Rapport n° 127 (2016-2017) de M. Michel MAGRAS , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 16 novembre 2016

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N° 127

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 novembre 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de résolution européenne, présentée par MM. Michel MAGRAS, Éric DOLIGÉ, Jacques GILLOT, Mmes Gisèle JOURDA et Catherine PROCACCIA en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l' inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques ,

Par M. Michel MAGRAS,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet .

Voir les numéros :

Sénat :

65 et 102 (2016-2017)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 3 novembre 2016, la commission des affaires européennes du Sénat a adopté sans modification la proposition de résolution européenne n° 65 (2016-2017) de nos collègues Michel Magras, Éric Doligé, Jacques Gillot, Gisèle Jourda et Catherine Procaccia sur l' inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques .

Cette initiative, soumise à notre commission des affaires économiques, appelle plusieurs remarques introductives pour en rappeler le contexte et l'articulation avec les travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer ainsi que ceux de notre commission.

Il convient tout d'abord de rappeler que le 16 janvier 2016, la commission des affaires économiques a adopté une proposition de résolution 1 ( * ) qui portait principalement sur une urgence : les accords commerciaux négociés par l'Union européenne dans le secteur de la canne à sucre.

Le rapport 2 ( * ) qu'elle a adopté sur ce texte rappelait que, pour soutenir le développement endogène des outre-mer, l'Union européenne a très opportunément financé la modernisation de la filière sucrière ultramarine et son positionnement sur les sucres haut-de-gamme. Notre commission a admis à l'unanimité qu'il aurait été absurde de ruiner ces efforts de long terme en ouvrant brutalement ce marché à des pays où le coût de la main d'oeuvre est 19 fois moins élevé que dans nos outre-mer. Il s'agissait, en l'occurrence du Vietnam qui risquait de se voir offrir un « boulevard » pour se positionner sur ce segment. Je tiens à vous rappeler que notre démarche a été couronnée de succès puisque l'accord définitif avec le Vietnam inclut une clause de contingentement strict des importations de sucres roux. Plus précisément, le projet d'accord de libre-échange prévoyait la libéralisation d'un quota de 20 000 tonnes de sucres pour le Vietnam tandis qu'au final, les sucres spéciaux ont fait l'objet d'un traitement particulier et d'une limitation à 400 tonnes par an.

On regrette souvent, comme dans le cas du Traité transatlantique, le caractère flou du mandat de négociation confié à la commission : ce précédent démontre cependant toute l'efficacité du Sénat lorsqu'il porte une voix de bon sens.

Conformément à ce que votre rapporteur avait alors annoncé, c'est un texte plus général et synthétique qui est à présent soumis à la commission des affaires économiques, même s'il répond aussi à une préoccupation immédiate concernant le secteur de la banane. Il s'agit de la proposition de résolution européenne sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques.

La version initiale de ce texte a été co-signée par cinq membres de la délégation aux outre-mer : Éric Doligé, Jacques Gillot, Gisèle Jourda, Catherine Procaccia ainsi que votre rapporteur. La commission des affaires européenne a estimé que cette initiative était satisfaisante puisqu'elle l'a adopté à l'unanimité et sans modification.

Comme son nom l'indique, ce texte comporte deux principaux volets, l'un sur les normes agricoles européennes et l'autre sur la politique commerciale de l'Union.

Rappel de la procédure applicable à cette proposition de résolution européenne : le Sénat fait sien le texte adopté en commission des affaires économiques sauf si un débat en séance publique est décidé.

La procédure applicable à ce texte est prévue par l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat : il en résulte que la commission des affaires économiques doit examiner cette proposition de résolution sur la base du texte adopté par la commission des affaires européennes. Par la suite, le texte adopté devient la résolution du Sénat au terme d'un délai de trois jours francs suivant la date de la publication du rapport de la commission sauf si le Président du Sénat, le président d'un groupe, le président d'une commission permanente, le président de la commission des affaires européennes ou le Gouvernement demande, dans ce délai, qu'elle soit examinée par le Sénat. Si, dans les sept jours francs qui suivent cette demande, la Conférence des présidents ne propose pas ou le Sénat ne décide pas son inscription à l'ordre du jour, la proposition de résolution de la commission devient la résolution du Sénat. Enfin, les résolutions européennes sont transmises au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.

1. Le volet « normes agricoles » de la proposition de résolution.

Tenir compte de la différence de climat entre les outre-mer et l'Europe : adapter les normes agricoles et les procédures d'homologation conçues pour des zones européennes tempérées afin de sauver l'agriculture ultramarine du désastre.

a) Une avalanche de normes

Notre commission des affaires économiques a abordé à de multiples occasions le thème des réglementations agricoles principalement sous l'angle hexagonal. Le 29 juin 2016, elle a adopté le rapport d'information n° 733 (2015-2016) élaboré par M. Daniel Dubois qui s'intitule : « Normes agricoles : retrouver le chemin du bon sens ». Constatant que l'avalanche de règlementations handicape l'agriculture métropolitaine qui est pourtant l'une des plus performantes du monde, ce rapport formule 16 propositions pour limiter la profusion normative et la soumettre au principe de réalité.

Votre rapporteur souligne que pour l'agriculture de nos outre-mer, la situation qui résulte de cette profusion normative est encore bien pire en raison de son inadaptation au climat tropical et aux contraintes spécifiques qui s'imposent à ces territoires lointains de l'Europe continentale.

b) Une impasse pour l'agriculture ultramarine

La nécessité de l'adaptation du cadre normatif européen ressort du rapport d'information n° 775 (2015-2016) élaboré conjointement par M. Éric Doligé, M. Jacques Gillot et Mme Catherine Procaccia, au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer et déposé le 7 juillet 2016. Ce document très complet de 303 pages constate que les dispositifs sanitaires et phytosanitaires conçus pour l'Europe continentale s'imposent dans les régions ultrapériphériques (RUP) sans prendre en compte les caractéristiques de l'agriculture en zone tropicale. Il démontre avec précision que cette application uniforme de la réglementation conçue pour des latitudes tempérées conduit à une véritable impasse.

Votre rapporteur se limitera ici à extraire des travaux approfondis de la délégation, un seul exemple parmi tant d'autres. La fourmi manioc, présente à la Guadeloupe et en Guyane est capable de détruire, en 24 heures, une culture de patate douce, d'igname ou d'agrumes. Les petits planteurs sont démunis face à cet insecte puisqu'aujourd'hui aucune solution adéquate ne peut être utilisée sur des cultures de plein champ.

Encore faut-il préciser qu'il existe bien des produits efficaces, mais ils ne sont autorisés que pour le seul usage domestique, car ils relèvent de la catégorie des biocides supervisée par l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA European chemical agency). On ne trouve rien, en revanche, dans la catégorie des pesticides qui entrent dans le champ de compétence de l'Agence européenne de sécurité des aliments, l'EFSA. La solution serait une initiative de notre ministère de l'agriculture qui pourrait créer cet usage afin que l'Anses puisse autoriser une préparation phytopharmaceutique.

Cet exemple permet d'illustrer un constat général : la sécurité des récoltes ultramarines n'est pas convenablement garantie. Les chiffres en témoignent puisque 29 % des usages phytosanitaires - c'est-à-dire les moyens de défense contre les attaques - sont couverts dans les DOM, contre 80 % en métropole.

Pourtant, les réponses phytosanitaires existent et sont utilisées chez nos concurrents mais, en Europe, les procédures d'homologation sont si complexes et coûteuses que, pour les fabricants, « le jeu n'en vaut pas la chandelle » : ils renoncent trop souvent à déposer une demande d'autorisation parce que le marché ultramarin est trop étroit pour leur permettre d'amortir le coût des formalités requises.

Lorsque les produits adéquats sont autorisés, c'est alors fréquemment leur utilisation qui fait l'objet de normes européennes inadaptées. Par exemple, l'Équateur - qui est le premier exportateur de bananes sur le marché européen et qui est sur le point d'adhérer à l'accord de libre-échange de l'Union avec la Colombie et le Pérou - traite ses bananes 40 fois par an avec une gamme de 50 produits phytopharmaceutiques. Pour leur part, les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et ne peuvent réaliser que sept traitements par an.

Comme en ont témoigné les experts entendus par la délégation aux outre-mer, les conditions d'utilisation des produits phytopharmaceutiques autorisés par l'Anses sont, la plupart du temps, calibrées pour un usage en climat tempéré. Or dans les DOM, les conditions climatiques sont nettement différentes, ce qui joue sur la rémanence des matières actives : elle est bien souvent inférieure à 8 ou 10 jours en raison d'une évaporation plus forte. Calculée pour un climat tempéré, la limitation du nombre d'applications autorisées par saison place les agriculteurs ultramarins dans des impasses techniques. Pourtant, une simple réduction des doses couplée avec une augmentation de la fréquence de traitement permettrait d'adapter les conditions d'utilisation aux périodes végétatives plus longues que connaissent les DOM.

Ces quelques observations donnent un aperçu de la situation inextricable que connaissent les agriculteurs ultramarins face à une concurrence sans merci.

c) Les solutions suggérées par la proposition de résolution

Pour réduire les handicaps imposés à l'agriculture ultramarine, la délégation aux outre-mer a énoncé 20 recommandations dans son rapport précité. Par principe, il s'agit d'inviter la Commission européenne à acclimater les normes européennes agricoles au milieu tropical. Tel est le socle du volet « normes agricoles » de la présente proposition de résolution qui, analysé en détail par la délégation sénatoriale et la commission européenne, s'ordonne autour de trois axes :

- adapter les normes ainsi que les processus d'homologation pour garantir la sécurité des récoltes ; en particulier, pour réduire les usages orphelins et rétablir un peu la balance entre les outre-mer et les pays tiers, la proposition de résolution suggère d'établir une liste positive de pays dont les procédures d'homologation sont équivalentes à celles de l'Union européenne. À partir de cette liste, les autorités françaises pourraient autoriser directement l'usage en outre-mer d'un produit homologué dans un des pays répertorié favorablement ;

- mieux contrôler des échanges commerciaux, pour sanctionner de manière effective la présence de pesticides interdits par la réglementation européenne, pour rééquilibrer les contraintes imposées aux producteurs ;

- et enfin promouvoir une stratégie de labellisation des produits ultra marins répondant à des exigences de production haut de gamme ; l'adaptation suggérée par la proposition de résolution consisterait à autoriser la certification de l'agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG), comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, en rendant facultatif le recours à un organisme certificateur pour les exploitations implantées dans les régions ultra-périphériques (RUP).

2. Le volet « accords commerciaux » de la proposition de résolution prend en compte les menaces imminentes qui pèsent sur le secteur de la banane ultramarine.

Nos outre-mer ont un besoin urgent de cohérence : les efforts de mise en place d'une filière agricole ultramarine compétitive ne doivent pas être pulvérisés par des accords commerciaux et des pratiques favorables à des pays à très faible coût de main-d'oeuvre bénéficiant d'une permissivité de fait quant à l'usage de produits interdits en Europe.

a) Les principales caractéristiques du marché de la banane dans l'Union européenne.

La banane 3 ( * ) est le fruit le plus consommé au monde : l'Union européenne est son premier marché et absorbe le tiers des exportations mondiales. Les Européens importent principalement la banane en provenance d'Amérique centrale et latine. Les trois principaux pays exportateurs vers l'Union sont l'Équateur (1,4 millions de tonnes exportées en 2015), la Colombie (1,3 millions de tonnes) et le Costa Rica (0,95 millions de tonnes).

En 2015, l'UE a consommé 5,8 millions de tonnes de bananes : 89 %, ont été importées et la part de marché restante - qui s'établit à 11 % contre 12,6 % il y a trois ans - revient aux producteurs européens.

Les cinq premiers pays européens producteurs sont l'Espagne, qui représente la moitié de l'offre européenne (381 827 tonnes en 2015), la France (263 022 tonnes en 2015), le Portugal (18 645 tonnes en 2015), Chypre et la Grèce. La production est localisée dans les régions ultrapériphériques : les Canaries pour l'Espagne, la Guadeloupe et la Martinique pour la France, Madère et les Açores pour le Portugal. Dans ces territoires insulaires, la filière banane joue un rôle économique fondamental : 37 000 emplois en dépendent, directement ou indirectement et elle garantit la viabilité de la desserte maritime 4 ( * ) . De plus, la filière est exemplaire en termes de durabilité : les producteurs européens respectent des normes sociales, sanitaires et environnementales parmi les plus exigeantes au monde. Aux Antilles françaises, le secteur a investi dans la formation professionnelle pour promouvoir de bonnes pratiques en matière d'agriculture durable, de recherche et de développement.

b) Les accords de libre-échange entre l'Union européenne et les pays tiers comportent des clauses protectrices qui auraient dû être activées.

Conformément aux accords de libre-échange conclus en 2012 avec l'Amérique centrale, les droits de douane sur les bananes importées dans l'Union européenne, doivent diminuer progressivement de 176 euros par tonne en 2009 à 75 euros en 2020. Propulsés par ces conditions tarifaires, les volumes importés ont bondi et la perte de parts de marché qui en résultent pour nos producteurs concernés met en péril l'avenir de la filière ultramarine.

Juridiquement, des mécanismes de protection sont prévus sous deux formes. D'une part, une clause de sauvegarde spécifique prévoit que l'Union peut suspendre le droit de douane préférentiel si l'augmentation des importations de bananes depuis les pays partenaires causent ou menacent de causer un préjudice grave à l'économie de l'Union. D'autre part, un mécanisme de stabilisation permet à l'Union de suspendre temporairement - pas plus de trois mois et pas au-delà de la fin de l'année civile - le droit de douane préférentiel si les importations de bananes dépassent les seuils d'importation prévus dans les accords.

Toutefois, jamais, depuis 2013, la Commission européenne n'a activé un seul de ces dispositifs alors même que l'évolution du marché pouvait, à plusieurs reprises, le justifier.

c) La proposition de résolution préconise la mise en oeuvre quasi-automatique des mécanismes de défense prévus.

En réponse à cette carence, la proposition de résolution suggère l'activation sans délai par la Commission des mécanismes de stabilisation dès que les seuils de déclenchement prévus dans les accords sont atteints.

Elle demande aussi la prorogation de ces mécanismes de stabilisation au-delà de la date butoir du 31 décembre 2019 alors qu' il est prévu de les supprimer à cette date.

Une telle démarche doit se fonder sur des constatations précises. La proposition de résolution préconise donc la création d'observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices ultramarines comme la banane et la canne à sucre.

Enfin, et comme l'a déjà demandé à plusieurs reprises par le passé la commission des affaires économiques, il convient de réaliser des études d'impact préalables sur les conséquences pour les économies ultrapériphériques des accords commerciaux passés par l'Union européenne.

3. La position de la commission des affaires économiques.

Trois principales considérations amènent votre commission à approuver la proposition de résolution soumise à son examen.

Tout d'abord, l'impératif d'adaptation des normes agricoles européennes et des procédures d'homologation s'impose de manière évidente pour améliorer les chances de survie de pans entiers de l'agriculture ultramarine. Au moment où la planète entière - ou presque - s'effraye du danger majeur d'un réchauffement climatique portant sur un ou deux degrés, on se demande comment on a pu si longtemps ne pas prendre sérieusement en considération la différence de 15 à 20 degrés entre le climat tempéré et le climat équatorial.

Ensuite, les producteurs ultra-marins luttent pieds et poings liés contre les producteurs de pays tiers qui, trop souvent, bénéficient de normes environnementales semble-t-il particulièrement permissives et d'une certaine tolérance de la part de l'Union européenne sur les volumes et la conformité des produits importés sur notre continent. Il est donc absolument nécessaire d'aller dans le sens du rééquilibrage en faisant respecter les mécanismes de sauvegarde prévus dans les accords commerciaux et en renforçant les contrôles quantitatifs et qualitatifs.

Enfin, il convient de rappeler que la « montée en gamme » est la principale ligne directrice de l'économie française et une condition de préservation de notre modèle social. Le rapport Louis Gallois a fait l'objet d'un remarquable consensus sur ce point et il faut en tirer les conséquences pratiques : votre commission insiste tout particulièrement sur les préconisations consacrées à une stratégie de labellisation adaptée aux produits agricoles ultramarins.

Pour donner plus de force à cette proposition de résolution, la commission a adopté l'amendement présenté par votre rapporteur qui vise à compléter les visas de cette initiative. Il s'agit de faire explicitement référence, dans la proposition de résolution, à l'arrêt de de la Cour de justice de l'Union européenne du 15 décembre 2015, dit « arrêt Mayotte ». Celui-ci porte sur la mise en oeuvre de dispositifs spécifiques en faveur des régions ultrapériphériques, prévue par l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Pris en « grande chambre », ce qui témoigne de son importance, cet arrêt écarte certaines interprétations restrictives de l'article 349 du Traité, et, en particulier, la thèse défendue par la commission européenne selon laquelle l'article 349 permettrait de déroger au droit de l'Union dans ses dispositions de droit primaire mais pas de droit dérivé. En réponse, la Cour réaffirme clairement la possibilité d'adaptation du droit de l'Union européenne en faveur des régions ultrapériphériques dès lors qu'il s'agit de dispositions ou politiques spécifiques. L'arrêt donne donc son plein effet à l'article 349 en le consacrant comme le socle de l'adaptation de l'ensemble du droit de l'Union.

*

* *

Réunie le 16 novembre 2016 sous la présidence de M. Jean-Claude Lenoir, la commission a adopté à l'unanimité la proposition de résolution européenne modifiée.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 16 novembre 2016, la commission a examiné le rapport et le texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 65 (2016-2017) sur l' inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques .

M. Michel Magras , rapporteur . - Nous examinons la proposition de résolution européenne qui vise à mieux adapter les normes agricoles et la politique commerciale de l'Union européenne afin de ne pas trop pénaliser l'économie de nos outre-mer.

Je commencerai par un rappel. Le 16 janvier 2016, vous avez adopté une proposition de résolution portant sur une urgence : les accords commerciaux négociés par l'Union européenne dans le secteur de la canne à sucre. Le rapport que je vous avais présenté soulignait que, pour soutenir le développement endogène des outre-mer, l'Union européenne a très opportunément financé la modernisation de la filière sucrière ultramarine et son positionnement sur les sucres « haut de gamme ». Vous avez admis, à l'unanimité, qu'il aurait été absurde de ruiner ces efforts de long terme en ouvrant brutalement ce marché à des pays où le coût de la main-d'oeuvre est 19 fois moins élevé que dans nos outre-mer - en l'occurrence le Vietnam, qui pouvait se voir offrir un « boulevard » pour se positionner sur ce segment. Je tiens à vous rappeler que notre démarche a été couronnée de succès, puisque l'accord définitif avec le Vietnam inclut une clause de contingentement strict des importations de sucres roux, à hauteur de 400 tonnes. On regrette souvent, comme dans le cas du Traité transatlantique, le caractère flou du mandat de négociation confié à la Commission : nous avons démontré ici toute l'efficacité du Sénat lorsqu'il porte une voix de bon sens.

Comme cela vous avait été alors annoncé, je vous présente aujourd'hui un texte plus général, même s'il répond aussi à une préoccupation immédiate portant sur le secteur de la banane : la proposition de résolution européenne sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques. La version initiale de ce texte, cosignée par cinq membres de la délégation à l'outre-mer - Éric Doligé, Jacques Gillot, Gisèle Jourda, Catherine Procaccia et moi-même - a été adoptée par la commission des affaires européennes sans modification et à l'unanimité.

Ce texte comporte deux volets, l'un sur les normes agricoles européennes et l'autre sur la politique commerciale de l'Union. S'agissant du premier, la commission des affaires économiques a abordé le thème des normes agricoles européennes principalement sous l'angle hexagonal. Nous avons adopté le 29 juin 2016 le rapport d'information Normes agricoles : retrouver le chemin du bon sens de M. Daniel Dubois. Constatant que l'avalanche de réglementations handicape l'agriculture métropolitaine, pourtant l'une des plus performantes du monde, ce rapport formule 16 propositions pour limiter la profusion normative et la soumettre au principe de réalité.

Pour les outre-mer, la situation est encore bien pire, comme l'a démontré de façon approfondie le rapport d'information élaboré conjointement par M. Éric Doligé, M. Jacques Gillot et Mme Catherine Procaccia, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Il constate que les dispositifs sanitaires et phytosanitaires conçus pour l'Europe continentale s'imposent dans les régions ultrapériphériques (RUP) sans prendre sérieusement en compte les caractéristiques de l'agriculture en zone tropicale. Cette application uniforme de la réglementation conçue pour des latitudes tempérées conduit à une véritable impasse. Ainsi, la fourmi manioc, présente à la Guadeloupe et en Guyane, est capable de détruire, en 24 heures, une culture de patate douce, d'igname ou d'agrumes. Les petits planteurs sont démunis puisqu'aucune solution efficace ne peut être utilisée sur des cultures de plein champ. Certains produits existent, mais ils ne sont autorisés que pour le seul usage domestique, car ils relèvent de la catégorie des biocides. Rien, en revanche, dans la catégorie des pesticides qui sont de la compétence de l'Agence européenne de sécurité des aliments, l'EFSA. Le ministère de l'agriculture pourrait créer cet usage afin que l'ANSES autorise une préparation phytopharmaceutique. On voit bien, sur cet exemple, que la sécurité des récoltes ultramarines n'est donc pas garantie et, globalement, seuls 29 % des usages phytosanitaires - c'est-à-dire les moyens de défense contre les attaques - sont couverts dans les DOM, contre 80 % en métropole.

Pourtant, les réponses phytosanitaires existent et sont utilisées chez nos concurrents mais, dans l'Union européenne, les procédures d'homologation sont si complexes et coûteuses que, pour les fabricants, le jeu n'en vaut pas la chandelle : ils renoncent à déposer une demande d'autorisation parce que le marché ultramarin est trop étroit pour amortir le coût des formalités administratives. Et, quand les produits sont autorisés, c'est leur utilisation qui fait l'objet de normes européennes inadaptées. Par exemple, l'Équateur - premier exportateur de bananes sur le marché européen et sur le point d'adhérer à l'accord de libre-échange avec la Colombie et le Pérou - traite ses bananes 40 fois par an avec une gamme de 50 produits phytopharmaceutiques, alors que les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et réalisent sept traitements par an. Telle est la situation inextricable que nous connaissons face à une concurrence sans merci.

Pour réduire les handicaps imposés à l'agriculture ultramarine, la délégation à l'outre-mer a énoncé 20 recommandations qui forment le socle du volet « normes agricoles » de la présente proposition de résolution. J'en résume ici les trois axes : il faut d'abord adapter les normes ainsi que les processus d'homologation pour garantir la sécurité des récoltes. Pour réduire les usages orphelins et rétablir un peu la balance entre les outre-mer et les pays tiers, la proposition de résolution suggère d'établir une liste positive de pays dont les procédures d'homologation sont équivalentes à celles de l'Union européenne. À partir de cette liste, les autorités françaises pourront autoriser directement l'usage en outre-mer d'un produit homologué dans un des pays de la liste. Ensuite, contrôlons mieux les échanges commerciaux pour rééquilibrer les contraintes imposées aux producteurs. Enfin, promouvons une stratégie de labellisation des produits ultramarins haut de gamme.

Le second volet de la proposition de résolution consacré aux  accords commerciaux concerne plus particulièrement le secteur de la banane. Je rappelle que conformément aux accords de libre-échange conclus en 2012 avec l'Amérique centrale, les droits de douane sur les bananes importées dans l'Union européenne seront passés de 176 euros par tonne en 2009 à 75 euros par tonne en 2020. Les volumes importés ont bondi et la perte de parts de marché pour nos producteurs met en péril l'avenir de la filière.

Théoriquement, des mécanismes de protection sont prévus sous deux formes. Selon une clause de sauvegarde spécifique, l'Union peut suspendre le droit de douane préférentiel si l'augmentation des importations de bananes depuis les pays partenaires cause ou menace de causer un préjudice grave à l'économie de l'Union. En outre, le mécanisme de stabilisation autorise l'Union à suspendre temporairement le droit de douane préférentiel, si les importations de bananes dépassent les seuils d'importation prévus dans les accords. En pratique, jamais, depuis 2013, la Commission européenne n'a activé un seul de ces dispositifs, alors que l'évolution du marché pouvait, à plusieurs reprises, le justifier.

En réponse à cette carence, la proposition de résolution suggère l'activation sans délai par la Commission des mécanismes de stabilisation dès que les seuils de déclenchement prévus dans les accords sont atteints. Elle préconise également que ces mécanismes de stabilisation soient prorogés au-delà de la date butoir du 31 décembre 2019, alors qu'il est prévu de les supprimer à cette date. Créons aussi des observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des outre-mer - banane et canne à sucre - afin de disposer de mesures fiables. Enfin le texte que nous examinons prône une réalisation systématique, par la Commission européenne, d'études d'impact préalables sur les RUP des accords commerciaux passés par l'Union européenne. Comme nous le constatons depuis des années, les RUP sont systématiquement oubliées dans les réflexions préalables à la négociation d'accords commerciaux...

Au final, je vous propose d'approuver cette proposition de résolution sur la base de trois considérations. Tout d'abord, l'impératif d'adaptation des normes agricoles européennes et des procédures d'homologation s'impose de manière évidente. En second lieu, les producteurs ultramarins luttent pieds et poings liés contre les producteurs des pays tiers : cela appelle un rééquilibrage et, à tout le moins, de garantir le respect des mécanismes de sauvegarde prévus dans les accords commerciaux. Enfin, la « montée en gamme » est la grande ligne directrice de l'économie et de la société française. Tirons les conséquences pratiques du rapport Gallois, objet d'un remarquable consensus, avec une stratégie de labellisation des produits agricoles ultramarins.

Je vous propose d'apporter un complément à cette proposition de résolution en complétant ses visas. Ce n'est pas anodin car il s'agit de rappeler un arrêt important de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE): la Commission européenne l'avait saisie pour tenter de faire valoir une interprétation très restrictive de l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Elle n'a pas obtenu gain de cause et il est désormais établi que le principe d'adaptation du droit européen aux régions ultrapériphériques a une large portée.

En conclusion je fais d'abord observer que la planète entière - ou presque - s'effraie du danger majeur d'un réchauffement climatique d'un ou deux degrés. Dans un tel contexte, comment a-t-on pu ignorer si longtemps la différence de 15 à 20 degrés entre le climat tempéré et le climat équatorial et ses conséquences déjà avérées ? C'est incompréhensible.

Enfin, il est indéniable que la mondialisation et le libre-échange ont des effets bénéfiques car, nous le savons depuis Ricardo, on produit plus en se spécialisant. Mais ne soyons pas en retard d'une guerre économique : le Brexit et les évolutions aux États-Unis confirment que le monde anglo-saxon ne prône plus une mondialisation à outrance. Cette proposition de résolution s'inscrit donc dans une stratégie non pas tant protectionniste que réaliste.

M. Serge Larcher . - Merci pour cet excellent rapport. La délégation à l'outre-mer justifie une fois de plus sa création opportune, il y a 5 ans, en répondant aux préoccupations du monde agricole, tant des gros que des petits exploitants.

L'histoire parlementaire est un éternel recommencement. Le 18 janvier 2011, M. Éric Doligé et moi-même avions déposé une proposition de résolution européenne pour dénoncer l'indifférence de la Commission européenne sur nos préconisations relatives à l'agriculture ultramarine, notamment lors de la négociation de l'accord de Genève sur le commerce des bananes de décembre 2009 baissant progressivement les droits de douane pour l'Amérique latine, et l'accord de libre-échange avec les pays andins annoncé par la Commission le 1 er mars 2010. Nos recommandations portaient sur la protection des marchés par l'activation d'une clause de sauvegarde locale, la compensation de la baisse de revenus pour les agriculteurs, la facilitation de mesures de développement endogène pour les RUP et des études d'impact préalables systématiques sur les coûts des accords, incluses également dans le mémorandum de 2010 sur les RUP signé aux Canaries.

Nos initiatives européennes dénoncent les effets collatéraux des récents accords avec les pays tiers, comme le Vietnam, qui menacent le coeur de l'économie outre-mer. Les conséquences, identiques à celles des accords passés, sont désastreuses pour l'agriculture outre-mer, l'emploi, et l'intensification de la concurrence extérieure. L'absence de garde-fous est tout particulièrement dangereuse pour une agriculture exposée à la concurrence de pays non soumis aux contraintes sociales, salariales ou sanitaires.

Comme l'a souligné le rapporteur, la différence du nombre de produits et de traitements autorisés pose problème. D'ailleurs je signale que pour la canne à sucre, aucun produit n'est autorisé. Vous pouvez donc consommer du sucre et du rhum sans modération !

J'ajoute qu'il suffit parfois à nos voisins d'Amérique latine de déverser quelques conteneurs de produits agricoles sur nos côtes pour concurrencer à la fois nos cultures d'exportations mais aussi nos productions vivrières. Ces pays n'ont pas les mêmes conditions de production que les nôtres et il faudrait plus d'exigences de traçabilité pour ces produits qui proviennent des pays tiers, pour rééquilibrer la balance avec la situation de nos producteurs qui doivent prouver l'origine de leurs produits.

Nous soutenons totalement cette proposition de résolution, même si son effet juridique n'est pas immédiatement contraignant. Continuons à nous battre inlassablement pour défendre cette juste cause. La France est diverse, à la fois continentale et fière de son insularité. Cayenne est même une île entourée de forêts !

Mme Delphine Bataille . - La demande d'autorisation, à titre dérogatoire, de cultiver des variétés résistantes aux ravageurs tropicaux, non inscrites sur le catalogue européen des variétés, n'est-elle pas dangereuse ? Ce catalogue me semble une garantie d'avoir des semences ou des plants certifiés, même s'il est coûteux et parfois inadapté aux réalités. Une telle dérogation ne pose-t-elle pas des problèmes de traçabilité, de transparence, mais aussi de risques sanitaires ?

Avez-vous des précisions sur la démarche ministérielle de définition des objectifs de sélection des variétés cultivées dans les outre-mer ?

M. Michel Magras , rapporteur . - Cette proposition de résolution, synthèse de l'ensemble de nos démarches, traduit la continuité de l'action de la délégation à l'outre-mer. Comme nous l'avons rappelé les résolutions européennes portant sur le secteur sucrier ont été efficaces. Pour donner plus de poids à celle que nous examinons ici, nous l'avons traduite en quatre langues, et l'avons envoyée avec la commission des affaires européennes au Gouvernement et aux parlementaires européens pour qu'ils la relaient. Malgré la force d'inertie de l'Union européenne, gardons l'espoir d'un résultat positif.

Par principe, l'agriculture ultramarine est soumise aux mêmes normes et contrôles que dans l'hexagone. Dans les RUP, les règlements européens s'appliquent d'office, de même que les directives transposées en droit français. Cependant, l'article 349 du TFUE prévoit une adaptation aux réalités des outre-mer et l'amendement que je vous soumets rappelle que l'arrêt Mayotte de la CJUE, a tranché en faveur de l'interprétation large des possibilités d'adaptation du droit européen dans son ensemble. Je n'ai donc aucune crainte.

Les accords de libre-échange autorisent, sur le marché européen, la concurrence de produits qui ne répondent pas au même niveau d'exigence que les nôtres. Comment expliquer le droit d'épandre 40 fois par an en Équateur une gamme de 50 produits, contre sept fois dans les DOM où ne sont autorisés que deux produits ? Si l'Union européenne valide de fait l'utilisation de certains produits adaptés au climat tropical, pourquoi dès lors ne pas dresser une liste qui placerait les producteurs concurrents dans une situation moins déséquilibrée ?

L'amendement n° COM-1 est adopté.

À l'issue du débat, la commission a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne ainsi modifiée.

La réunion est close à 12 h 25.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

TEXTE DE LA COMMISSION

Le Sénat

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 206, 207 et 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (grande chambre) du 15 décembre 2015 - Parlement européen et Commission européenne contre Conseil de l'Union européenne, soutenu par le Royaume d'Espagne, la République française et la République portugaise (Affaires jointes C-132/14 à C-136/14),

Vu le règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil n° 396/2005 du 23 février 2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d'origine végétale et animale et modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil,

Vu le règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) n° 2092/91,

Vu le règlement (CE) n° 669/2009 du 24 juillet 2009 de la Commission portant modalités d'exécution du règlement (CE) n° 882/2004 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les contrôles officiels renforcés à l'importation de certains aliments pour animaux et certaines denrées alimentaires d'origine non animale et modifiant la décision 2006/504/CE,

Vu le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil,

Vu le règlement (UE) n° 283/2013 de la Commission du 1 er mars 2013 établissant les exigences en matière de données applicables aux substances actives,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques, présentée le 24 mars 2014,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 19/2013 portant mise en oeuvre de la clause de sauvegarde bilatérale et du mécanisme de stabilisation pour les bananes prévus par l'accord commercial entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la Colombie et le Pérou, d'autre part, et le règlement (UE) n° 20/2013 portant mise en oeuvre de la clause de sauvegarde bilatérale et du mécanisme de stabilisation pour les bananes prévus par l'accord établissant une association entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Amérique centrale, d'autre part, présentée le 26 mai 2015,

Vu le projet de rapport n° 2015/0112(COD) du 18 juillet 2016 de Mme Marielle DE SARNEZ au nom de la Commission du commerce international du Parlement européen sur la proposition de règlement précédente,

Vu la communication « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive » présentée par la Commission européenne le 20 juin 2012,

Vu le document d'orientation du 4 mars 2016 destiné à harmoniser les études de dissipation des pesticides chimiques en milieu terrestre au champ, mis au point par l'Agence européenne de sécurité des aliments, par l'Agence américaine de protection de l'environnement et par l'Agence Santé Canada,

Vu la réponse du 23 février 2015 apportée par M. Phil HOGAN au nom de la Commission européenne à la question écrite E-011032-14 du 18 décembre 2014 de M. Younous OMARJEE, posée en application de l'article 130 du Règlement du Parlement européen, sur les conséquences de la suppression des quotas sucriers sur le marché du sucre de l'Union européenne,

Vu la réponse du 17 mai 2016 apportée par M. Vytenis ANDRUKAITIS au nom de la Commission européenne à la question écrite E-001040-16 de Mme Mireille d'Ornano du 3 février 2016, posée en application de l'article 130 du Règlement du Parlement européen, sur la révision du règlement sur les pesticides de 2009,

Vu la réponse du 3 juin 2016 apportée par Mme Corina CREÞU au nom de la Commission européenne à la question écrite E-003154-16 du 20 avril 2016 de Mme Cláudia MONTEIRO DE AGUIAR, MM. Gabriel MATO, Younous OMARJEE, Louis-Joseph MANSCOUR et Maurice PONGA, Mme Sofia RIBEIRO, M. Ricardo SERRO SANTOS, Mme Liliana RODRIGUES et M. Juan Fernando LÓPEZ AGUILAR posée en application de l'article 130 du Règlement du Parlement européen, sur la fermeture de l'unité spéciale de la Commission pour les régions ultrapériphériques,

Vu la réponse du 23 juin 2016 apportée par M. Phil HOGAN au nom de la Commission européenne à la question écrite P-003927-16 du 11 mai 2016 de M. Louis-Joseph MANSCOUR, posée en application de l'article 130 du Règlement du Parlement européen, sur la filière canne-sucre des RUP face aux négociations commerciales,

Vu la résolution du Sénat n° 105 (2010-2011) du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne,

Vu la résolution du Sénat n° 68 (2015-2016) du 26 janvier 2016 relative aux effets des accords commerciaux conclus par l'Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques,

Considérant que les régions ultrapériphériques (RUP) constituent un atout pour l'Union européenne et qu'il est dans son intérêt de soutenir ces territoires « dans l'exploitation de toutes les possibilités de croissance intelligente, durable et inclusive sur la base de leurs atouts et de leur potentiel endogène », conformément aux orientations de la Commission européenne dans sa communication de 2012 exposant sa stratégie pluriannuelle pour les RUP,

Considérant que l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet l'édiction de mesures spécifiques aux RUP afin de prendre en compte leurs contraintes propres, notamment « leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits »,

Considérant que les filières agricoles des RUP jouent un rôle économique et social vital dans ces territoires et constituent, au sein de leur environnement régional, des modèles porteurs des valeurs de l'Union européenne en matière sociale et environnementale,

Considérant que les normes et les procédures applicables à l'agriculture des RUP françaises en matière sanitaire et phytosanitaire trouvent leur origine pour l'essentiel dans des règlements européens d'application directe qui y imposent les mêmes dispositifs et les mêmes procédures qu'en Europe continentale, sans aucune prise en compte des caractéristiques de l'agriculture en contexte tropical,

Considérant que l'application uniforme de la réglementation conçue pour des latitudes tempérées, sans forte pression de maladies et de ravageurs, conduit à une impasse qui menace directement la survie des filières agricoles des RUP,

Considérant que les filières agricoles ultramarines souffrent de la prégnance des usages phytosanitaires orphelins, de la fragilité de la couverture phytopharmaceutique menacée par des retraits soudains d'homologation de substances actives, de l'absence de réponse contre des ravageurs dévastateurs comme la fourmi manioc, d'un encadrement inadapté des conditions d'utilisation des produits phytosanitaires en climat tropical et de dérogations difficiles à mettre en oeuvre,

Considérant que les agriculteurs des RUP subissent de surcroît les effets d'une politique commerciale de l'Union européenne très favorable aux pays tiers, tant en termes de conclusion d'accords de libre échange qui mettent en péril les grandes filières exportatrices comme la banne, le sucre et le rhum, qu'au regard du faible degré d'exigence des normes alimentaires imposées aux denrées importées depuis ces pays,

Considérant que, face à la concurrence des pays tiers dont la compétitivité-coût est insurpassable, du fait de niveaux de salaire et de conditions de travail nettement moins élevés et onéreux que dans les RUP, la préservation des barrières tarifaires et non-tarifaires est indispensable pour protéger les marchés des RUP,

Considérant que les clauses de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation inscrits dans les accords de libre-échange ont fait la preuve qu'ils étaient actuellement inopérants, en particulier lors de l'application des accords sur la banane avec la Colombie et le Pérou et avec les pays d'Amérique Centrale, dans la mesure où la Commission européenne a décidé de ne pas déclencher ces dispositifs malgré des dépassements répétés des quotas d'importation,

Considérant que l'adhésion de l'Équateur à l'accord avec la Colombie et le Pérou ne peut manquer de porter préjudice aux producteurs de banane des RUP, alors que l'Équateur est déjà le premier exportateur de bananes vers l'Union européenne et qu'il bénéficiera désormais du même démantèlement tarifaire massif qui a déjà permis au Pérou de tripler ses exportations,

Considérant que les outre-mer doivent tenter de résister sur leurs marchés traditionnels à l'export, comme sur leurs marchés locaux, en endossant un handicap normatif dont l'Union européenne exonère les pays tiers,

Considérant que les denrées des pays tiers, dès lors qu'elles respectent les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides, même si elles ont été traitées par des substances interdites pour les producteurs de l'Union européenne, sont acceptées sur les marchés européens, où elles concurrencent sévèrement les productions des RUP,

Considérant que, pour rétablir une concurrence saine et loyale, les normes de commercialisation dans l'Union européenne doivent exiger des conditions de production excédant le seul respect des LMR,

Considérant que les contrôles des importations de denrées alimentaires dans les RUP, même selon les modalités renforcées prévues par les règlements européens, sont insuffisants et régulièrement contournés, ce qui aboutit à la commercialisation frauduleuse de produits ne respectant pas les LMR sur les marchés ultramarins,

Considérant que les producteurs ultramarins sont engagés dans une stratégie de montée en gamme et de certification qui ne pourra porter ses fruits tant que certaines productions des pays tiers bénéficient parallèlement de labels de qualité européens sans pour autant respecter pleinement les exigences communautaires,

Considérant que les perspectives de développement de la production biologique, qui constitue une voie d'avenir possible pour les agricultures ultramarines, sont bridées par une réglementation européenne défavorable et par le cumul des normes sur l'agriculture biologique et sur les produits phytosanitaires, qui avantage à nouveau les pays tiers par rapport aux RUP,

Considérant que la réglementation européenne sur l'agriculture biologique n'a jamais été élaborée en tenant compte du contexte tropical des RUP, alors que leurs concurrents comme la République dominicaine et le Brésil ont défini des règles d'agriculture biologique adaptées au climat tropical et que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, grâce à leur statut d'autonomie, ont su également élaborer une norme d'agriculture biologique en harmonie avec leur environnement régional océanien,

Considérant que certaines productions biologiques des pays tiers, moins vertueuses du point de vue environnemental et de la santé des agriculteurs que leurs homologues conventionnelles des RUP, envahissent le marché européen en profitant d'un étiquetage biologique qui entretient une confusion trompeuse pour le consommateur européen,

Estime nécessaire de garantir la cohérence des politiques agricole, sanitaire et commerciale de l'Union européenne, conformément à l'article 207 du TFUE, aux termes duquel « il appartient au Conseil et à la Commission de veiller à ce que les accords négociés soient compatibles avec les politiques et règles internes de l'Union »,

Invite la Commission européenne à acclimater les normes européennes réglementant l'agriculture et l'élevage aux contraintes propres des RUP en tenant compte des spécificités des productions en milieu tropical,

Préconise de procéder à la révision du règlement sur les pesticides de 2009 pour dispenser d'homologation les phéromones et les extraits végétaux, et en général tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche implantés dans les RUP, afin de doter les agriculteurs de moyens de protection contre les ravageurs, efficaces et conformes à la mutation agroécologique,

Recommande à la Commission européenne d'établir une liste positive de pays dont les procédures d'homologation de produits phytopharmaceutiques sont équivalentes à celles de l'Union européenne afin de permettre aux autorités françaises d'autoriser directement un produit homologué dans un des pays de la liste pour la même culture et le même usage,

Propose d'autoriser pour les RUP, à titre dérogatoire, la culture locale de variétés végétales résistantes aux ravageurs tropicaux mais non-inscrites au catalogue européen des variétés,

Demande à l'Agence européenne de sécurité des aliments de compléter les référentiels pédoclimatiques et d'habitudes alimentaires qu'elle utilise afin de prendre en compte les caractéristiques propres des RUP au moment de l'évaluation des risques,

Recommande, à l'occasion de la refonte du règlement sur la production biologique de 2007, de prévoir un volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical afin d'assouplir le recours aux semences conventionnelles, d'autoriser la culture sur claies, de raccourcir le délai de conversion et de permettre le traitement post-récolte par des produits d'origine naturelle,

Préconise d'autoriser la certification de l'agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG), comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, en rendant facultatif le recours à un organisme certificateur pour les exploitations implantées dans les RUP,

Invite la Commission européenne à assurer la cohérence des normes de production et des normes de mise sur le marché pour résorber le handicap normatif des RUP tout en veillant à la protection du consommateur européen,

Demande à la Commission européenne de supprimer les tolérances à l'importation pour les denrées traitées par une substance active interdite dans l'Union européenne,

Recommande à la Commission européenne d'établir une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leur production avec des substances polluantes rémanentes dans le sol et l'eau,

Préconise l'interdiction de l'étiquetage biologique pour les produits importés de pays tiers lorsqu'ils ne respectent pas les mêmes normes que les producteurs biologiques européens,

Demande à la Commission européenne d'activer les mécanismes de stabilisation inscrits dans les accords commerciaux et, ainsi, de suspendre les droits préférentiels octroyés aux pays tiers, dès que les importations en provenance de ces derniers dépassent les seuils de déclenchement fixés dans l'accord,

Incite la Commission européenne à prolonger au-delà de 2019 les mécanismes de stabilisation prévus dans les accords sur la banane avec les pays d'Amérique latine afin d'assurer aux producteurs ultramarins une visibilité et une protection pérenne,

Souhaite la création d'observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des RUP, la banane et la canne, afin de disposer de mesures fiables, publiques et transparentes des effets des importations en provenance des pays tiers avec la périodicité pertinente et ainsi d'alerter rapidement la Commission européenne et les États membres en cas de perturbation grave du marché européen et des marchés locaux, pour déclencher sans délai les clauses de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation,

Appelle la Commission européenne à évaluer systématiquement les effets sur les RUP des accords commerciaux qu'il lui revient de négocier en menant des études d'impact préalables et recommande au Gouvernement d'exercer la plus grande vigilance sur la définition du mandat de négociation et sur le suivi de l'application des accords commerciaux, dont les Parlements nationaux doivent être tenus précisément informés,

Juge nécessaire de développer l'information du consommateur sur les conditions de travail pour les producteurs des pays tiers et sur le différentiel de qualité environnementale avec les RUP.


* 1 La proposition de résolution adoptée par la commission des affaires économiques, puis par le Sénat, était issue de la proposition de résolution européenne n° 282 (2015-2016) de M. Michel Magras et Mme Gisèle Jourda relative aux effets des accords commerciaux conclus par l'Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques françaises.

* 2 Rapport n° 312 (2015-2016) de M. Michel MAGRAS.

* 3 Il s'agit ici de la banane dite « dessert », qui se mange crue, et se distingue de la banane plantain, qui se mange cuite tout en étant surtout consommée dans les pays producteurs. La banane dessert est l'une des plus importantes cultures tropicales. Les trois quarts sont eux aussi consommés localement : les deux plus gros producteurs mondiaux, l'Inde et le Brésil, écoulent quasiment toute leur production sur leur marché intérieur. Les exportations vers les États-Unis, l'Union européenne ou encore le Japon sont à plus de 80% produits dans les pays d'Amérique centrale, principalement en Équateur, au Costa Rica et en Colombie. Ces produits d'exportations sont qualifiés de "bananes dollars", la filière ayant été largement contrôlée par trois grandes sociétés américaines fortement intégrées, qui possèdent leurs propres plantations et leurs navires.

* 4 Comme le souligne le rapport de Marielle de Sarnez adopté 29 septembre 2016 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 19/2013 portant mise en oeuvre de la clause de sauvegarde bilatérale et du mécanisme de stabilisation pour les bananes prévus par l'accord commercial entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la Colombie et le Pérou, d'autre part, et le règlement (UE) n° 20/2013 portant mise en oeuvre de la clause de sauvegarde bilatérale et du mécanisme de stabilisation pour les bananes prévus par l'accord établissant une association entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Amérique centrale, d'autre part.

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