N° 426

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 mars 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , visant à favoriser l' ancrage territorial de l' alimentation ,

Par M. Joël LABBÉ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

3280 , 3355 et T.A. 658

Sénat :

303 et 427 (2015-2016)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'alimentation est par définition un besoin essentiel pour toutes les populations du monde. Le droit à l'alimentation est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 pour « garantir à chacun un accès à une alimentation suffisante, de qualité et correspondant aux traditions culturelles locales . »

Jusqu'aux années 1960, partout dans le monde, la majeure partie de l'alimentation était produite sur les territoires par une agriculture paysanne et consommée par les populations de ces territoires.

Aujourd'hui encore, cette agriculture familiale et paysanne de proximité présente de nombreux atouts en matière de lutte contre la sous-nutrition et la pauvreté dans le monde : selon l'Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), elle fournit encore 80 % en valeur de l'alimentation mondiale et occupe près de 40 % de la population active de la planète.

En France, depuis le début des années 1960, dans le but d'accéder à la souveraineté alimentaire, différents leviers juridiques et techniques ont été actionnés pour augmenter de manière significative la production agricole. Ces éléments ont permis des gains de productivité considérables, tout en entrainant de profonds changements dans la nature des productions, avec une tendance à la spécialisation, à la diminution d'emplois provoquant un exode rural, et à la modification des structures des exploitations. L'intensification de l'agriculture a aussi provoqué des impacts environnementaux conséquents portant sur les ressources naturelles, la vie des sols et la biodiversité, ainsi que sur la santé des agriculteurs et des consommateurs.

La crise actuelle de notre monde agricole s'explique en partie par cette rupture du lien local avec les produits du territoire. Notre modèle, qui a fait ses preuves après-guerre pour nous permettre d'atteindre une autosuffisance alimentaire, se retourne désormais contre nous : contre les agriculteurs d'abord, contraints pour beaucoup - pour atteindre des rendements leur permettant, avec les prix de plus en plus dérisoires de vente de leurs produits, de vivre de leur travail - d'accroitre toujours davantage la superficie de leurs exploitations ou leur cheptel pour parvenir à des économies d'échelle et d'utiliser des produits phytosanitaires dans des volumes dont les effets nuisibles se dévoilent ; pour les consommateurs ensuite, de plus en plus déconnectés des saisons, dont l'inquiétude grandit quant aux effets d'une nourriture « hors sol » pour leur propre santé, et plus encore celle leurs enfants.

La prise de conscience est désormais réelle , non seulement dans notre pays mais également au niveau mondial, comme l'a montré la possibilité pour tant d'États de se mobiliser pour agir, en commun, dans le cadre de la COP 21. Mais elle ne suffit pas : il faut trouver des moyens opérants pour mettre un terme à des modes d'alimentation dont l'acceptation sociale est de plus en plus remise en cause .

Les nouveaux modes de production et de consommation, dans un contexte de mondialisation des échanges ont ainsi rompu les liens entre l'agriculture, l'alimentation et les territoires. Aussi, la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt a-t-elle fait de l'ancrage territorial de la production l'un des objectifs de la politique agricole et alimentaire nationale.

Ce n'est certes pas en quelques années, par l'effet de la seule loi, que nous pourrons retrouver cet ancrage territorial qui a permis de nourrir nos parents et les générations antérieures. Pourtant, la loi a sa place dans la définition de notre politique alimentaire : elle peut et doit donner l'impulsion du changement qu'attendent nos concitoyens.

C'est dans cette perspective que s'inscrit la proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation , déposée par Mme Brigitte Allain et plusieurs de ses collègues députés, adoptée par l'Assemblée nationale le 14 janvier dernier, et dont le Sénat est aujourd'hui saisi en première lecture.

Faisant suite à certaines préconisations de la mission d'information de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires, qui a rendu ses conclusions en juillet 2015 1 ( * ) , ce texte entend faire de la restauration collective l'un des leviers du développement de l'alimentation issue de l'agriculture locale, durable et biologique . Il a été adopté à l'unanimité par nos collègues députés.

L'objectif n'est pas nouveau : déjà, la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement prévoyait un engagement en la matière. En 2013, cet engagement était renouvelé dans le Plan Ambition Bio 2017. En 2014, en clôture de la conférence environnementale, était rappelé l'objectif fixé par le Président de la République d'atteindre un objectif de 40 % de produits locaux en restauration collective.

Force est pourtant de constater, plus de six ans après les premiers engagements, qu'il n'a pas été atteint, loin s'en faut. Depuis lors, néanmoins, des initiatives de plus en plus nombreuses se sont faites jour pour relocaliser l'alimentation en restauration collective. Elles sont porteuses en germe d'un mouvement de fond qu'il convient non seulement d'accompagner mais aussi de consolider.

Il convient dès lors de soutenir la démarche , initiée par la proposition de loi, visant à définir les outils permettant véritablement de donner aux produits de l'alimentation durable et aux produits issus de l'agriculture biologique une plus grande place dans notre alimentation quotidienne.

I. UN OBJECTIF AFFIRMÉ DE DÉVELOPPEMENT DE L'OFFRE ET DE LA DEMANDE DE PRODUITS ANCRÉS LOCALEMENT AUX EFFETS CONCRETS LIMITÉS

A. DES AFFIRMATIONS MULTIPLES DE LA NÉCESSITÉ DE FAVORISER UNE ALIMENTATION DE PROXIMITÉ ET ISSUE DE L'AGRICULTURE DURABLE

1. L'ancrage territorial de l'alimentation, une demande forte et une finalité désormais affirmée de la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation

La prise de conscience de la nécessité de développer l'ancrage territorial de l'alimentation n'est pas nouvelle.

La demande émane d'abord des consommateurs, qui souhaitent pouvoir disposer d'une alimentation issue de modes de production plus proches des cycles de la nature. Elle provient également des producteurs eux-mêmes, qui sont de plus en plus nombreux à adopter de nouveaux modes de culture ayant une empreinte écologique plus positive et recherchent une plus grande proximité dans la distribution de leurs productions.

Il s'agit ainsi de consommer, au quotidien, davantage de produits issus de l'agriculture durable , plus économes en engrais et en pesticides de synthèse, et de favoriser des circuits de distribution courts ou de proximité.

Ces notions ne font pas l'objet de qualifications juridiques à proprement parler, mais de définitions communément partagées.

Quelques définitions communément admises

L'agriculture durable : Selon le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, il s'agit d'une production agricole économiquement viable, socialement équitable, et qui ne nuit ni à l'environnement ni à la santé . Elle intègre donc l'agriculture biologique, dont les produits qui en sont issus sont, eux, juridiquement circonscrits (il s'agit des produits qui répondent aux exigences posées par le règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques), mais elle ne saurait s'y cantonner.

Le circuit court : Selon le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, il s'agit d'un mode de commercialisation des produits agricoles qui s'exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur , soit par la vente indirecte, à condition qu'il n'y ait qu'un seul intermédiaire entre l'exploitant et le consommateur . Aujourd'hui, 1 producteur sur 5 vend en circuit court (21 % des exploitants). Néanmoins, le volume des achats réalisés en circuit court reste très modeste : en 2010, il était estimé à 6 % du total des achats alimentaires.

La notion ainsi définie est plus restrictive que celle retenue par le droit de l'Union européenne. Aux termes de l'article 2 du règlement n° 1305/2013 du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural, un circuit d'approvisionnement court est « un circuit d'approvisionnement impliquant un nombre limité d'opérateurs économiques, engagés dans la coopération, le développement économique local et des relations géographiques et sociales étroites entre les producteurs, les transformateurs et les consommateurs ».

Le circuit de proximité : Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), il s'agit d'un circuit de distribution qui ne tient pas compte du nombre d'intermédiaires mais de la distance géographique entre le producteur et le consommateur. La distance fixée est variable en fonction du type de production concernée (d'environ 30 km pour des produits agricoles simples comme les fruits et légumes, à 80 km pour ceux nécessitant une transformation).

Ce n'est pourtant que récemment que cette prise de conscience a commencé à donner lieu à une concrétisation juridique au niveau législatif.

L'ancrage territorial de l'alimentation est ainsi, depuis 2014, un objectif fixé par la loi à la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation. Depuis la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime assigne à cette politique la finalité « d'encourager l'ancrage territorial de la production, de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles, y compris par la promotion de circuits courts, et de favoriser la diversité des produits et le développement des productions sous signes d'identification de la qualité et de l'origine ».

Cette démarche pour ré-ancrer localement notre alimentation est partagée par nos voisins européens . Comme l'indiquait le rapport d'information de l'Assemblée nationale sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires 2 ( * ) , ce sujet émerge également en Italie - où la région de Vénétie a adopté une loi régionale imposant qu'au moins 30 % des produits servis dans la restauration collective soient issus de la région - et en Allemagne, où l'accord de coalition entre le parti social-démocrate - SPD - et le parti conservateur - CDU - mentionne la relocalisation des marchés publics.

2. La restauration collective : levier identifié du développement d'une alimentation durable et de proximité

Dès 2009, la restauration collective a été perçue comme un levier de développement d'une filière d'approvisionnement à la fois de proximité et de produits issus d'une agriculture durable.

En effet, si seulement 1 repas sur 7 est consommé hors du domicile, le poids de la restauration collective est, dans cette catégorie, considérable. Selon les informations communiquées à votre rapporteur pendant les auditions auxquelles il a procédé, le nombre de repas servis dans le cadre de la restauration collective, qu'elle soit le fait de personnes publiques ou privées, est estimé à 8 millions de repas servis par jour et représentent 49 % des repas pris hors du domicile.

Mais, outre son importance en volume, la restauration collective a également un caractère social affirmé . Dans certains de nos territoires, la cantine scolaire offre à de nombreux enfants qui la fréquentent le seul repas équilibré de la semaine, quand il n'est pas parfois leur seul vrai repas. La restauration collective est dès lors aussi le lieu où les enfants - pour les cantines des établissements scolaires - ainsi que les personnes qui fréquentent les services sociaux, médico-sociaux ou de santé, peuvent acquérir des habitudes alimentaires satisfaisantes au plan nutritionnel. Elle peut aussi leur permettre de découvrir une alimentation plus goûteuse et plus proche de nos terroirs.

Compte tenu des secteurs dans lesquels la restauration collective intervient, c'est le plus souvent une personne publique (État, collectivités territoriales, établissements publics nationaux ou locaux) qui assume la charge de cette activité. Cependant, au final, les collectivités territoriales sont les premières concernées, eu égard à leurs compétences en matière de services publics de restauration scolaire.

Restauration collective : les chiffres-clés

- 81 376 structures de restauration collective en France, relevant de personnes publiques ou privées.

- 3,65 milliards de repas servis par an (8 millions de repas par jour).

- Un chiffre d'affaires annuel estimé à 8 milliards d'euros.

Ces services de restauration collective sont assurés soit directement par la personne publique ou privée qui en a la charge (gestion directe ou régie), soit par un prestataire de services (gestion concédée). La gestion directe concerne 60 % du nombre de repas servis en restauration collective, la gestion concédée, 40 %.

En raison de la place de la restauration collective en France, la loi n ° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement avait déjà donné à l'Etat un objectif de recours à des produits biologiques ainsi qu'à des produits saisonniers, des produits à faible impact environnemental ou des produits issus d'exploitations engagées dans une démarche de certification environnementale, pour l'approvisionnement de ses services de restauration collective .

Des objectifs quantitatifs progressifs étaient fixés :

- en 2010, 15 % des commandes devaient concerner des produits biologiques et 15 % des produits saisonniers, des produits à faible impact environnemental eu égard à leurs conditions de production et de distribution, des produits sous signe d'identification de la qualité et de l'origine ou des produits issus d'exploitations engagées dans une démarche de certification environnementale ;

- en 2012, ces objectifs étaient portés à 20 %.

Cette démarche volontariste était par ailleurs affirmée dès le 2 mai 2008 dans le cadre d'une circulaire du Premier ministre relative à l'exemplarité de l'Etat en matière d'utilisation de produits issus de l'agriculture biologique dans la restauration collective.

La loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt a quant à elle, à l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, assigné au programme national pour l'alimentation de prévoir « des actions à mettre en oeuvre pour l'approvisionnement de la restauration collective, publique comme privée, en produits agricoles de saison ou en produits sous signes d'identification de la qualité et de l'origine, notamment issus de l'agriculture biologique ».


* 1 Rapport n° 2945 (XIVème lég.) de Mme Brigitte Allain au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.

* 2 Rapport n° 2942 (AN, XIVème législature) précité, p. 11.

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