C. UNE ÉRADICATION DE L'HABITAT INDIGNE SUPPOSE UNE MOBILISATION FORTE ET COORDONNÉE DES POUVOIRS PUBLICS ET UN DÉPLOIEMENT DE MOYENS HUMAINS ET FINANCIER À LA HAUTEUR DES ENJEUX

1. Une éradication de l'habitat indigne suppose une mobilisation forte et coordonnée des pouvoirs publics

L'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur ont souligné que la lutte contre l'habitat indigne nécessitait que les différents acteurs, collectivités territoriales comme État, se mobilisent fortement pour dépister l'habitat indigne, engager les procédures administratives appropriées et surtout assurer le suivi des mesures prescrites.

Bien que les données soient partielles et qu'elles doivent en conséquence être analysées avec prudence, les résultats de la dernière enquête sur l'habitat indigne montrent que l'action des préfets demeure à un niveau important bien que le nombre d'arrêté diminue. Selon la direction générale de la santé, cette baisse doit être relativisée et peut notamment s'expliquer par le fait qu'environ 60 % des arrêtés d'insalubrité sont pris par seulement dix départements et qu'en conséquence une moindre activité dans un de ces départements peut avoir un impact sur le nombre d'arrêtés au niveau national. Il faut ajouter à cela que dans certains cas, comme des opérations d'aménagement, la réalisation de travaux par voie amiable peut être privilégiée.

On constate en revanche une progression du nombre d'arrêtés pris par les maires.

Evolution du nombre d'arrêtés préfectoraux « insalubrité » en fonction des procédures (2012-2016)

Source : enquête annuelle sur l'organisation locale et les procédures de traitement de l'habitat indigne - rapport EHI 2017 sur les données 2016 - Publié le 15 janvier 2019

Détail des procédures L. 1331-23, L. 1331-24 et L. 1331-25 (2012-2016)

Source : enquête annuelle sur l'organisation locale et les procédures de traitement de l'habitat indigne - rapport EHI 2017 sur les données 2016 - Publié le 15 janvier 2019

Evolution du nombre d'arrêtés de polices du maire (2013 - 2016)

Source : Commission des affaires économiques d'après enquête annuelle sur l'organisation locale et les procédures de traitement de l'habitat indigne - rapport EHI 2017 sur les données 2016 - Publié le 15 janvier 2019

Les collectivités territoriales sont de fait des acteurs de premier plan de la lutte contre l'habitat indigne. Elles sont invitées à réfléchir sur leurs politiques en la matière au travers de l'élaboration de différents documents de planification en matière d'habitat. Ainsi, dans le cadre de l'élaboration du programme local de l'habitat (PLH), l'établissement public de coopération intercommunale doit déterminer les actions à mener pour améliorer et réhabiliter le parc de logements et les actions à destination des copropriétés en difficulté. Il doit notamment préciser les actions de lutte contre l'habitat indigne.

Les collectivités territoriales sont également mobilisées dans le cadre du plan départemental d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD) qui comprend les mesures destinées aux personnes présentant des difficultés d'accès ou de maintien dans un logement en raison de difficultés financières ou du cumul de difficultés financières et de difficultés d'insertion sociale. Le comité responsable du plan doit installer un observatoire des logements indignes et des locaux impropres à l'habitation, des logements considérés comme non décents à la suite d'un contrôle des organismes payeurs des aides personnelles au logement. Le logiciel ORTHI précité est censé aider à la mise en place de ces observatoires.

Si le manque de volontarisme des collectivités territoriales a parfois été dénoncé, votre rapporteur considère qu'il ne faut pas stigmatiser les élus mais les encourager. Elle estime que l'action des collectivités territoriales peut certainement être améliorée si l'on simplifie les procédures applicables et si on leur donne les moyens d'agir.

Devant la multiplicité des acteurs et des procédures, la coordination est un élément essentiel de réussite de la lutte contre l'habitat indigne . Le pôle national de lutte contre l'habitat indigne est chargé de coordonner cette politique au niveau interministériel en lien notamment avec les ministères du logement, de la santé, de la justice, de l'intérieur, l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, la caisse nationale des allocations familiales.

Au niveau local, un sous-préfet référent est désigné dans chaque département. Il est chargé de piloter le pôle départemental de lutte contre l'habitat indigne , de coordonner les services de l'État localement et d'accompagner les collectivités territoriales. Ces pôles devront établir d'ici le 30 avril 2019 un plan départemental pluriannuel de lutte contre l'habitat indigne pour la période 2019-2021. 97 pôles ont été mis en place. Néanmoins, l'enquête sur l'habitat indigne précitée soulignait que « certains pôles [avaient] une existence formelle mais ne se réuniss [aient] pas ou très peu ». Votre rapporteur invite l'État à remédier à cette situation .

Votre rapporteur souhaite insister sur le rôle de la justice dans la lutte contre l'habitat indigne et sur la nécessité que les magistrats soient pleinement associés aux pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne. Elle se félicite que le Gouvernement ait sensibilisé les magistrats, dans une circulaire publiée le 8 février 2019, sur la nécessité d'accélérer les procédures judiciaires à l'encontre des propriétaires qui louent des logements indignes. Les procureurs de la République sont en outre invités à créer des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) dédiés à la lutte contre l'habitat indigne qui ont vocation à faciliter les échanges entre les services administratifs et les services judiciaires. Ces GLTD seront mis en place en priorité dans six départements (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Essonne, Nord, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône).

Votre rapporteur approuve ces mesures. Elle considère en effet que le renforcement des mesures de lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil , n'a de sens qu'à la condition que la réponse pénale soit rapide et exemplaire.

Enfin, elle souhaite également que les directions départementales des finances publiques soient pleinement associées à la lutte contre l'habitat indigne en facilitant le recouvrement des créances, quand bien même les montants seraient relativement peu élevés, à l'encontre des propriétaires n'ayant pas exécuté les travaux prescrits qui ont dû in fine être réalisés par les pouvoirs publics. Ce serait là un signal fort qui serait envoyé en direction des collectivités territoriales qui s'engagent dans cette politique.

2. Une éradication de l'habitat indigne suppose des moyens humains et financiers à la hauteur des enjeux

Votre rapporteur a pu constater que la lutte contre l'habitat indigne supposait que d'importants moyens tant humains que financiers soient mobilisés .

En effet, le coût de cette politique n'est pas négligeable si l'on cumule par exemple le coût des agents chargés de repérer les logements indignes, de l'exercice du droit de préemption, du relogement des personnes évacuées, de l'exécution d'office des travaux, de la difficulté de recouvrer les sommes engagées au regard de leur relative faiblesse, du coût de l'ingénierie technique pour réaliser les travaux d'office, etc...

Or, dans le contexte de contrainte budgétaire actuel les communes et les EPCI ne sont pas toujours en capacité de déployer les moyens humains et financiers nécessaires à la lutte contre l'habitat indigne. Votre rapporteur souhaite donc que la réforme des polices spéciales de l'habitat soit l'occasion de repenser le financement de la mise en oeuvre de ces polices.

Depuis 2009, l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) est l'interlocuteur unique en matière de financement tant pour les propriétaires que pour les collectivités territoriales. En 2017, l'ANAH a consacré 117,53 millions d'euros à la lutte contre l'habitat indigne et dégradé, ce qui a permis de subventionner la réalisation de travaux dans 11 290 logements.

Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'ANAH, a indiqué à votre rapporteur que de multiples moyens existaient en direction des propriétaires occupants ou bailleurs, mais aussi en direction des collectivités territoriales. L'agence peut ainsi financer des études pour déterminer les besoins, faire un état des lieux de la situation, financer de l'ingénierie ou encore apporter des aides pour la mise en oeuvre de travaux d'office. Elle finance 50 % des dépenses dans le cadre des arrêtés de police du péril et de l'insalubrité remédiable , sans que soit appliqué un plafond de dépenses. Plus récemment, dans le cadre du plan initiative Copropriété, l'ANAH s'est engagée à financer jusqu'à 100 % des travaux de mise en sécurité . Enfin, les dispositifs plus classiques comme les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) 2 ( * ) , les programmes d'intérêt général (PIG) 3 ( * ) , les opérations de résorption de l'habitat insalubre 4 ( * ) (RHI) ou encore le dispositif de restauration immobilière THIRORI 5 ( * ) peuvent être mobilisés.

Chaque année, lors de l'examen de la loi de finances, le budget de l'ANAH donne lieu à débat. Au regard des enjeux, votre rapporteur tient à réaffirmer, comme elle l'a fait lors de la discussion budgétaire en novembre 2018, qu'il aurait été préférable de ne pas modifier le plafond du produit des quotas carbone affecté à l'ANAH et que le surplus de recettes soit affecté à l'agence pour mener des opérations de lutte contre l'habitat indigne et des opérations de rénovation énergétique des bâtiments, plutôt que reversé au budget général de l'État. Votre rapporteur invite le Gouvernement à être cohérent et à affecter à l'ANAH des moyens à la hauteur des enjeux .

Les crédits budgétaires de l'action 3 du programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » de la mission « Cohésion des territoires » sont consacrés à la lutte contre l'habitat indigne. Ils permettent de financer :

- les diagnostics préalables et les contrôles après travaux réalisés dans le cadre de la lutte contre le saturnisme ;

- les travaux exécutés d'office en cas de carence du propriétaire ;

- l'hébergement ou le relogement des occupants en cas de défaillance des propriétaires ;

- l'aide aux travaux pour les propriétaires modestes.

Après une baisse tendancielle des moyens budgétaires consacrés à la lutte contre l'habitat indigne, les crédits ont fortement augmenté pour 2019 en raison de l'allocation de crédits à hauteur de 17 millions d'euros pour le financement de l'aide aux travaux pour les propriétaires modestes, notamment en outre-mer.

Moyens budgétaires consacrés directement par l'État pour ces actions (dépenses en exécution sauf pour 2018 et 2019)

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

2007

9,6 M€

8,2 M€

2008

8,2 M€

5,2 M€

2009

7 M€

5 M€

2010

5,8 M€

5,1 M€

2011

5,8 M€

5,1 M€

2012

5,65 M€

5,1 M€

2013

5,19 M€

4,76 M€

2014

5,77 M€

5,13 M€

2015

5,20 M€

5,52 M€

2016

4,23 M€

3,62 M€

2017

4,77 M€

2,54 M€

PLF 2018

7,2 M€

7,2 M€

PLF 2019

25,2 M€

28,1 M€

Source : Réponse au questionnaire budgétaire et projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2019.

Comme votre rapporteur l'avait déjà souligné dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2019 6 ( * ) , la question du financement du reste à charge demeure prégnante pour les propriétaires. Or, plusieurs personnes auditionnées ont souligné que la suppression de l'APL-accession aussi utilisée pour la réalisation de travaux a eu un impact sur le nombre de logements rénovés. Votre rapporteur qui était défavorable à la suppression de l'APL-accession invite le Gouvernement à réexaminer rapidement cette question .

Enfin, votre rapporteur tient à mettre en exergue l'expérience intéressante menée par l'établissement public foncier d'Ile-de-France qui a créé une structure avec Action Logement dotée de 80 millions d'euros destinés au rachat de pavillons franciliens susceptibles d'être acquis par les marchands de sommeil. Votre rapporteur souhaite que les autres établissements publics fonciers de l'État examinent la possibilité de mener une telle action au bénéfice des collectivités territoriales.


* 2 Ces opérations, définies à l'article L. 303-1 CCH sont menées pour réhabiliter un parc immobilier bâti dans des quartiers comportant de l'habitat dégradé ou indigne. Elles doivent permettre d'améliorer l'offre de logements et de services à l'échelle d'un quartier

* 3 Ce programme défini à l'article R. 327-1 CCH « a pour objectif l'amélioration des conditions d'habitat dans des ensembles d'immeubles ou de logements . » Ce programme permet de traiter à une échelle plus vaste une ou plusieurs thématiques spécifiques à caractère social ou technique.

* 4 Selon l'ANAH, ce dispositif concerne les immeubles insalubres irrémédiables ou dangereux et pour lesquels l'habitation a été définitivement interdite.

* 5 Selon l'ANAH, ce dispositif « vise la réhabilitation lourde d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles acquis par expropriation ou à l'amiable. Il concerne notamment les immeubles sous arrêté d'insalubrité remédiable, de péril ordinaire ou de prescription de mise en sécurité. »

* 6 Avis n° 148 (2018-2019) - tome VI - Mission cohésion des territoires

Page mise à jour le

Partager cette page