AVANT-PROPOS

Madame, Monsieur,

Face aux inquiétudes de nos concitoyens en matière de santé publique et d'environnement, les élus locaux sont désormais en première ligne. Régulièrement interpellés sur ces sujets, ils ne disposent cependant pas toujours des éléments techniques et des outils nécessaires pour y répondre.

Les interrogations relatives aux risques sanitaires et environnementaux liés à la présence de granulats de pneumatiques usagés dans certains terrains de sport et aires de jeux, relayés par plusieurs médias et associations, s'inscrivent dans ce contexte d'une élévation générale du niveau de sensibilité de la société civile aux problématiques de santé liées à l'environnement.

Sans céder aux postures alarmistes, ni méconnaître la légitimité des préoccupations exprimées, il est indispensable de fonder les décisions publiques sur un diagnostic clair et objectif des risques liés à la présence de produits chimiques dans les usages et les pratiques du quotidien.

À partir d'une première note d'appui technique publiée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail à l'été 2018, la présente proposition de loi vise ainsi à aiguillonner les pouvoirs publics, pour s'assurer que des suites concrètes seront données aux recommandations qui ont été formulées.

Ces actions complémentaires devront permettre d'améliorer l'état des connaissances sur la nature et l'importance des risques et de proposer des solutions en matière de prévention.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. L'UTILISATION DE GRANULATS DE PNEUS DANS LES TERRAINS SYNTHÉTIQUES APPELLE DES ACTIONS COMPLÉMENTAIRES EN MATIÈRE DE RECHERCHE ET DE PRÉVENTION DES RISQUES

A. LA VALORISATION DE PNEUMATIQUES USAGÉS SOUS FORME DE GRANULATS DANS LES TERRAINS DE SPORT SYNTHÉTIQUES ET D'AUTRES USAGES SIMILAIRES SUSCITE DES INQUIÉTUDES D'ORDRE SANITAIRE ET ENVIRONNEMENTAL

1. Une partie des pneumatiques usagés sont valorisés sous forme de granulats, employés dans des terrains de sport et d'autres usages similaires

Depuis 2003, les producteurs de pneumatiques sont soumis à l'obligation d'organiser la collecte et le traitement des pneus usagés dans le cadre d'une filière à responsabilité élargie du producteur (« filière REP »), en application de l'article L. 541-10-8 du code de l'environnement. La majorité des producteurs ont recours à deux éco-organismes, Aliapur et le GIE FRP, chargés d'organiser la collecte et le traitement pour le compte de leurs adhérents, en ayant recours à des prestataires de collecte et de traitement.

Sans être classés comme déchets dangereux, les déchets de pneumatiques présentent en effet des enjeux environnementaux et sanitaires , notamment en raison de risques d'incendie, de dégagement de produits toxiques et d'hébergement de moustiques porteurs de maladies en cas de décharges sauvages.

L'article R. 543-140 du code de l'environnement établit une hiérarchie des modes de traitement des pneus usagés en privilégiant d'abord la préparation en vue de la réutilisation, puis le recyclage, et enfin les autres modes de valorisation, notamment énergétique.

Selon les données du ministère de la transition écologique et solidaire, environ 504 000 tonnes de pneus ont été mises sur le marché, importées ou fabriquées en 2016, le taux de collecte étant proche de 100 %. Les principaux modes de valorisation sont la valorisation énergétique en cimenterie (44 %), suivie par la valorisation matière sous forme de granulation (24 %) et la vente en occasion (14 %).

La granulation consiste à broyer la gomme des pneus, en vue d'obtenir des granulats d'un calibre déterminé par leur destination (de 0,8 à 20 millimètres) : gazons synthétiques, aires de jeux, sols sportifs ou équestres, objets moulés, bétons, écrans acoustiques. Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants d'Aliapur, principal éco-organisme de la filière, ont indiqué qu'environ 30 000 tonnes de granulats sont produits par an pour la réalisation de terrains synthétiques, soit environ 10 % du volume des pneus collectés par l'organisme. Cette matière est produite par des acteurs spécialisés dans la granulation, qui la vendent ensuite aux sous-traitants des fabricants de terrains.

Concrètement, les granulats sont utilisés comme couche d'amortissement des gazons synthétiques, ou comme sous couche pour les aires de jeux. Trois types de granulats peuvent être utilisés : les granulats de pneus, dits SBR (styrene-butadiene rubber), les granulats EPDM (éthylène-propylène-diène monomère) ou les granulats TPE (élastomère thermoplastique). Le schéma ci-dessous illustre l'utilisation des granulats pour un terrain en gazon synthétique.

SCHÉMA EN COUPE D'UN TERRAIN EN GAZON SYNTHÉTIQUE

Source : ANSES, à partir de Judille, 2015.

Selon les études, on dénombre en 2017 entre 2 500 et 3 000 terrains synthétiques , avec en moyenne 180 nouveaux terrains de football installés par an. Malgré ce rythme de création, moins de 10 % des terrains de football existants sont en gazon synthétique, les 90 % restants étant en gazon naturel. La réalisation d'un terrain de grands jeux nécessite environ 120 tonnes de granulats de pneus , auxquelles s'ajoutent une à deux tonnes par an pour le rechargement du terrain, compte tenu de la dispersion d'une partie des granulats liée à son utilisation.

Le développement de terrains synthétiques s'explique essentiellement par des avantages en termes d'intensité d'utilisation, de disponibilité pendant l'année et d'amortissement . Sur le plan financier, la comparaison avec un terrain naturel reste plus incertaine : si les dépenses d'entretien sont moindres, les investissements initiaux sont plus élevés. Par ailleurs, un terrain synthétique doit être remplacé tous les 10 à 15 ans. Sur ce dernier point, plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont soulevé la question du recyclage des terrains synthétiques pour lequel les solutions disponibles resteraient limitées.

2. Cette utilisation a récemment suscité des inquiétudes quant à l'existence éventuelle de risques sanitaires ou environnementaux

Malgré la variabilité de leur composition, liée à l'origine géographique et à l'ancienneté des pneus 1 ( * ) , les granulats de pneus comprennent essentiellement les substances suivantes, selon la revue effectuée par l'ANSES en 2018 :

- des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ;

- des benzothiazoles ;

- des phtalates ;

- des métaux (tels que le plomb, le zinc, le cuivre, le cadmium, le nickel etc...) ;

- des phénols ;

- des BTX (benzène-toluène-xylène) ;

- des polychlorobiphényles (PCB), les dioxines (PCDD et PCDF) ;

- des composés organiques volatils (COV) ou d'autres composés organiques semi-volatils ;

- et des substances spécifiques, telles que la 1,3-diphénylguanidine, l'aniline, le formaldéhyde, la N-1,3-diméthylbutyl-N'-phényl-p-phénylènediamine...

Compte tenu de la dangerosité de plusieurs de ces substances , notamment les HAP, les métaux lourds, les phtalates et les phénols, des sportifs professionnels ou amateurs utilisant des terrains synthétiques et des parents d'enfants fréquentant des aires de jeux ont fait part ces dernières années d'inquiétudes quant à l'impact sanitaire et environnemental de l'emploi de granulats de pneus.

Une première alerte a été lancée aux États-Unis par l'entraîneuse Amy Griffin, qui a constaté une augmentation du nombre de leucémies et de lymphomes chez les joueurs de football utilisant des terrains synthétiques, notamment les gardiens de but, et qui a effectué un recensement des cas identifiés à partir de 2013. En France, cette préoccupation a émergé au cours de l'année 2017, et a été relayée par des associations et des médias généralistes ou spécialisés.


* 1 Il a notamment été indiqué à votre rapporteur que la teneur en HAP des pneus européens avait fortement diminué à partir de 2010, en raison de la suppression de certaines huiles dans la composition des pneus.

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