EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 9 décembre 2015, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur, et du texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 692 (2014-2015) autorisant la ratification de l'accord commercial entre l'Union européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Colombie et le Pérou, d'autre part.

M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur . - Monsieur le Président, mes chers collègues, cet accord commercial signé le 26 juin 2012 entre l'Union européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Colombie et le Pérou, d'autre part, est présenté comme l'accord le plus substantiel jamais conclu par l'Union européenne avec des pays andins. C'est un accord mixte qui porte à la fois sur des matières relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne (instauration d'une zone de libre-échange) et des matières de la compétence des Etats membres (droits de l'homme, non-prolifération des armes de destruction massive). Il doit donc, pour entrer en vigueur, être ratifié à la fois par l'Union européenne et les Etats membres.

Il est le fruit d'une négociation, entamée en 2007, sur la base de l'accord-cadre de coopération, signé en avril 1993 par l'Union avec la Communauté andine des Nations ou CAN (Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou), qui amorçait une nouvelle relation commerciale tout en ménageant une place à la protection des droits de l'homme et au respect des principes démocratiques.

L'ensemble de l'accord, à l'exception de quatre articles, est déjà appliqué, à titre provisoire, avec le Pérou depuis le 1er mars 2013 et avec la Colombie depuis le 1er août 2013. Ainsi, la France, qui sera un des derniers Etats membres à le ratifier, bénéficie déjà des préférences commerciales et de la levée des obstacles non tarifaires aux échanges qu'il prévoit.

L'Union européenne et la France entretiennent des relations commerciales avec la Colombie et le Pérou qui n'épuisent pas leur potentiel et ne pourront que croître et prospérer avec cet accord. La Colombie est la troisième puissance économique d'Amérique du Sud derrière le Brésil et l'Argentine avec un PIB de 400 milliards de dollars américains en 2014. Elle connaît une croissance soutenue depuis plusieurs années (+20 % entre 2009 et 2013 et 4 % en 2014).

L'Union européenne est son deuxième partenaire commercial avec un volume des échanges d'un peu plus de 14 milliards d'euros en 2013. La France était son 8e pays fournisseur avec une part de marché de 2,4 % en 2013. La France y est le premier employeur étranger avec 100 000 emplois (avec notamment l'implantation de Casino et Sodexo). Le processus d'adhésion de la Colombie à l'OCDE, entamé en 2013, devrait s'achever fin 2016.

Nous entretenons d'excellentes relations politiques avec le Pérou, notamment pour la préparation de la COP 21. C'est une économie de taille moyenne avec un PIB de 203 milliards de dollars américains. Il a connu une forte croissance entre 2006 et 2013 (6,8 % en moyenne annuelle) et un net ralentissement en 2014 (+2,4 %) du fait de la baisse du prix des minerais. L'Union européenne est le troisième partenaire commercial du Pérou et le premier investisseur étranger. Le volume des échanges entre l'Union européenne et le Pérou a atteint 8,985 milliards d'euros en 2013. Avec environ 544 millions d'euros d'échanges commerciaux directs en 2014, la France est le 23ème client et le 21ème fournisseur du Pérou.

Cet accord est un accord commercial dit de « nouvelle génération » qui vise à libéraliser progressivement le commerce des biens et à favoriser l'intensification des échanges commerciaux dans un environnement stable et durable en vue d'instaurer, à terme, une zone de libre-échange.

C'est d'abord un accord commercial. Son volet commercial est très proche du volet commercial de l'accord d'association conclu entre l'Union européenne et l'Amérique centrale que nous avons examiné l'an dernier et que la France a ratifié.

L'Union européenne s'engage à ouvrir son marché aux exportateurs du Pérou et de la Colombie au travers de la libéralisation immédiate des produits industriels et de la pêche (crevettes notamment). En contrepartie, le Pérou et la Colombie éliminent respectivement 80 % et 65 % des droits de douane sur les importations de produits industriels européens, pour les supprimer totalement au bout de 11 ans.

S'agissant des produits agricoles, les échanges sont plus ouverts que par le passé et des contingents tarifaires libres de droit ont été accordés de part et d'autre. La Colombie et le Pérou autorisent l'accès libre immédiat du vin européen à leurs marchés respectifs, à la grande satisfaction de nos exportateurs français. Dans le secteur laitier en revanche, le lait et le beurre sont exclus de la libéralisation pour la Colombie et libéralisés en 15 à 17 ans pour le Pérou. Les yaourts sont traités sous forme de contingents réduits pour la Colombie et libéralisés en 15 ans pour le Pérou. Réciproquement, pour le rhum, l'Union européenne accorde des contingents annuels exempts de tout droit de douane à hauteur de 1 500 hl pour la Colombie et de 1 000 hl pour le Pérou avec une augmentation de 100 hl par an. Pour le sucre et les produits à base de sucre, les contingents libres de droit sont de 22 000 tonnes chacun avec une augmentation annuelle de 1 860 tonnes pour la Colombie et de 660 tonnes pour le Pérou. S'agissant de la banane, une réduction du droit de douane est prévue chaque année jusqu'en 2020, date à laquelle le taux sera de 75 euros la tonne. Je m'empresse de vous dire à ce sujet - la banane - que les tarifs douaniers applicables et les deux mécanismes de protection prévus sont les mêmes que ceux figurant dans l'accord d'association Union européenne Amérique centrale que nous avons adopté au Sénat et que la France a déjà ratifié. Ils sont donc de nature à offrir des garanties à nos territoires d'outre-mer et à nous rassurer.

En effet, la clause de sauvegarde permet d'augmenter les droits de douane lorsque des marchandises sont importées de Colombie ou du Pérou « dans des conditions tellement accrues (en valeurs absolues ou par rapport à la production de l'Union) et à des conditions telles qu'elles menacent de causer un préjudice grave à l'industrie de l'Union produisant un produit similaire ou directement concurrent ».

Un mécanisme de stabilisation, applicable jusqu'en 2020, déclenche, quant à lui, une suspension du traitement préférentiel dans le cas d'une forte augmentation des importations en provenance des pays andins au-delà d'un certain seuil, qui est relevé chaque année. Je note que ces deux mécanismes n'ont pas été utilisés pour l'instant. Le rapport annuel de décembre 2014 de la Commission européenne sur la mise en oeuvre de cet accord indique qu'aucune enquête de sauvegarde n'a d'ailleurs été ni demandée, ni donc réalisée. C'est évidemment un point que j'ai regardé avec beaucoup d'attention.

Cet accord est aussi un accord dit de « nouvelle génération », ce qui signifie qu'il couvre non seulement les sujets traditionnels du commerce international ou qui lui sont connexes (libéralisation tarifaire et non tarifaire, libéralisation des services et de l'investissement, ouverture des marchés publics, défense commerciale, droit de la propriété industrielle, mesures sanitaires et phytosanitaires), mais aussi, même si très succinctement, les questions relatives aux droits de l'homme et au développement durable, pour ce dernier point, dans le chapitre « Commerce et développement durable ».

Ainsi, l'accord traduit les préoccupations de l'Union européenne et des Etats membres au regard de la situation des droits de l'homme en Colombie et au Pérou. En cas de dégradation significative, il pourra être suspendu, soit sur la base de l'article 1 relatif aux principes démocratiques et droits fondamentaux de l'homme, soit sur celle de l'article 2 relatif au désarmement et à la non-prolifération des armes de destruction massive. Si l'article 1er est déjà appliqué à titre provisoire, ce n'est pas le cas de l'article 2, qui entrera en application à l'issue des ratifications.

J'ajouterai que des dispositions institutionnelles - classiques dans ce type d'accord - y figurent. Un comité « Commerce », composé de représentants de la Partie Union européenne et de représentants de chaque pays andin signataire est institué pour suivre et faciliter le fonctionnement de l'accord ainsi que la bonne application de ses dispositions. Il se décline en sous-comités thématiques.

Quelles sont, enfin, les conséquences attendues de l'accord ? Cet accord ne devrait pas remettre fondamentalement en cause la structure et le volume des échanges de biens entre le Pérou et l'Union européenne, d'une part, et la Colombie et l'Union européenne, d'autre part, puisqu'il sécurise des « préférences » commerciales accordées à ces deux pays par l'Union européenne : au titre du système de préférences généralisées (SPG) de base pour la Colombie, qui est un pays en développement « plus avancé », et au titre du système de préférences généralisées plus (SPG +) pour le Pérou, qui est un pays en développement moins avancé. Il ouvre le champ des produits couverts par ces préférences, qui passe de 2/3 à quasiment 90 %. Jusqu'au 1er janvier 2016, la Colombie et le Pérou bénéficient de ces deux régimes pour leurs exportations vers l'Union européenne, c'est-à-dire, soit le système de préférences généralisées, soit l'application anticipée de l'accord de libre-échange.

L'application du calendrier de démantèlement tarifaire permettra aux grandes industries exportatrices de l'Union européenne du secteur des produits industriels et des produits de la pêche de bénéficier d'économies de droits de douane annuelles pour un montant annuel de 250 millions d'euros, au plus tard dix ans après l'entrée en vigueur de l'accord. Ainsi, le secteur de l'automobile et des pièces détachées automobiles économisera plus de 33 millions d'euros, les produits chimiques 16 millions d'euros et les textiles plus de 60 millions d'euros. Les industries pharmaceutiques et celles des équipements de télécommunications profiteront, respectivement, d'une réduction annuelle de droits de 16 et 18 millions d'euros.

S'agissant des produits agricoles, à la fin de la période de transition de 17 ans, l'économie résultant de l'ouverture des marchés andins aux Européens devrait être d'environ 270 millions d'euros par an.

Cet accord devrait également permettre à l'Union européenne, souvent désavantagée par des normes locales contraignantes ou des règlements techniques, d'augmenter ses ventes de produits pharmaceutiques, de dispositifs médicaux, d'instruments d'optique et de voitures, dans ces deux pays.

Depuis l'application provisoire de l'accord en 2013, la France enregistre un total des ventes de 6,1 millions d'euros de produits laitiers au Pérou en 2014 contre 2,6 millions d'euros en 2013, soit une augmentation de +133 % ainsi qu'une forte augmentation des exportations de produits agroalimentaires (céréales et fruits) vers la Colombie variant, suivant les produits, entre +22 % et +382 % au cours du premier semestre 2014. La signature, en avril 2015, d'un contrat d'achat de 100 nouveaux Airbus par la compagnie nationale colombienne Avianca pour un montant de 10,6 milliards de dollars offre également de bonnes perspectives aux exportations françaises. J'ajouterai que, depuis 2013, 92 indications géographiques européennes sont désormais protégées, dont 43 françaises (27 vins, 6 fromages, 4 spiritueux, 2 produits à base de viandes, 2 huiles, 1 mollusque et 1 fruit) contre 2 indications géographiques colombiennes et 4 indications géographiques péruviennes. La reconnaissance de ces normes européennes, jusque-là peu connues des Colombiens et Péruviens, signe une victoire sur le système américain des marques.

En conclusion, et sous le bénéfice de ces observations, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Cet accord permet l'approfondissement du dialogue avec les pays d'Amérique latine en complétant les accords existants avec le Chili, le Mexique et le Brésil. Une clause d'adhésion ménage d'ailleurs aux autres pays membres de la Communauté andine des Nations la possibilité de participer à l'accord lorsqu'ils le jugeront opportun. L'Équateur a ainsi engagé des négociations commerciales avec l'Union européenne, qui ont abouti à un accord conclu en juillet 2014. En outre, on peut espérer qu'il enclenche une dynamique politique propice à la mise en oeuvre des réformes dans ces pays.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 17 décembre 2015. Je vous propose, quant à moi, un rapport publié en forme synthétique.

À la fin de la présentation du rapporteur, un court débat s'est engagé.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Pourriez-vous nous dire à quoi sert le Comité « Commerce » ?

M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur. - C'est le comité qui est chargé de suivre la mise en application de cette convention.

M. Yves Pozzo di Borgo . - Contrairement à celles qui proviennent de la Martinique et de la Guadeloupe, les bananes des autres pays contiendraient des produits chimiques dangereux pour notre santé : raison de plus pour en importer moins !

M. Joël Guerriau . - Le chlordécone est un produit phytosanitaire, toxique pour l'homme, utilisé pour protéger les bananes, notamment en Amérique du Sud. Cet aspect est-il pris en compte dans nos accords internationaux ?

M. Michel Billout . - La ratification de cet accord n'est-elle pas bien tardive par rapport à son application effective ? Il semble par ailleurs très favorable à l'Union européenne, mais les ONG pointent des conséquences néfastes et s'opposent à son application. Mon groupe s'opposera à sa ratification et demandera l'examen de cette convention en procédure normale.

M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur . - Notre commission insiste avec raison sur la nécessité d'une ratification plus rapide par la France des traités internationaux que notre pays signe mais met beaucoup de temps à ratifier. Par ailleurs, s'agissant des bananes, son objectif principal, c'est la qualité des fruits produits. Ce traité concerne les échanges commerciaux entre l'Union européenne d'une part, la Colombie et le Pérou, d'autre part. Grâce à cet accord, tant nos producteurs que les producteurs andins pourront mieux vendre leurs marchandises. Chaque producteur est naturellement responsable de la qualité de ses produits et du respect des normes en la matière, le juge étant in fine le consommateur.

M. Yves Pozzo di Borgo . - Une députée italienne a rendu un rapport, à ce sujet, qui a été passé sous silence. Je ne comprends pas que l'Union européenne n'intègre pas la sécurité sanitaire comme volet à part entière des négociations commerciales. Elle devrait le faire, à l'avenir.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - C'est une question complexe qui mérite réflexion. L'intégration de normes sanitaires aux accords commerciaux rendrait sans doute les négociations très complexes. Est-ce au niveau des négociations commerciales que cette importante question doit être traitée ? Le bon niveau n'est-il pas celui du contrôle de l'application des normes phytosanitaires ?

M. Joël Guerriau . - L'usage de traitements chimiques sur des aliments a forcément des conséquences en termes de santé publique.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - La question est bien de savoir à quel niveau placer le contrôle sanitaire : en l'intégrant à des accords commerciaux, ou en conservant un contrôle national ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - La presse anglo-américaine a récemment fait état de la résurgence d'une maladie de la banane, dite « maladie de Panama », qui pourrait menacer ce fruit d'extinction.

À l'issue de ce débat, la commission, suivant la proposition du rapporteur, a adopté, sans modification, le rapport et le projet de loi précité. Conformément aux orientations du rapport d'information n° 204 (2014-2015) qu'elle a adopté le 18 décembre 2014, elle a autorisé la publication du présent rapport synthétique.

La Conférence des Présidents a décidé que ce texte ferait l'objet d'une procédure d'examen normale en séance publique, le jeudi 17 décembre 2015 .

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