D. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 29 ( * ) , votre rapporteur s'était sérieusement inquiété des crédits alloués à la lutte contre l'immigration irrégulière , qui s'établissaient à 82,6 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une baisse de 7,2 % par rapport à la loi de finances pour 2017 et de 6,5 % par rapport à l'exécution 2016 30 ( * ) .

Près d'un an plus tard, votre rapporteur s'interroge cette fois-ci sur les moyens juridiques mis en oeuvre pour éloigner les étrangers en situation irrégulière. Nos collègues députés ont en effet refusé de donner de nouveaux outils à l'administration, alors que le Sénat proposait des mesures à la fois fermes et cohérentes comprenant notamment :

- la réduction du nombre de visas délivrés aux ressortissants des pays les moins coopératifs, qui font échec aux procédures d'éloignement en refusant de transmettre les laissez-passer consulaires (article 11 A) ;

- la possibilité de relever les empreintes digitales des personnes faisant l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire français ( article 10 ter ) ;

- le renforcement de l'effectivité des obligations de quitter le territoire français ( OQTF ), en réduisant de 30 à 7 jours le délai de départ volontaire (article 11 bis ) et en ajoutant comme critère d'éloignement la volonté délibérée d'empêcher l'enregistrement de ses empreintes digitales (article 11) ;

- l'accroissement de trois à cinq ans de la durée maximale de l'interdiction administrative de retour sur le territoire français , conformément au droit européen 31 ( * ) (même article 11) ;

- la lutte contre les mariages frauduleux (ou « mariages gris »), qui constituent un véritable détournement de notre droit au séjour ( articles 30 bis et 30 ter ).

Le Conseil constitutionnel ayant, par une récente décision 32 ( * ) , partiellement censuré, avec effet différé dans le temps, certaines dispositions relatives au délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger, les députés ont, pour y répondre, rétabli leur texte de première lecture au bénéfice d'une précision rédactionnelle introduite en séance ( article 19 ter ) .

En outre, l'Assemblée nationale est revenue sur l'ensemble des apports du Sénat à la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen , quatre mois seulement après sa promulgation (articles 7 bis , 16 et 17 ter ) .

Comme en première lecture, votre rapporteur regrette cette posture de nos collègues députés et rappelle les difficultés rencontrées dans l'application du règlement européen « Dublin III » du 26 juin 2013 33 ( * ) : sur 25 963 procédures engagées en 2016, seules 1 320 ont abouti à un transfert effectif des intéressés vers l'État responsable de leur demande d'asile.

L'Assemblée nationale a également supprimé l'article 15 bis , tendant à garantir que les caisses de sécurité sociale soient informées des mesures d'éloignement prononcées par les préfets. De fait, les caisses de sécurité sociale ne sont actuellement pas en mesure d'appliquer l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale, qui subordonne le versement des prestations sociales à la régularité du séjour des intéressés.

De même, nos collègues députés n'ont pas conditionné la réduction tarifaire dans les transports publics à la régularité du séjour (article 10 AB) , renvoyant ce débat au prochain projet de loi relatif aux mobilités.

Enfin, votre rapporteur regrette que l'Assemblée nationale ait supprimé l'élargissement du champ d'application de la peine d'interdiction judiciaire du territoire français et la systématisation de son prononcé 34 ( * ) (article 19 bis ) , en contradiction flagrante avec les engagements du Président de la République 35 ( * ) . Nos collègues députés n'ont pas non plus conservé l'obligation pour le préfet de retirer la carte de séjour des individus constituant une menace pour l'ordre public (article 28 A) .


* 29 Devenu la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

* 30 Voir, pour plus de précisions, l'avis budgétaire n° 114 (2017-2018) précité, p. 30.

* 31 Article 11 de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

* 32 Par sa décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, M. Cédric H. et autre [Délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger], le Conseil constitutionnel a :

- reconnu pour la première fois valeur constitutionnelle au principe de fraternité ( il en découle « la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ») ;

- jugé en conséquence que les exemptions humanitaires, qui existent déjà concernant le délit d'aide au séjour irrégulier, doivent être étendues à l'aide à la circulation (mais restent exclues concernant l'aide à l'entrée) ;

- et estimé que ces exemptions humanitaires ne peuvent être limitées aux seuls actes énumérés par le droit en vigueur, mais doivent s'étendre à tout autre acte d'aide apportée dans un but humanitaire.

* 33 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

* 34 Concrètement, le texte adopté par le Sénat prévoyait de systématiser la peine d'interdiction judiciaire du territoire, sauf décision spéciale et motivée de la juridiction de jugement, pour les délits commis en état de récidive légale et pour les crimes.

* 35 Le Président de la République ayant notamment marqué sa volonté d'expulser l'ensemble des étrangers en situation irrégulière ayant commis un délit (intervention télévisée du 15 octobre 2017).

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