ANNEXE 1 -
AUDITION DE MME HAKIMA EL HAITE, MINISTRE MAROCAINE DE L'ENVIRONNEMENT, ET DE MME LAURENCE TUBIANA, AMBASSADRICE CHARGÉE DES NÉGOCIATIONS CLIMATIQUES, LE 18 MAI 2016

La commission auditionne conjointement Mme Hakima El Haité, ministre marocaine de l'environnement, et Mme Laurence Tubiana, ambassadrice pour les négociations climatiques, sur la ratification de l'Accord de Paris - COP 21.

M. Jean-Pierre Raffarin , président . -Nous avons le grand honneur d'accueillir Madame Hakima El Haité, ministre de l'écologie marocaine, pour parler de la COP 22. Nous ouvrirons ainsi des perspectives nouvelles au moment où le Parlement est sollicité pour ratifier l'accord de la COP 21. Madame la ministre, votre disponibilité à répondre à notre invitation nous touche et nous oblige. Nous connaissons votre profil et votre potentiel ; nous saluons votre brillant parcours. Nous avons une grande confiance dans votre capacité à tracer les axes d'avenir de cette COP 22.

Nous sommes également heureux d'entendre Laurence Taubiana, notre « championne du climat » qui a porté pendant de longs mois, jusqu'au succès, la COP 21. Nous mesurons l'ampleur du travail accompli et nous saluons l'engagement de notre diplomatie à un si haut niveau, comme nous en avons fait part à Laurent Fabius lorsqu'il est venu devant notre commission pour rendre compte de cet accord.

Vous pourrez l'une et l'autre nous exposer votre perception de la mise en oeuvre de l'accord conclu à la COP 21, nous dire également quels seront selon vous les enjeux de la COP 22 et comment, à l'occasion de la ratification de l'accord de Paris, le Sénat pourra appuyer la démarche du Maroc, pays frère dont nous saluons la grande ambition.

Mme Hakima El Haité, ministre de l'environnement du Maroc . - Je suis particulièrement fière et honorée d'être parmi vous ; c'est moi qui vous remercie de cette invitation dans votre assemblée qui est sans doute le think tank le plus puissant de votre Nation. Votre mission est noble. Je sais par expérience que le rythme de la vie politique est effréné. De par votre fonction, vous disposez de plus de temps, au Sénat, pour mettre en oeuvre une stratégie à long terme. Vous pouvez ainsi jouer un rôle clef dans l'élaboration de ce que sera le monde de demain.

Je reviens de New York où les leaders du monde entier ont confirmé leur engagement de Paris. Nous avons vécu une année intense. Je félicite la France et son Président qui ont su insuffler une nouvelle dynamique grâce à cet accord ; je félicite aussi Mme Laurence Tubiana qui a été la cheville ouvrière de la COP 21, en résolvant bien des problèmes, dans des conditions difficiles. Avec cet accord, nous avons posé de nouveaux fondements pour le monde de demain.

En 2015, les humains se sont rendu compte qu'ils avaient maltraité la Terre et que le temps des négociations était déjà passé. Quand la Terre se met en colère, cela devient contre-productif. Avec 800 catastrophes naturelles recensées entre 2013 et 2014, les États-Unis ont perdu 4 points de PIB, sans compter les pertes humaines. Dans de nombreux pays, les catastrophes naturelles sont devenues la règle plutôt que l'exception. Même les grandes puissances jusque-là peu vulnérables ont commencé à percevoir l'impact du changement climatique. En mesurant le coût du changement climatique si nous n'agissions pas, Lord Stern a incité le monde politique à prendre conscience de la gravité de la situation, de sorte qu'après vingt-et-un ans, nous avons enfin signé un accord. L'année 2015 a été celle de la mise en place du plan d'action de Sendai contre les catastrophes naturelles, mais aussi celle de l'accord d'Addis-Abeba sur le financement du développement. Nous avons tous ratifié les dix-sept objectifs de développement durable pour éradiquer la pauvreté dans le monde. Enfin, il y a eu l'accord de Paris.

Tout le processus repose sur un même objectif : construire un monde équilibré dans la répartition des ressources, où l'homme pourra vivre dignement. Le changement climatique a des effets sur la vie de plusieurs millions de personnes dans le monde. Dans les pays les plus vulnérables 1,2 milliard de personnes sont privées de sources d'énergie, plus de 650 millions de personnes dans le monde n'ont pas accès à l'eau potable et 300 millions ont vu leurs sources se tarir à cause de la hausse des températures. En outre, l'élévation du niveau des mers risque de faire disparaître certains Etats insulaires et de provoquer des migrations intenses menaçant la stabilité au niveau local, régional et international.

L'accord de Paris est un succès historique, car la communauté internationale s'est montrée solidaire. Les pays du Nord, à l'origine de la pollution, se sont engagés à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre et à aider les pays moins pollueurs à s'adapter au climat et à trouver un autre modèle de développement. Cet accord difficile a donné beaucoup de fil à retordre à la présidence française. C'est pourquoi je salue le travail de Laurent Fabius et de Laurence Tubiana. Nous avons là un des plus beaux accords multilatéraux de ces dernières décennies.

Cependant, un accord reste un accord, et il faut désormais le ratifier. Les députés et les sénateurs doivent l'intégrer dans les politiques publiques, car un accord n'a de valeur que si l'on trouve les moyens de le rendre opérationnel. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atteindre l'objectif de réchauffement climatique de 2° C, voire de 1,5° C comme l'ont demandé les Etats insulaires, il faut mettre en place des contributions nationales. Les pays s'organiseront pour intégrer le climat dans leurs stratégies et dans leurs politiques publiques afin de limiter leurs émissions de CO 2 . À eux de voter des lois, de développer des plans d'action, de budgétiser les mesures et d'intégrer les impératifs du climat dans leur législation. Votre rôle est de faire en sorte que cet accord devienne réalité.

Pendant 21 ans, la communauté internationale a perdu confiance dans les négociations climatiques. La Conférence de Paris, grâce à la mobilisation de la diplomatie française, a été l'occasion de redonner confiance et de créer une nouvelle solidarité internationale. Il ne suffira pas de ratifier l'accord pour que la COP 21 soit un succès. Lorsque les 197 parties prenantes se réuniront à Marrakech, il faudra encore leur montrer que l'on a avancé et que l'accord de Paris n'était pas que du papier. Les pays qui ont été les premiers à dénoncer les changements climatiques doivent trouver des solutions concrètes. Ceux qui sont exposés à la montée des eaux développeront des systèmes d'alerte ; ceux qui manquent d'énergie trouveront des solutions alternatives, ceux qui n'ont pas assez de nourriture trouveront les moyens de s'adapter. L'accord de Paris doit prendre en compte la dimension humaine en apportant aux citoyens du monde des réponses qui se traduiront en actes. C'est ce que vous faites dans vos territoires en tant que sénateurs.

J'ai l'immense honneur d'avoir été nommée championne marocaine du climat. La COP 22 portera la bannière de l'action et laissera place aux initiatives. Les décisions de Marrakech devront avoir un impact rapide sur le niveau de vie de tous les citoyens qui souffrent dans le monde. C'est pour cela que la COP 22 a été qualifiée de « pré-2020 » et qu'elle est une priorité pour le Maroc. L'accord de Paris ne sera mis en oeuvre qu'à partir de 2020 ; le monde ne peut pas continuer à souffrir jusqu'en 2020 : il faut donc commencer dès maintenant.

Nous donnerons également la priorité à l'innovation, car le monde de demain ne sera pas celui que l'on imagine aujourd'hui, de même qu'on n'imaginait pas il y a vingt ans le portable, l'ordinateur ou la voiture à hydrogène d'aujourd'hui. Nous avons préparé une feuille de route pour vulgariser ces objectifs en visant non seulement les acteurs économiques, mais aussi l'ensemble de la société civile. L'accord de Paris n'est pas l'affaire des politiciens ; il est celui de tous les citoyens du monde. Il est essentiel que nous puissions démocratiser l'information, car le monde de demain se construira sur un nouveau modèle de développement et sur une nouvelle civilisation.

L'impulsion donnée par la France doit continuer à porter ses fruits. La COP 21 était inclusive. Je compte sur vous pour continuer de rallier les sénateurs du monde entier. C'est le rôle des parlementaires d'intégrer le climat dans les politiques publiques et dans la loi. ( Applaudissements )

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Merci beaucoup. Nous étions habitués à ce que les ministres de l'Écologie aient du tempérament... C'est une règle qui vaut dans le monde entier ! Vous nous montrez qu'on peut être à la fois expert et militant convaincu.

Mme Laurence Tubiana, ambassadrice pour les négociations climatiques . - Ma co-championne est la cheville ouvrière de la conférence de Marrakech qui se prépare. Je lui souhaite beaucoup de succès. Elle a brossé un tableau complet de la situation qui reprend ce qu'avait dit M. Laurent Fabius. Certes, l'accord de Paris a mis 23 ans à aboutir. Ce n'est pas si long si l'on considère qu'il a fallu 40 ans pour que les négociations commerciales débouchent sur l'Organisation mondiale du commerce.

L'originalité de cet accord, mais aussi sa faiblesse, c'est qu'il repose sur des décisions nationales qui doivent se maintenir dans le temps, malgré les cycles politiques. Des interrogations se lèvent déjà quand on voit certains propos tenus dans la campagne présidentielle aux États-Unis. La réussite de cet accord tient à la conjonction politique des grands pays de ce monde. Les grandes économies ont trouvé un consensus sur la nécessité d'agir face au changement climatique. Même la Chine s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, et certainement de façon plus ambitieuse que ce qu'elle a annoncé à Paris. Les solutions que l'on commence à envisager ne pourront être mises en oeuvre qu'avec la participation de tous les États. Dans cet accord, la voix des plus faibles a énormément compté. L'autorité morale des petites îles, des pays progressistes et des Etats vulnérables a souvent pesé autant que les intérêts économiques classiques, créant un équilibre qu'il nous appartient de faire perdurer.

D'un point de vue économique, chacun perçoit et mesure désormais les risques associés au changement climatique, et nous disposons d'un panel de solutions intéressantes pour y faire face. L'article 2 de l'accord de Paris définit non seulement un objectif en termes de température et de réduction d'émissions, mais il fixe aussi un objectif économique, puisqu'il s'agit de réorienter la finance vers l'économie verte sobre en carbone. L'accord est de nature environnementale, mais il s'agit aussi et surtout d'un accord économique. Voilà pourquoi la stratégie française qui a consisté à mobiliser les entreprises s'est révélée décisive.

La société civile et les collectivités locales ont également un rôle à jouer. Sans l'initiative portée par les villes et les régions, les gouvernements auraient été beaucoup plus frileux et moins optimistes. Nous nous en félicitons, même s'il faut encore aller plus loin.

Enfin, l'accord a un aspect financier, puisque la communauté financière internationale a commencé à réorienter les flux vers l'économie sobre en carbone, à travers ses institutions publiques, mais aussi privées. Il s'agit de l'économie de demain. C'est également ce que nous indique le lancement de la mission Innovation, par le Président de la République, le Président Obama et le Premier ministre Modi, qui regroupe 27 investisseurs milliardaires sous l'impulsion de Bill Gates.

L'essentiel de notre effort doit porter sur la mise en oeuvre des contributions nationales. Nous avons déjà commencé à encourager des initiatives regroupant des bailleurs de fonds, des investisseurs et des gouvernements. Dans un deuxième temps, nous devrons relever ces contributions pour combler l'écart avec les objectifs fixés. Nous ferons un premier point en 2018, en espérant que la mobilisation des entreprises, des collectivités locales et de la société civile contribuera à renforcer l'optimisme. Nous devrions commencer à tirer les bénéfices des fonds investis dans la recherche et le développement technologique à partir de 2020, date où l'accord de Paris commencera à s'appliquer.

La transformation que nous avons lancée est profonde. Diminuer la hausse des températures, en la faisant passer en dessous des 2 °C, implique de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50 à 60 % d'ici 2050. Il faut pour cela décarboner complètement notre électricité, électrifier les activités qui utilisent une énergie autre, faire basculer largement les transports individuels vers l'électricité, construire des bâtiments à énergie positive et initier un programme de rénovation. Nous aurons besoin que les technologies et les capitaux soient là.

Les quatre années à venir sont cruciales pour relever le niveau d'ambition des gouvernements, afin qu'ils s'engagent davantage pour progresser plus vite. Nous pourrons ainsi mieux cerner les secteurs à faire évoluer et la nature des transformations à apporter. Après la négociation, nous voici dans la phase de coopération. Après l'élaboration juridique, nous devons relever le défi de la mise en oeuvre économique, technologique et financière. D'où l'importance d'une entrée en vigueur anticipée de l'accord de Paris avant 2020, pour donner le signal politique fort dont nous avons besoin pour accélérer le processus. ( Applaudissements )

M. Christian Cambon, rapporteur du projet de loi de ratification de la COP 21 . - Nous saluons Mme Hakima El Haité et je lui souhaite la bienvenue au nom du groupe d'amitié France-Maroc que je préside. Chacun sait l'immense travail que vous réalisez dans la fonction qui est la vôtre. Il suffit de mentionner la centrale solaire de Noor, dont la première tranche a été inaugurée et qui produit déjà 180 MW avec un objectif de 560 MW. Des millions de Marocains pourront désormais profiter de l'énergie solaire. Vos discours sont suivis d'actes. Je remercie aussi Mme Laurence Tubiana pour sa présence.

Le succès de la COP 21 est en partie lié au travail intermédiaire effectué entre Lima et Paris. La France, le Pérou et le secrétariat général des Nations Unies ont coopéré autour de la convention-cadre sur les changements climatiques. Comment souhaitez-vous poursuivre ce travail de préparation, afin d'éviter les erreurs de Copenhague qui avait manqué de réflexions en amont ?

Pourriez-vous nous éclairer sur les conséquences migratoires des changements climatiques : on dit que plus de 200 millions de personnes seraient contraintes à une migration d'ici 2030. Le Maroc est à la fois pays d'étape et pays d'accueil, puisqu'une part importante des migrants transsahariens s'y installe.

Si les collectivités territoriales ont été très associées à la COP 21, j'ai le sentiment que c'est moins le cas pour les parlements. Au sein du forum parlementaire franco-marocain, les échanges sont riches et nourris. Quelles initiatives développer pour favoriser le partage d'expériences entre les parlementaires ?

Dans le processus de ratification, il faut d'abord définir une méthode. Certains signaux ne sont pas favorables. Aux États-Unis, la Cour suprême a gelé le plan climat du président Obama à la demande de 28 Etats sur 50. En Europe, certains pays sont pro-carbone, comme la Pologne ou la Tchéquie. Des réticences se sont manifestées au Royaume-Uni. Les décisions de l'Allemagne pour freiner le développement de l'énergie nucléaire ont renforcé la filière charbon. Comment surmonter ces difficultés pour que la dynamique de l'accord de Paris puisse non seulement aboutir à une ratification, mais également donner lieu à des décisions et à des actions ?

M. Cédric Perrin, co-président du groupe de travail sur les conséquences géopolitiques du dérèglement climatique . - Je tiens à vous féliciter pour votre enthousiasme. Vous êtes passionnées par l'environnement et, Madame la ministre, parfaitement à même de faire réussir la COP 22. On attend beaucoup des nouvelles technologies dans les années à venir. Si l'argument peut être positif, il est également exploité par les climato-sceptiques américains pour dire que ces technologies suffiront à faire face au changement climatique.

Il faut rester extrêmement prudent en matière d'énergies. Je demande depuis longtemps l'ouverture d'une mission d'information sur les éoliennes. On parle d'énergies dé-carbonées. L'exemple allemand est instructif : pour remplacer le nucléaire, les Allemands ont relancé des centrales au charbon. C'est un sujet qui mérite d'être expliqué à l'opinion publique.

M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis de la commission du développement durable . - Je me réjouis de votre détermination et de votre compétence mises au service de cette noble cause. Je salue la richesse de la relation que la France entretient avec le Maroc. Nos deux pays partagent beaucoup de valeurs et de traditions. C'est important pour traiter un sujet aussi délicat.

Le Sénat s'est impliqué dans la COP 21. L'année dernière, nous avions reçu 436 parlementaires du monde entier, avec un certain succès, car chacun tout en restant conscient des risques et des enjeux s'est montré heureux de participer à cette construction d'une nouvelle humanité en marche. N'ayons pas peur des mots, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Cet élan doit se poursuivre. Comment le Sénat français peut-il continuer d'être utile ? Pendant le déroulement de la COP 21, j'avais réuni des parlementaires andins, malgaches, belges... J'ai gardé des liens avec eux. Ce partenariat des parlementaires doit continuer. Les collectivités territoriales, que nous représentons, ont également un rôle à jouer.

On a souvent dit que l'océan avait été oublié. C'est excessif, mais il est vrai qu'on n'a sans doute pas suffisamment exploité sa capacité à capter le carbone. Le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat est chargé d'un rapport intermédiaire et on en a encore récemment parlé à New York. Le Maroc est très concerné par les questions maritimes et il pourrait jouer un rôle important.

Enfin, dans la résolution que nous avions adoptée unanimement dans cette assemblée, nous avions consacré un chapitre important aux femmes, qui sont les plus fragiles parmi les plus faibles victimes du dérèglement climatique. Elles ont un rôle considérable à jouer dans le changement climatique. J'espère que vous leur porterez une attention particulière ?

M. Robert del Picchia . - Je me rappelle une rencontre à Marrakech où vous débordiez d'optimisme sur le résultat de la COP 21 alors que Laurent Fabius se montrait plus pessimiste. Finalement, tout s'est bien passé. Nous avions alors pronostiqué que la COP 22 serait presque aussi difficile que la COP 21, car il faudrait transformer l'essai. Les parlementaires ont un rôle important. Au comité exécutif de l'Union interparlementaire, nous nous sommes beaucoup mobilisés pour la conférence de Paris. Nous le ferons aussi pour celle de Marrakech et nous inviterons tous les parlementaires à venir au Maroc.

Dans le cadre de l'Union interparlementaire, nous avons adopté une résolution que nous avons accolée à l'accord de Paris. Cependant, le rôle des parlementaires ne peut se résumer à cela, car c'est d'eux que dépend l'application de l'accord, tant pour sa ratification que pour l'élaboration ultérieure des normes et des budgets, etc. Vous avez besoin des parlementaires. Le message est passé, mais n'est pas encore bien appliqué. L'Union interparlementaire rappellera à chacun l'obligation de ratification et de mise en oeuvre.

Pour ce qui est du Maroc, l'Union interparlementaire pourrait-elle contribuer à impliquer davantage les parlements à l'occasion de la COP 22 ?

M. Michel Boutant . - Merci pour ces leçons d'enthousiasme, même si le défi semble difficile à relever. On annonce la submersion d'îles et de côtes dans le Pacifique, l'extension de la désertification en Afrique sahélienne et subsahélienne. Ces phénomènes s'accompagnent de déplacements de populations qui provoquent des réactions vives dans les pays d'accueil. Vous avez insisté sur le climat de confiance installé lors de la COP 21. Pour qu'il perdure, il faudra des preuves, des mesures à décliner sur du très court terme ou à plus longue échéance. Comment envisagez-vous l'organisation de ces mesures et leur déclinaison dans le temps ?

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je vous félicite. Le choix du Maroc pour la COP 22 est un symbole fort d'équité climatique. Ce pays est un acteur important pour la mobilisation en Afrique, et notamment pour la mobilisation des femmes, premières à être touchées par les dérèglements climatiques. Allez-vous favoriser non seulement la coopération sud-sud, mais aussi la coopération triangulaire ? Avez-vous retenu l'idée d'ambassadeurs itinérants ? Désormais, nous avons les règles du jeu : il faut marquer l'essai. Le dialogue et l'engagement de notre diplomatie ont fait leurs preuves. Quelles actions menez-vous pour sensibiliser les opinions publiques et maintenir le dialogue avec les milieux économiques et financiers ?

Mme Éliane Giraud . - Je suis ravie de constater votre enthousiasme, Madame la ministre. Madame Laurence Tubiana, merci pour la réussite de la COP 21. Les questions liées à l'environnement ont souvent été examinées sans lien avec les politiques de développement. Ce n'est désormais plus le cas : elles sont au coeur de ces problématiques et le travail que notre commission a mené l'a démontré. La période intermédiaire est essentielle : il faudra mobiliser les citoyens et pousser les innovations, sans compter les rendez-vous économiques. L'environnement est au coeur du développement : comment faire pour sauvegarder ce métissage des questions sans oublier que nos chercheurs devront travailler sur ces problématiques stratégiques ?

Mme Josette Durrieu . - Je ne ferai qu'appuyer deux interventions de mes collègues : le monde n'a pas suffisamment pris conscience de l'enjeu que représentent les 200 millions de migrants climatiques dont parle M. Cambon ; M. del Picchia a raison d'insister sur la mobilisation des parlementaires et des instances internationales.

Mme Bariza Khiari . - C'est au Maroc qu'a eu lieu le premier forum des femmes pour le climat, organisé par l'ONG Women's tribune . Votre pays compte d'ailleurs un nombre impressionnant d'ONG dirigées par des femmes. La société marocaine a-t-elle conscience que le développement durable est pourvoyeur d'emploi ? Madame Laurence Tubiana, vous aviez tout notre soutien pour votre candidature à l'ONU : nous avons évoqué cette question avec le ministre encore récemment.

M. Jean-Paul Emorine . - Pour avoir présidé la commission des affaires économiques pendant sept années et demie, j'étais à Copenhague, où les dirigeants du monde étaient déjà - je pense à Barack Obama, par exemple. Depuis, la France a bien légiféré avec le Grenelle de l'environnement, qui se décline en contraintes pour les entreprises, les particuliers et les collectivités, ou plus récemment avec la loi d'avenir de l'agriculture et la loi de reconquête de la biodiversité. Les autres grands pays font-ils de même pour protéger l'environnement ?

Mme Laurence Tubiana . - J'avais proposé à Laurent Fabius dès le début une association étroite entre les équipes péruvienne et française, et cela a également très bien marché avec le Maroc - peut-être aussi pour des raisons personnelles !... En 2014, à Davos, nous avions fait en sorte, Mme El Haité et moi, que le Maroc soit désigné successeur de la France. L'amitié entre nos deux pays est devenue une amitié personnelle. J'espère que nous réussirons à imposer le modèle d'une association entre un pays développé et un pays en voie de développement à l'occasion de chaque COP.

Les difficultés restent nombreuses. Comme vous le dites, tout dépend de la mise en oeuvre, et en premier lieu de la ratification. Celle des pays européens ne fait guère de doute ; la seule question qui subsiste est : y arrivera-t-on dès 2016 ? Cela peut néanmoins changer le signal politique envoyé. Il y a aussi les mesures d'application, sujet sur lequel les parlementaires ont en effet un rôle important à jouer. Ce sont eux qui tiennent la main des gouvernements. La transition est en effet un effort dans la durée, et ne peut pas être réglée en l'espace d'un mandat. Nous devons défendre des scénarios crédibles pour cette décarbonation de l'économie, que le nucléaire ait une part importante ou non. Le rôle des parlementaires est d'abord à la maison : tenir les promesses faites à la Nation. Il est ensuite au niveau international, avec l'association des parlementaires en faveur du climat. La participation des parlementaires a été très importante, notamment avec le forum Globe International dont le rapport a montré qu'un très grand nombre de pays a voté des lois en faveur de l'environnement.

Malheureusement, la prise de conscience politique est encore insuffisante : on l'a vu aux auditions pour la nomination du futur secrétaire général des Nations unies, pendant lesquelles aucune question n'a été posée sur le climat. On ne peut pas nier l'engagement des gouvernements pour l'accord de Paris, mais il retombe. Cet accord doit d'abord être vu comme un accord économique qui mobilise les collectivités et les entreprises. Il ne doit pas être vu comme un accord environnemental au sens étroit. Sa forme repose d'abord sur l'engagement des collectivités nationales au sens large : oui, il y aura des vérifications mais personne n'envahira la Chine si elle ne respecte pas ses engagements. Cet accord repose ensuite sur le fait que les entreprises croient en l'avenir de l'économie décarbonée. Il faut maintenant laisser toute sa place au Maroc pour la suite, mais les choses se présentent bien : après l'accord du 12 décembre, la mobilisation des entreprises s'est bien vue à Davos en janvier. Toutes ne sont pas engagées dans l'économie décarbonée, mais plus de 40 % des grandes entreprises ont pris des engagements. Le 10 juin, la présidente de la COP 21, Mme Royal, se rendra à un sommet sur le prix du carbone à Londres et un sommet des entreprises y aura également lieu en juillet, avant un sommet à Nantes avec tous les acteurs, et notamment les entreprises et les collectivités. Le rythme est le même que pour Paris. Hakima El Haité et moi proposerons une organisation plus pérenne pour une meilleure visibilité.

La technologie n'est pas la panacée, mais elle est indispensable. Quoique sombre, notre époque est de ce point de vue formidable : nous vivons une véritable révolution industrielle. C'est la recherche qui nous a ouvert les yeux sur les problèmes climatiques et c'est d'elle que viendront les solutions. Je souhaite que la France double ses dépenses de recherche et développement d'ici 2020 - vingt pays s'y sont déjà engagés. La mobilisation européenne autour des énergies propres est considérable et doit perdurer.

J'ai confiance dans la validité juridique du plan d'énergie propre aux États-Unis. Les recours n'ont pour but que de reporter les mesures. Certains États se sont lancés spontanément et beaucoup d'entreprises font pression dans ce sens. Le carbone a été reconnu comme un polluant par la Cour suprême. Il pourra y avoir des modulations dans la mise en oeuvre, mais l'engagement est solide. Tout dépend ensuite du résultat des élections présidentielles. La candidate Clinton est tout à fait favorable à cet accord.

Il y a quelque chose à faire pour l'océan, notamment en limitant la pollution terrestre, qu'elle soit d'origine industrielle ou agricole. Le problème est difficile mais doit être traité.

Mme Hakima El Haité . - Le rôle des parlementaires est central. Ils n'ont pas été suffisamment impliqués dans la COP 21, de même que le secteur privé : 80 % des décisions en relation avec le climat sont prises dans les territoires et 65 % des émissions émanent des industries. Il faut donc que se réunissent autour de la table des négociations les entreprises, les collectivités, mais aussi les parlementaires qui font la loi.

Des amis m'ont dit : tu dois mobiliser la France, car de nombreux Français croient que les négociations sont terminées après la COP 21. Il nous faut démocratiser l'information climatique : c'est l'une des responsabilités politiques les plus importantes car il s'agit de changer de mode de consommation, de production, de construction, d'industrialisation, et même de modèles de voiture : même si elles ne nous plaisent pas, il faut acheter des voitures électriques ou hybrides. Bref, nous devons changer de civilisation. Or, c'est vous qui faites les lois !

Je suis ingénieur, docteur et femme politique : c'est un grand défaut ! Je ne reste jamais dans la stratégie sans regarder les détails opérationnels. Or, tout changer ne se fait pas par des discours. De nombreuses constitutions dans le monde reconnaissent l'égalité des genres ; mais elle n'est pas pour autant réalisée partout ! Le climat, c'est tout aussi abstrait : il faut des pratiques et pas seulement des lois. Nous devons aussi revisiter l'éducation.

Vous avez parlé de ma passion : j'ai l'environnement dans le sang, j'aime ce que je fais et l'amour est mon moteur. Mais si j'étais optimiste pour Paris, je le suis beaucoup moins pour Marrakech. La réussite de ce sommet est de la responsabilité du monde entier, y compris vous, Mesdames et Messieurs les sénateurs. En cas d'échec, la confiance disparaîtra. Devant des centraliens, le président du groupe des 44 pays les moins avancés nous a raconté sa vision de l'histoire du changement climatique - c'était le 8 mars, la journée internationale des femmes : Marie et Julien sont amoureux ; Julien promet à Marie le mariage, mais tarde, et Marie attend ; au bout de vingt ans, il s'est enfin décidé, mais Marie est tellement fatiguée d'attendre qu'elle a fini par mourir. Je lui ai répondu qu'il n'avait pas le droit de tuer Marie. D'abord, nous étions le 8 mars, journée de la femme. Ensuite, ma version du changement climatique était celle-ci : Julien fait attendre Marie pendant longtemps, pendant si longtemps qu'il finit par mourir. Alors Marie se trouve un autre amoureux qu'elle épouse ! C'est ainsi que cela va se passer.

Marrakech est important ; mais ce n'est pas le Maroc qui fera la différence mais nous tous. Nous savions à Paris que les contributions mondiales n'allaient pas permettre en 2030 d'atteindre les objectifs. C'est pour cela que je fais confiance aux innovations qui nous permettront d'atteindre nos objectifs. Lorsque j'ai préparé ma thèse en 1989, les ordinateurs étaient énormes, et tellement chers que j'aurais dû prendre un crédit à la banque pour en acheter un. Je ne suis pourtant pas si vieille !

Nous, les Marocains, n'avons pas besoin d'être convaincus. Avec nos 3 500 kilomètres de côte, nous avons perdu des points de PIB et de l'emploi car notre industrie des côtes s'est effondrée à cause de la migration des poissons, de la pollution, de l'acidification et de la hausse de la température de l'eau. Les changements climatiques commencent réellement à menacer notre survie mais nos concitoyens n'en sont pas conscients : nous n'éduquons pas assez nos enfants à l'environnement, nous ne parlons pas assez aux professeurs ; nous ne sommes pas encore prêts pour la nouvelle révolution qui arrive.

Mon amie Laurence Tubiana a parlé d'amitié entre nos deux pays ; dans une famille, il peut y avoir des hauts et des bas, mais on lui garde toujours une place dans notre coeur. Cette histoire commune a commencé il y a très longtemps. Je suis très heureuse et honorée que la France m'ait récompensée, que le président François Hollande m'ait nommée chevalier de la légion d'honneur et que M. Laurent Fabius m'ait remis le marteau ayant servi à sceller l'accord de Paris - il devrait être au musée des Nations-Unies : il est chez moi et, quand je serai moins égoïste, je le lui remettrai...

J'en viens au mix énergétique : il y a une différence entre Laurence Tubiana et moi : je crois à la neutralité des émissions, plutôt qu'à la décarbonation de l'économie. Je suis ingénieur et j'ai été entrepreneur pendant 25 ans. Si vous dites à un entrepreneur qu'il doit faire sa transition énergétique sans délai avec le manque à gagner que cela implique, il vous répondra : donnez-moi de l'argent ou trouvez une solution pour éviter ce manque à gagner. Dans le mix énergétique mondial, le nucléaire existera toujours, comme le charbon - même si j'espère que sa part reculera vite - à côté du solaire et le l'éolien, dont la part augmentera. Je crois à l'équilibre mondial de ce mix énergétique entre le nord et le sud. Vous ne produirez pas d'énergie solaire au pôle Nord comme nous le faisons au Maroc. Restons réalistes.

A la COP 21, nous n'avons pas assisté à un combat d'écologistes, mais de grandes puissances : la Chine et les États-Unis ont ainsi arrêté les discussions pendant deux heures pour discuter d'un mot : fallait-il dire shall ou should ?

Si vous voulez que cela change, il faut que chacun agisse à son niveau : citoyen, promoteur, sénateur, député, chef d'exécutif local... Les investisseurs n'ont pas attendu l'accord de Paris pour faire évoluer leurs choix stratégiques : 56 % des investissements mondiaux dans l'énergie en 2015 ont concerné le renouvelable. Ces entreprises ont compris que c'était une opportunité de business . Elles nous surprendront et deviendront force de proposition, forçant les États à changer. Les flux financiers ont déjà changé. Ce n'était pas un accord environnemental, mais un accord de développement économique et politique de redistribution du pouvoir géopolitique au niveau mondial.

Les migrations climatiques sont en effet un problème. On parle aujourd'hui de justice climatique : le Maroc, jadis pays de transit, est devenu un pays d'accueil de l'immigration. Nous sommes confrontés à ce problème d'intégration, comme vous, ce qui coûte cher. Nous avons régularisé 34 000 migrants, alors que nous manquons de moyens. Les 200 millions de migrants attendus ne menacent pas seulement l'Afrique mais la stabilité mondiale, sans compter les risques terroristes.

Au niveau mondial, les terres côtières rassemblent 60 % de la population, 80 % du tourisme et de l'industrie. Il en va de même au Maroc qui compte 3 500 kilomètres de côtes : les opportunités de développement sont nombreuses, tout autant que les risques. Nous organisons un grand événement qui aura lieu aux Seychelles, État insulaire, avec les Émirats arabes unis et, je l'espère, la France puisque Mme Royal s'intéresse aux océans.

Vous avez rappelé que la première édition d'un forum sur le genre et le climat a été organisé par l'organisation marocaine Women's tribune présidée par Fathia Bennis : cela ne peut que parler à la mère de trois filles et grand-mère d'une petite-fille. Il a été question des femmes, premières victimes du climat. La deuxième édition, qui aura lieu fin septembre au Maroc, ne les présentera pas comme des victimes, mais comme des acteurs du changement. Toutes les femmes chefs d'entreprises et toutes les ministres seront invitées. C'est un rendez-vous à ne pas manquer, Messieurs les sénateurs - car je sais déjà que les sénatrices viendront.

Le Maroc, sous l'impulsion de Sa Majesté, a fait de la coopération Sud-Sud l'une de ses priorités. L'Afrique doit cesser de se victimiser ; elle doit construire l'Afrique. C'est un gisement de ressources humaines, minières, d'énergies renouvelables incroyable ! Or comme elle exporte 75 % de ses productions primaires, elle ne conserve pas la valeur ajoutée. Elle cumule les retards, les vulnérabilités, parfois les défaillances de gouvernance. Nous devons nous prendre en charge en tant qu'Africains. La transition énergétique vous coûtera plus cher à vous, pays développés, qu'à nous : notre retard est notre chance. C'est pourquoi je parle de climate chance , autant que de climate change . Construire une civilisation décarbonée sera plus facile au Sud.

Je vous remercie de votre invitation et vous invite, à mon tour, à toutes nos activités au Maroc. C'est le premier pays à avoir proposé au Nations unies d'inclure un dixième acteur officiel, à savoir les parlementaires, car vous êtes incontournables. Nous ne devons pas attendre huit ans une ratification, comme nous l'avons fait pour le protocole de Kyoto : la lutte contre le changement climatique ne peut plus attendre. Des réunions préparent d'ores et déjà l'Agora des députés qui se tiendra à Marrakech, dans la zone bleue. ( Applaudissements )

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Je vous assure de la mobilisation de la France. Allez à la télévision parler aux Français : il faut les convaincre que la COP 21 ne s'est pas arrêtée à Paris : votre énergie sera communicative et ces applaudissements en témoignent.

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