EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 27 avril 2016, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, Président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Bernard Cazeau sur le projet de loi n° 482 (2015-2016) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Irak sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.

M. Bernard Cazeau, rapporteur .- Monsieur le Président, Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Irak sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements. Il fait suite à un précédent accord de partenariat avec l'Irak pour la coopération culturelle, scientifique et technique, ainsi que pour le développement.

Je veux indiquer d'emblée que cet accord, s'il représente un symbole politique fort dans la situation difficile que connaît l'Irak, ne comporte pas d'enjeu véritable autre que celui de garantir un environnement juridique stable, de nature à sécuriser les investissements français en Irak et à favoriser ainsi le développement économique de ce pays au-delà du seul secteur pétrolier.

C'est naturellement un signal important compte tenu de la crise actuelle que traverse l'Irak, et chacun comprend que les dispositions ne trouveront peut-être pas à s'appliquer immédiatement, mais au moins nous serons prêts le moment venu pour la reconstruction et la stabilisation de ce pays.

Tout d'abord, cet accord se présente comme un symbole politique fort dans un pays où la situation politique et sécuritaire est très difficile.

A la suite de l'avancée de Daesh dans le nord de l'Irak et de la prise de Mossoul, deuxième ville d'Irak qui a résonné comme un coup de tonnerre et a servi de catalyseur à notre prise de conscience de la gravité de la situation, la France a choisi d'apporter son soutien politique, diplomatique, militaire et humanitaire aux nouvelles autorités irakiennes du gouvernement conduit par al Abadi dont le programme de réformes avait pour objectif le redressement du pays et la réconciliation nationale, notamment entre les communautés sunnites et chiites - chacun sait la part de responsabilité du gouvernement sectaire Maliki dans le creusement du fossé entre chiites et sunnites, mais à l'heure actuelle, il faut bien admettre que le processus de réconciliation nationale est à bout de souffle et que les marges de manoeuvre du Premier ministre irakien al-Abadi sont réduites : les principales revendications sunnites n'ont pas été satisfaites et les réformes annoncées tardent à être mises en oeuvre du fait de la pression iranienne et du conflit à l'intérieur de la majorité chiite. Les différends avec le Gouvernement régional Kurde, notamment financiers, n'ont pas davantage été résolus. La situation humanitaire est dramatique : les Nations unies estiment à plus de 3,3 millions le nombre de déplacés irakiens depuis 2004 et à 8,2 millions ceux ayant besoin d'assistance humanitaire en urgence. Toujours selon les Nations unies, le conflit aurait fait environ 32 800 morts dans la population civile, depuis le 1er janvier 2011. Chacun sait bien le sort tragique réservé aux minorités, en particulier Chrétiens et Yézidis qui ont été torturés et déplacés. Seule petite note d'espoir : Daesh aurait perdu 40 % des territoires qu'il contrôlait au plus fort de son expansion en Irak et la reprise de Mossoul est désormais un objectif plus réaliste que par le passé. D'après le Président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, que nous avons rencontré, il sera plus facile de reconquérir Mossoul que de gouverner ensuite.

La situation économique est également difficile en dépit du potentiel économique incontestable de ce pays. Le coût des opérations militaires et la chute des prix du pétrole qui frappe une économie largement dominée par le secteur des hydrocarbures expliquent les difficultés actuelles de l'Irak. Le secteur des hydrocarbures représente 83 % des ressources budgétaires et 99 % des exportations. La croissance s'est établie à 0,5 % en 2015 contre 4,2 % en 2013 et contre une moyenne annuelle de 8 % sur la période 2008-2013. Pourtant l'Irak a un fort potentiel économique : troisième pays le plus peuplé du Proche et Moyen Orient avec ses 34 millions d'habitants, il représente un des plus grands marchés de la région. Son PIB 2 ( * ) le classe 6 ème économie du Proche et Moyen-Orient. Grâce au pétrole, c'est un pays à revenu intermédiaire avec un PIB de 4 700 dollars par habitant. L'Irak reste l'un des grands pays pétroliers avec une production de 160 millions de tonnes de Brut en 2014 ; il dispose des 5 ème réserves de pétrole avérées au monde (20,2 milliards de tonnes, soit 8,8 % des réserves mondiales). On estime que la production actuelle, qui est légèrement inférieure à 5 millions de barils par jour, pourrait s'accroître d'environ 0,5 million de barils par jour avec des investissements significatifs. La croissance de l'industrie hors pétrole stagne autour de 1 % par an depuis 2004 : la diversification de l'économie et le renforcement de la compétitivité constituent donc des enjeux majeurs. En outre, les besoins de la reconstruction sont estimés à plus de 450 milliards d'euros : ils sont très importants notamment dans les secteurs de l'énergie, de l'électricité, de l'eau, des transports, des hôpitaux, des médicaments, des logements et de l'agriculture. L'investissement public est insuffisant et les investissements privés sont plus que jamais nécessaires. Dans ce contexte, ces secteurs, en plus de celui des hydrocarbures, représentent des opportunités à terme pour les entreprises françaises.

À ce jour, la présence française et les investissements français en Irak sont relativement modestes et les investissements irakiens en France sont négligeables, puisqu'ils se situent, en 2014, à 500 000 euros et concernent de l'immobilier. Les investissements français en Irak, après avoir enregistré une progression régulière de 2009 à 2012, ont connu en 2013 et 2014 une baisse sensible : ils sont ainsi passés de 62,2 millions d'euros en 2012 à 33,1 millions d'euros en 2013 et à 19,9 millions d'euros en 2014. Selon notre service économique à Bagdad, ce dernier chiffre serait sous-estimé dans la mesure où les entreprises françaises réalisent de nombreux investissements qui ne sont pas comptabilisés par la Banque de France comme allant vers l'Irak, parce qu'ils transitent par des filiales ou des structures de support situées dans des pays tiers. Je précise que la communauté française présente en Irak ne compte que 80 personnes enregistrées au registre des Français de l'étranger et qu'une cinquantaine seulement d'entreprises françaises y sont implantées.

Dans le domaine de la construction, le cimentier Lafarge, avec un investissement de près d'1 milliard de dollars, est le premier investisseur français en Irak hors hydrocarbures. La société a trois cimenteries 3 ( * ) - dont deux au Kurdistan irakien - qui produisent 60 % du ciment fabriqué en Irak et 30 % du ciment consommé. Dans le domaine de la logistique, CMA-CGM 4 ( * ) est la première compagnie maritime à desservir l'Irak, détenant un tiers du trafic de conteneurs du port d'Umm Qasr, situé à l'extrême sud du pays, qui assure à lui seul 80 % du trafic du pays. Elle est candidate à l'offre de gestion globale de ce port actuellement en cours. Les investissements dans les hydrocarbures encore limités, sont en progression. Total 5 ( * ) , qui est le premier investisseur français en Irak, a remporté, en 2009, 18,75 % de l'exploitation du champ de pétrole d'Halfaya, qui devrait absorber à terme 4,5 milliards de dollars d'investissement. Air Liquide envisage d'investir dans la construction d'unités de production de gaz industriel à Bassora et au Kurdistan et sa présence en Irak devrait se renforcer à moyen terme. La présence française dans les autres secteurs est aussi en développement avec notamment Orange dans les télécommunications, Renault-Trucks dans l'industrie automobile, Schneider Electric dans le secteur de l'électricité, Sanofi Aventis dans le domaine des produits pharmaceutiques et Danone dans le secteur de l'agroalimentaire.

Dans ce contexte, l'accord de protection réciproque des investissements, dont nous sommes saisis, vient opportunément sécuriser les investissements français en Irak. Outre les problèmes sécuritaires déjà évoqués, les investisseurs français se heurtent en effet pour l'instant à la complexité du système règlementaire irakien, aux lenteurs administratives, à l'absence de sécurité juridique et judiciaire, voire à la corruption. Ils ne peuvent pas invoquer les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) relatives à la protection des investissements, ni les codes d'investissement de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L'objet de la convention que nous examinons est donc de leur apporter cette sécurité juridique qui fait défaut.

Cet accord, signé en 2010, est très proche du modèle français habituel d'accord sur les investissements - la France est déjà liée par une centaine d'accords bilatéraux de ce type, ce qui constitue d'ailleurs un atout pour notre pays 6 ( * ) .

Sur le fond, cet accord octroie aux investisseurs français une meilleure protection du droit de propriété - toute dépossession donnerait lieu au paiement d'une indemnité -, des droits de protection de la propriété intellectuelle, et garantit un traitement juste et équitable par rapport aux investisseurs nationaux et à ceux des autres pays tiers. Il contient en outre un dispositif classique de recours à l'arbitrage international 7 ( * ) , qui permettra à nos entreprises si elles sont victimes d'un préjudice du fait de la violation par les autorités irakiennes de leurs engagements conventionnels, de recourir à un tribunal arbitral international neutre et donc indépendant du gouvernement irakien. Il est enfin prévu que les Parties contractantes peuvent inscrire dans leur législation « les mesures nécessaires à la protection de l'environnement », mesure qui semble a priori de portée assez réduite dans le contexte actuel mais qui, sur le principe, ne peut que nous satisfaire.

Sous le bénéfice de ces observations, je recommande l'adoption de ce projet de loi, dont l'entrée en vigueur permettra également aux investissements français - et ce n'est pas négligeable - de bénéficier des garanties publiques de la Coface. Il devrait en outre offrir aux entreprises françaises un relatif avantage concurrentiel, au vu du très petit nombre d'accords de protection d'investissement conclus par l'Irak avec des pays étrangers.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 12 mai 2016. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée, ce à quoi je souscris, car cela permettra une adoption définitive plus rapide de cette convention, l'Assemblée nationale s'étant déjà prononcée favorablement.

À la fin de la présentation du rapporteur, un court débat s'est engagé.

M. Michel Billout . - Nous nous abstiendrons car c'est le même problème que pour le projet de loi autorisant l'accord de protection réciproque des investissements avec la Colombie, celui du recours à l'arbitrage privé, dont les règles sont certes fixées internationalement mais avec les défauts que l'on connait. Je dirai que le temps écoulé entre la conclusion de cet accord et sa ratification nous fait mesurer l'abîme qui sépare 2010 et 2016, s'agissant des conditions mêmes de son application, dont on voit qu'elle sera difficile dans la situation actuelle. Toutefois, s'il s'agit d'envoyer un signal que le retour à une situation normale en Irak s'accompagnera d'investissements privés et, je l'espère aussi, publics de la France, nous ne nous opposons pas totalement à cet accord. Pour cette raison, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Sur les 450 milliards d'euros nécessaires pour la reconstruction de l'Irak, il y a matière pour les investisseurs français à trouver des débouchés. Il s'agit de prévoir l'avenir et la suite. Je pense que ce pays finira par retrouver une plus grande stabilité.

M. Jean-Pierre Raffarin , président . - On peut le souhaiter en tout cas.

À l'issue de ce débat, la commission, suivant la proposition du rapporteur, a adopté, sans modification, le rapport et le projet de loi précité. Conformément aux orientations du rapport d'information n° 204 (2014-2015) qu'elle a adopté le 18 décembre 2014, elle a autorisé la publication du présent rapport synthétique.

La Conférence des Présidents a décidé que ce texte ferait l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique, le jeudi 12 mai 2016 , en application des dispositions de l'article 47 decies du règlement du Sénat.


* 2 En 2015, son PIB est estimé à 165 milliards de dollars par le FMI.

* 3 Deux de ces usines sont au Kurdistan et la troisième à Kerbala. Cette dernière tourne actuellement à plein régime, puisque la baisse de la demande de ciment (-15 %) est largement compensée par la forte chute des importations illégales de ciment iranien qui représentait jusqu'alors près de 40 % du marché. Dans ce contexte, Lafarge Holcim va investir plusieurs dizaines de millions de dollars pour accroître la capacité de production de cette usine.

* 4 La société, qui a déjà investi 20 millions de dollars dans la réhabilitation d'un quai porte-conteneurs, souhaite remporter l'offre concernant la gestion globale du port.

* 5 Total s'intéresse également à la production d'éthylène, à Bassora.

* 6 La Commission européenne, en 2013, a autorisé la France à conclure cet accord, suivant le régime transitoire en place après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, qui place désormais les investissements directs à l'étranger dans le champ des compétences exclusives de l'Union européenne.

* 7 « Clause de règlement des différends entre investisseurs et Etat » (RDIE).

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