EXAMEN DES ARTICLES

Article unique - Prorogation de l'état d'urgence pour une durée de trois mois

Le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence soumis à l'appréciation de votre commission comporte un article unique.

À la suite des attentats du 13 novembre 2015, l'état d'urgence a été déclaré sur le territoire métropolitain par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015. Il a ensuite été élargi au territoire de plusieurs collectivités ultramarines 91 ( * ) par le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015. À l'échelle du territoire de la République française, seules sont donc exclues de l'application de l'état d'urgence les collectivités de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et des îles Wallis et Futuna, ce qui est inédit dans l'histoire de la mise en oeuvre de la loi du 3 avril 1955.

Par l'article 1 er de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, l'état d'urgence a été prorogé, conformément à l'article 2 de la loi du 3 avril 1955, pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015. Sans nouvelle intervention du législateur, il sera donc mis fin à l'état d'urgence le 26 février à zéro heure.

L'article unique du présent projet de loi prévoit que l'état d'urgence est à nouveau prorogé pour trois mois à compter du 26 février, soit jusqu'au 26 mai 2016.

Votre rapporteur note que l'article 3 de la loi du 3 avril 1955 dispose que « la loi autorisant la prorogation au-delà de douze jours de l'état d'urgence fixe sa durée définitive ». Cette rédaction est ambiguë et méritera, selon votre rapporteur, d'être révisée car une lecture stricte de cette disposition pourrait sembler interdire des prorogations successives de l'état d'urgence.

À l'origine, la loi du 3 avril 1955 prévoyait que l'état d'urgence était déclaré par la loi pour une durée déterminée, qui ne pouvait être « prolongée que par une nouvelle loi ». Le nouveau régime juridique de l'état d'urgence résultant de l'ordonnance du 15 avril 1960 92 ( * ) a défini de nouvelles modalités de mise en oeuvre, toujours en vigueur, en vertu desquelles la déclaration initiale est effectuée par décret en conseil des ministres et la prorogation au-delà de douze jours par la loi.

Toutefois, aux yeux de votre rapporteur, cette rédaction n'emporte pas d'effets juridiques susceptibles d'interdire une deuxième prorogation puisque l'article 3 de la loi du 3 avril 1955 ne revêt pas une valeur supérieure dans la hiérarchie des normes à une nouvelle prorogation qui, si elle vient en contredire sa lettre, résulte néanmoins d'une norme de valeur équivalente.

Votre rapporteur relève en revanche qu'il n'existe pas de précédent de deuxième prorogation législative de l'état d'urgence depuis l'entrée en vigueur du nouveau régime juridique résultant de l'ordonnance du 15 avril 1960. En effet, comme le rappelait le président Philippe Bas dans son rapport 93 ( * ) sur le texte examiné par le Parlement en novembre dernier, le seul précédent d'état d'urgence prolongé à plusieurs reprises remonte à l'année 1961, l'état d'urgence mis en oeuvre en 2005 n'ayant fait l'objet que d'une seule prorogation 94 ( * ) .

À la suite du « putsch des généraux », l'état d'urgence est déclaré à compter du 23 avril 1961 par deux décrets du 22 avril 1961 95 ( * ) . Le 24 avril 1961, une décision du Président de la République, prise sur le fondement de l'article 16 de la Constitution, prolonge l'état d'urgence jusqu'à nouvelle décision 96 ( * ) . Une seconde décision du 29 septembre 1961 97 ( * ) , prise sur le même fondement, eut pour effet de maintenir l'état d'urgence jusqu'au 15 juillet 1962. Enfin, une ordonnance du 13 juillet 1962 98 ( * ) le prorogea jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard le 31 mai 1963. La dissolution de l'Assemblée nationale le 9 octobre 1962 eut pour effet de mettre fin à l'état d'urgence, conformément à l'article 4 de la loi du 3 avril 1955.

Cette remarque renvoie du reste directement aux débats qui se tiennent actuellement à l'Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle, plusieurs propositions ayant pour objet d'instaurer une durée maximale à l'application de l'état d'urgence. Votre commission se saisira de ce débat au moment où elle sera amenée à se prononcer sur ce texte.

S'agissant des modalités d'application de l'état d'urgence pour cette deuxième période de mise en oeuvre, le texte du projet de loi opère un renvoi aux articles 2 et 3 de la loi du 20 novembre 2015 qui ont respectivement pour effet de permettre la mise en oeuvre des perquisitions administratives et d'autoriser le pouvoir exécutif à lever l'état d'urgence par décret en conseil des ministres avant l'échéance du 26 mai 2016.

Sur proposition de votre rapporteur, votre commission a adopté un amendement COM-1 de rédaction globale de l'article unique.

En effet, votre rapporteur a considéré que le renvoi, pour les modalités d'application de cette deuxième période de prorogation, aux articles 2 et 3 de la loi du 20 février 2015 n'apparaissait pas suffisamment explicite. Il a ainsi estimé que le Sénat devait se prononcer sur cette importante question en toute connaissance de cause.

Par conséquent, dans le droit fil des rédactions retenues par le législateur en 2005 et en 2015, et tout en conservant le principe d'un article unique, la nouvelle rédaction adoptée par votre commission articule ces dispositions autour de trois paragraphes respectivement consacrés :

- à la prorogation de l'état d'urgence pour une durée de trois mois à compter du 26 février 2016 (I) ;

- à la mention expresse, requise par le I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, en vertu de laquelle il pourra être procédé, pendant cette durée, à des perquisitions administratives (II) ;

- au fait que le Gouvernement pourra mettre fin à l'état d'urgence par décret en conseil des ministres avant la fin de cette période de trois mois, auquel cas il sera tenu d'en rendre compte au Parlement (III).

Votre commission a adopté l'article unique ainsi modifié .

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Votre commission a adopté le projet de loi ainsi modifié .


* 91 Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

* 92 Ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 modifiant certaines dispositions de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence.

* 93 Rapport n° 177 (2015-2016) précité.

* 94 Loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 95 Décret n° 61-395 du 22 avril 1961 portant déclaration de l'état d'urgence et décret n° 61-396 du 22 avril 1961 relatif à l'application de l'état d'urgence.

* 96 Décision du 24 avril 1961 relative à la durée de l'état d'urgence.

* 97 Décision du 29 septembre 1961 relative à certaines mesures prises en vertu de l'article 16 de la Constitution.

* 98 Ordonnance n° 62-797 du 13 juillet 1962 prorogeant les dispositions des décisions des 24 et 27 avril 1961 et modifiant l'ordonnance n° 58-1309 du 23 décembre 1958.

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