II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Les politiques publiques en faveur de la presse et du livre présentent des performances dégradées en 2015

Les indicateurs les plus représentatifs de la mission , qui permettent de mesurer la réalisation des deux objectifs fondamentaux que sont « Veiller au maintien du pluralisme de la presse » et « Favoriser l'accès du public aux bibliothèques et le développement de la lecture », présentent des résultats dégradés , que ce soit par rapport à l'exécution 2014 ou par rapport à la prévision qui avait été faite dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2015. L'année de base utilisée pour le calcul des deux sous-indicateurs relatifs à la diffusion de la presse papier a changé entre 2014 et 2015, passant de 2005 à 2007 135 ( * ) , ce qui empêche une comparaison sur série longue .

Évolution des indicateurs les plus représentatifs de la mission
« Médias, livre et industries culturelles

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du ministère du budget (les chiffres en italique sont
encore provisoires)

La fréquentation des sites de presse en ligne marque le pas en 2015 , avec une réalisation de près de 10 % inférieure à la prévision et une faible progression par rapport à l'exécution 2014. Ce phénomène est inquiétant compte tenu de l'enjeu économique que représente la mutation technologique pour les éditeurs de presse, dont les ventes de titres papier ne cessent de baisser.

En novembre 2015 136 ( * ) , l'aide accordée aux quotidiens nationaux de presse d'information politique et générale (IPG) à faibles ressources publicitaires a été étendue à toutes les publications nationales, quelle que soit leur périodicité . Son coût, qui a été financé par redéploiement de crédits, est de 2,75 millions d'euros en exécution 2015 . Cette enveloppe a été versée à 30 publications IPG non quotidiennes pour un montant moyen de 91 667 euros. Il est trop tôt pour en constater les effets.

Les données de fréquentation des salles de lecture de la Bibliothèque nationale de France (BnF) et de la Bibliothèque publique d'information (BPI) sont également très inférieures à la prévision (- 12 %). Au regard de l'exécution 2014, la fréquentation des salles de lecture de la BnF est en légère progression, grâce à la réduction de la durée de fermeture annuelle . La fréquentation de la BPI présente elle une baisse de près de 9 % en raison d'une fermeture estivale pour travaux et de la modification des modalités d'entrée rendue nécessaire à la suite des attentats de l'année 2015.

Les bibliothèques municipales ont, elles, réussi à maintenir une fréquentation proche à la fois de la prévision 2015 et de l'exécution 2014, ce qui prouve la nécessité de maintenir des lieux de lecture au plus près du public .

2. Le CNC demeure une « exception budgétaire » et ne semble pas contribuer à l'effort partagé de réduction des déficits publics

Votre rapporteur spécial s'était étonné au cours de la discussion de la loi de finances pour 2015 du fait que « le CNC, qui bénéficie d'une importante fiscalité affectée et d'une trésorerie de plus de 500 millions d'euros, n'est pas contributeur à l'effort partagé de réduction des déficits publics dans le projet de loi de finances pour 2015 » 137 ( * ) . La ministre de la culture avait alors indiqué que « le Gouvernement n'affectera pas les capacités d'action du CNC par un prélèvement sur les réserves de l'établissement 138 ( * ) . Bien au contraire, afin de prendre en compte le recul prévisionnel de 10 % des recettes attendues du CNC par rapport au budget primitif de 2014, l'établissement sera autorisé à puiser dans sa réserve de solidarité pluriannuelle afin d'amortir l'impact conjoncturel de cette baisse sur les investissements du secteur et d'éviter un effet récessif, lequel serait préjudiciable à la diversité de la création, à l'activité et, in fine, à l'emploi » 139 ( * ) .

Or, l'exécution 2015 fait apparaître que le CNC a perçu 34 millions d'euros supplémentaires de recettes fiscales , compte tenu d'un meilleur rendement de la taxe sur les services de télévision (TST), et dans une moindre mesure de celle de la taxe sur les entrées en salles de cinéma (TSA). Le tableau de financement de l'opérateur figurant dans le rapport annuel de performances de la mission « Médias, livre et industries culturelles » annexé au projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2015 indique que le prélèvement sur fonds de roulement , qui était à l'origine prévu à hauteur de 263,3 millions d'euros , n'a finalement été opéré que pour un montant de 5 millions d'euros .

Se pose également la question récurrente de l'absence de plafonnement des ressources fiscales affectées au CNC . On rappellera que la loi de programmation des finances publiques 2014-2019 140 ( * ) prévoit un plafonnement généralisé de toutes les taxes affectées à compter du 1 er janvier 2016, ou, à défaut, un retour dans le budget général en 2017.

Lors de l'examen de la loi de finances pour 2016, votre rapporteur spécial avait suggéré un plafonnement fixé au niveau des recettes attendues , ce qui permettrait un reversement de l'excédent du produit de la taxe au budget général de l'État. En 2015, cela aurait permis un reversement au budget général de 34 millions d'euros .

3. Les dispositifs de taux réduits de TVA s'appliquant à la presse en ligne et au livre électronique, contraires à la directive TVA, sont en voie de sécurisation

Le 5 mars 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu un arrêt en manquement dans le contentieux qui opposait la France à la Commission européenne au sujet de l'application aux livres électroniques du taux réduit de TVA (5,5 %) en vigueur pour les livres papier 141 ( * ) , considérant que la fourniture de livres électroniques était un service et ne pouvait bénéficier par exception d'un taux réduit de TVA. Il faut en déduire que l'extension faite par la France du taux super réduit de TVA 142 ( * ) (2,1 %) de la presse écrite aux publications de presse en ligne 143 ( * ) , au sujet de laquelle la Commission européenne a envoyé un courrier de mise en demeure le 10 juillet 2014, est également contraire à la directive TVA 144 ( * ) .

L'application des taux réduits de TVA à la presse en ligne et au livre électroniques , qui sont indispensables pour que la presse écrite et le livre puissent se transformer et conquérir de nouveaux publics via des supports adaptés au monde numérique, est donc fragilisée et des sanctions financières peuvent théoriquement être prononcées contre l'État français .

Toutefois, des travaux au niveau européen sont en cours, et les dispositifs de TVA à taux super réduits devraient prochainement pouvoir être sécurisés. La Commission européenne doit présenter avant la fin de l'année 2016 une proposition dans le cadre du marché unique numérique afin d'établir un traitement fiscal égal entre publications papier et électroniques. Lors de son audition par la commission des finances le 8 juin 2016, le commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes, Pierre Moscovici, a ainsi déclaré : « Nous avons fait des propositions sur le taux réduit de TVA, afin qu'il s'applique aux e-books et à la presse en ligne . Pour moi, un livre en ligne est un livre, de même qu'un journal en ligne est un journal. Si l'on veut conserver une presse papier, il faut qu'elle puisse offrir des services en ligne ».

Pour mémoire, le taux super réduit de TVA en faveur des publications de presse est une dépense fiscale attachée à la mission. Son coût est évalué à 160 millions d'euros en exécution 2015 145 ( * ) . Le taux réduit de TVA en faveur du livre est lui considéré comme une règle générale 146 ( * ) et le manque à gagner pour le budget général ne fait pas l'objet d'évaluation.

4. La présentation au Parlement des crédits consacrés à l'opération de rénovation du Quadrilatère Richelieu doit être améliorée

Le chantier de rénovation du quadrilatère Richelieu, site historique de la Bibliothèque nationale de France (BnF), vise à en rénover les bâtiments et équipements , en vue d'assurer la sécurité du public et la conservation des biens et des collections patrimoniales , ainsi que d'ouvrir le site à un plus large public (salles de lecture, musée, activités pédagogiques). La maîtrise d'ouvrage de l'opération a été confiée à l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC).

Au fil du chantier, son programme a été plusieurs fois modifié pour intégrer divers travaux, notamment liés à la rénovation des façades, l'aménagement muséographique, l'installation de l'École nationale des chartes ou encore à des travaux de désamiantage et de déplombage non prévus à l'origine. Sept avenants ont ainsi été signés entre juillet 2011 et juillet 2015 .

Parallèlement, son coût a évidemment également évolué. En 2012, le chantier représentait pour l'État « une charge globale de l'ordre de 212,82 millions d'euros » 147 ( * ) . En projet de loi de finances pour 2015, le coût total actualisé était estimé à 218,7 millions d'euros 148 ( * ) . Ce coût est désormais évalué à 232,9 millions d'euros 149 ( * ) , soit une augmentation de l'ordre de 9 % par rapport au coût initial, qui serait principalement liée aux opérations de désamiantage et de déplombage et aux retards induits par celles-ci (plus de 30 mois de retard).

Il est impératif que ce chantier puisse faire l'objet d'un suivi attentif du Parlement pour que ses éventuels dérapages budgétaires et calendaires soient immédiatement repérés. Or, la justification au premier euro reste insuffisante . Aucune information précise n'est donnée dans le projet annuel de performances sur les raisons de ce dépassement des coûts, ni sur les éventuels risques de dérapage ultérieurs. Les documents budgétaires ne permettent pas d'appréhender l'intégralité des crédits consacrés au projet . Seul est présenté l'échéancier actualisé des dépenses d'investissement financées par le programme 334. Certains crédits sont portés par le programme 175 « Patrimoines » de la mission « Culture » et sont fusionnés au sein des crédits monuments historiques « grands projets ». D'autres crédits 150 ( * ) proviennent directement de l'opérateur et ne sont pas détaillés.

À l'heure où un autre opérateur de la mission , la Bibliothèque publique d'information (BPI), située dans le centre Pompidou, conduit un nouveau projet de rénovation 151 ( * ) , il est indispensable que les documents budgétaires adressés au Parlement permettent un contrôle effectif de ce type d'opérations particulièrement sensibles budgétairement .


* 135 Ce changement serait justifié par le fait que l'année 2007 précèderait le début de la crise de 2008.

* 136 Cf. décret n° 2015-1440 du 6 novembre 2015 relatif au soutien de l'Etat au pluralisme de la presse.

* 137 Compte rendu de commission du 4 novembre 2014 : http://www.senat.fr/rap/l14-108-319/l14-108-31914.html#toc151

* 138 Pour mémoire, des prélèvements de 150 millions d'euros avaient été votés en loi de finances pour 2013 et de 90 millions d'euros en loi de finances pour 2014.

* 139 Compte rendu de la séance du 4 décembre 2014 :

http://www.senat.fr/seances/s201412/s20141204/s20141204018.html

* 140 Article 16 de la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

* 141 Article 278-0 bis du code général des impôts.

* 142 Ce taux est applicable en France métropolitaine. Dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, le taux applicable est de 1,05 %.

* 143 Article 298 septies du code général des impôts, tel que modifié par loi n° 2014-237 du 27 février 2014 harmonisant les taux de TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne.

* 144 Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

* 145 Soit 10 millions d'euros de moins que son chiffrage initial.

* 146 Voir Annexe au projet de loi de finances pour 2015, Évaluation des voies et moyens, Tome II, page 10.

* 147 Cf. Réponse au questionnaire budgétaire dans le cadre de l'examen de la loi de finances pour 2013.

* 148 Y compris le coût d'études pour la restauration des façades.

* 149 Idem.

* 150 Il peut d'ailleurs s'agir de crédits autres que d'investissements, notamment liés aux opérations de transferts provisoires de collections et de personne.

* 151 L'exécution en est prévue en 2018-2019, en même temps que la rénovation du Centre Pompidou.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page