II. LA POSITION DE LA COMMISSION : REJETER LA PROPOSITION DE LOI

À l'instar des auteurs de la proposition de loi, votre commission juge nécessaire, dans un contexte de durcissement de la réglementation routière, de s'interroger sur le juste équilibre à trouver en matière de lutte contre l'insécurité routière, de manière à éviter une pénalisation excessive des usagers de la route et à garantir l'acceptabilité des mesures mises en oeuvre.

Au vu de l'impact incertain de la proposition de loi en matière de sécurité routière et du lancement, par le Gouvernement, d'une réflexion sur la valorisation des comportements vertueux sur la route, elle a toutefois jugé préférable de ne pas adopter la proposition de loi, au profit d'une réflexion plus globale sur le rééquilibrage de la politique de lutte contre l'insécurité routière.

A. UN RISQUE D'IMPACT NÉGATIF EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ ET LA MORTALITÉ ROUTIÈRES

Alors que les chiffres de l'insécurité routière connaissent, après des années de forte baisse, une stagnation depuis plusieurs années, la définition d'une politique ferme en matière de sécurité routière apparaît nécessaire.

Les principaux chiffres de l'insécurité routière

La France a connu, à compter du début des années 1970, une baisse régulière du nombre de personnes tuées sur les routes , sous l'effet de politiques de sécurité routière volontaristes, qui ont conduit à un renforcement de la réglementation routière ainsi que des contrôles.

Le nombre annuel de morts sur les routes, qui dépassait les 17 000 au début des années 1970, est passé en dessous de la barre des 8 000 à la fin des années 1990 et a été réduit à 4 000 en 2010 .

En dépit de la mise en oeuvre de nouvelles mesures de sécurité routière, la tendance paraît s'être inversée depuis 2013, les chiffres de l'insécurité routière ayant connu une légère hausse au cours des dernières années . Selon les données publiées par l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), la mortalité routière, qui avait atteint son plus bas niveau en 2013 avec 3 427 personnes décédées, a connu une augmentation les années suivantes, atteignant 3 684 en 2017 (+ 7,5 % entre 2013 et 2017).

Évolution du nombre de personnes tuées sur la route
depuis 2010 (France entière)

Source : commission des lois du Sénat sur la base des données publiées par l'Observatoire national de la sécurité routière

Dans ce contexte, et alors même que le Gouvernement a annoncé, il y a un an, un renforcement de la réglementation routière, il est possible de s'interroger sur l'impact de l'assouplissement du permis à points sur la sécurité routière.

De l'avis de plusieurs personnes entendues par votre rapporteur, la réduction de la durée de récupération d'un point perdu à l'issue de la commission d'une infraction « légère » au code de la route pourrait en effet constituer un signal négatif en matière de lutte contre l'insécurité routière.

Lors de son audition, le délégué interministériel à la sécurité routière, M. Emmanuel Barbe, a ainsi rappelé l'importance de l' « effet d'annonce » dans le cadre de la politique de sécurité routière : la mise en oeuvre d'une nouvelle mesure tendant à la renforcer induit généralement, et ce avant même son entrée en vigueur, des comportements plus vertueux de la part des usagers de la route, qui se traduisent par des effets immédiats sur les statistiques de la sécurité routière.

À l'inverse, le délégué interministériel à la sécurité routière a estimé que l'assouplissement auquel procède la proposition de loi risquerait de multiplier les comportements à risque, en déresponsabilisant les conducteurs, certains de récupérer leurs points plus rapidement. En portant la durée de récupération de points à une durée très faible, elle pourrait, contrairement à la position tenue par les auteurs de la proposition de loi, nuire à la vertu pédagogique du permis à points et à son efficacité en matière de lutte contre les infractions routières et contre la récidive.

L'affaiblissement de la vertu pédagogique du retrait de point serait d'autant plus important que les personnes commettant une infraction au code de la route sont en moyenne informées du retrait de points qui leur est appliqué dans un délai de deux mois après la commission de l'infraction, en raison, d'une part, des délais de recours contre les contraventions (45 jours 5 ( * ) ), d'autre part, des problématiques techniques de gestion de flux. Dès lors, si le délai de récupération de points était abaissé à trois mois, les conducteurs concernés se verraient informés de leur retrait de point et de leur récupération de manière quasi simultanée, faisant perdre à la sanction de retrait de point son utilité.

Enfin, il peut être observé que l'impact de la proposition de loi serait plus large que celui évoqué par ses auteurs. La réduction de la durée de récupération de points à laquelle elle procède ne se limiterait en effet pas aux infractions commises sur les routes sur lesquelles la vitesse est désormais limitée à 80 km/h. Elle concernerait tous les excès de vitesse inférieurs à 20 km/h, y compris ceux commis dans les centres urbains et sur les autoroutes, ainsi que les autres infractions punies d'un retrait d'un point au permis de conduire, précédemment mentionnées. Aussi risquerait-elle d'inciter à des comportements peu responsables non seulement en matière de vitesse, mais également pour le respect d'autres mesures de la réglementation routière.


* 5 Art. 529-2 du code de procédure pénale.

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