C. LE RENFORCEMENT DES POUVOIRS D'ENQUÊTE DANS LA PROCÉDURE PÉNALE, AVEC DES GARANTIES INSUFFISANTES POUR LES LIBERTÉS

Le projet de loi comporte une grande diversité de mesures en matière de procédure pénale.

Dans le cadre des enquêtes, les dispositions proposées contribuent à une banalisation des atteintes aux libertés individuelles par un recours accru à des techniques plus intrusives dans la vie privée (géolocalisation, enquête sous pseudonyme, interceptions judiciaires, sonorisation, IMSI-catcher , keylogger ...), sans exiger nécessairement l'autorisation préalable d'une autorité judiciaire au sens de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au nom de la simplification de la procédure pénale ( articles 27 à 29 ).

Une telle évolution traduirait une réduction nette des garanties pour les libertés individuelles, car elle engloberait de très nombreux délits. Seraient en effet concernés, selon les cas, les délits punis de seulement trois ou cinq ans d'emprisonnement. Ces techniques d'enquête sont réservées jusqu'à présent à la lutte contre la criminalité organisée ou le terrorisme. En pratique, les services d'enquête auraient à leur disposition des techniques d'enquête de plus en plus attentatoires aux libertés, dont ils pourraient prendre l'initiative, avec l'accord du parquet, lequel peine à toujours assurer pleinement la direction de la police judiciaire et le contrôle des enquêtes, ou bien par le juge des libertés et de la détention, qui ne dispose pas des moyens humains et matériels pour constituer une garantie de contrôle à la hauteur des atteintes portées aux droits et libertés.

Le projet de loi prévoit aussi d'étendre les pouvoirs des enquêteurs ( article 32 ), sans que soient toujours prévues des garanties suffisantes : extension de la durée de l'enquête de flagrance, extension des possibilités de perquisition à la plupart des délits et possibilité de pénétrer dans un domicile hors du cadre de la perquisition.

Le texte comporte plusieurs mesures d'ajustement en matière de garde à vue, mais la présentation au procureur deviendrait facultative pour une prolongation de garde à vue ( article 31 ), alors qu'elle est obligatoire à ce jour, ce qui suscite d'importantes réserves.

Vos rapporteurs s'interrogent sur l'équilibre de la procédure pénale qui résulterait de ces modifications. Une telle évolution n'est pas sans soulever des interrogations de nature constitutionnelle, concernant certaines dispositions. S'ils approuvent l'affirmation du rôle du parquet et l'amélioration de l'efficacité des enquêtes, vos rapporteurs considèrent que cela ne saurait conduire à renoncer aux garanties procédurales permettant de protéger les libertés. L'équilibre doit être préservé entre l'efficacité dans la recherche des auteurs d'infraction et la garantie des libertés, ainsi que des droits de la défense.

Le projet de loi tend aussi à supprimer l'accord de la personne mise en cause pour pouvoir recourir à la visioconférence en matière de détention provisoire ( article 35 ), alors que la culpabilité n'est pas encore démontrée. Il crée aussi un nouveau dispositif innovant de comparution à effet différé ( article 39 ), dérivé de la comparution immédiate et reposant sur l'idée d'une saisine différée du tribunal, à l'appréciation du parquet. Cette procédure est justifiée par la difficulté réelle des délais de réponse pour certains examens techniques ou médicaux, mais elle pourrait favoriser la détention provisoire, qui serait possible dans l'attente de la comparution, sans compter le risque de contournement du juge d'instruction.

Le projet de loi concourrait également à une marginalisation accrue du juge d'instruction, au profit du binôme formé par le procureur et le juge des libertés et de la détention, compte tenu du renforcement évoqué plus haut des prérogatives du parquet et des services d'enquête eux-mêmes, qui n'auraient plus besoin de l'ouverture d'une information judiciaire pour réaliser certains actes d'enquête plus lourds. Or, vos rapporteurs observent que le rôle effectif de direction des enquêtes par le parquet est insuffisant, compte tenu de la charge de travail des magistrats du parquet, et que le rôle d'autorisation du juge des libertés et de la détention est en pratique extrêmement formel.

L'extension du champ de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à des délits plus lourdement sanctionnés ainsi que l'extension du champ de la composition pénale, assortie de la suppression de sa validation par un juge ( article 38 ), participent de ce même accroissement des prérogatives du parquet dans le fonctionnement de la justice pénale.

De telles évolutions sur le rôle et la place du parquet justifieraient un débat de fond sur le système pénal français pour les infractions les plus graves, plutôt que des modifications ponctuelles changeant peu à peu sa nature, entre une logique inquisitoire et une logique accusatoire. Vos rapporteurs estiment, pour leur part, que le juge d'instruction garde pleinement sa place dans notre système judiciaire, pour le traitement des affaires complexes, de sorte qu'un équilibre doit être conservé entre son rôle et celui du parquet. Au demeurant, la révision constitutionnelle destinée à garantir l'indépendance statutaire du parquet n'a toujours pas été adoptée.

Une certaine confusion existe entre l'objectif légitime de simplification de la procédure pénale, dans le souci souvent d'alléger les tâches des services d'enquête, et la réduction des garanties pour les libertés, sans certitude sur le fait que ces mesures se traduisent par de réels gains d'efficacité pour les enquêtes.

Par ailleurs, le projet de loi étend le mécanisme de l'amende forfaitaire délictuelle aux délits de vente d'alcool à des mineurs, d'usage de stupéfiants et de violation des règles relatives au chronotachygraphe en matière de transport routier ( article 37 ), sur le modèle de l'amende forfaitaire pour certains délits routiers prévue par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle, dans un objectif de simplification et d'allégement du traitement de ces infractions. De plus, l'amende forfaitaire serait mentionnée au casier judiciaire, ce qui changerait sa nature. Or, vos rapporteurs signalent que le dispositif de l'amende forfaitaire pour les délits routiers n'est toujours pas opérationnel à ce jour, plus d'un an et demi après la promulgation de la loi du 18 novembre 2016. Ces dispositions n'ont toutefois pas soulevé d'objection notable, si ce n'est que la sanction pourrait en pratique être plus lourde et moins individualisée, puisque le délit d'usage de stupéfiants est souvent traité par des mesures alternatives aux poursuites.

Afin de désengorger les cours d'assises, caractérisées par de très longs délais d'audiencement et une lourdeur de gestion pour les juridictions, et de remédier au pis-aller de la correctionnalisation de certains crimes qui en résulte, le projet de loi envisage, de façon intéressante, d'expérimenter une formule de tribunal criminel départemental, pour juger les crimes punis au plus de quinze ou vingt ans de réclusion sans récidive ( article 42 ). Vos rapporteurs approuvent le choix de l'expérimentation. En effet, leurs auditions ont montré qu'un tel tribunal, qui ne comporterait plus de jurés populaires, mais serait composé de cinq magistrats, dont au moins trois en activité, peut avoir des effets positifs mais suscite également des interrogations que l'expérimentation devrait permettre de lever. Le fait que la cour d'assises d'appel resterait compétente dans le cadre de cette expérimentation accroît les incertitudes, car cela pourrait inciter à davantage d'appels, de façon à être jugé par un jury populaire.

Par ailleurs, le texte ouvre utilement la possibilité pour le parquet de prononcer une interdiction de paraître dans certains lieux, dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites ( article 38 ). Il permet également le dépôt d'une plainte en ligne ( article 26 ) pour certaines infractions énumérées par décret pour lesquelles cette modalité serait adaptée, par exemple l'escroquerie en ligne.

S'agissant de l'appel en matière pénale, le texte ouvre la possibilité pour la personne condamnée en première instance de restreindre la portée de son appel à la peine prononcée ou à ses modalités ( article 41 ), reprenant une disposition de la proposition de loi adoptée par le Sénat, et étend le champ de compétence du juge unique en appel ( articles 40 et 41 ).

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