B. L'ÂGE D'ÉLIGIBILITÉ, L'UNE DES SPÉCIFICITÉS DES ÉLECTIONS SÉNATORIALES

1. Un âge d'éligibilité plus élevé que celui des députés
a) L'état du droit

Conformément à l'article L.O. 296 du code électoral, « nul ne peut être élu au Sénat s'il n'est âgé de vingt-quatre ans révolus » 16 ( * ) .

Outre le Sénat, seul le Congrès de Nouvelle-Calédonie présente un seuil d'éligibilité supérieur à 18 ans : pour y être élus, les citoyens doivent avoir 21 ans 17 ( * ) .

À l'inverse, les majeurs de 18 ans sont éligibles aux élections locales et, depuis 2011, à l'élection présidentielle, aux élections législatives et aux élections européennes .

Seuils d'éligibilité applicables aux différentes élections

Élections

Seuils d'éligibilité

Bases juridiques

Remarques

Présidentielle

18 ans

Art. 3 de la loi n° 62-1292
du 6 novembre 1962 relative
à l'élection du Président de la République au suffrage universel

Seuils abaissés de 23 à 18 ans
par la loi organique n° 2011-410 du 14 avril 2011 relative à l'élection des députés
et des sénateurs

Législatives

18 ans

Art. L.O. 127 du code électoral

Européennes

18 ans

Art. 5 de la loi n° 77-729
du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen

Sénatoriales

24 ans

Art. L.O. 296 du code électoral

Voir l'historique ci-dessous

Départementales

18 ans

Art. L. 194 du code électoral

Seuils abaissés de 23 à 18 ans
par la loi n° 2000-295 du 5 avril 2000 relative
à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives
et à leurs conditions d'exercice

Régionales

18 ans

Art. L. 339 du code électoral

Municipales

18 ans

Art. L. 228

Seuil abaissé de 23 à 18 ans par la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 modifiant le code électoral et le code des communes et relative
à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales 18 ( * )

Congrès de Nouvelle-Calédonie

21 ans

Art. 194 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative
à la Nouvelle-Calédonie

Source : commission des lois du Sénat

Juridiquement, le Conseil constitutionnel a admis à deux reprises cette différence concernant l'âge d'éligibilité dans les deux assemblées 19 ( * ) .

En conséquence, un élu local âgé de moins de 24 ans peut faire partie du corps électoral des élections sénatoriales mais ne peut pas s'y présenter.

b) L'évolution de l'âge d'éligibilité des sénateurs sous les différents régimes

Historiquement, l'âge d'éligibilité des sénateurs est plus élevé que celui des députés . Sous la III ème République, il fallait par exemple être âgé d'au moins 40 ans pour être sénateur et 25 ans pour être député.

Les deux principales exceptions sont la Restauration (1814-1830) et la Monarchie de Juillet (1830-1848). Toutefois, durant ces périodes, les membres de la Chambre de pairs étaient désignés par le Roi parmi les « chefs de famille » et étaient, en pratique, plus âgés que les députés.

Historique de l'âge d'éligibilité en France

Texte

Régime politique

Chambre basse

Chambre haute

Nom

Âge d'éligibilité

Nom

Âge d'éligibilité

Constitution
du 5 Fructidor An II (1795)

Directoire

Conseil
des Cinq Cents

30 ans

Conseil des Anciens

40 ans

Constitution
du 22 Frimaire An VIII (1799)

Consulat

Tribunat

25 ans

Sénat conservateur

40 ans 20 ( * )

Corps législatif

30 ans

Constitution
du 28 Floréal an XII (1804)

Empire

Tribunat

-

Sénat

18 ans pour les princes français, aucun seuil pour les autres membres

Corps législatif

Charte constitutionnelle
du 4 juin 1814

Restauration

Chambre des députés des départements

40 ans

Chambre des pairs

25 ans

(et 30 ans pour obtenir une voix délibérative)

Acte additionnel
aux Constitutions de l'Empire
du 22 avril 1815

Empire

(Cent-Jours)

Chambre des représentants

25 ans

Chambre des pairs

21 ans

(et 25 ans pour obtenir une voix délibérative)

Charte constitutionnelle
du 14 août 1830

Monarchie
de Juillet

Chambre des députés

30 ans

Chambre des pairs

25 ans

(et 30 ans pour obtenir une voix délibérative)

Constitution
du 4 novembre 1848

Deuxième République

Assemblée nationale législative

25 ans

-

(régime monocaméral)

Constitution
du 14 janvier 1852

Second Empire

Corps législatif

-

Sénat

-

Loi constitutionnelle
du 24 février 1875 relative
à l'organisation du Sénat

Troisième République

Chambre des députés

25 ans

Sénat

40 ans

Loi organique
du 30 novembre 1875
sur l'élection des députés

Loi n° 46-2151 du 5 octobre 1946 relative à l'élection des membres de l'Assemblée nationale

Quatrième République

Assemblée nationale

23 ans

Conseil de la République

35 ans

Loi n° 46-2383 du 27 octobre 1946 sur la composition
et l'élection du Conseil
de la République

Ordonnance n° 58-998
du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires

Cinquième République

Assemblée nationale

23 ans

Sénat

35 ans

Loi organique n° 2003-696
du 30 juillet 2003 portant réforme de la durée du mandat et de l'âge d'éligibilité
des sénateurs ainsi que
de la composition du Sénat

23 ans

30 ans

Loi organique n° 2011-410 du 14 avril 2011 relative à l'élection des députés et sénateurs

18 ans

24 ans

Source : commission des lois du Sénat

Aux XIX ème et XX ème siècles, cette différence concernant l'âge d'éligibilité des députés et des sénateurs ne fait pas réellement débat .

À titre d'exemple, ce sujet ne fait pas l'objet d'amendements lors de l'examen de la loi n° 46-2383 du 27 octobre 1946 21 ( * ) (IV ème République). Le député Pierre Hervé (Parti communiste) déclare simplement : « nous avons fait des concessions [concernant le Conseil de la République]. Il est élu pour six ans et renouvelable par moitié ; je crois même qu'une disposition prévoit que ses membres doivent être âgés d'au moins trente-cinq ans » 22 ( * ) .

Ce débat n'émerge qu'au début du XXI ème siècle : à l'initiative du Sénat, l'âge de ses membres est réduit de 35 à 30 ans en 2003 puis de 30 à 24 ans en 2011 .

Comme l'a écrit notre regretté collègue Jacques Larché, il s'agissait d'une « réforme symbolique de l'entreprise de rénovation du Sénat », qui « soulign[ait] la prise en compte de l'évolution de la société et témoign[ait] d'une volonté d'ouverture de la Haute Assemblée » 23 ( * ) .

2. Les raisons de cette particularité sénatoriale

Au moins trois raisons permettent d'expliquer l'existence d'un âge d'éligibilité plus élevé pour les sénateurs : un compromis initial pour concilier évolution du régime et pacification sociale, la perception de l'âge comme un facteur de modération et la valorisation des expériences locales.

a) Un compromis initial pour concilier évolution du régime et pacification sociale

En France, la chambre haute est le fruit d'un compromis entre l'évolution du régime, d'une part, et le maintien de la paix civile, d'autre part .

Après les violences et les exécutions sommaires de la Terreur, un Conseil des Anciens est créé sous le Directoire ( 1795 ), dans un souci d'équilibre politique et de pondération du Conseil des Cinq Cents.

Pour François-Antoine de Boissy d'Anglas, rapporteur de la Constitution du 5 Fructidor An II (1795), « les Cinq Cents seront l'imagination de la République, les Anciens en seront la raison » 24 ( * ) .

Cette fonction stabilisatrice est également décrite par l'historienne Karen Fiorentino : plus âgés, les Anciens ont « nécessairement bien connu l'Ancien Régime et ont pu apprécier sa stabilité par rapport aux tourmentes des années 1793 à 1795. Ils sont donc susceptibles, avant tout, de chercher dans la vie politique à recréer cette stabilité et à s'opposer à toute mesure fantaisiste pouvant affecter profondément le corps social » 25 ( * ) .

En 1875 , un accord similaire est trouvé entre les républicains et les conservateurs pour affermir la III ème République. Selon Jules Ferry, le Sénat est une « citadelle » de l'ordre républicain, « conservateur, oui, mais dans la République ». Le légitimiste Charles Chesnelong déclare même : « votre constitution est un Sénat » , le maintien d'une chambre haute lui paraissant indispensable au compromis 26 ( * ) .

b) L'âge perçu comme un facteur de modération

L'âge des sénateurs est également perçu comme un facteur de modération pour la « chambre de la réflexion » louée par Georges Clemenceau : « pendant une partie de ma vie, plus près de la théorie que de la réalité, j'ai eu foi en la chambre unique, émanation directe du sentiment populaire [...]. J'en suis revenu. Les événements m'ont appris qu'il fallait laisser au peuple le temps de la réflexion : le temps de la réflexion, c'est le Sénat » 27 ( * ) .

Le mot « sénatus » dérive d'ailleurs du latin « senex, senis » (vieux). Pour le politologue Benjamin Morel, « la modération est généralement conçue comme une qualité des membres des secondes chambres, car ils sont réputés être sages. Or cette sagesse est généralement identifiée à l'âge . C'est donc au regard de cet âge qu'ils peuvent occuper une fonction de modération [...]. La sagesse est liée à l'âge, car elle est le produit selon les classiques de l'indépendance et de l'affranchissement vis-à-vis de la nécessité. L'âge libère tant de l'ambition que de la crainte et du besoin » 28 ( * ) .

Le Sénat apparaît ainsi comme une institution stabilisatrice face aux possibles emportements de la chambre basse . À l'occasion du discours de Bayeux (1946), le Général de Gaulle déclare d'ailleurs : « le premier mouvement [de l'Assemblée nationale] ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée élue et composée d'une autre manière la fonction d'examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements et de proposer des projets ». Comme le résume l'historien Jean-Noël Jeanneney, le Sénat « ne se laisse pas entraîner par l'immédiateté des passions et des analyses » 29 ( * ) .

Dès les XIX ème et XX ème siècles, l'âge des sénateurs fait l'objet de caricatures. En 1931, les journalistes Henri de Kérillis et Raymond Cartier écrivent par exemple : « Est-il nécessaire d'ajouter qu'on prend lentement ses chevrons au Luxembourg ? Les jeunes de soixante ans y sont considérés avec méfiance et quelque hauteur » 30 ( * ) .

Néanmoins, les sénateurs ont toujours assumé leur rôle de modération ainsi qu'une certaine différence d'âge par rapport aux députés . Pour le politologue Éric Kerrouche, élu sénateur en 2017, « cette différence d'âge et cet effet séniorité sont voulus. L'image des sénateurs sages, avec une expérience de la vie et de la carrière politique leur donnant un recul dans le jugement est voulue et revendiquée par les sénateurs [...]. L'âge constitue en quelque sorte un facteur identitaire pour l'institution » 31 ( * ) .

c) La valorisation de l'expérience au sein des collectivités territoriales

L'âge minimal de 24 ans pour se présenter aux élections sénatoriales constitue aussi une garantie pour la représentation des collectivités territoriales .

D'après les travaux parlementaires de 2011, ce seuil d'éligibilité a été défini pour permettre aux sénateurs d' acquérir une expérience locale avant d'entrer au Palais du Luxembourg . L'exercice préalable d'un mandat local reste toutefois une faculté pour mieux connaître les réalités de terrain, non une obligation.

Extraits des débats de 2011 32 ( * )

Notre ancien collègue Patrice Gélard, rapporteur, a notamment déclaré :

« Nous estimons qu'un sénateur doit avoir un minimum d'expérience. L'idéal serait que tous les sénateurs aient préalablement exercé un mandat local de six ans. En l'occurrence, nous ne l'exigeons pas, mais nous laissons au candidat le temps de remplir un tel mandat [...].

Si nous avons retenu l'âge de 24 ans, c'est parce qu'il correspond à la somme de 18 et 6, ce dernier chiffre correspondant à la durée d'un mandat local éventuel . [...] Cela veut dire que les sénateurs, qui représentent les collectivités territoriales, doivent tout de même avoir un minimum d'expérience acquise, par exemple, en regardant les autres. Cette condition me paraît s'imposer » 33 ( * ) .

Notre collègue Yves Détraigne a également ajouté : « je ne sache pas que l'on dispose, à 18 ans, d'une telle expérience, sauf à avoir participé à un conseil municipal d'enfants, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas tout à fait la même chose... » 34 ( * ) .

3. Le débat, plus large, sur l'âge moyen des parlementaires

L'essentiel du débat ne repose pas sur l'âge d'éligibilité des parlementaires (donnée juridique) mais sur leur âge moyen (donnée sociologique).

Or, depuis le début de la V ème République, l'âge moyen des sénateurs est proche de celui des députés : en 1959, les sénateurs avaient 55 ans en moyenne, contre 50 ans pour les députés. En 2014, l'âge moyen des sénateurs était de 61 ans, contre 56 ans pour les députés.

Âge moyen des parlementaires

Source : commission des lois du Sénat

Certes, l'écart d'âge entre les sénateurs et les députés a fortement augmenté en 2017, après le renouvellement de l'Assemblée nationale : l'âge moyen des sénateurs s'est stabilisé à 61 ans alors que l'âge moyen des députés a baissé de 7 ans pour s'établir à 49 ans.

Toutefois, ce rajeunissement de l'Assemblée nationale s'explique principalement par l'augmentation du nombre de députés âgés de 30 à 40 ans (3 % des députés en 2012 contre près de 17 % en 2017) et de 40 à 50 ans (15 % des députés en 2012 contre près de 29 % en 2017).

La part des députés âgés de moins de 30 ans s'est également accrue en 2017 mais, sur les 27 députés correspondants, aucun n'avait moins de 23 ans 35 ( * ) . Dès lors, l'abaissement de 23 à 18 ans du seuil d'éligibilité des députés (2011) n'a pas eu d'effet décisif sur la composition de l'Assemblée nationale (voir infra ) .

Répartition des députés par tranches d'âge en 2012 et 2017 (en % du nombre total de députés)

Tranches d'âge

2012

2017

Moins de 23 ans

0,18 %

0 %

De 23 à 30 ans

0 %

4,68 %

De 30 à 40 ans

3,03 %

16,98 %

De 40 à 50 ans

15,15 %

28,77 %

De 50 à 60 ans

31,73 %

32,41 %

De 60 à 70 ans

32,80 %

14,73 %

De 70 à 80 ans

16,58 %

2,43 %

Plus de 80 ans

0,53 %

0,00 %

Source : Commission des lois du Sénat, à partir de l'étude de l'Institut Diderot,
«
Une Assemblée nationale plus représentative ? », 2017, p. 16 36 ( * )


* 16 Cette condition d'âge s'apprécie, comme pour les autres scrutins, au jour du premier tour des élections, non au moment du dépôt des déclarations de candidature (Conseil d'État, 11 mars 2009, Élections municipales d'Huez , affaire n° 318249).

* 17 Article 194 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 18 L'âge requis pour être maire a été réduit de 21 à 18 ans par la loi n° 2000-295 du 5 avril 2000 précitée (actuel article L. 2122-4 du code général des collectivités territoriales).

* 19 Conseil constitutionnel, 24 juillet 2003, Loi organique portant réforme de la durée du mandat et de l'âge d'éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat , décision n° 2003-476 DC, et Conseil constitutionnel, 12 avril 2011, Loi organique relative à l'élection des députés et des sénateurs , décision n° 2011-628 DC.

* 20 Sous le Consulat, une exception est toutefois prévue par le Sénatus-consulte organique de Thermidor an X (1802) : les membres du Grand conseil de la Légion d'honneur sont membres du Sénat, quel que soit leur âge.

* 21 Loi sur la composition et l'élection du Conseil de la République.

* 22 Compte rendu intégral de la séance de l'Assemblée nationale constituante du 27 septembre 1946.

* 23 Rapport n° 333 (2002-2003), op. cit. , p. 20 et 53.

* 24 Source : Jean-Louis Hérin, Le Sénat en devenir , éditions Montchrestien, 2012, p. 12.

* 25 Karen Fiorentino, La seconde Chambre en France dans l'histoire des institutions et des idées politiques (1789-1940) , éditions Dalloz, 2008, p. 156.

* 26 Source : Paul Smith , Histoire du Sénat français, Volume I, La III ème République (1870-1940) , traduction française, 2005, p. 2 et 44.

* 27 Jean-Louis Hérin, Le Sénat en devenir , op. cit. , p. 16.

* 28 Benjamin Morel, Le Sénat et sa légitimité. L'institution interprète de son rôle constitutionnel , éditions Dalloz, 2018, p. 156.

* 29 Cité par l'ouvrage du politologue Benjamin Morel, Le Sénat et sa légitimité , op. cit .

* 30 Henri de Kérillis et Raymond Cartier, Faisons le point, éditions Grasset, 1931.

* 31 Éric Kerrouche, « Les deux Sénats : mode de scrutin et profil des sénateurs français », revue Pôle Sud, numéro 35, 2011, p. 117.

* 32 Lors de l'examen du projet de loi organique relatif à l'élection des députés et sénateurs, devenu la loi organique n° 2011-410 du 14 avril 2011.

* 33 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du 2 mars 2011.

* 34 Compte rendu de la commission des lois du Sénat du 16 février 2011.

* 35 En 2017, le plus jeune député était notre collègue Ludovic Pajot (non inscrit, Pas-de-Calais), élu à 23 ans et 7 mois.

* 36 Cette étude est consultable à l'adresse suivante :

www.institutdiderot.fr/une-assemblee-nationale-plus-representative .

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