C. LES MODALITÉS D'ORGANISATION DE LA RÉTENTION ADMINISTRATIVE ET LA SITUATION PARTICULIÈRE DES MINEURS

Les modalités d'organisation de la rétention administrative et la situation particulière des mineurs constituent également des sujets de désaccord profond avec l'Assemblée nationale, qui n'a pas souhaité reprendre les mesures d'efficacité et de responsabilité du Sénat.

1. L'organisation de la rétention : un dispositif moins efficace que celui du Sénat

Regrettant que le Gouvernement n'ait en rien démontré l'utilité concrète de l'allongement de la durée maximale de rétention proposé par le projet de loi ( article 16 ), le Sénat avait refusé de se contenter d'une mesure d'affichage qui ne s'attaquait pas à la cause profonde des taux dérisoires d'éloignement (la mauvaise volonté des pays tiers pour accueillir leurs ressortissants et leur délivrer des laissez-passer consulaires) et qui risquait d'être extrêmement coûteuse humainement et financièrement (en raison des nouvelles places à créer et des aménagements à effectuer dans des centres totalement inadaptés à de longs séjours) ; il avait donc souhaité en première lecture simplifier le séquençage de la rétention (intervention du juge des libertés et de la détention - JLD - au 5 e jour, puis au 45 e jour en cas d'étrangers se livrant à des manoeuvres dilatoires, tout en conservant le régime dérogatoire plus long pour ceux liés à des activités terroristes).

Séquençage de la rétention administrative (en jours)

Source : commission des lois du Sénat

Les députés ont rétabli leur texte de première lecture pour cet article, en maintenant la durée actuelle de la première phase administrative de rétention à 48 heures (délai pourtant bien trop court pour permettre aux services concernés de traiter dans de bonnes conditions les procédures dont ils ont la charge) et en multipliant et en complexifiant désormais les interventions du JLD (qui pourra être appelé à statuer jusqu'à quatre reprises sur la situation d'un même retenu). Ils ont également supprimé la possibilité de placer en rétention un étranger sous statut « Dublin » qui refuserait une prise d'empreintes digitales , altèrerait volontairement ces dernières ou dissimulerait des éléments de son parcours ou de sa situation.

Plus globalement, votre rapporteur rappelle que le Gouvernement n'a pas tiré les conséquences budgétaires de l'augmentation de la durée de rétention. À titre d'exemple, le budget de fonctionnement hôtelier des centres de rétention administrative prévu pour l'année 2018 (26,30 millions d'euros) est plus faible que l'exécution constatée en 2016 (27,09 millions d'euros) 24 ( * ) .

Enfin, l'Assemblée nationale n'a pas souhaité faciliter les enquêtes administratives concernant les personnes extérieures accédant aux centres de rétention administrative (article 16 ter ) , considérant même que cette disposition était dénuée « d'intérêt manifeste » 25 ( * ) . Ces lieux sont pourtant particulièrement sensibles sur le plan de la sécurité et mériteraient la plus grande vigilance.

2. La rétention des mineurs : un dispositif beaucoup moins protecteur que celui du Sénat

En première lecture, le Sénat a strictement encadré la rétention des mineurs afin d'éviter toute dérive. Comme l'a déclaré votre rapporteur à la tribune, « ni le Gouvernement ni les parlementaires de la majorité à l'Assemblée nationale n'ont eu le courage de traiter la situation des mineurs placés en centre de rétention avec leur famille, ouvrant même la possibilité de les retenir trois mois, dans des lieux totalement inadaptés » 26 ( * ) .

Aussi, le Sénat a-t-il adopté deux mesures protectrices concernant la rétention des mineurs, qui permettraient de :

- rappeler plus clairement l'interdiction du placement en rétention des mineurs non accompagnés (article 15 ter ) ;

- limiter à cinq jours la durée maximale de rétention des mineurs accompagnant leur famille (article 15 quater ) , contre quarante-cinq jours aujourd'hui et quatre-vingt-dix jours dans le texte adopté par l'Assemblée nationale.

À l'initiative de Mme Élise Fajgeles, rapporteure, et de M. Erwan Balanant (MODEM), nos collègues députés ont toutefois supprimé cette seconde mesure. L'article adopté par le Sénat constituerait selon eux une « fausse bonne idée » et devrait être « travaillé plus précisément, notamment en tenant compte des avancées permises dans le présent projet de loi, à Mayotte comme sur le reste du territoire national » 27 ( * ) .

Ce faisant, nos collègues députés ont autorisé l'administration à maintenir des mineurs accompagnants en rétention pendant quatre-vingt-dix jours , alors même que le contrôleur général des lieux de privation de liberté a mis en exergue les difficultés rencontrées 28 ( * ) .

Certes, le groupe majoritaire de l'Assemblée nationale a annoncé le dépôt, dans les prochains mois, d'une proposition de loi relative à l'encadrement de la rétention des mineurs.

Néanmoins, rien n'indique que ce texte sera effectivement inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Dans l'attente, avec le texte tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, l'administration serait autorisée à multiplier le placement en rétention de mineurs accompagnants et à en augmenter la durée.


* 24 Voir, pour plus de précisions, l'avis budgétaire n° 114 (2017-2018) précité, p. 41.

* 25 Source : objet de l'amendement de notre collègue députée Élise Fajgeles, adopté en nouvelle lecture par la commission des lois de l'Assemblée nationale.

* 26 Compte rendu intégral de la séance du 19 juin 2018.

* 27 Source : objet de l'amendement de notre collègue députée Élise Fajgeles, adopté en nouvelle lecture par la commission des lois de l'Assemblée nationale.

* 28 Avis relatif à l'enfermement des enfants en centres de rétention administrative, 14 juin 2018. Cet avis est consultable à l'adresse suivante :

www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2018/06/joe_20180614_0135_0057.pdf .

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