs laissent prévoir un coût significativement plus élevé, de l'ordre de plusieurs dizaines, voire centaines, de millions d'euros .

À eux seuls, l'extension et la réfection des restaurants scolaires en centre-ville représentent des investissements lourds et, de surcroît, concentrés sur quelques dizaines ou centaines de communes . Outre ces investissements, les communes devront nécessairement recruter du personnel d'encadrement.

Cité par l'AMRF, un maire rural de l'Eure indique qu'« actuellement, je reçois à la cantine 60 enfants élémentaires, alors que nous avons 90 enfants scolarisés. La salle de repas est adaptée. Si demain 90 élèves étaient inscrits, je devrais ouvrir la seconde pièce (la partie « salle des fêtes ») qui va me demander de prévoir du ménage en sus, donc des heures, et des produits d'entretien en plus. Je devrais également recruter une à deux personnes pour 8 heures par semaine » 41 ( * ) .

b) Une compensation irréaliste

En premier lieu, aucun droit à compensation par l'État n'est reconnu aux collectivités territoriales du fait de l'extension d'une compétence non obligatoire . Si l'article 72-2 de la Constitution prévoit que « toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi » 42 ( * ) , le Conseil constitutionnel a précisé que « ces dispositions ne visent , en ce qui concerne les créations et extensions de compétences, que celles qui présentent un caractère obligatoire » 43 ( * ) . La présente proposition de loi ne remettant pas en cause le caractère facultatif de la restauration scolaire, la compensation des coûts qu'elle engendre n'est pas de droit.

Néanmoins, lors de l'examen du texte en première lecture à l'Assemblée nationale, l'article 2 de la proposition de loi a été maintenu dans sa rédaction initiale. Il prévoit la compensation des charges résultant de l'application de la loi pour les communes par une « majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ». La perte de recettes occasionnée pour l'État serait compensée par la création d'une taxe additionnelle aux droits relatifs au tabac.

Dans un contexte de réduction massive des dotations aux collectivités territoriales , pour un effort total de 11 milliards d'euros entre 2015 et 2017, cette majoration de la DGF paraît illusoire .

Or il ressort des auditions menées par vos rapporteurs qu'une majoration à due concurrence de la DGF pour compenser les coûts occasionnés par la proposition de loi serait techniquement impossible . Les services de la direction générale des collectivités locales (DGCL) ont confirmé que le recours à la DGF n'est « pas pertinent », celle-ci n'étant « pas configurée pour prendre en compte ce type de dépenses, particulièrement difficiles à identifier » 44 ( * ) . Tout d'abord, il n'existe aucun moyen d'isoler les dépenses consenties par les communes ou les EPCI en faveur de la restauration scolaire . De plus, le mode de calcul des dotations aux collectivités territoriales ne tient pas compte du nombre d'élèves scolarisés , à l'exception de la dotation de solidarité rurale (DSR) intégrée à la DGF : la seconde fraction de la DSR est répartie, pour 30 % de son montant, selon le nombre d'enfants de 3 à 16 ans recensés dans la commune 45 ( * ) .

Enfin, il serait extrêmement difficile voire impossible , dans le cas d'aménagements et d'opérations d'investissement , d'identifier précisément le surcoût résultant de l'application de la proposition de loi .

Vos rapporteurs soulignent qu'en ce qui concerne l'enseignement privé, qui entre pleinement dans le champ d'application des dispositions de l'article premier, aucune compensation n'est prévue en faveur des établissements, qui ont la charge des services de restauration scolaire. Cette compensation se heurterait à l'interdiction générale des aides publiques aux dépenses d'investissement des établissements d'enseignement privés du premier degré prévue par la loi . En effet, selon une jurisprudence constante, le Conseil d'État estime qu'il ressort des dispositions issues de la loi « Goblet » du 30 octobre 1886, désormais codifiées à l'article L. 151-3 du code de l'éducation 46 ( * ) , que ni l'État, ni les collectivités territoriales ne peuvent, d'une manière générale, participer au financement des dépenses d'investissement des établissements d'enseignement privés du premier degré , qu'ils soient ou non sous contrat, simple ou d'association 47 ( * ) .

En l'absence de moyens et d'une véritable compensation, cette proposition de loi constituerait un texte inapplicable, mais riche d'effets pervers et de risques contentieux pour les communes comme pour les établissements privés.

Vos rapporteurs craignent notamment que, dans un contexte de réduction des dotations des communes, les opérations d'investissement et d'aménagement conduisent à une augmentation des tarifs de la restauration scolaire , qui irait à l'encontre de sa vocation sociale. En outre, il n'est pas impossible que certaines communes en grave difficulté financière renoncent à proposer ce service , comme il leur est loisible de le faire.

2. Faire confiance aux communes et leur donner les moyens d'accueillir tous les élèves

Faute de faire de la restauration scolaire une compétence obligatoire et ouverte à tous, vos rapporteurs estiment préférable de faire confiance aux acteurs de terrain, maires et présidents d'EPCI, en les aidant à adapter leurs services de restauration scolaire pour accueillir tous les élèves qui le souhaitent. Il convient de souligner, comme l'affirme Mme Virginie Lanlo, représentante de l'AMF, que « les communes jouent déjà pleinement leur rôle social » et « font beaucoup d'efforts pour identifier et prendre en charge les enfants des familles en difficulté » 48 ( * ) .

En prévoyant une « durée de la pause méridienne [qui] ne peut être inférieure à une heure trente » 49 ( * ) , la réforme des rythmes scolaires permet aux communes d'accroître le nombre de repas servis au déjeuner. Des mesures à caractère réglementaire, comme le relâchement des exigences en matière d'encadrement des élèves, qui pénalisent particulièrement les communes rurales, permettraient d'aider ces communes à accueillir davantage d'élèves à la cantine.

Il est également nécessaire de mettre en avant et de promouvoir les bonnes pratiques en matière d'organisation et d'aménagement du service , ainsi qu'en matière d'accueil des élèves handicapés ou allergiques. Outre la création de selfs, les doubles voire triples services, des mutualisations importantes sont possibles dans le cadre intercommunal, par la mise en place de cuisines centrales ou pour répondre à certains besoins spécifiques (repas hypo-allergènes, par exemple).

À cet égard, le travail d'information juridique et de diffusion des bonnes pratiques que réalise l'AMF est à saluer. En outre, vos rapporteurs regrettent que le travail engagé en 2012 par l'AMF et les services de l'État afin d'élaborer un règlement-type de la restauration scolaire n'ait pas abouti.

En conclusion, vos rapporteurs partagent pleinement l'ambition de permettre l'accès de tous les élèves à la restauration scolaire, qui constitue un enjeu éducatif, de santé public et de socialisation.

Toutefois, compte tenu de l'ensemble de ces observations, ils ne peuvent qu'émettre un avis défavorable à l'adoption de la présente proposition de loi.


* 39 JO AN, compte rendu intégral de la séance du 12 mars 2015, session 2014-2015 (XIV e législature).

* 40 Rapport n° 2616 (XIV e législature) de Mme Gilda Hobert, précité.

* 41 Contribution écrite.

* 42 Article L. 1614-1-1 du code général des collectivités territoriales : « Toute création ou extension de compétence ayant pour conséquence d'augmenter les charges des collectivités territoriales est accompagnée des ressources nécessaires déterminées par la loi . »

* 43 Conseil constitutionnel, n° 2004-509 DC, Loi de programmation pour la cohésion sociale, 13 janvier 2005.

* 44 Audition du 19 novembre 2015.

* 45 L'article 58 de la version initiale du projet de loi de finances pour 2016 prévoit de calculer cette fraction selon « le rapport entre le nombre d'élèves scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires publiques ou privées sous contrat de la commune » et le nombre moyen mesuré dans les communes de moins de 10 000 habitants.

* 46 Article 2 de la loi du 30 octobre 1886 portant sur l'organisation de l'enseignement primaire, reprenant les dispositions de l'article 17 de la loi du 15 mars 1850 relative à l'enseignement.

* 47 Conseil d'État, 24 mai 1963, FNCPEEP et sieur Lachapelle, n°52358 et n° 52359 ; Conseil d'État, 19 mars 1986, Département de Loire-Atlantique, n° 60483.

* 48 Audition du 27 novembre 2015.

* 49 Article D. 521-10 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue du décret n° 2013-77 du 24 janvier 2013 relatif à l'organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires.

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