B. UNE ATTENTE ENCORE DÉÇUE

Ces mesures n'ont, à ce jour, pas porté pleinement leurs fruits.

Certes, un effort réel pour un meilleur approvisionnement des restaurants collectifs en produits issus de l'agriculture biologique doit être souligné et salué.

Selon une étude menée par l'institut CSA pour le compte de de l'Agence Bio sur un échantillon représentatif de restaurants collectifs, en 2015 - comme en 2014 - 59 % d'entre eux proposaient, au moins de temps à autre, des produits biologiques (des fruits frais, pour 51 % d'entre eux, puis des produits laitiers, pour 44 %, et des légumes frais, pour 44 %). Cet effort était d'ailleurs particulièrement marqué dans la restauration collective publique, puisque 72 % des restaurants collectifs relevant de personnes publiques proposaient en 2015 des aliments biologiques.

Selon cette même étude, les achats de produits bio en restauration collective étaient estimés à 191 millions d'euros HT pour 2014, soit une progression de 11 % en un an (contre 1,4 % en 2013/2012).

Ainsi, ce marché représentait en 2014 :

- 2,7 % des achats alimentaires de la restauration à caractère social (contre 0,6 % en 2008) ;

- 3,8 % du marché des produits alimentaires issus de l'agriculture biologique.

Lorsqu'ils sont introduits, la part des produits biologiques dans le montant total des achats des établissements est passée de 5 % en 2008 à 13 % en 2014 en moyenne (28 % pour le pain). Elle s'élève à 17 % pour les établissements en ayant introduit depuis 7 ans et plus.

La Fondation Nicolas Hulot, en 2013, estimait également que les services de restauration collective n'avaient consacré que 2,7 % de leurs achats à des produits biologiques. Plus symptomatique encore, elle indiquait que 87 % de la volaille en restauration collective était importée en 2013.

De l'aveu même des représentants des collectivités territoriales entendus par votre rapporteur, il est parfois difficile pour elles de connaître exactement la nature et la provenance des produits alimentaires servis en restauration collective. Cette situation s'explique d'abord par la multiplication des intervenants : ainsi, dans les cantines scolaires, c'est le gestionnaire d'établissement, dépendant du ministère de l'éducation nationale, qui est chargé de l'approvisionnement, tandis que les personnels de cuisine relèvent du département. En outre, les clauses types utilisées par les acheteurs publics ne permettent pas, en général, d'obtenir un retour précis sur l'origine des produits servis.

Pour autant, il existe aujourd'hui une profusion d'initiatives locales prenant diverses formes, et porteuses en elles-mêmes d'une forte potentialité d'évolution de notre alimentation quotidienne.

1. Une profusion d'initiatives locales, trop dispersées

Face à la prise de conscience de la nécessité de rapprocher les lieux de consommation et de production des produits alimentaires, de nombreuses initiatives locales se sont développées. Elles témoignent d'une envie de mettre en place des stratégies de terrain pour mieux ancrer notre alimentation quotidienne dans nos territoires. I l existe néanmoins selon les territoires une très grande diversité de situations : certains sont très en pointe dans une démarche de territorialisation des produits alimentaires servis en restauration collective ; d'autres, en revanche, y sont entrés plus récemment.

Il n'en reste pas moins que de nombreuses collectivités territoriales ont engagé des actions en vue d'accompagner et de conforter les démarches d'ancrage territorial de l'alimentation servie sur leur territoire.

Ainsi que l'a indiqué l'Association des départements de France, une enquête conduite en 2010 faisait déjà apparaître que la moitié des départements se déclaraient impliqués dans le soutien aux circuits courts ou de proximité. Et certaines communes sont très avancées en ce domaine : c'est le cas, en particulier, de Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes, et de Lons-Le-Saunier, dans le département du Jura.

Selon son maire, entendu par votre rapporteur, en créant, d'une part, une cuisine centrale commune à la ville et à l'hôpital, et plus récemment une légumerie, et en maintenant, d'autre part, son abattoir municipal, la commune de Lons-Le-Saunier a ainsi pu structurer l'offre et la demande, ce qui lui permet aujourd'hui d'inclure 24 % de produits bios (pain, laitages, légumes) et 10 % de produits locaux dans le 1,2 million de repas servis par an par la collectivité. En outre, pour servir également de la viande bio de proximité, la commune achète des bovins sur pieds et les fait abattre dans l'abattoir municipal.

Le milieu associatif est également fortement mobilisé, au niveau des producteurs comme des consommateurs.

Quelques exemples d'initiatives tendant à développer l'alimentation durable
et de proximité

A l'initiative des collectivités publiques

- Le développement de « plates-formes d'achat local »

De nombreuses plates-formes d'achat local se sont développées à l'initiative des départements ou régions. L'une des plus abouties est Agrilocal, association fondée en 2013 par les départements de la Drôme et du Puy-de-Dôme et qui rassemble désormais 24 départements.

Ces plates-formes assurent une mise en relation, souvent directe et instantanée, entre fournisseurs locaux et acheteurs publics ayant une mission de restauration collective (collèges, lycées, maisons de retraite, etc...). Elles permettent à l'acheteur public de disposer d'une photographie des fournisseurs de proximité et de la disponibilité de leurs produits. Pour les agriculteurs et les artisans, elles apportent une solution nouvelle de commercialisation et de nouveaux débouchés.

Selon la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB), 24 structures ont aujourd'hui développé des plates-formes, qui permettent de couvrir environ 75 % du territoire.

- Les projets de territoire

Des projets initiés par les collectivités territoriales visent à favoriser la collaboration des acteurs locaux.

Tel est le cas, par exemple, du projet « Alimen'Terre » mis en place depuis 2012 par le Pays de Vannes (59 communes réparties en 5 intercommunalités, représentant 212 000 habitants). Ce projet vise à favoriser la collaboration entre structures d'accompagnement agricoles ainsi qu'entre acteurs publics et associatifs pour impulser au niveau du territoire des actions de sensibilisation, d'accompagnement et d'expérimentation pour le développement des circuits courts, notamment dans le cadre de la filière de la restauration collective.

- La création d'équipements locaux

Les exemples sont nombreux de collectivités territoriales ayant investi dans la création de légumeries afin de développer l'utilisation de produits de saisons bruts dans les restaurants collectifs dont elles ont la charge. Tel est le cas, par exemple, du département de la Mayenne, ou de la commune de Lons-Le-Saunier.

- L'octroi d'aides financières

Certaines collectivités territoriales font bénéficier les services de restauration collective de subventions afin de les aider au développement de l'utilisation de produits locaux dans leurs menus. Ainsi en est-il, notamment, du conseil départemental des Ardennes.

À l'initiative du milieu associatif

Les initiatives du milieu associatif sont très nombreuses et diverses. Elles ont vocation à accompagner les acteurs par la définition d'une méthodologie adaptée aux besoins ou par des actions de terrain.

Au niveau national, des fondations, telles la Fondation Nicolas Hulot ou la Fondation Daniel et Nina Carasso, soutiennent financièrement, accompagnent et promeuvent des actions de terrain en faveur de l'alimentation durable. Des structures associatives, telles que IUFN (International Urban Food Network), sont actives pour mettre à disposition des acteurs concernés des évaluations et des guides méthodologiques.

En particulier, la Fondation Nicolas Hulot a développé avec le syndicat des gestionnaires de restauration collective Restau'co, l'initiative « Ici mon restau responsable » qui propose une méthodologie et une démarche de progrès (partant d'une auto-évaluation de la situation, d'un diagnostic sur place, suivi de l'adoption d'engagements rendus publics et d'évaluation des résultats obtenus) en vue de mieux intégrer des produits de l'alimentation durable dans les repas servis.

Des réseaux tels que la Fédération nationale de l'agriculture biologique et ses déclinaisons locales (fédérations régionales - FRAB - et groupements départementaux - GAB) soutiennent des initiatives de regroupement de producteurs locaux afin de proposer une offre plus variée et d'un certain volume aux restaurants collectifs locaux. On peut par exemple citer, au niveau régional, Corabio, dans l'ancienne région Rhône-Alpes, ou au niveau départemental ou infra-départemental, Manger Bio 56, dans le Morbihan.

Mais cette profusion reste désordonnée , car il n'existe pas de coordination suffisante entre les acteurs locaux - qu'il s'agisse des collectivités territoriales, du milieu associatif ou des producteurs - faute souvent de connaître les actions entreprises par chacun sur un même territoire. L'effet d'entraînement sur le développement d'une filière plus solide n'est donc, à ce stade, pas satisfaisant .

En effet, si un nombre grandissant d'exploitants se tournent aujourd'hui vers l'agriculture durable, le nombre d'exploitations et la production de produits agricoles répondant à la définition de l'alimentation durable reste limitée, faute d'une connaissance suffisante et certaine de la demande. Ainsi, selon l'Agence Bio, en 2014 l'agriculture biologique en France représentait seulement 26 500 exploitations agricoles biologiques (soit 5,6 % du nombre total des exploitations), 7 % de l'emploi agricole et occupait une surface de 1 118 000 hectares (soit 4,14 % de la surface agricole utile française - SAU) 3 ( * ) . Selon les données d'Eurostat, ces résultats placent la France au 17 ème rang des pays de l'Union européenne pour la part de la SAU consacrée aux cultures bio au regard de la SAU totale, loin derrière l'Autriche ou la Suède, qui consacrent respectivement 18,5 % et 16,2 % de leur SAU à l'agriculture biologique.

Cette situation s'explique en grande partie par l'absence d'une demande suffisamment forte, structurée et présente dans nos différents territoires. Il faut donc créer les éléments d'une telle demande.

2. Des règles de la commande publique contraignantes mais aux potentialités insuffisamment exploitées

Les règles de la commande publique, qui régissent les contrats d'approvisionnement des denrées alimentaires achetées par les personnes publiques qui y sont soumises, sont souvent perçues comme un obstacle quasi-insurmontable au développement d'achats par la restauration collective de produits alimentaires qui répondraient aux objectifs de proximité et de durabilité.

Ces règles, dont la contrainte est réelle pour tout acheteur public, posent certes un principe de liberté d'accès à la commande publique et de non-discrimination , qui implique l'impossibilité, notamment, d'adopter des critères qui interdiraient par principe l'achat de produits ne provenant pas d'une aire géographique déterminée. Pour autant, le droit des marchés publics comporte de nombreuses dispositions susceptibles de renforcer l'ancrage local des produits servis dans les restaurants collectifs.

Or, votre rapporteur ne peut que regretter que de nombreux acheteurs publics restent encore réticents - soit par manque d'une connaissance suffisamment fine des dispositifs juridiques applicables, soit par une crainte parfois injustifiée d'une mise en cause de la légalité de leurs marchés - à se saisir de toutes les opportunités offertes par le droit des marchés publics qui constitue une formidable « boîte à outils ».

Il est de fait évident que, dans un marché d'approvisionnement alimentaire, en faisant reposer la sélection des candidats essentiellement sur le critère du prix, les acheteurs publics prennent peu de risques contentieux... Mais, ce faisant, ils ne sont pas en mesure d'attribuer le marché à des produits qui peuvent présenter une meilleure qualité, notamment environnementale. Il faut donc, pour l'attribution des marchés, passer d'une culture du « moins disant » à une culture du « mieux disant ».

Les auditions menées par votre rapporteur ont montré que la définition des besoins , l'utilisation de certaines spécifications techniques, le recours à des critères en lien avec l'objet du marché - tels que le recours à des critères de performance tenant à l'approvisionnement direct des produits de l'agriculture - ainsi que le choix de l'allotissement et de certaines conditions d'exécution du marché sont de nature à valoriser des produits répondant à des exigences de durabilité alimentaire et de proximité fortes .

Il existe donc de nombreuses possibilités offertes par la réglementation actuelle qui , du reste, sont encore renforcées par la récente ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics , complétée dans quelques semaines par son décret d'application, et dont les dispositions entreront en vigueur le 1 er avril 2016.


Des exemples pertinents d'utilisation des potentialités du droit des marchés publics au service d'une alimentation de proximité et de qualité

La commune de Lons-Le-Saunier a pu accroître le volume des produits de proximité servis dans ses restaurants collectifs en imposant, dans ses marchés publics d'approvisionnement, le recours à des produits frais .

La ville de Rennes , quant à elle, a récemment lancé un marché public expérimental ayant pour objet la protection de l'eau (projet « Eau en saveurs »), dans lequel elle a mis à profit les nombreuses potentialités du droit des marchés publics pour accroître fortement la présence de produits issus de l'agriculture durable dans les repas servis dans ses restaurants collectifs. Dans son cahier des charges, elle a ainsi prévu de se fonder sur le critère de l'engagement à faire progresser les indicateurs de durabilité , en utilisant la méthode IDEA définie par le ministère de l'agriculture - notamment 21 indicateurs spécifiquement liés à l'eau - et en prescrivant des produits sans OGM, sans produits phytosanitaires tueurs de pollinisateurs ou les plus retrouvés dans l'eau, sans antibiotiques utilisés en prévention, sans hormones de croissance et sans huile de palme. La notation des offres s'opère, pour 50 % sur le critère de la durabilité, pour 30 % sur la qualité du produit et pour 20 % seulement sur le prix . En outre, le marché est conclu à prix fermes, indépendants des cours, et une clause incitative (autorisée par l'article 17 du code des marchés publics) est prévue : un « bonus » proportionnel à l'ambition de progrès est versé par l'agence de l'Eau du bassin rennais.

Face à une situation où l'agriculture durable peine à s'affirmer, alors qu'elle fait l'objet d'une demande de plus en plus forte de la part des consommateurs et qu'elle peut être un des instruments permettant à nos agriculteurs de mieux valoriser leurs produits et d'en vivre dans des conditions décentes, il faut créer une dynamique de changement . La présente proposition de loi s'y efforce, en s'appuyant résolument sur la restauration collective.


* 3 Dont 148 000 ha en conversion (en progression de 14 % par rapport à 2013).

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