EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 16 novembre 2016, la commission a examiné le rapport et le texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 65 (2016-2017) sur l' inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques .

M. Michel Magras , rapporteur . - Nous examinons la proposition de résolution européenne qui vise à mieux adapter les normes agricoles et la politique commerciale de l'Union européenne afin de ne pas trop pénaliser l'économie de nos outre-mer.

Je commencerai par un rappel. Le 16 janvier 2016, vous avez adopté une proposition de résolution portant sur une urgence : les accords commerciaux négociés par l'Union européenne dans le secteur de la canne à sucre. Le rapport que je vous avais présenté soulignait que, pour soutenir le développement endogène des outre-mer, l'Union européenne a très opportunément financé la modernisation de la filière sucrière ultramarine et son positionnement sur les sucres « haut de gamme ». Vous avez admis, à l'unanimité, qu'il aurait été absurde de ruiner ces efforts de long terme en ouvrant brutalement ce marché à des pays où le coût de la main-d'oeuvre est 19 fois moins élevé que dans nos outre-mer - en l'occurrence le Vietnam, qui pouvait se voir offrir un « boulevard » pour se positionner sur ce segment. Je tiens à vous rappeler que notre démarche a été couronnée de succès, puisque l'accord définitif avec le Vietnam inclut une clause de contingentement strict des importations de sucres roux, à hauteur de 400 tonnes. On regrette souvent, comme dans le cas du Traité transatlantique, le caractère flou du mandat de négociation confié à la Commission : nous avons démontré ici toute l'efficacité du Sénat lorsqu'il porte une voix de bon sens.

Comme cela vous avait été alors annoncé, je vous présente aujourd'hui un texte plus général, même s'il répond aussi à une préoccupation immédiate portant sur le secteur de la banane : la proposition de résolution européenne sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques. La version initiale de ce texte, cosignée par cinq membres de la délégation à l'outre-mer - Éric Doligé, Jacques Gillot, Gisèle Jourda, Catherine Procaccia et moi-même - a été adoptée par la commission des affaires européennes sans modification et à l'unanimité.

Ce texte comporte deux volets, l'un sur les normes agricoles européennes et l'autre sur la politique commerciale de l'Union. S'agissant du premier, la commission des affaires économiques a abordé le thème des normes agricoles européennes principalement sous l'angle hexagonal. Nous avons adopté le 29 juin 2016 le rapport d'information Normes agricoles : retrouver le chemin du bon sens de M. Daniel Dubois. Constatant que l'avalanche de réglementations handicape l'agriculture métropolitaine, pourtant l'une des plus performantes du monde, ce rapport formule 16 propositions pour limiter la profusion normative et la soumettre au principe de réalité.

Pour les outre-mer, la situation est encore bien pire, comme l'a démontré de façon approfondie le rapport d'information élaboré conjointement par M. Éric Doligé, M. Jacques Gillot et Mme Catherine Procaccia, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Il constate que les dispositifs sanitaires et phytosanitaires conçus pour l'Europe continentale s'imposent dans les régions ultrapériphériques (RUP) sans prendre sérieusement en compte les caractéristiques de l'agriculture en zone tropicale. Cette application uniforme de la réglementation conçue pour des latitudes tempérées conduit à une véritable impasse. Ainsi, la fourmi manioc, présente à la Guadeloupe et en Guyane, est capable de détruire, en 24 heures, une culture de patate douce, d'igname ou d'agrumes. Les petits planteurs sont démunis puisqu'aucune solution efficace ne peut être utilisée sur des cultures de plein champ. Certains produits existent, mais ils ne sont autorisés que pour le seul usage domestique, car ils relèvent de la catégorie des biocides. Rien, en revanche, dans la catégorie des pesticides qui sont de la compétence de l'Agence européenne de sécurité des aliments, l'EFSA. Le ministère de l'agriculture pourrait créer cet usage afin que l'ANSES autorise une préparation phytopharmaceutique. On voit bien, sur cet exemple, que la sécurité des récoltes ultramarines n'est donc pas garantie et, globalement, seuls 29 % des usages phytosanitaires - c'est-à-dire les moyens de défense contre les attaques - sont couverts dans les DOM, contre 80 % en métropole.

Pourtant, les réponses phytosanitaires existent et sont utilisées chez nos concurrents mais, dans l'Union européenne, les procédures d'homologation sont si complexes et coûteuses que, pour les fabricants, le jeu n'en vaut pas la chandelle : ils renoncent à déposer une demande d'autorisation parce que le marché ultramarin est trop étroit pour amortir le coût des formalités administratives. Et, quand les produits sont autorisés, c'est leur utilisation qui fait l'objet de normes européennes inadaptées. Par exemple, l'Équateur - premier exportateur de bananes sur le marché européen et sur le point d'adhérer à l'accord de libre-échange avec la Colombie et le Pérou - traite ses bananes 40 fois par an avec une gamme de 50 produits phytopharmaceutiques, alors que les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et réalisent sept traitements par an. Telle est la situation inextricable que nous connaissons face à une concurrence sans merci.

Pour réduire les handicaps imposés à l'agriculture ultramarine, la délégation à l'outre-mer a énoncé 20 recommandations qui forment le socle du volet « normes agricoles » de la présente proposition de résolution. J'en résume ici les trois axes : il faut d'abord adapter les normes ainsi que les processus d'homologation pour garantir la sécurité des récoltes. Pour réduire les usages orphelins et rétablir un peu la balance entre les outre-mer et les pays tiers, la proposition de résolution suggère d'établir une liste positive de pays dont les procédures d'homologation sont équivalentes à celles de l'Union européenne. À partir de cette liste, les autorités françaises pourront autoriser directement l'usage en outre-mer d'un produit homologué dans un des pays de la liste. Ensuite, contrôlons mieux les échanges commerciaux pour rééquilibrer les contraintes imposées aux producteurs. Enfin, promouvons une stratégie de labellisation des produits ultramarins haut de gamme.

Le second volet de la proposition de résolution consacré aux  accords commerciaux concerne plus particulièrement le secteur de la banane. Je rappelle que conformément aux accords de libre-échange conclus en 2012 avec l'Amérique centrale, les droits de douane sur les bananes importées dans l'Union européenne seront passés de 176 euros par tonne en 2009 à 75 euros par tonne en 2020. Les volumes importés ont bondi et la perte de parts de marché pour nos producteurs met en péril l'avenir de la filière.

Théoriquement, des mécanismes de protection sont prévus sous deux formes. Selon une clause de sauvegarde spécifique, l'Union peut suspendre le droit de douane préférentiel si l'augmentation des importations de bananes depuis les pays partenaires cause ou menace de causer un préjudice grave à l'économie de l'Union. En outre, le mécanisme de stabilisation autorise l'Union à suspendre temporairement le droit de douane préférentiel, si les importations de bananes dépassent les seuils d'importation prévus dans les accords. En pratique, jamais, depuis 2013, la Commission européenne n'a activé un seul de ces dispositifs, alors que l'évolution du marché pouvait, à plusieurs reprises, le justifier.

En réponse à cette carence, la proposition de résolution suggère l'activation sans délai par la Commission des mécanismes de stabilisation dès que les seuils de déclenchement prévus dans les accords sont atteints. Elle préconise également que ces mécanismes de stabilisation soient prorogés au-delà de la date butoir du 31 décembre 2019, alors qu'il est prévu de les supprimer à cette date. Créons aussi des observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des outre-mer - banane et canne à sucre - afin de disposer de mesures fiables. Enfin le texte que nous examinons prône une réalisation systématique, par la Commission européenne, d'études d'impact préalables sur les RUP des accords commerciaux passés par l'Union européenne. Comme nous le constatons depuis des années, les RUP sont systématiquement oubliées dans les réflexions préalables à la négociation d'accords commerciaux...

Au final, je vous propose d'approuver cette proposition de résolution sur la base de trois considérations. Tout d'abord, l'impératif d'adaptation des normes agricoles européennes et des procédures d'homologation s'impose de manière évidente. En second lieu, les producteurs ultramarins luttent pieds et poings liés contre les producteurs des pays tiers : cela appelle un rééquilibrage et, à tout le moins, de garantir le respect des mécanismes de sauvegarde prévus dans les accords commerciaux. Enfin, la « montée en gamme » est la grande ligne directrice de l'économie et de la société française. Tirons les conséquences pratiques du rapport Gallois, objet d'un remarquable consensus, avec une stratégie de labellisation des produits agricoles ultramarins.

Je vous propose d'apporter un complément à cette proposition de résolution en complétant ses visas. Ce n'est pas anodin car il s'agit de rappeler un arrêt important de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE): la Commission européenne l'avait saisie pour tenter de faire valoir une interprétation très restrictive de l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Elle n'a pas obtenu gain de cause et il est désormais établi que le principe d'adaptation du droit européen aux régions ultrapériphériques a une large portée.

En conclusion je fais d'abord observer que la planète entière - ou presque - s'effraie du danger majeur d'un réchauffement climatique d'un ou deux degrés. Dans un tel contexte, comment a-t-on pu ignorer si longtemps la différence de 15 à 20 degrés entre le climat tempéré et le climat équatorial et ses conséquences déjà avérées ? C'est incompréhensible.

Enfin, il est indéniable que la mondialisation et le libre-échange ont des effets bénéfiques car, nous le savons depuis Ricardo, on produit plus en se spécialisant. Mais ne soyons pas en retard d'une guerre économique : le Brexit et les évolutions aux États-Unis confirment que le monde anglo-saxon ne prône plus une mondialisation à outrance. Cette proposition de résolution s'inscrit donc dans une stratégie non pas tant protectionniste que réaliste.

M. Serge Larcher . - Merci pour cet excellent rapport. La délégation à l'outre-mer justifie une fois de plus sa création opportune, il y a 5 ans, en répondant aux préoccupations du monde agricole, tant des gros que des petits exploitants.

L'histoire parlementaire est un éternel recommencement. Le 18 janvier 2011, M. Éric Doligé et moi-même avions déposé une proposition de résolution européenne pour dénoncer l'indifférence de la Commission européenne sur nos préconisations relatives à l'agriculture ultramarine, notamment lors de la négociation de l'accord de Genève sur le commerce des bananes de décembre 2009 baissant progressivement les droits de douane pour l'Amérique latine, et l'accord de libre-échange avec les pays andins annoncé par la Commission le 1 er mars 2010. Nos recommandations portaient sur la protection des marchés par l'activation d'une clause de sauvegarde locale, la compensation de la baisse de revenus pour les agriculteurs, la facilitation de mesures de développement endogène pour les RUP et des études d'impact préalables systématiques sur les coûts des accords, incluses également dans le mémorandum de 2010 sur les RUP signé aux Canaries.

Nos initiatives européennes dénoncent les effets collatéraux des récents accords avec les pays tiers, comme le Vietnam, qui menacent le coeur de l'économie outre-mer. Les conséquences, identiques à celles des accords passés, sont désastreuses pour l'agriculture outre-mer, l'emploi, et l'intensification de la concurrence extérieure. L'absence de garde-fous est tout particulièrement dangereuse pour une agriculture exposée à la concurrence de pays non soumis aux contraintes sociales, salariales ou sanitaires.

Comme l'a souligné le rapporteur, la différence du nombre de produits et de traitements autorisés pose problème. D'ailleurs je signale que pour la canne à sucre, aucun produit n'est autorisé. Vous pouvez donc consommer du sucre et du rhum sans modération !

J'ajoute qu'il suffit parfois à nos voisins d'Amérique latine de déverser quelques conteneurs de produits agricoles sur nos côtes pour concurrencer à la fois nos cultures d'exportations mais aussi nos productions vivrières. Ces pays n'ont pas les mêmes conditions de production que les nôtres et il faudrait plus d'exigences de traçabilité pour ces produits qui proviennent des pays tiers, pour rééquilibrer la balance avec la situation de nos producteurs qui doivent prouver l'origine de leurs produits.

Nous soutenons totalement cette proposition de résolution, même si son effet juridique n'est pas immédiatement contraignant. Continuons à nous battre inlassablement pour défendre cette juste cause. La France est diverse, à la fois continentale et fière de son insularité. Cayenne est même une île entourée de forêts !

Mme Delphine Bataille . - La demande d'autorisation, à titre dérogatoire, de cultiver des variétés résistantes aux ravageurs tropicaux, non inscrites sur le catalogue européen des variétés, n'est-elle pas dangereuse ? Ce catalogue me semble une garantie d'avoir des semences ou des plants certifiés, même s'il est coûteux et parfois inadapté aux réalités. Une telle dérogation ne pose-t-elle pas des problèmes de traçabilité, de transparence, mais aussi de risques sanitaires ?

Avez-vous des précisions sur la démarche ministérielle de définition des objectifs de sélection des variétés cultivées dans les outre-mer ?

M. Michel Magras , rapporteur . - Cette proposition de résolution, synthèse de l'ensemble de nos démarches, traduit la continuité de l'action de la délégation à l'outre-mer. Comme nous l'avons rappelé les résolutions européennes portant sur le secteur sucrier ont été efficaces. Pour donner plus de poids à celle que nous examinons ici, nous l'avons traduite en quatre langues, et l'avons envoyée avec la commission des affaires européennes au Gouvernement et aux parlementaires européens pour qu'ils la relaient. Malgré la force d'inertie de l'Union européenne, gardons l'espoir d'un résultat positif.

Par principe, l'agriculture ultramarine est soumise aux mêmes normes et contrôles que dans l'hexagone. Dans les RUP, les règlements européens s'appliquent d'office, de même que les directives transposées en droit français. Cependant, l'article 349 du TFUE prévoit une adaptation aux réalités des outre-mer et l'amendement que je vous soumets rappelle que l'arrêt Mayotte de la CJUE, a tranché en faveur de l'interprétation large des possibilités d'adaptation du droit européen dans son ensemble. Je n'ai donc aucune crainte.

Les accords de libre-échange autorisent, sur le marché européen, la concurrence de produits qui ne répondent pas au même niveau d'exigence que les nôtres. Comment expliquer le droit d'épandre 40 fois par an en Équateur une gamme de 50 produits, contre sept fois dans les DOM où ne sont autorisés que deux produits ? Si l'Union européenne valide de fait l'utilisation de certains produits adaptés au climat tropical, pourquoi dès lors ne pas dresser une liste qui placerait les producteurs concurrents dans une situation moins déséquilibrée ?

L'amendement n° COM-1 est adopté.

À l'issue du débat, la commission a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne ainsi modifiée.

La réunion est close à 12 h 25.

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