II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : POUR UNE INFORMATION COMPLÈTE DES PATIENTES

Votre commission considère que la parfaite information des patientes atteintes d'un cancer du sein, et pour lesquelles une mastectomie est envisagée, sur les techniques de reconstruction mammaire participe du droit à l'information des patients au coeur de la loi du 4 mars 2002 1 , indispensable à un consentement libre et éclairé. Aux termes de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé », le médecin ayant « l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. »

La formalisation d'une obligation d'information pour les professionnels de santé est de nature à renforcer la qualité du parcours de soins des patientes traitées pour un cancer du sein. La délivrance de cette information doit néanmoins tenir compte des exigences suivantes :

- la temporalité de l'information : le moment opportun du partage de l'information sur les techniques de reconstruction mammaire n'est pas nécessairement le moment de l'annonce du diagnostic. Les patientes souhaitent avoir accès à une information à un moment qui est le leur. D'une part, cette information peut être nécessaire au moment où la mastectomie est envisagée ou après que l'ablation a été réalisée, pour des motifs tenant à la situation thérapeutique ou au choix de la patiente. D'autre part, l'annonce du diagnostic peut provoquer un état de sidération qui n'est pas propice à une analyse sereine des perspectives postopératoires après une mastectomie ;

- la qualité et la complétude de l'information : au regard de la complexité des techniques existantes, il est peu probable qu'un professionnel de santé puisse systématiquement, à lui seul, délivrer une information complète sur l'ensemble des procédures de reconstruction mammaire existantes. Comme l'a souligné l'association RoseUp à votre rapporteure,

« les chirurgiens sont hyper spécialisés dans une technique, ce qui [...] peut les conduire à restreindre l'éventail des solutions proposées aux patientes. » La proposition de loi tient compte de cet élément en envisageant que le médecin référent de la patiente dans le traitement de son cancer l'oriente vers un parcours de soins lui permettant d'obtenir tous les éléments d'information nécessaires. La systématisation de consultations avec deux plasticiens différents pourrait favoriser une information complète des patientes. Le défaut d'information peut également résulter d'un manque d'expérience de l'établissement et de ses praticiens dans la pratique des traitements du cancer du sein.

1 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

La question du respect du seuil de procédures réalisées en sénologie pour le maintien de l'habilitation, qui pourrait être augmenté à l'avenir compte tenu des discussions actuelles, doit également être prise en compte dans l'évaluation de la capacité de l'établissement à délivrer une information de qualité à ses patientes ;

- l'accompagnement psychologique des patientes : votre commission souligne la nécessité pour les patientes de bénéficier d'un accompagnement psychologique de qualité qui devrait idéalement être assuré, au sein des centres de cancérologie, par des oncopsychologues au fait des spécificités de leur parcours de soins.

Par ailleurs, votre commission souhaite attirer l'attention du Gouvernement et des professionnels de santé sur deux points qui peuvent peser dans le processus de décision des patientes :

ï les inquiétudes liées au risque de développement d'un lymphome anaplasique à grandes cellules après la pose de prothèses texturées

À la suite du scandale des prothèses PIP 1 , la question de l'innocuité des prothèses mammaires continue de susciter craintes et défiance. Entre 2011 et novembre 2018, l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a recensé 53 cas de lymphome anaplasique à grandes cellules (LAGC) 2 . Les implants texturés, privilégiés pour leur adhérence mais qui peuvent présenter un risque inflammatoire plus important que les prothèses lisses, sont suspectés de présenter un risque accru dans le développement des LAGC mais les études doivent se poursuivre : l'ANSM indique que « les experts ont constaté que la texture est un facteur de risque accru mais que les données disponibles ne permettent pas d'apprécier le type de texture pouvant être plus impliquée dans la survenue d'un LAGC. »

L'INCa avait produit dès 2015 une série de recommandations, discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), sur la conduite à tenir chez les femmes porteuses d'implants mammaires en cas de suspicion de LAGC associé à un implant mammaire.

À l'heure actuelle, 85 % des prothèses posées sont texturées. Votre commission alerte l'attention du Gouvernement sur les obstacles à la constitution d'un registre national de suivi des porteuses de prothèses, qui conditionne des études épidémiologiques sérieuses. La dernière demande de création d'un tel registre par la cociété française de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique (SoFCPRE) semble ne toujours pas avoir été validée par la commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

1 Produites par la société Poly Implant Prothèse.

2 https://www.ansm.sante.fr/Activites/Surveillance-des-dispositifs-medicaux- implantables/Surveillance-des-protheses-mammaires/(offset)/0#surveillance

Certains professionnels font le choix de ne plus proposer des prothèses complètement texturées, soit en privilégiant des implants faiblement texturés, soit en posant des prothèses lisses accompagnées d'une matrice à partir d'un derme animal qui n'est toutefois pas remboursée.

Dans un avis du 8 février 2019 1 , le comité scientifique spécialisé temporaire mis en place par l'ANSM, chargé d'évaluer l'utilisation des implants texturés en chirurgie esthétique et reconstructrice, recommande d'interdire le recours aux prothèses texturées de la marque « Biocell » exploitée par le laboratoire Allergan et appelle à la plus grande prudence dans l'utilisation des prothèses de texture équivalente et des prothèses en polyuréthane. En revanche, le comité ne recommande pas l'explantation préventive des implants texturés.

ï la reconstruction mammaire à la suite d'une mastectomie prophylactique dans le cadre de consultations d'oncogénétique :

Au regard de leurs antécédents familiaux, des femmes sont amenées à évaluer, dans le cadre de consultations d'oncogénétique, leur prédisposition génétique au cancer du sein. Plusieurs mutations génétiques ont été identifiées comme associées aux cancers du sein et de l'ovaire, dont les mutations BRCA1 et BRCA2.

Les consultations dédiées à l'identification d'une éventuelle prédisposition génétique aux cancers du sein et de l'ovaire ont représenté, en 2017, plus de 70 % des consultations d'oncogénétique :

Répartition des consultations d'oncogénétique en 2017 selon la pathologie

Source : Institut national du cancer

1 https://www.ansm.sante.fr/content/download/156465/2052117/version/3/file/AVIS+du+CSST+PM

I+08_02_2019.pdf

Selon un suivi effectué par l'INCa sur la période 2003-2017, 33 448 personnes ont été identifiées comme porteuses d'une altération génétique liée au syndrome seins-ovaires, dont 13 178 pour un cas index et 19 730 pour un cas apparenté.

L'oncogénéticien peut alors recommander une vigilance particulière, compte tenu des caractéristiques personnelles de la patiente. Cette vigilance peut s'exercer de plusieurs manières :

- soit des examens réguliers de dépistage (mammographie, échographie, imagerie par résonance magnétique -IRM-) ;

- soit une mastectomie prophylactique avec, le cas échéant, reconstruction mammaire, prises en charge intégralement par l'assurance maladie.

Cette dernière option a connu un certain retentissement médiatique depuis l'annonce par l'actrice Angelina Jolie de sa double mastectomie à la suite de la découverte de sa prédisposition génétique. Là encore, la prudence reste de mise. Votre commission rappelle l'importance pour les établissements et l'ensemble des professionnels de santé en oncologie de mettre en oeuvre les recommandations édictées en avril 2017 par l'INCa sur la détection précoce du cancer du sein et des annexes et les stratégies de réduction du risque pour les femmes porteuses d'une mutation BRCA1 ou BRCA2.

À cet égard, il convient de souligner que l'INCa ne recommande pas de chirurgie mammaire de réduction de risque avant l'âge de 30 ans, ni de chirurgie annexielle (ablation des trompes de Fallope et des ovaires) de réduction de risque avant l'âge de 40 ans. Le contexte médiatique a néanmoins pu conduire des jeunes femmes, porteuses saines de ces mutations, à s'engager dans une mastectomie prophylactique avant leurs 30 ans.

L'association Généticancer rappelle qu'« avant 40 ans, les risques de développer un cancer du sein sont estimés à environ 24 % pour les BRCA1, contre environ 11 % pour les BRCA2. Les femmes porteuses d'une mutation de BRCA1 ou de BRCA2 ont environ 70 % de risque de développer un cancer du sein avant l'âge de 80 ans (risque cumulé). » 1 Malgré ces données qui, si elles ne sont pas analysées par un oncogénéticien et mises en regard avec les antécédents familiaux et d'autres facteurs liés au mode de vie et à l'environnement, peuvent susciter une inquiétude chez les femmes porteuses de ces mutations, l'association insiste sur la nécessité de « prendre le temps de douter » et le fait qu'« aucune solution ne saurait être imposée et rien ne justifie de décider dans l'urgence. »

Compte tenu de ces éléments, votre commission a adopté la proposition de loi après l'avoir modifiée afin de préciser que la délivrance de l'information peut intervenir avant ou après une mastectomie.

1 Généticancer, Les chirurgies de réduction des risques (brochure).

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