B. DES DÉPENSES DE CONTENTIEUX À NOUVEAU SOUS-BUDGÉTÉES ?

Les crédits de l'action 06 qui permettent de financer les frais de contentieux et les dépenses de protection des fonctionnaires avaient baissé de manière significative en 2016, de 23,7 % par rapport à 2015.

Votre rapporteur spécial avait jugé cette baisse inquiétante, rappelant que ces dépenses font l'objet d'une sous-budgétisation chronique . Ainsi, en 2014, alors que la loi de finances initiale avait ouvert 77,45 millions d'euros de crédits, l'exécution s'était établie à 85,78 millions d'euros.

C'est dans ce contexte qu'il convient d'apprécier la hausse de la dotation demandée pour 2017 au titre de cette action.

Atteignant 27 %, elle porterait ses moyens à 55 millions d'euros. Si la hausse des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2017 semble plus réaliste que lors des exercices précédents, il faut garder à l'esprit qu'en 2015, l'écart entre les dotations initiales (63,3 millions d'euros) et les crédits effectivement consommés (97,9 millions d'euros) avait atteint 34,6 millions d'euros. Des mesures en gestion avaient dû être prises pour faire face aux besoins de financement pour 41,8 millions d'euros.

La budgétisation pour 2017, en dépit d'un certain effort de sincérité paraît à nouveau marquée par une forme d'insincérité. À ce titre, il convient de mentionner que les dépenses de contentieux pour 2016 sont d'ores et déjà estimées à 112,2 millions d'euros soit près de trois fois la dotation initiale.

L'évaluation du besoin en matière de frais de contentieux est, sans doute, délicate, compte tenu de la nature aléatoire de ces dépenses liée au rythme d'examen des dossiers par les juridictions, aux évolutions de la jurisprudence et au caractère impondérable et contraint de certaines demandes (dommages liés aux attroupements et rassemblements ou aux dépenses en matière d'accidents de la circulation).

En toute hypothèse, le montant des crédits inscrits pour 2017 est nettement inférieur au tendanciel (88 millions d'euros) établi sur la base de la moyenne des dépenses enregistrées ces trois dernières années, hors dossiers particuliers.

Écarts entre la prévision initiale et l'exécution
des crédits de contentieux

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

Les principaux déterminants des dépenses sont figurés dans le graphique ci-dessous.

Source : réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial

Les principaux postes recouvrent :

- des dépenses d'indemnisations liées aux refus de concours de la force publique , qui reste le premier poste de dépense contentieuse même si leur montant tend à baisser (37,83 millions d'euros en 2015). Cette évolution s'explique notamment par le développement de bonnes pratiques dans la gestion des dossiers par les préfectures (exemples : octroi du concours de la force publique plus systématique, traitement à flux tendu des demandes de concours de la force publique, réduction du délai de traitement des demandes amiables d'indemnisation, mise en place auprès des bailleurs d'une procédure visant à obtenir des sursis de leur part sur les demandes de réquisition de la force publique interrompant la période d'indemnisation et traitement en priorité des dossiers à fort enjeu financier qui ont été identifiés à partir des jugements d'expulsion) ;

- des dépenses en matière de protection fonctionnelle des fonctionnaires , composées d'honoraires d'avocats et des indemnisations versées aux fonctionnaires victimes en réparation des préjudices subis (16,68 millions d'euros en 2015). Ces dépenses restent soumises à des tensions assez fortes liées notamment à l'augmentation des demandes de protection fonctionnelle même si le coût par dossier, lui, reste maîtrisé par la mise en place de bonnes pratiques (mise en place de conventions d'honoraires avec les avocats, expérimentation en cours de protection fonctionnelle sans avocat dans deux secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur - SGAMI) ;

- des dépenses en matière de contentieux des étrangers , constituées principalement d'honoraires d'avocats représentant l'État devant les juridictions judiciaires et administratives et de frais irrépétibles (14,41 millions d'euros en 2015) qui paraissent relativement stables ;

- des dépenses en matière d'accident de la circulation (10,29 millions d'euros en 2015) ;

- des dépenses relatives à la mise en cause de l'État dans le cadre d'attroupements (2,35 millions d'euros en 2015). Cette dépense pourrait connaître une certaine expansion à la suite des mouvements divers du printemps 2016 ;

- des dépenses pour les « autres mises en causes de l'État » (16,33 millions d'euros en 2015). Ces dépenses s'élèvent déjà à 17,35 millions d'euros au 31 août 2016, ce poste pouvant, certaines années et sur un nombre restreint d'affaires, générer des dépenses importantes.

Il convient de signaler notamment les affaires suivantes :

- au titre de 2015 :

Ø 9,53 millions d'euros en exécution financière de trois décisions de justice concernant plusieurs départements ministériels, le ministère de l'intérieur contribuant à hauteur d'un pourcentage défini en arbitrage interministériel. En effet, ces dossiers relatifs à la fixation des prix des carburants en outre-mer, à la pollution marine du littoral des côtes d'Armor et à une opération d'arraisonnement d'un navire dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic maritime ne relèvent pas directement des compétences du ministre de l'intérieur ;

Ø 1,85 million d'euros au titre de l'exécution financière d'une décision de justice condamnant l'État du fait du retard pris dans les opérations de dépollution d'un site incombant au ministre de l'intérieur.

- au titre de 2016 :

Ø 12,9 millions d'euros au titre de la contribution du ministère de l'intérieur (90%) à l'exécution financière de deux décisions de justice dans le cadre d'un contentieux opposant l'État à la métropole de Lyon au titre de la compensation de la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle ;

Ø 1,9 million d'euros en exécution de différents jugements condamnant l'État sur le fondement de la responsabilité sans faute.

Afin d'assurer une meilleure maîtrise des dépenses contentieuses, le plan d'action lancé en 2014 par le ministère se poursuivra en 2016. L'objectif principal consiste à renforcer le pilotage de stratégie contentieuse ainsi que l'expertise juridique dans les territoires.

Votre rapporteur spécial ne peut qu'observer devant l'augmentation des dépenses constatée ces dernières années que ce plan n'a pas atteint tous ses objectifs.

De nouvelles initiatives ont été annoncées pour 2017. Dans le cadre du plan préfectures nouvelle génération, un groupe de travail, confié au directeur des libertés publiques et des affaires juridiques et au directeur général des collectivités locales, consacré à l'expertise juridique et au contrôle de légalité, a été mis en place en 2015 afin d'explorer les modalités de renforcement de la sécurité juridique de l'action des préfectures, tant au moment de l'édiction des actes que de leur défense contentieuse. À l'issue de ses travaux, la nécessité de renforcer l'expertise juridique des préfectures a été reconnue.

Une nouvelle organisation de la fonction juridique territoriale a été décidée. L'action juridique et contentieuse des préfectures sera ainsi appuyée par huit pôles d'appui juridique , pilotés et animés par l'administration centrale du ministère. Ces pôles d'appui interviendront pour le compte de l'ensemble des préfectures souhaitant faire appel à leurs services, en conseil juridique comme en contentieux, dans les domaines de la police administrative et de la sécurité routière (quatre pôles), des refus de concours de la force publique et de la responsabilité de l'État (deux pôles), du contentieux statutaire (un pôle) et de la commande publique (un pôle). Des besoins plus importants et immédiats ayant été identifiés en matière de police administrative et de sécurité routière, deux pôles d'appui dédiés seront mis en place à l'automne 2016 à Dijon et à Orléans.

Votre rapporteur spécial remarque que ces initiatives, très juridiques, n'auront de réel impact sur les dépenses contentieuses que dans la mesure où, dès le stade opérationnel, auront été réunies les conditions d'une prévention des cas de responsabilité de l'action administrative. À cet égard, il faut garder à l'esprit que le contentieux reflète les pathologies de l'action publique. La complexification des dossiers, les tensions sociales, certaines orientations délibérées peuvent en multiplier les occasions.

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