II. UN ACCORD DONT SEUL L'AVENIR DIRA S'IL EST HISTORIQUE

L'accord de Paris affiche des objectifs et crée des mécanismes formels , fondés sur la bonne volonté des États , tout en se gardant de préciser le contenu des politiques qui seraient susceptibles de favoriser l'atteinte de ces objectifs.

Plusieurs points critiques pour la réalisation des objectifs ont été volontairement « oubliés », afin de préserver le caractère quasi-universel de l'accord, car ils auraient suscité l'opposition de certains États.

Par ailleurs, le parcours qui doit conduire à l'entrée en vigueur et à la mise en oeuvre effective des dispositions de l'accord de Paris est semé d'obstacles, qui se manifestent dès 2016.

A. DES CONTRIBUTIONS NATIONALES HÉTÉROCLITES ET PARFOIS INSUFFISANTES

La logique de bas en haut (« bottom-up ») de l'accord implique de se fonder sur les contributions déterminées au niveau national volontairement consenties par chaque État. Les premières ont été déposées en 2015, conformément aux décisions de la COP 20 de Lima.

Ces contributions se révèlent, à l'analyse, pour le moins hétéroclites et ne constituent, en tout état de cause, qu'une étape dans la mise en oeuvre des objectifs de l'accord de Paris.

1. Des contributions nationales hétéroclites

Les dispositions de la COP 20 laissaient une grande latitude aux États quant à la nature des engagements pris dans le cadre des contributions nationales à remettre au cours de l'année 2015 10 ( * ) .

Il en résulte une grande hétérogénéité des engagements affichés et une difficulté à les agréger, pour créer un cadre commun.

L'analyse permet d'identifier trois groupes de pays 11 ( * ) .

Certains pays (ou groupes de pays) se sont engagés à réduire leurs émissions de GES , à l'image de l'Union européenne, qui, conformément au « paquet énergie climat 2030 » s'est engagée à réduire ses émissions de 40 % entre 1990 et 2030.

Toutefois, cet engagement de réduction est d'ampleur très différent selon que la date de référence considérée est lointaine ou proche : 1990 pour l'UE mais 2005 pour les États-Unis et la Chine, et 2013 pour le Japon.

Contributions nationales de certains pays industrialisés

Pays

Pourcentage de réduction

Année de référence

Date butoir

Australie

26 % à 28 %

2005

2030

Canada

30 %

2005

2030

États-Unis

26 % à 28 %

2005

2025

Japon

26 %

2013

2030

Russie

25 % à 30 %

1990

2030

UE

40 %

1990

2030

Brésil

37 %

2005

2025

Source : M. Jean-Paul Maréchal, article précité de la revue Géoéconomie

Le deuxième groupe, qui inclut la Chine et l'Inde , est composé de pays qui ne se sont engagés que sur des objectifs d'intensité de la croissance en émissions de GES. Selon les termes de l'accord trouvé en novembre 2014 entre les Etats-Unis et la Chine, qui fut l'une des clefs de la réussite de l'accord de Paris, ce dernier pays s'est par ailleurs engagé à atteindre un pic de ses émissions de gaz à effet de serre « autour de 2030 » et si possible avant.

Enfin, un troisième groupe de pays n'a pris aucun réel engagement quantifié.

2. Des contributions nationales parfois insuffisantes

Au 4 avril 2016, 161 contributions nationales avaient été déposées, couvrant 189 Parties. 137 Parties présentaient non seulement des mesures d'atténuation, mais aussi des mesures d'adaptation.

D'après les informations communiquées, le rapport 2015 sur l'écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions (UNEP Gap Report) 12 ( * ) du Programme des Nations unies pour l'Environnement (PNUE) fournit une estimation des niveaux de réchauffement qu'il est possible d'associer à la mise en oeuvre des contributions prévues déterminées au niveau national qui ont été présentées en 2015.

Ainsi, la réalisation des engagements inconditionnels de ces contributions se traduirait par des niveaux d'émissions en 2030 dont on estime qu'ils seront proches des scénarios anticipant un maintien probable du réchauffement des températures mondiales moyennes en deçà de 3,5°C en 2100. En raison des incertitudes significatives liées à cette estimation, il est plus prudent de situer cette valeur entre 3°C et 4°C.

Dans le cas d'une réalisation complète des engagements (incluant également les engagements conditionnels, plus ambitieux), l'estimation des niveaux d'émission se rapproche des scénarios anticipant un maintien probable du réchauffement planétaire en deçà de 3°C à l'horizon 2100.

La plupart des contributions ne fournissent pas d'informations précises sur la période allant au-delà de 2030. Or, les actions réalisées après 2030 auront un impact déterminant sur le niveau de réchauffement attendu à la fin du siècle.

D'après le rapport de synthèse sur l'effet global des contributions nationales, préparé par le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies pour les Changements Climatiques (CCNUCC), les émissions de GES au niveau mondial en cas d'application des contributions prévues déterminées au niveau national sont estimées à 55,0 GtCO2eq en 2025 et 56,2 GtCO2eq en 2030. Ces niveaux estimés sont supérieurs de 8,7 GtCO2eq en 2025 (+19%) et 15,2 GtCO2eq (+36%) en 2030 par rapport aux niveaux médians utilisés par les scénarios à moindre coût cohérent avec un réchauffement moyen mondial probablement limité à 2°C d'ici 2100. Les niveaux d'émissions GES en cas d'application des contributions nationales sont également estimés supérieurs de 16,1 GtCO2eq en 2025 (+42%) et 22,6 GtCO2eq (+67%) en 2030 par rapport aux niveaux médians utilisés pour les scénarios à moindre coût cohérent avec un réchauffement moyen mondial limité, de manière plus probable qu'improbable , à 1,5°C d'ici 2100 13 ( * ) .

Pour espérer respecter à moindre coût les objectifs de température inclus dans l'Accord de Paris, il est nécessaire de rehausser le niveau d'effort des contributions à venir - ou d'augmenter celui des contributions actuelles en cas d'actualisation - afin de rejoindre les niveaux d'émissions GES cohérents avec les objectifs 2°C, voire 1,5°C.

Pour espérer atteindre les objectifs de l'accord de Paris, un effort important des États sera donc requis lors des actualisations périodiques de leurs contributions nationales respectives.

La COP 21 fait le pari d'un maintien dans le temps de la dynamique des négociations climatiques, poussant les États à réviser effectivement leurs engagements à la hausse.


* 10 Décision 1/CP.20 paragraphe 14.

* 11 Source : « L'accord de Paris : un tournant décisif dans la lutte contre le changement climatique ? », par M. Jean-Paul Maréchal, maître de conférence à l'Université Paris Sud, Revue Géoéconomie (2016).

* 12 PNUE (2015), rapport 2015 sur l'écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions.

* 13 Source : réponses du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer au questionnaire de votre rapporteur.

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