II. CRÉER UN DROIT D'ACCÈS DES ÉLÈVES À LA RESTAURATION SCOLAIRE : UNE AVANCÉE EN TROMPE-L'oeIL

A. UN ENTRE-DEUX DIFFICILEMENT TENABLE ET PEU COHÉRENT

1. Une solution qui ne tient pas compte des réalités de l'organisation de la restauration scolaire

De même que la restauration scolaire constitue un service public facultatif pour les communes, son organisation est souvent très souple, afin de répondre à une demande élastique et souvent changeante . Outre l'abonnement , annuel ou trimestriel, pour un nombre fixe ou variable de jours par semaine, beaucoup de services de restauration scolaires permettent une fréquentation ponctuelle du service .

La proportion d'élèves ayant recours au service varie également fortement selon les écoles et les jours de la semaine ; si la cantine scolaire concerne en moyenne la moitié des élèves, cette proportion peut être très supérieure certains jours de la semaine. Entendu par vos rapporteurs, M. Jean Denais, maire de Thonon-les-Bains, expliquait que la modification en 2008 du règlement de son service de restauration scolaire visait, à titre préventif, à maîtriser un pic de fréquentation le jeudi, qu'il attribuait à une « consommation de confort le jour du marché, en particulier dans les écoles du centre-ville » 34 ( * ) .

La création d'un droit d'accès des élèves à la restauration scolaire se traduirait en obligation pour les communes d'accueillir l'ensemble des élèves qui souhaiteraient potentiellement y déjeuner . Cela reviendrait, au vu du caractère fluctuant de la demande, à contraindre les communes dont les capacités sont saturées - ou en voie de l'être - à un surdimensionnement de leurs infrastructures et de leurs équipements, afin d'être en mesure d'accueillir l'ensemble de leurs élèves.

Dans la grande majorité des cas, il semble que les communes incapables d'accueillir l'ensemble de leurs élèves à la cantine sont des grandes agglomérations ou des villes connaissant une forte poussée démographique, notamment en Île-de-France . Par exemple, le maire de L'Île-Saint-Denis, M. Michel Bourgain, indiquait que « mille enfants sont scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires. La commune ne dispose que de 580 places pour la restauration municipale. Commune très pauvre, L'Île-Saint-Denis (70% de logements sociaux) n'a pas les ressources matérielles, financières et humaines suffisantes pour accueillir davantage d'enfants » 35 ( * ) .

Vos rapporteurs soulignent l'extrême difficulté que revêtirait la mise en conformité avec l'obligation d'accueil, notamment en zone urbaine et en centre-ville, où les possibilités d'extension sont limitées voire inexistantes , particulièrement dans le cas d'écoles sises dans des bâtiments historiques. Ces travaux d'extension seront dans bien des cas nécessaires car, comme le soulignait Mme Valérie Marty, présidente de la PEEP, les selfs et les doubles services sont déjà mis en oeuvre dans l'écrasante majorité des écoles des grandes agglomérations, sans pour autant suffire à répondre à la demande 36 ( * ) .

2. Un droit d'accès à géométrie variable, qui constitue un pis-aller riche en contraintes pour les communes

Ne se contentant pas d'affirmer l'égalité et la non-discrimination dans l'accès au service public de la restauration scolaire, qui au demeurant existent déjà au niveau législatif, la présente proposition de loi impose une lourde obligation aux communes qui ont fait le choix de mettre en oeuvre ce service .

Comme le précise notre collègue députée Gilda Hobert, la proposition de loi n'a pas pour objet de « transformer la restauration scolaire en service public local à caractère obligatoire , comme c'est déjà le cas dans les faits pour les cantines des collèges et des lycées » 37 ( * ) .

En outre, vos rapporteurs demeurent perplexes face à ce nouveau droit qui s'appliquerait de manière inégale sur le territoire . Le service public de la restauration scolaire demeurant facultatif, ce droit d'accès à la cantine resterait lettre morte pour les enfants scolarisés dans une commune ne proposant pas un tel service ou, conséquence prévisible de la présente proposition de loi, ayant dû renoncer à le faire. De même, aucune obligation supplémentaire ne pèserait sur les communes n'offrant pas de service de restauration scolaire , quand celles qui en ont fait le choix, déjà astreintes au respect de nombreuses normes d'hygiène et d'encadrement, seraient contraintes d'effectuer de lourds investissements.

Les modalités d'application de ce droit d'accès aux élèves scolarisés dans l'enseignement privé sont ambigües. Ce droit trouve-t-il à s'appliquer dans l'établissement dans lequel ils sont scolarisés, mais qui n'est alors éligible à aucune compensation financière (v. infra ), ou bien l'obligation d'accueillir tous les élèves qui le souhaitent s'applique-t-elle à la seule commune ? Dans ce cas, l'article premier pourrait être interprété comme créant un droit d'accès à la cantine scolaire publique pour les élèves des écoles privées. Une telle interprétation n'irait pas sans soulever de graves difficultés d'organisation et serait source de contentieux inextricables.

Vos rapporteurs considèrent que la création d'un droit d'accès à la restauration scolaire s'accommode mal du maintien du caractère facultatif de cette compétence. Si elle n'est pas envisageable dans le contexte actuel , car cela nécessiterait une prise en charge financière à l'euro près par l'État , faire de la restauration scolaire un service public local à caractère obligatoire apparaîtrait plus cohérent que le dispositif de la présente proposition de loi.

En effet, si l'on considère que la restauration scolaire est un service public annexe au service public de l'enseignement , dont elle concourt au bon fonctionnement, et qu'elle répond « à d'incontournables besoins nutritionnels, éducatifs et sociaux » 38 ( * ) , alors il paraîtrait souhaitable qu'elle devienne une compétence obligatoire des communes, afin que tous les élèves y aient accès .

Faute de pouvoir ce faire, ce texte apparaît ainsi comme un pis-aller, certes généreux dans son intention, mais dont l'intérêt sur le plan juridique est contestable, pour un coût élevé et une mise en oeuvre difficile, voire impossible .


* 34 Audition du 17 novembre 2015.

* 35 Communiqué de presse de la commune de L'Île-Saint-Denis, septembre 2015.

* 36 Audition du 19 novembre 2015.

* 37 Rapport n° 2616 (XIV e législature) de Mme Gilda Hobert, précité.

* 38 Idem .

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