Rapport n° 601 (2018-2019) de Mme Marie-Pierre de la GONTRIE , fait au nom de la commission des lois, déposé le 26 juin 2019

Disponible au format PDF (275 Koctets)

Tableau comparatif au format PDF (20 Koctets)

Synthèse du rapport (256 Koctets)


N° 601

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 juin 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , relative à l' interdiction des violences éducatives ordinaires ,

Par Mme Marie-Pierre de la GONTRIE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

1331 , 1414 et T.A. 199

Sénat :

168 et 602 (2018-2019)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 26 juin 2019 , sous la présidence de
M. Philippe Bas , président, la commission des lois a examiné le rapport de Mme Marie-Pierre de la Gontrie , rapporteure, et établi son texte sur la proposition de loi n° 168 (2018-2019) relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires, adoptée par l'Assemblée nationale.

Cette proposition de loi a pour principal objectif d'inscrire dans le code civil le principe selon lequel l'autorité parentale s'exerce sans violence physiques ou psychologiques.

Le Sénat a déjà approuvé ce principe en adoptant, le 6 mars dernier, la proposition de loi n° 261 (2018-2019) présentée par Mme Laurence Rossignol et ses collègues du groupe socialiste et républicain.

Ce texte permettra à la France de se conformer à ses engagements internationaux et de rejoindre la quasi-totalité de ses partenaires européens qui ont affirmé un principe analogue. Il conduira également à l'évolution de la jurisprudence pénale admettant le « droit de correction » des parents.

La proposition de loi prévoit aussi de former les assistantes maternelles à la prévention des violences éducatives ordinaires et contient une demande de rapport, destiné à dresser un état des lieux de ces violences éducatives et à examiner comment les politiques publiques de soutien à la parentalité et de formation des professionnels de l'enfance pourraient être renforcées.

La commission des lois a adopté la proposition de loi sans modification.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Après avoir adopté, le 6 mars dernier, la proposition de loi de notre collègue Laurence Rossignol visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, le Sénat est saisi, une nouvelle fois, du dossier des violences éducatives ordinaires (VEO), à l'occasion de l'examen, en première lecture, de la proposition de loi de notre collègue députée Maud Petit et plusieurs de ses collègues des groupes Modem, Gauche démocrate et républicaine et La France insoumise, relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires.

Déposée le 17 octobre 2018, cette proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale le 29 novembre dernier, après avoir été sensiblement remaniée. Transmis au Sénat, le texte a été inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire du mois de juillet.

La proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, déposée par Laurence Rossignol et ses collègues du groupe socialiste et républicain, a quant à elle été déposée au Sénat le 20 février 2019 et adoptée le 6 mars suivant, dans le cadre d'un espace réservé au groupe socialiste.

Proches dans leur rédaction, ces deux textes poursuivent le même objectif : affirmer, dans le code civil, le principe d'un exercice non violent de l'autorité parentale et faire ainsi reculer le recours aux VEO, qui désignent l'ensemble des châtiments corporels et des violences physiques, psychologiques ou verbales exercées contre les enfants dans un but supposé « éducatif ».

Comme votre rapporteure l'avait déjà souligné lors de l'examen de la proposition de loi issue de notre assemblée 1 ( * ) , les résultats de la recherche scientifique tendent à démontrer que les VEO entraînent des conséquences négatives, à long terme, sur les enfants qui les subissent : elles peuvent freiner leur développement cognitif et altérer leur comportement, en les rendant plus enclins à tolérer la violence, et in fine à la reproduire.

Le recul du temps montre en outre que les nombreux pays européens qui ont déjà introduit dans leur législation l'interdiction des VEO en ont retiré des bénéfices : d'une manière générale, les enfants élevés dans un environnement non violent deviennent, à l'âge adulte, des citoyens pour lesquels la violence n'est pas un mode légitime de résolution des conflits. Il en résulte des rapports sociaux plus apaisés, y compris au sein du couple ou de la famille.

Sur la proposition de votre commission, le Sénat avait adopté, au mois de mars, une rédaction identique à celle approuvée par l'Assemblée nationale concernant l'article qui vise à modifier le code civil. Elle regrette que le Gouvernement n'ait pas jugé souhaitable d'inscrire la proposition de loi sénatoriale à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Toutefois, compte tenu de cette convergence de vues, votre commission vous propose d'adopter sans modification le texte transmis par l'Assemblée nationale, les réserves suscitées par certaines dispositions secondaires ne paraissant pas de nature à justifier de prolonger plus longtemps la navette sur un sujet depuis longtemps débattu.

I. UNE PROPOSITION DE LOI PROCHE DU TEXTE ADOPTÉ PAR LE SÉNAT AU MOIS DE MARS DERNIER

Le coeur de la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale réside dans son article 1 er , qui tend à modifier l'article 371-1 du code civil. La rédaction de cet article est identique à celle de l'article unique de la proposition de loi adoptée par le Sénat le 6 mars dernier.

Les articles 1 er bis et 2 contiennent des dispositions complémentaires qui visent surtout à ouvrir une réflexion sur les politiques de soutien à la parentalité et de formation des professionnels de l'enfance.

A. INSCRIRE DANS LE CODE CIVIL LE PRINCIPE D'UN EXERCICE NON VIOLENT DE L'AUTORITÉ PARENTALE

L'article 1 er de la proposition de loi vise à insérer, après le deuxième alinéa de l'article 371-1 du code civil relatif à l'autorité parentale, un nouvel alinéa précisant que cette autorité est exercée sans violences physiques ou psychologiques.

1. Une rédaction nécessaire pour une évolution de la société

L'article 371-1 du code civil définit l'autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ». Son deuxième alinéa indique qu'elle « appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».

L'article 1 er de la proposition de loi ajoute un alinéa à cet article 371-1, qui affirme que « l'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques ». La référence aux violences physiques ou psychologiques permet de couvrir les châtiments corporels et les humiliations, ainsi que toute autre forme de violence pouvant être exercée à l'encontre des enfants.

Cette rédaction est identique à celle adoptée par le Sénat le 6 mars dernier. Votre rapporteure, suivie par votre commission, avait alors préconisé de retenir cette rédaction, sobre et précise, afin de faciliter justement un accord avec l'Assemblée nationale au cours de la procédure législative.

Cette rédaction 2 ( * ) pose clairement le principe d'une éducation sans violence pour les enfants. La référence aux violences physiques et psychologiques inclut ainsi les châtiments et autres humiliations qui peuvent être exercées sur les enfants.

2. Un levier nécessaire pour une évolution de la jurisprudence

Certains s'interrogent sur la portée d'une modification du code civil qui n'est pas assorti de sanctions. D'autres considèrent que le code pénal répond déjà à ce problème en sanctionnant les auteurs de violences commises sur des mineurs. Cette analyse fait toutefois l'impasse sur la portée de l'article concerné par la modification et sur la jurisprudence actuelle qui reconnait parfois encore aujourd'hui un « droit de correction ».

Le code civil est l'un des piliers de notre « contrat social » et il a donc vocation à poser les principes généraux qui régissent la vie en société. À cet égard, il n'est pas inutile de rappeler que l'article 371-1 du code civil est lu aux futurs époux par l'officier d'état civil lors de la cérémonie de mariage . Le principe posé par la proposition de loi bénéficiera donc d'une grande publicité et sera un outil de sensibilisation à l'exercice sans violence de l'autorité parentale.

D'autres principes énoncés dans le code civil ne sont assortis d'aucune sanction, par exemple à l'article 16-1 (« Chacun a droit au respect de son corps ») ou à l'article 16-4 (« Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine »). Ils orientent toutefois les juridictions dans leur travail d'interprétation de la loi et les conduisent à faire évoluer leur jurisprudence.

Ainsi, l'inscription au sein du code civil, dans les dispositions relatives à l'autorité parentale, de l'interdiction explicite de toute violence, ne permettrait plus à la jurisprudence de se retrancher derrière un attribut implicite de l'autorité parentale pour justifier l'invocation d'un « droit de correction ».

Depuis deux siècles, la chambre criminelle de la Cour de cassation reconnaît aux parents et aux éducateurs un tel « droit de correction ». Cette jurisprudence permet au juge pénal de renoncer à sanctionner les auteurs de violences dès lors que celles-ci :

- n'ont pas causé de dommages à l'enfant ,

- restent proportionnées au manquement commis,

- et ne présentent pas un caractère humiliant 3 ( * ) .

Ce « droit de correction » est contestable au regard du principe de légalité des délits et des peines, faute de tout fondement textuel 4 ( * ) . Le fondement de ce droit de correction n'est pas clairement explicité par la Cour de cassation et semble reposer sur la coutume ou sur l'autorisation de la loi, ce droit étant considéré comme un attribut inhérent à l'autorité parentale.

Implicitement, la jurisprudence relative au « droit de correction » semble signifier aux parents qu'il existerait une violence « nécessaire », voire « acceptable », pour l'éducation des enfants. Pour votre rapporteure, l'adoption de la proposition de loi, en prohibant clairement toute violence des parents sur leurs enfants, devrait conduire la Cour de cassation à renoncer à sa jurisprudence sur ce point.

B. LA POLITIQUE DE SOUTIEN À LA PARENTALITÉ ET LA FORMATION DES PROFESSIONNELS DE L'ENFANCE

Les articles 1 er bis et 2 de la proposition de loi abordent la question de la formation des professionnels et celle de la politique de soutien à la parentalité. De portée limitée, ces deux articles mettent toutefois en exergue la nécessité d'une politique plus large de soutien à la parentalité.

1. La formation des assistantes maternelles

L'article 1 er bis est issu de l'adoption en séance publique par l'Assemblée nationale, en dépit de l'avis défavorable de la commission et du Gouvernement, d'un amendement présenté par Mme Rixain, M. Nogal, Mme Calvez et plusieurs de leurs collègues du groupe La République en Marche.

Il tend à modifier l'article L. 421-14 du code de l'action sociale et des familles pour préciser le contenu de la formation devant être dispensée aux assistantes maternelles .

Comme l'indique l'article L. 421-1 du code de l'action sociale et des familles, l'assistante maternelle est une professionnelle qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon non permanente des mineurs à son domicile.

L'exercice de ce métier est subordonné à l'obtention d'un agrément délivré par le conseil départemental.

L'article L. 421-14 du code de l'action sociale et des familles précise que tout assistant maternel agréé doit suivre une formation dont les modalités de mise en oeuvre, la durée, le contenu et les conditions de validation sont définis par décret .

La loi précise cependant qu'une initiation aux gestes de secourisme ainsi qu'aux spécificités de l'organisation de l'accueil collectif des mineurs est obligatoire pour exercer la profession d'assistant maternel.

L'article 1 er bis de la proposition de loi tend à ajouter à ces deux thèmes une formation « à la prévention des violences éducatives ordinaires » . L'objectif est de sensibiliser non seulement les parents mais aussi les professionnels de la petite enfance à cet enjeu important que représente la lutte contre les VEO.

Votre rapporteure rappelle que le Sénat avait rejeté, en mars dernier, un amendement de Mme Boulay-Espéronnier, MM. Daubresse, Bonhomme et plusieurs de nos collègues des groupes LR, UC ou non-inscrits, tendant à insérer la même disposition dans la proposition de loi de Laurence Rossignol.

Ce rejet avait d'abord été motivé par le fait que la définition de la formation des assistantes maternelles relève plutôt du domaine règlementaire. Ensuite, cette disposition était apparue largement satisfaite : le secrétaire d'État à la protection de l'enfance, Adrien Taquet, avait souligné pendant les débats que « la prévention des violences éducatives ordinaires s'inscrit déjà dans la formation des professionnels en contact avec les enfants et les parents », citant notamment « l'attention apportée aux besoins et aux facteurs de développement de l'enfant, conformément aux articles D. 421-46 et D. 421-47 du code de l'action sociale et des familles ». Enfin, le Sénat avait souhaité rester dans le cadre circonscrit par la proposition de loi, qui portait uniquement sur l'autorité parentale, sans l'élargir aux questions de formation. Ainsi les raisons qui avaient conduit au rejet de cet amendement ne portaient en réalité pas sur le fond de la disposition.

2. Une demande de rapport

L'article 2 de la proposition de loi contient une demande de rapport au Gouvernement.

Dans la version initiale de la proposition de loi, ce rapport devait être remis dans un délai de douze mois après la promulgation de la loi. Il devait porter sur les besoins et moyens nécessaires à la mise en oeuvre d'une politique de sensibilisation, de soutien, d'accompagnement et de formation à la parentalité à destination des futurs parents.

Sur proposition de la rapporteure Maud Petit, la commission des lois de l'Assemblée nationale a modifié la rédaction de cet article pour :

- d'une part, réduire le délai de remise du rapport en fixant une date butoir au 1 er septembre 2019 ;

- d'autre part, élargir l'objet du rapport, qui devra procéder à un état des lieux des VEO en France, avant d'évaluer les besoins et moyens nécessaires au renforcement de la politique de sensibilisation, d'accompagnement et de soutien à la parentalité à destination des parents ainsi que de formation des professionnels concernés.

Par cette demande de rapport, l'Assemblée nationale a voulu souligner que des progrès dans la lutte contre les VEO ne pourront être obtenus sans une politique d'ensemble menée en direction des parents et des professionnels pour promouvoir une éducation bienveillante et sans violence.

Cette volonté rejoint le souci de votre rapporteure de voir s'inscrire cette mesure dans le cadre plus large d'une politique de soutien à la parentalité. La mobilisation des pouvoirs publics est indispensable.

II. EN DÉPIT DE RÉSERVES SUR DES POINTS SECONDAIRES, VOTRE COMMISSION SOUTIENT L'ADOPTION DE LA PROPOSITION DE LOI

A. UNE MESURE ATTENDUE

Comme votre rapporteure l'avait expliqué dans son rapport de février dernier, la recherche scientifique a clairement mis en évidence les conséquences négatives des violences éducatives ordinaires, ce qui plaide pour que le législateur affirme un principe clair d'interdiction dans le code civil.

1. Un impact négatif des violences éducatives ordinaires désormais bien établi

Les recherches scientifiques dans le domaine psychosocial ont montré que les violences éducatives ordinaires subies dans l'enfance avaient des conséquences négatives sur le rapport à autrui.

Pour le Dr Gilles-Marie Vallet, les violences éducatives ordinaires peuvent ainsi conduire à l'intériorisation par l'enfant d'une violence admise, tolérée à l'encontre des personnes proches. Cette forme de banalisation du recours à la violence peut favoriser, à l'âge adulte, le passage aux violences conjugales ou l'utilisation de la violence pour régler les conflits qui ne manquent pas de se produire dans le cadre de la vie sociale.

Une méta-analyse de Rebecca Waller 5 ( * ) , passant en revue une trentaine d'études scientifiques, a montré que les violences commises sur les enfants favorisaient les conduites sociales problématiques, voire déviantes : agressivité, vols et consommations à risque.

À l'inverse, des études ont mis en avant les effets bénéfiques que pouvait entraîner une législation interdisant toutes violences éducatives ordinaires. En Suède, entre 1982 et 1995, le nombre de placements d'enfants en foyer a baissé de 26 % tandis que le nombre d'enfants âgés de quinze à dix-sept ans condamnés pour vol a baissé de 21 % entre 1975 et 1995.

Une étude récente, croisant les données recueillies dans 88 pays, a également mis en évidence une corrélation entre l'interdiction des châtiments corporels et la baisse de la violence physique entre adolescents 6 ( * ) .

Les apports de la recherche en neurosciences ont de plus mis en évidence les effets néfastes des violences sur le développement du cerveau de l'enfant.

Les travaux du chercheur Bruce Mc Ewen ont souligné les effets du stress sur le cerveau des enfants : l'exposition au stress entraîne une production accrue de cortisol, une hormone qui nuit, lorsqu'elle est présente en trop grande quantité dans l'organisme, au bon développement des connexions neuronales et qui fragilise les zones du cerveau essentielles au développement de l'enfant que sont le cortex frontal et l'hippocampe 7 ( * ) . Les violences éducatives ordinaires suffisent à créer cette situation de stress susceptible de réduire les capacités cognitives de l'enfant en construction.

Ces travaux sont confirmés par une étude 8 ( * ) du professeur Martin Teicher, de l'université de Harvard, qui a montré que les violences physiques ou psychologiques envers l'enfant fragilisent l'hippocampe. En fragilisant cette zone, les VEO peuvent favoriser des troubles de l'apprentissage et de la mémorisation, et augmenter le risque d'échec scolaire. En 2014, le même auteur a montré que la perturbation des connexions neuronales entraînées par les violences éducatives pouvait favoriser l'apparition de certaines pathologies psychiatriques et comportementales.

En France, les recherches de la psychiatre Muriel Salmona suggèrent que l'impact psychotraumatique des violences commises sur les enfants peut entraîner des conduites auto-agressives, des mises en danger, des conduites addictives, voire des conduites délinquantes et violentes contre autrui.

Au-delà des effets directs des VEO, votre rapporteure est sensible à la notion de continuum de la violence : accepter les violences éducatives ordinaires crée un contexte propice à l'apparition de maltraitances plus graves. Ainsi, la Fondation pour l'enfance estime que 75 % des maltraitances interviennent dans un contexte de punitions éducatives corporelles. Faire reculer les VEO est donc aussi un outil de prévention de la maltraitance des enfants.

2. Reconnaître l'enfant comme une personne à part entière

Bien que dépourvu de capacité juridique, l'enfant a droit au respect de son intégrité psychique et physique.

L'admission des violences éducatives ordinaires portant atteinte à ce droit, il revient à la loi de protéger, jusque dans la cellule familiale, la personne la plus vulnérable. De même que la société française a fini par admettre que la violence entre conjoints était inacceptable, il convient aujourd'hui de faire entrer l'enfant dans le cercle des individus à l'égard desquels la violence est proscrite.

Certes, la violence à l'égard des enfants a déjà beaucoup diminué au cours des dernières décennies. L'usage d'instruments pour punir l'enfant (martinet) est devenu rare, alors qu'il était encore courant dans la France des années 1950. Les châtiments corporels ont longtemps été admis à l'école alors qu'ils sont aujourd'hui interdits.

Toutefois, les chiffres disponibles suggèrent que le recours à la violence éducative reste fréquent dans notre pays. Selon une enquête réalisée par l'Union des Familles en Europe en 2006-2007, le recours à la violence éducative ordinaire serait pratiqué par 85 % des Français.

En posant un principe clair, la loi donnerait le signal que la violence ne peut être tolérée, quand bien même elle afficherait un objectif éducatif, et que d'autres solutions plus efficaces et plus soucieuses de l'intérêt de l'enfant sont possibles.

3. Une exigence au regard des engagements internationaux de la France

L'adoption de la proposition de loi ferait en outre participer la France à un mouvement international et européen tendant à prohiber les violences éducatives ordinaires.

La convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), ratifiée par la France, prévoit en son article 19 une obligation pour les États parties de prendre « toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence , d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents, de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié ».

Dans son observation générale n° 8 publiée le 2 mars 2007 et relative au droit de l'enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments, le Comité des droits de l'enfant des Nations-Unies souligne qu'« éliminer les châtiments violents et humiliants à l'égard des enfants par la voie d'une réforme législative et d'autres mesures nécessaires constitue une obligation immédiate et inconditionnelle des États parties ».

De même, dans son observation générale n° 13 publiée le 18 avril 2011, le Comité a réaffirmé que « toutes les formes de violence contre les enfants, aussi légères soient elles , étaient inacceptables ». Le Comité ajoute que les termes de l'article 19 mentionnant « toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales » ne laissent aucune place à un quelconque degré de violence à caractère légal contre les enfants.

En 2016, à l'occasion de l'audition de la France, le Comité des droits de l'enfant des Nations-Unies a recommandé d'« interdire expressément les châtiments corporels dans tous les contextes, y compris dans la famille, à l'école, dans les structures de garde d'enfants et dans le cadre de la protection de remplacement » (CRC/C/FRA/CO/4 et Corr.1, par. 58) . Le comité a rappelé qu' « aucune violence à l'égard des enfants n'est justifiable et que les châtiments corporels constituent une forme de violence , toujours dégradante et évitable » et a demandé à la France de « promouvoir des formes positives, non violentes et participatives d'éducation et de discipline, notamment par des campagnes d'éducation du public ».

Au niveau européen, l'article 17 de la Charte sociale européenne prévoit que « les enfants et les adolescents ont droit à une protection sociale, juridique et économique appropriée ». C'est sur la base de ce texte que le Comité européen des droits sociaux a, dans une décision du 12 septembre 2014, condamné la France en raison de « l'absence d'interdiction explicite et effective de tous les châtiments corporels envers les enfants en milieu familial, scolaire et autres cadres ».

Pour se conformer à ses engagements internationaux, la France doit donc proscrire de manière claire et explicite les violences éducatives ordinaires et inscrire cette interdiction dans la loi.

Une interdiction des VEO fréquente en Europe

La France apparaît isolée sur la scène européenne en ne prévoyant pas d'interdiction formelle des violences éducatives ordinaires. Depuis une quarantaine d'années, de nombreux pays ont décidé une telle interdiction.

Dans le sillage de la Suède en 1979, 54 pays dits « abolitionnistes » ont voté une loi d'interdiction des châtiments corporels et des humiliations dans l'éducation, dont 23 des 28 pays de l'Union Européenne .

La France fait partie des cinq pays de l'Union européenne n'ayant pas encore adopté une telle loi, aux côtés de la Belgique, l'Italie, la République Tchèque et le Royaume-Uni.

Dans la majorité des pays, l'interdiction des violences éducatives ordinaires a été introduite par une loi civile, comme en Estonie, en Grèce, en Hongrie ainsi qu'en Allemagne. En Espagne, une loi de 2007 a modifié le code civil pour abroger le droit des parents à appliquer des formes raisonnables et modérées de punition.

B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : PRIVILÉGIER UNE ADOPTION RAPIDE DU TEXTE

1. Des réserves sur des points secondaires

Les réserves exprimées par votre commission portent sur les articles 1 er bis et 2, qui toutefois ne sont pas au coeur du dispositif.

L'article 1 er bis , contient, comme on l'a vu, des dispositions qui trouveraient mieux leur place dans la partie règlementaire du code de l'action sociale et des familles. De plus, elles sont en pratique déjà largement satisfaites : l'article D. 421-46 dudit code prévoit une formation des assistantes maternelles aux besoins fondamentaux de l'enfant, à sa sécurité psycho-affective et physique, ainsi qu'à l'accompagnement de l'enfant dans son développement, son épanouissement et son éveil, ce qui conduit à sensibiliser les professionnelles aux modalités d'exercice d'une éducation sans violence.

Cependant, votre commission estime que le fait de viser, de façon plus explicite, la prévention des VEO dans la loi ne soulève pas de difficulté sérieuse. Cette mesure peut s'analyser comme une précision rédactionnelle dans un code dont la partie législative n'est aujourd'hui pas dépourvue de dispositions de niveau règlementaire...

L'article 2 suscite également des réserves qui tiennent à la traditionnelle réticence du Sénat face aux demandes de rapport au Gouvernement.

Le dernier bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2019 réalisé par la présidente Valérie Létard 9 ( * ) a confirmé que la grande majorité de ces rapports n'étaient soit jamais remis, soit remis avec retard et souvent ne répondaient pas aux attentes des parlementaires qui les avaient demandés.

De plus, le Sénat considère que le Parlement a les moyens de s'informer directement sur les sujets qui l'intéressent, par exemple en créant une mission d'information qui recueillera les éléments pertinents.

Toutefois, le rapport demandé aborde des sujets qui ne sont pas sans intérêt dans la perspective d'une lutte efficace contre les VEO. Dans son rapport de février dernier, votre rapporteure avait déjà eu l'occasion de souligner qu'une mobilisation des pouvoirs publics était indispensable pour que le principe posé dans le code civil trouve une application concrète.

Dans le cadre du plan interministériel 2017-2019 de lutte contre les violences faites aux enfants, des initiatives ont été prises pour renforcer la prévention et la sensibilisation des parents. Un livret « Première naissance » est envoyé aux parents par les caisses d'allocations familiales au cinquième mois de grossesse et le carnet de santé a évolué pour intégrer une information sur l'éducation sans violence et le syndrome du bébé secoué. Votre rapporteure espère que le secrétaire d'État à la protection de l'enfance aura à coeur de prolonger cet effort au-delà de l'année 2019 dans le cadre du nouveau plan pour la protection de l'enfance actuellement en cours de préparation.

Il est essentiel de faire mieux connaître aux parents en difficulté les dispositifs existants, gérés par les caisses d'allocations familiales, et le cas échéant de compléter ces dispositifs : services de médiation familiale, espaces de rencontre, réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (REAAP), lieux d'accueil enfants-parents (LAEP) pour les enfants jusqu'à six ans. Les parents peuvent également obtenir une écoute et des conseils en appelant le numéro national 119, géré par le groupement d'intérêt public « Enfance en danger » (Giped).

Votre rapporteure est consciente du fait qu'un travail de sensibilisation à long terme doit être mené : beaucoup de parents qui recourent couramment aux violences éducatives ordinaires, souvent parce qu'ils en ont subis eux-mêmes, estiment qu'elles ne posent pas de problème et ils ne se tourneront donc pas spontanément vers ces dispositifs ; d'autres hésiteront à demander de l'aide par peur du jugement d'autrui ou parce qu'ils considèrent que ces dispositifs ne s'adressent qu'à des familles en grande difficulté.

Dans ce contexte, la réalisation d'un rapport dressant un état des lieux des VEO et traçant des perspectives pour le développement des politiques publiques de soutien à la parentalité et de formation des professionnels pourrait fournir l'occasion d'une réflexion partagée entre les administrations concernées et favoriser des initiatives utiles.

Votre commission ne voit donc pas de raison impérieuse de s'opposer à cette demande de rapport, que le Gouvernement a par ailleurs acceptée.

2. Le choix d'un vote conforme

Les réserves qui viennent d'être présentées paraissent donc trop secondaires pour justifier de prolonger la navette sur un texte dont la disposition centrale, à l'article 1 er , a déjà été adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

Il importe aujourd'hui que le législateur prenne une position claire sur cette question depuis longtemps débattue. En janvier 2010, notre ancienne collègue députée et pédiatre Edwige Antier avait déjà déposé une proposition de loi visant à abolir les châtiments corporels infligés aux enfants, ce qui montre que la réflexion chez les parlementaires vient de loin.

L'adoption sans délai de la proposition de loi, qui s'inscrit dans la continuité des lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016 relatives à la protection de l'enfance, permettra de promouvoir une meilleure prise en compte de l'intérêt de l'enfant et mettra la France en phase avec la majorité de ses partenaires européens.

*

* *

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission a adopté la proposition de loi n° 168 (2018-2019) relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires sans modification .

EXAMEN EN COMMISSION

___________

MERCREDI 26 JUIN 2019

Mme Marie-Pierre de la Gontrie , rapporteure . - Notre commission ayant déjà débattu de ce sujet il y a quelques mois, je vous proposerai de ne pas prolonger nos échanges outre-mesure.

Je rappelle en effet qu'en mars 2019, le Sénat a adopté une proposition de loi du groupe socialiste relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires - double oxymore -, dans la rédaction que j'avais proposée en commission. Peu de temps auparavant, l'Assemblée nationale avait délibéré sur une proposition de loi du groupe MoDem, déposée par Mme Maud Petit, proposition réécrite en commission et en séance avant d'être adoptée. C'est celle-ci que nous examinons aujourd'hui. Comme la rédaction que je vous avais proposé d'adopter est identique à celle de l'Assemblée nationale, je ne crois pas utile d'y revenir aujourd'hui.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale comporte cependant deux articles qui ne figurent pas dans celui adopté par le Sénat : le premier crée une obligation de formation des assistantes maternelles à la prévention des violences éducatives ordinaires, formation déjà largement prévue par la règlementation en vigueur comme le secrétaire d'État Adrien Taquet nous l'avait expliqué en séance ; le second prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les politiques de soutien à la parentalité et de formation des professionnels de l'enfance. Compte tenu de la portée limitée de ces deux dispositions, rien ne justifie, à mon sens, de ne pas adopter ce texte conforme.

M. Philippe Bas , président . - Nos collègues pourront se rafraîchir la mémoire en se reportant au compte rendu de l'excellent exposé que vous nous aviez présenté lors de notre précédente discussion sur ce sujet.

La proposition de loi est adoptée sans modification.


* 1 Cf. son rapport n° 343 (2018-2019) déposé le 20 février 2019 au nom de la commission des lois.

* 2 Cette rédaction n'est pas celle de la proposition de loi initiale, qui disposait que « les enfants ont droit à une éducation sans violence » et que « les titulaires de l'autorité parentale ne peuvent user de moyens d'humiliation tels que la violence physique et verbale, les punitions ou châtiments corporels, les souffrances morales ». La commission des lois de l'Assemblée nationale a ensuite adopté une rédaction indiquant que « les titulaires de l'autorité parentale l'exercent sans violence » et qu'« ils ne doivent pas user à l'encontre de l'enfant de moyens tels que la violence physique, verbale ou psychologique, les châtiments corporels ou l'humiliation ».En séance publique, l'Assemblée nationale a finalement adopté, sur proposition de la rapporteure Maud Petit, la rédaction qui nous est aujourd'hui soumise.

* 3 Cass. Crim. 29 octobre 2014.

* 4 Le code pénal punit toutes les violences commises sur les personnes, même psychologiques, et retient comme une circonstance aggravante le fait que la victime soit âgée de moins de quinze ans.

* 5 Waller, R., Gardner, F., & Hyde, L.W. (2013). « What are the associations between parenting, callous-unemotional traits, and antisocial behavior in youth ? A systematic review of evidence ». Clinical Psychology Review, 33, 593-608.

* 6 Elgar FJ, Donnelly PD, Michaelson V. et al., « Corporal punishment bans and physical fighting in adolescent: an ecological study of 88 countries », BMJ open 2018.

* 7 McEwen, B. Development of the cerebral cortex : XIII. Stress and brain development : II. J. Am. Acad. Child Adolesc. Psychiatry 38:101-103 (1999).

* 8 Teicher MH, Anderson CM, Polcari A., « Childhood maltreatment is associated with reduced volume in the hippocampal subfields CA3, dentate gyrus, and subiculum » . Proc Natl Acad Sci U S A. 2012 Feb 28.

* 9 Cf. le rapport d'information n° 542 (2018-2019) de Mme Valérie Létard , présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, déposé le 4 juin 2019.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page