II. EN DÉPIT DE RÉSERVES SUR DES POINTS SECONDAIRES, VOTRE COMMISSION SOUTIENT L'ADOPTION DE LA PROPOSITION DE LOI

A. UNE MESURE ATTENDUE

Comme votre rapporteure l'avait expliqué dans son rapport de février dernier, la recherche scientifique a clairement mis en évidence les conséquences négatives des violences éducatives ordinaires, ce qui plaide pour que le législateur affirme un principe clair d'interdiction dans le code civil.

1. Un impact négatif des violences éducatives ordinaires désormais bien établi

Les recherches scientifiques dans le domaine psychosocial ont montré que les violences éducatives ordinaires subies dans l'enfance avaient des conséquences négatives sur le rapport à autrui.

Pour le Dr Gilles-Marie Vallet, les violences éducatives ordinaires peuvent ainsi conduire à l'intériorisation par l'enfant d'une violence admise, tolérée à l'encontre des personnes proches. Cette forme de banalisation du recours à la violence peut favoriser, à l'âge adulte, le passage aux violences conjugales ou l'utilisation de la violence pour régler les conflits qui ne manquent pas de se produire dans le cadre de la vie sociale.

Une méta-analyse de Rebecca Waller 5 ( * ) , passant en revue une trentaine d'études scientifiques, a montré que les violences commises sur les enfants favorisaient les conduites sociales problématiques, voire déviantes : agressivité, vols et consommations à risque.

À l'inverse, des études ont mis en avant les effets bénéfiques que pouvait entraîner une législation interdisant toutes violences éducatives ordinaires. En Suède, entre 1982 et 1995, le nombre de placements d'enfants en foyer a baissé de 26 % tandis que le nombre d'enfants âgés de quinze à dix-sept ans condamnés pour vol a baissé de 21 % entre 1975 et 1995.

Une étude récente, croisant les données recueillies dans 88 pays, a également mis en évidence une corrélation entre l'interdiction des châtiments corporels et la baisse de la violence physique entre adolescents 6 ( * ) .

Les apports de la recherche en neurosciences ont de plus mis en évidence les effets néfastes des violences sur le développement du cerveau de l'enfant.

Les travaux du chercheur Bruce Mc Ewen ont souligné les effets du stress sur le cerveau des enfants : l'exposition au stress entraîne une production accrue de cortisol, une hormone qui nuit, lorsqu'elle est présente en trop grande quantité dans l'organisme, au bon développement des connexions neuronales et qui fragilise les zones du cerveau essentielles au développement de l'enfant que sont le cortex frontal et l'hippocampe 7 ( * ) . Les violences éducatives ordinaires suffisent à créer cette situation de stress susceptible de réduire les capacités cognitives de l'enfant en construction.

Ces travaux sont confirmés par une étude 8 ( * ) du professeur Martin Teicher, de l'université de Harvard, qui a montré que les violences physiques ou psychologiques envers l'enfant fragilisent l'hippocampe. En fragilisant cette zone, les VEO peuvent favoriser des troubles de l'apprentissage et de la mémorisation, et augmenter le risque d'échec scolaire. En 2014, le même auteur a montré que la perturbation des connexions neuronales entraînées par les violences éducatives pouvait favoriser l'apparition de certaines pathologies psychiatriques et comportementales.

En France, les recherches de la psychiatre Muriel Salmona suggèrent que l'impact psychotraumatique des violences commises sur les enfants peut entraîner des conduites auto-agressives, des mises en danger, des conduites addictives, voire des conduites délinquantes et violentes contre autrui.

Au-delà des effets directs des VEO, votre rapporteure est sensible à la notion de continuum de la violence : accepter les violences éducatives ordinaires crée un contexte propice à l'apparition de maltraitances plus graves. Ainsi, la Fondation pour l'enfance estime que 75 % des maltraitances interviennent dans un contexte de punitions éducatives corporelles. Faire reculer les VEO est donc aussi un outil de prévention de la maltraitance des enfants.

2. Reconnaître l'enfant comme une personne à part entière

Bien que dépourvu de capacité juridique, l'enfant a droit au respect de son intégrité psychique et physique.

L'admission des violences éducatives ordinaires portant atteinte à ce droit, il revient à la loi de protéger, jusque dans la cellule familiale, la personne la plus vulnérable. De même que la société française a fini par admettre que la violence entre conjoints était inacceptable, il convient aujourd'hui de faire entrer l'enfant dans le cercle des individus à l'égard desquels la violence est proscrite.

Certes, la violence à l'égard des enfants a déjà beaucoup diminué au cours des dernières décennies. L'usage d'instruments pour punir l'enfant (martinet) est devenu rare, alors qu'il était encore courant dans la France des années 1950. Les châtiments corporels ont longtemps été admis à l'école alors qu'ils sont aujourd'hui interdits.

Toutefois, les chiffres disponibles suggèrent que le recours à la violence éducative reste fréquent dans notre pays. Selon une enquête réalisée par l'Union des Familles en Europe en 2006-2007, le recours à la violence éducative ordinaire serait pratiqué par 85 % des Français.

En posant un principe clair, la loi donnerait le signal que la violence ne peut être tolérée, quand bien même elle afficherait un objectif éducatif, et que d'autres solutions plus efficaces et plus soucieuses de l'intérêt de l'enfant sont possibles.

3. Une exigence au regard des engagements internationaux de la France

L'adoption de la proposition de loi ferait en outre participer la France à un mouvement international et européen tendant à prohiber les violences éducatives ordinaires.

La convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), ratifiée par la France, prévoit en son article 19 une obligation pour les États parties de prendre « toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence , d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents, de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié ».

Dans son observation générale n° 8 publiée le 2 mars 2007 et relative au droit de l'enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments, le Comité des droits de l'enfant des Nations-Unies souligne qu'« éliminer les châtiments violents et humiliants à l'égard des enfants par la voie d'une réforme législative et d'autres mesures nécessaires constitue une obligation immédiate et inconditionnelle des États parties ».

De même, dans son observation générale n° 13 publiée le 18 avril 2011, le Comité a réaffirmé que « toutes les formes de violence contre les enfants, aussi légères soient elles , étaient inacceptables ». Le Comité ajoute que les termes de l'article 19 mentionnant « toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales » ne laissent aucune place à un quelconque degré de violence à caractère légal contre les enfants.

En 2016, à l'occasion de l'audition de la France, le Comité des droits de l'enfant des Nations-Unies a recommandé d'« interdire expressément les châtiments corporels dans tous les contextes, y compris dans la famille, à l'école, dans les structures de garde d'enfants et dans le cadre de la protection de remplacement » (CRC/C/FRA/CO/4 et Corr.1, par. 58) . Le comité a rappelé qu' « aucune violence à l'égard des enfants n'est justifiable et que les châtiments corporels constituent une forme de violence , toujours dégradante et évitable » et a demandé à la France de « promouvoir des formes positives, non violentes et participatives d'éducation et de discipline, notamment par des campagnes d'éducation du public ».

Au niveau européen, l'article 17 de la Charte sociale européenne prévoit que « les enfants et les adolescents ont droit à une protection sociale, juridique et économique appropriée ». C'est sur la base de ce texte que le Comité européen des droits sociaux a, dans une décision du 12 septembre 2014, condamné la France en raison de « l'absence d'interdiction explicite et effective de tous les châtiments corporels envers les enfants en milieu familial, scolaire et autres cadres ».

Pour se conformer à ses engagements internationaux, la France doit donc proscrire de manière claire et explicite les violences éducatives ordinaires et inscrire cette interdiction dans la loi.

Une interdiction des VEO fréquente en Europe

La France apparaît isolée sur la scène européenne en ne prévoyant pas d'interdiction formelle des violences éducatives ordinaires. Depuis une quarantaine d'années, de nombreux pays ont décidé une telle interdiction.

Dans le sillage de la Suède en 1979, 54 pays dits « abolitionnistes » ont voté une loi d'interdiction des châtiments corporels et des humiliations dans l'éducation, dont 23 des 28 pays de l'Union Européenne .

La France fait partie des cinq pays de l'Union européenne n'ayant pas encore adopté une telle loi, aux côtés de la Belgique, l'Italie, la République Tchèque et le Royaume-Uni.

Dans la majorité des pays, l'interdiction des violences éducatives ordinaires a été introduite par une loi civile, comme en Estonie, en Grèce, en Hongrie ainsi qu'en Allemagne. En Espagne, une loi de 2007 a modifié le code civil pour abroger le droit des parents à appliquer des formes raisonnables et modérées de punition.


* 5 Waller, R., Gardner, F., & Hyde, L.W. (2013). « What are the associations between parenting, callous-unemotional traits, and antisocial behavior in youth ? A systematic review of evidence ». Clinical Psychology Review, 33, 593-608.

* 6 Elgar FJ, Donnelly PD, Michaelson V. et al., « Corporal punishment bans and physical fighting in adolescent: an ecological study of 88 countries », BMJ open 2018.

* 7 McEwen, B. Development of the cerebral cortex : XIII. Stress and brain development : II. J. Am. Acad. Child Adolesc. Psychiatry 38:101-103 (1999).

* 8 Teicher MH, Anderson CM, Polcari A., « Childhood maltreatment is associated with reduced volume in the hippocampal subfields CA3, dentate gyrus, and subiculum » . Proc Natl Acad Sci U S A. 2012 Feb 28.

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