II. UNE RÉFLEXION DOIT ÊTRE MENÉE SUR LE FUTUR DE LA POLITIQUE FAMILIALE EN FRANCE

Alors que s'ouvre un nouveau quinquennat et qu'une nouvelle convention d'objectifs et de gestion (COG) entre l'État et la Cnaf doit être signée, les évolutions de la politique familiale au cours des cinq dernières années conduisent à se poser un certain nombre de questions sur le futur de cette politique.

Les objectifs de la politique familiale

Le programme de qualité et d'efficience (PQE) de la branche famille annexé au PLFSS rappelle les quatre objectifs principaux des politiques familiales :

1. Contribuer à la compensation financière des charges de famille

2. Aider davantage les familles vulnérables

3. Favoriser la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle

4. Garantir la pérennité financière de la branche famille

A. LES QUESTIONS POSÉES PAR LES ÉVOLUTIONS RÉCENTES DE LA POLITIQUE FAMILIALE

1. La politique familiale a été marquée par des mesures d'économie dans un contexte de baisse du nombre de naissances
a) Les mesures d'économie opérées sur la branche famille depuis 2012

Les comparaisons internationales font apparaître que la France figure parmi les pays de l'OCDE qui consacrent la plus grande part de leur richesse nationale à la politique familiale, ainsi que le souligne la Cour des comptes dans son rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de 2017 (RALFSS 2017). Selon l'agrégat large retenu par l'OCDE 87 ( * ) , les dépenses publiques en faveur de la famille s'élevaient ainsi en 2015 à 3,7 % du PIB, plaçant la France au deuxième rang européen derrière le Royaume-Uni (4 %) 88 ( * ) . Cet effort passe par une gamme d'outils qui dépasse largement les prestations monétaires et en nature et les avantages fiscaux dédiés aux familles, qui représentaient ensemble 2,5 % du PIB, soit 60 milliards d'euros en 2015. Les seules dépenses de la branche famille représentent elles environ 50 milliards d'euros.

L'effet cumulé des mesures prises depuis 2012 est en 2017 une économie de 1,2 milliard d'euros pour la branche famille, ainsi que l'illustre le tableau ci-dessous, fourni à votre rapporteur par la direction de la sécurité sociale (DSS) :

Mesure

2012

2013

2014

2015

2016

2017

LFSS pour 2012 et mesures règlementaires intervenues en 2012 (en M€2011)

LFSS 2012

Décalage de la revalorisation de la BMAF
au 01/04

160

0

0

0

0

0

Sous indexation de la revalorisation
des plafonds

30

30

30

30

30

30

Sous indexation de la BMAF

270

270

270

270

270

270

Décret
du 4 mai 2012

Majoration de 30% du plafond de ressource
du CMG monoparent

- 10

- 15

- 15

- 15

- 15

- 15

Décret
du 27 juin 2012

Revalorisation de 25% de l'ARS

- 370

- 370

- 370

- 370

- 370

- 370

LFSS et LFI pour 2014 (en M€2013)

Plan de lutte
contre la pauvreté

Majoration de 50% du CF
en-deçà du seuil de pauvreté

- 70

- 160

- 245

- 330

Revalorisation de 25% de l'ASF

- 50

- 120

- 190

- 260

Aménagements
de la Paje

Modification du système de plafonds
pour la PAJE

20

50

75

90

AB de la PAJE à taux partiel

20

90

150

200

Gel du montant de l'AB de la PAJE

20

25

25

40

Gel du montant des primes

5

5

5

5

Suppression du CLCA majoré

5

50

100

110

Aménagements
de la fiscalité

Abaissement du plafond du quotient familial

1 016

980

940

920

LFSS pour 2015 (en M€2014)

Modulation des allocations familiales

380

760

760

Décalage du mois de versement de l'AB

45

45

45

Décalage date du versement des PN et PA

240

0

0

LFSS pour 2016 (en M€2014)

GIPA

Généralisation de la GIPA

- 10

- 15

Loi Erom (en M€ 2014)

Alignement du CF DOM sur CF métropole

- 5

Effet cumulé

460

300

1266

1885

1955

1475

Effet cumulé quinquennat

- 370

- 370

596

1215

1285

1190

Source : Réponses aux questionnaires budgétaires

Si l'on ajoute les mesures prévues par la LFSS pour 2012 89 ( * ) modifiant les règles d'indexation des prestations familiales et des plafonds de ressources et la majoration du plafond de ressources du CMG pour les parents isolés prévu par le décret du 4 mai 2012 90 ( * ) , le montant des économies atteint 1,48 milliard d'euros en 2017.

Néanmoins, au cours des dernières années, la volonté de réduire le déficit de la branche famille a conduit à restreindre substantiellement l'effort collectif en faveur des familles. Cette restriction est passée à la fois par une réduction des avantages fiscaux et des prestations monétaires dont bénéficient les ménages les plus aisés et par une série d'ajustements touchant des prestations déjà sous conditions de ressources. Le présent PLFSS s'inscrit au demeurant dans la continuité de ces mesures d'économies alors même que la branche famille renoue avec des excédents substantiels.

b) Un déclin de la natalité

Les efforts demandés aux familles pour réduire le déficit de la branche et participer au redressement global des comptes sociaux sont d'autant plus préoccupants qu'ils s'inscrivent dans un contexte de baisse de la natalité observée depuis 2010 et qui s'est accentuée à partir de 2014.

Avec aussi peu de recul, la baisse du nombre de naissance ne peut être imputée aux mesures qui ont touché les prestations familiales. En effet, la baisse du nombre de naissances s'explique en partie par une baisse du nombre de femmes en âge de procréer (le nombre de femmes âgées de 20 à 40 ans est passé de 9,2 millions en 1996 à 8,4 millions en 2016). Toutefois, la baisse de la natalité s'accompagne d'une baisse de l'indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) 91 ( * ) qui avait nettement progressé au cours des années 2000. L'ICF s'établissait en 2016 à 1,93 enfant par femme.

Champ : France hors Mayotte jusqu'en 2014 et y compris Mayotte à partir de 2014.

Projection pour 2017 : calcul du rapporteur sur la base des naissances recensées entre janvier et août.

Bien que l'ICF des femmes françaises demeure le plus élevé d'Europe et nettement au-dessus de la moyenne de l'Union européenne (1,58), il est passé sous le seuil de renouvellement des générations (deux enfants par femme) et est nettement inférieur au nombre d'enfants souhaité par les familles, estimé par l'Union nationale des associations familiales (Unaf) à 2,39 en moyenne 92 ( * ) .

Cette dégradation de la fécondité ne peut qu'interpeller tant le dynamisme démographique est un déterminant de l'activité économique mais également de la soutenabilité de notre système de retraites.

2. Remise en cause de l'universalité et orientation vers la lutte contre la pauvreté
a) Une remise en cause de l'universalité de la politique familiale

Le premier objectif fixé à la politique familiale est la compensation de la charge liée à la présence d'un enfant.

Cet objectif est sous-tendu par une logique de solidarité horizontale, des célibataires et des couples sans enfant vers les familles. Dans cette logique, la compensation ne tient pas compte des ressources du foyer mais seulement du coût supporté au titre de l'enfant, à l'instar du remboursement des frais de santé par l'assurance maladie.

La modulation des allocations familiales a entraîné une réduction importante des prestations versées aux familles situées dans le haut de l'échelle des revenus, au point que, pour certaines familles, le maintien d'une aide relève davantage du symbole que d'une réelle prestation d'entretien. Les familles en question ont par ailleurs été concernées par le double abaissement du plafond du quotient familial en 2013 et 2014.

En tendant vers la suppression des aides publiques pour les familles des derniers déciles de revenu 93 ( * ) , ces évolutions s'inscrivent à rebours du principe d'universalité et subordonnent les aides aux familles à la notion de besoin. Il s'agit là d'une transformation majeure, qui exigerait un débat public. Or, elle semble se faire au contraire de manière empirique, dictée avant tout par des considérations d'ordre budgétaire.

Au moment de l'examen du projet de loi de finances pour 2014, le choix d'abaisser une nouvelle fois le plafond du quotient familial avait été présenté comme une alternative à la modulation des allocations familiales, que la majorité de l'époque avait écartée conformément à un engagement de campagne du Président de la République 94 ( * ) . Un an plus tard, alors que cette mesure était finalement introduite par voie d'amendement déposé en séance publique à l'Assemblée nationale sur le PLFSS pour 2015, la majorité se défendait de porter atteinte au principe d'universalité, arguant du maintien d'un montant d'allocation pour toutes les familles de deux enfants et plus.

Cette remise en cause de l'uniformité des allocations familiales a pourtant ouvert la voie à une remise en cause de leur universalité, ainsi que le craignait notre ancienne collègue Caroline Cayeux dans son rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur le PLFSS pour 2015 95 ( * ) . Ainsi, peu avant le dépôt du présent PLFSS, un débat s'est ouvert sur le maintien des allocations familiales pour les familles aisées, au motif que les montants qu'elles perçoivent étaient devenus purement symboliques et qu'il ne serait pas légitime de les aider 96 ( * ) .

b) L'accent mis sur la lutte contre la pauvreté

Outre la nécessité de réduire le déficit de la branche, les mesures prises au cours du dernier quinquennat ont été justifiées par la volonté de faire des prestations familiales un outil de lutte contre la pauvreté.

Ainsi que le souligne la Cour des comptes, les mesures prises au cours du dernier quinquennat ont conduit à un transfert massif du haut vers le bas de l'échelle des revenus.

Montant moyen des prestations monétaires
et de l'effet du quotient familial par enfant avant
et suite aux réformes à l'issue de leur montée en charge
(par décile de niveau de vie initial)

Source : Cour des comptes RALFSS 2017

L'aplanissement de la courbe « en U » 97 ( * ) qui caractérisait traditionnellement la politique familiale qui résulte des mesures prises depuis 2012 semble pertinent dans une logique de ciblage des aides sur les familles qui en ont le plus besoin, conformément à l'objectif d'aider « davantage les familles vulnérables ».

Toutefois, outre que les efforts demandés aux familles aisées n'ont pas intégralement été redistribués aux familles modestes, l'aplanissement de la courbe « en U » résulte également de mesures touchant des prestations sous condition de ressources et pesant donc sur les familles des classes moyennes.

En outre, si la lutte contre la pauvreté des familles, et donc des enfants, est un objectif qui ne fait pas débat, une transformation de la politique familiale en instrument de lutte contre la pauvreté conduisant à aider principalement , voire uniquement les familles « vulnérables », au détriment de celles qui ne sont pas touchées par le risque de pauvreté, constituerait une remise en cause des fondements de la politique familiale française.

c) Une évolution préoccupante

La remise en cause de l'universalité de la politique familiale et sa concentration sur la lutte contre la pauvreté constituent une évolution préoccupante.

Premièrement, on peut s'interroger sur l'acceptabilité sociale et politique d'une politique familiale qui exclurait de ses principaux contributeurs et qui tendrait à traiter de la même manière, à niveau de revenu identique, un ménage sans enfant et une famille.

Deuxièmement, la remise en cause de l'universalité de la politique familiale est inquiétante en ce qu'une même logique pourrait être étendue à d'autres branches de la sécurité sociale, voire pour conditionner l'accès aux services publics.

En effet, une logique de lutte contre la pauvreté pourrait conduire à moduler les remboursements de frais médicaux en fonction de la capacité qu'ont les assurés à y faire face. En extrapolant, dans la mesure où certaines familles ont les moyens de recourir à l'enseignement privé, on peut imaginer que la gratuité de l'école publique soit remise en cause.

Votre rapporteur est conscient que de telles évolutions ne sont pas à l'ordre du jour. Il convient néanmoins de se souvenir qu'en quelques années, la remise en cause de l'universalité des allocations familiales est passée du statut de tabou à celui de piste étudiée par le Gouvernement.


* 87 Dans la définition retenue par l'OCDE, les dépenses publiques consacrées aux familles couvrent l'accueil du jeune enfant jusqu'à six ans, et donc l'école maternelle, les prestations légales et extra-légales, les dispositifs fiscaux (quotient familial, régime d'imposition des assistants maternels...), le supplément familial de traitement des fonctionnaires, une partie des dépenses d'aide sociale à l'enfance, les bourses accordées aux collégiens et lycéens, les indemnités journalières versées au titre du congé maternité ainsi que les composantes familiales d'autres prestations sociales (RSA, allocations logement).

* 88 Selon la définition plus restrictive retenue par Eurostat, la France se situe en milieu de tableaux avec une dépense équivalente à 2,5 % du PIB.

* 89 Loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012.

* 90 Décret n° 2012-666 du 4 mai 2012 relatif au complément de libre choix du mode de garde pour les familles monoparentales et les familles dont l'un des parents perçoit l'allocation aux adultes handicapés.

* 91 L'indicateur conjoncturel de fécondité est la somme des taux de fécondité par âge d'une année. Il peut être interprété comme le nombre moyen d'enfants que mettrait au monde une femme si elle connaissait, durant toute sa vie féconde, les conditions de fécondité observées cette année-là (source : Ined).

* 92 Cette estimation s'appuie sur une étude Eurobaromètre de 2011.

* 93 En dehors des aides à la garde d'enfant.

* 94 En mars 2012, François Hollande déclarait devant les représentants de l'Union nationale des associations familiales : « Je reste très attaché à l'universalité des allocations familiales qui sont aussi un moyen d'élargir la reconnaissance nationale à toute la diversité des formes familiales. Elles ne seront donc pas soumises à conditions de ressources ».

* 95 Sénat, commission des affaires sociales, rapport n° 83 (2014-2015), tome IV.

* 96 Notre collègue député Olivier Véran, rapporteur général de la commission des affaires sociales, s'est ainsi demandé « s'il reste économiquement pertinent d'accorder des allocations familiales aux familles les plus riches » (Le Figaro, 28 septembre 2017), alors que M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie estimait que « quand on a un niveau de revenu élevé, on n'a pas forcément besoin des allocations familiales » (CNews, 3 octobre 2017).

* 97 Cette courbe fait l'hypothèse que le quotient familial constitue une aide fiscal, qui croît par définition avec le revenu imposable, et non comme une simple modalité de calcul de l'impôt.

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