PREMIÈRE PARTIE : LE PREMIER INSTRUMENT INTERNATIONAL CRIMINALISANT LE TRAFIC DES FAUX PRODUITS MÉDICAUX

I. LA « CONTREFAÇON » DES PRODUITS MÉDICAUX : UN PHÉNOMÈNE MONDIAL EN EXPANSION AUX EFFETS DÉVASTATEURS

Ces dernières années, nombreux sont les scandales sanitaires liés à la contrefaçon de produits médicaux qui ont défrayé la chronique . On se souvient de l'affaire des faux sirops pour la toux qui contenaient en réalité du diéthylène glycol et qui a entrainé la mort de plus de 100 enfants en 2006, au Panama. Les autorités de santé rapportent régulièrement des cas de produits contrefaits et le tableau ci-dessous, dressé par l'OMS, en est une illustration :

Médicament faux/faussement étiqueté/falsifié/contrefait

Pays/année

Rapport

1. Avastin (traitement du cancer)

États-Unis d'Amérique, 2012

La contrefaçon a touché 19 cabinets médicaux aux États-Unis. Le produit ne contenait pas le principe actif. 1

2. Viagra et Cialis (dysfonctionnements érectiles)

Royaume-Uni, 2012

Introduits en contrebande au Royaume-Uni. Contenaient des principes actifs non déclarés, pouvant présenter des risques sanitaires graves pour le consommateur. 2

3.Truvada et Viread (VIH/sida)

Royaume-Uni, 2011

Saisis avant qu'ils ne parviennent aux malades. Produits authentiques détournés présentés dans un emballage falsifié. 3

4. Zidolam-N (VIH/sida)

Kenya, 2011

Près de 3000 malades touchés par un lot falsifié de leur traitement antirétroviral. 4

5. Alli (perte de poids)

États-Unis d'Amérique, 2010

Introduit en contrebande aux États-Unis d'Amérique. Contenait des principes actifs non déclarés pouvant présenter des risques sanitaires graves pour le consommateur. 5

6. Médicament antidiabétique traditionnel (hypoglycémiant)

Chine, 2009

Contenait six fois la dose normale de glibenclamide. Deux personnes sont mortes, neuf ont été hospitalisées. 6

7. Metakelfin (antimalarial)

République-Unie de Tanzanie, 2009

Découvert dans 40 pharmacies. Le médicament ne contenait pas suffisamment de principe actif. 7

1. Food and Drug Administration, United States of America.

2. The Medicines and Healthcare products Regulatory Agency, United Kingdom.

3. The Medicines and Healthcare products Regulatory Agency, United Kingdom.

4. Pharmacy Board, Kenya.

5. Food and Drug Administration, United States of America.

6. State Food and Drug Administration, People's Republic of China.

7. Tanzania Food and Drugs Authority, United Republic of Tanzania.

La contrefaçon des produits médicaux est un phénomène en pleine croissance dans tous les pays du monde qui peuvent être impliqués en tant que lieux de fabrication, de transit ou de commercialisation. Elle touche tous les produits, majoritairement les produits érectiles, les amincissants, les stimulants et excitants, mais également des produits plus communs comme les anti-diarrhéiques. Quasiment tous les produits médicaux qui font l'objet d'une forte demande, font l'objet de contrefaçon ou sont susceptibles d'en faire l'objet . Le développement du commerce sur Internet a encore aggravé le phénomène en permettant de distribuer facilement ces produits contrefaits à des clients et des patients dans le monde entier, en dehors de toute prescription médicale.

La criminalité organisée s'est emparée de ce secteur qui est une source de profits importants et qui présente peu de risques car difficile à repérer : les criminels ayant la possibilité de se déplacer rapidement pour aller dans des zones moins contrôlées et l'essentiel de la distribution des produits contrefaits se faisant via Internet par l'intermédiaire de sites frauduleux. Le caractère transnational de cette activité criminelle complique en outre la poursuite en justice des auteurs d'infractions et la saisie des produits du crime . Faute de dispositions pénales spécifiques ou de sanctions suffisamment sévères, la répression est rarement à la hauteur des dommages causés aux patients.

Cette activité criminelle « classique » ou via Internet génère un chiffre d'affaires de plusieurs milliards d'euros dont l'ampleur réelle est difficile à évaluer compte tenu de son caractère clandestin et de la révélation de ces informations à la fin d'enquêtes juridiques parfois très longues. La diversité des sources d'information, des définitions, des méthodes rendent également difficiles la compilation et la comparaison des statistiques.

Selon le Conseil de l'Europe 1 ( * ) , les dernières estimations indiquent que les ventes mondiales de médicaments contrefaits, après avoir doublé seulement en cinq ans, entre 2005 et 2010, représenteraient plus de 70 milliards d'euros par an . La perte de revenus due aux produits contrefaits est d'environ 250 milliards de dollars par an. De nombreuses études relèvent également la présence d'un grand nombre de sites Internet vendant des produits médicaux soumis à prescription sans exiger d'ordonnances.

Répondant par écrit aux questions de votre rapporteur, les services du ministère des affaires étrangères et du développement international 2 ( * ) lui ont apporté les informations suivantes.

En 2014 , sur 35,6 millions d'articles interceptés par les douanes des Etats membres de l'UE aux frontières de l'UE , sur le fondement du Règlement UE n° 608/2013 relatif au contrôle par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle, 2,8 millions d'articles (8 % des interceptions pour 4 millions d'euros) sont des médicaments contrefaisants importés, pour la plupart, de Chine et d'Inde (96 %). Après les cigarettes et les jouets, les médicaments représentaient ainsi le troisième type de marchandises le plus intercepté. Pour la cinquième année consécutive, les médicaments sont les marchandises de contrefaçon les plus interceptées en frontière tierce sur le vecteur du fret postal et du fret express (18% des interceptions).

En 2014 , la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) a saisi 2,6 millions d'articles de médicaments contrefaisants (sur un total de 8,8 millions d'articles de contrefaçons interceptés). Les médicaments contrefaisants saisis en France sont très majoritairement importés d'Asie et principalement d'Inde. Les interceptions de médicaments contrefaisants dans le fret postal et le fret express sont en très fort développement en raison des achats sur Internet réalisés par des particuliers en France.

À cet égard, les résultats de la dernière opération dite « PANGEA VIII », menée du 9 au 16 juin 2015 , sous la direction notamment de l'Organisation mondiale des douanes (OMD) et d'Interpol, afin de lutter contre les réseaux criminels à l'origine de la vente illicite de médicaments et dispositifs médicaux sur Internet donnent aussi une idée de l'ampleur du phénomène. Cette opération qui a réuni 115 pays, dont la France, a abouti à 156 arrestations dans le monde entier et à la saisie de 20,7 millions de médicaments illicites ou contrefaisants potentiellement dangereux d'une valeur totale de 81 millions de dollars , soit plus du double de la quantité saisie lors de l'opération PANGEA similaire en 2013. L'opération a également conduit à l'ouverture de 429 enquêtes, au retrait de 550 publicités en ligne relatives à des produits pharmaceutiques illégaux et à la fermeture de 2 414 sites Web. 81 % des saisies ont été réalisées dans le fret postal.

Ce fléau mondial porte un grave préjudice à la santé des individus en fournissant aux patients et clients des produits médicaux de moindre efficacité, voire dangereux . Il nuit à la santé publique de manière plus générale en ruinant la confiance du grand public dans les autorités sanitaires et les systèmes de santé. D'ailleurs, l'on ne peut pas exclure que des médicaments falsifiés ne soient pas un jour mélangés avec des médicaments licites dans les chaînes officielles d'approvisionnement de produits médicaux. La France reste relativement épargnée , l'encadrement du circuit de distribution des médicaments et le monopole pharmaceutique constituant pour l'instant une barrière efficace.

Même si la Convention MÉDICRIME ne vise pas à apporter une réponse économique à ce problème, l'on ne peut pas complétement passer sous silence les graves conséquences économiques et sociales de la contrefaçon de produits médicaux. Comme l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe l'a souligné en 2004, puis en 2007, elle « érode les marchés pour les producteurs légitimes, porte atteinte à la réputation des marques, entraîne des distorsions dans la concurrence, pénalise l'emploi et réduit les recettes fiscales ».


* 1 Conférence parlementaire sur la convention MEDICRIME du 24 novembre 2015, organisée à Paris par le Conseil de l'Europe.

* 2 Source : réponses au questionnaire écrit de la commission.

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