C. LE PROGRAMME 135 : LE RÔLE MINORITAIRE DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES PARMI LES AIDES À LA CONSTRUCTION

Le programme 135 porte notamment les crédits consacrés aux aides à la pierre .

Il relève d'une gestion budgétaire atypique , de sorte que le montant des crédits indiqué dans les documents budgétaires donne une vision peu exacte de l'effort réel des politiques de l'État en faveur de la construction et de la rénovation de l'habitat.

1. Les dépenses fiscales constituent le principal financement public des objectifs du programme 135

D'une part, ces politiques passent pour l'essentiel par les dépenses fiscales . Pas moins de 50 dépenses fiscales sont en effet rattachées au programme 135 à titre principal, pour un coût total estimé en 2018 à 11,4 milliards d'euros. On peut y rajouter 4 dépenses fiscales rattachées à ce programme de manière subsidiaire, pour un coût estimé à 1,8 milliard d'euros 65 ( * ) .

Votre rapporteur spécial s'étonne particulièrement du chiffrage indiqué par les documents budgétaires pour la dépense fiscale « Taux de TVA réduit pour les logements sociaux » . Il rappelle en effet que, pour compenser une mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS) plus progressive que prévu dans le projet initial du gouvernement, la loi de finances pour 2018 a, sur sa proposition, prévu de remonter provisoirement ce taux de 5,5 % à 10 % pour la plupart des opérations menées par les organismes de logement social. Le gain lié à cette mesure a été évalué à 870 millions d'euros en 2018, 1,05 milliard d'euros en 2019 et 690 millions d'euros à compter de 2020 66 ( * ) . Il paraît donc peu compréhensible que le coût estimé de cette dépense fiscale reste absolument constant dans les documents budgétaires 67 ( * ) .

Les services du ministère de l'économie et des finances et le cabinet du ministre de l'action et des comptes publics, interrogés sur ce point, indiquent seulement que les données disponibles n'ont pas permis de simuler l'incidence du passage du taux de TVA de 10 % spécifiquement sur cette dépense en 2018 et 2019. La méthode de chiffrage serait en cours d'adaptation pour ces dépenses fiscales.

Compte tenu de l'impact important de cette réforme, aussi bien pour le secteur du logement social que pour l'équilibre des finances publiques, votre rapporteur spécial considère qu'il est anormal que, 18 mois après l'adoption de la loi de finances pour 2018, le Gouvernement ne transmette au Parlement aucun élément sur l'impact de cette réforme . Un chiffrage réaliste devra nécessairement être fourni dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2020. La question du taux de TVA des logements sociaux devra en effet être réexaminée à cette occasion, comme s'y est encore engagé le Gouvernement dans l'accord conclu avec les organismes de logement social le 25 avril dernier (voir infra) .

2. Les crédits budgétaires proviennent en majorité des organismes du secteur du logement

Les crédits budgétaires consommés en 2018 ont été de 694 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 685 millions d'euros en crédits de paiement, soit 6 % seulement du montant des dépenses fiscales .

Or ces crédits affichés ne correspondent pas à l'effort budgétaire réel de l'État . Les crédits de paiement consommés au titre du programme 135 comprennent en effet :

- d'une part des reports de la gestion précédente à hauteur de 109,2 millions d'euros. Ces reports sont liés au fonctionnement particulier du programme (voir infra ) ;

- d'autre part des fonds de concours à hauteur de 440,5 millions d'euros. Ces fonds de concours proviennent principalement du fonds national des aides à la pierre (FNAP), qui est abondé par une contribution de l'État à hauteur de 38,8 millions d'euros, des cotisations versées par les organismes de logement social (à hauteur de 375,3 millions d'euros) et par Action Logement (50 millions d'euros), ainsi que par le produit de la majoration du prélèvement « SRU » 68 ( * ) .

En outre, la contribution de l'État au budget du FNAP est comptée deux fois dans les crédits budgétaires : la première fois parmi les crédits ouverts en loi de finances initiale, au titre de l'action 1 « Construction locative et amélioration du parc », et la deuxième fois lorsqu'ils sont reversés par le FNAP par voie de fonds de concours au profit de la même action 69 ( * ) .

Ainsi, sur 809,5 millions d'euros ouverts au total en 2018 en neutralisant ce double compte, 401,7 millions d'euros , soit 49,6 %, provenaient de fonds de concours (hors contribution de l'État mentionnée précédemment), tandis que 298,6 millions d'euros , soit 36,9 %, avaient été ouverts en lois de finances 70 ( * ) , et 109,2 millions d'euros , soit 13,5 %, ont été reportés depuis l'exercice précédent. Sur ces crédits ouverts, seulement 685 millions d'euros ont été consommés, le reliquat, soit 163,4 millions d'euros, étant reporté à l'année 2019.

Origine des crédits ouverts sur le programme 135

En millions d'euros

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires.

Dans la mesure où les crédits reportés depuis l'exercice précédent proviennent eux-mêmes en grande partie du produit d'une cotisation des bailleurs sociaux qui n'a pu être utilisée en fin d'exercice précédent (voir infra ), on peut considérer que moins de la moitié des crédits affichés dans le programme 135 proviennent réellement de l'État .

Force est ainsi de constater que l'État fait le choix de soutenir les politiques visées par le programme 135 principalement par des dépenses fiscales et par des cotisations des bailleurs sociaux et des employeurs , c'est-à-dire des ressources sur lesquelles il a, par définition, moins de prise que sur des crédits budgétaires.

Ces ressources sont soumises à un risque de tarissement en cas de retournement du cycle économique . En cas de nouvelle crise majeure, on pourrait craindre que le secteur du logement social ne soit plus en mesure de remplir le rôle d'amortisseur qu'il a joué lors de la crise financière de 2008 : les bailleurs sociaux avaient alors été en mesure de reprendre de nombreux programmes immobiliers que les promoteurs privés ne pouvaient plus réaliser.

Loin de s'atténuer, la tendance s'accentue d'année en année, puisque l'État a graduellement diminué les crédits budgétaires attribués au fonds national des aides à la pierre, jusqu'à les annuler dans le budget 2019. Le programme est ainsi marqué par une déconnexion croissante entre le montant des crédits de paiement voté en loi de finances initiale et celui réellement consommé , une fois pris en compte les fonds de concours.

Crédits votés en loi de finances initiale
et consommés en exécution

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des lois de finances initiales et des lois de règlement.

3. Les aides à la pierre : une activité moins soutenue que prévu et une gestion budgétaire atypique

Le fonds national des aides à la pierre (FNAP) avait, dans son projet de budget pour 2018, prévu des dépenses d'un montant de 486,8 millions d'euros, dont 470,0 millions d'euros devaient faire l'objet d'un transfert à l'État par un fonds de concours consacré aux opérations nouvelles et aux démolitions 71 ( * ) . Or le niveau de dépenses effectif a été de 440,5 millions d'euros, dont 423,7 ont été versés par le fonds de concours précité 72 ( * ) .

Certaines recettes, comme l'indique la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire, ont été moins importantes que prévu mais c'est aussi l'incapacité de certains territoires à engager des dossiers qui n'a pas permis de répondre aux objectifs fixés par le conseil d'administration du FNAP. En particulier, le montant de logements financés en prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) a été de 34 930 , alors que la cible était de 40 000 logements . Un montant de 46,3 millions d'euros en autorisations d'engagement a ainsi été annulé par un décret du 7 février 2019.

Le niveau important des reports constitue également une difficulté de gestion de ce programme qui a été identifiée lors de l'audition « pour suite à donner » de la Cour des comptes relative à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) organisée le 3 mars dernier devant la commission des finances 73 ( * ) : le recouvrement de la cotisation additionnelle n'a lieu qu'à l'automne, de sorte que, compte tenu des délais de traitement et de transit par le FNAP, les fonds correspondants ne peuvent plus être utilisés pour l'exercice en cours et sont reportés . Le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) a reconnu devant la commission qu'il serait « souhaitable d'accélérer les choses ».

Dans sa note d'exécution budgétaire, la Cour indique que l'une des raisons de ce retard est le contrôle effectué par la direction du budget sur les rattachements des crédits du FNAP au programme 135, de sorte que l'arrêté de rattachement n'est publié qu'une vingtaine de jours après la décision de versement. Or la nécessité de ce contrôle n'apparaît pas clairement.

Plus généralement, la Cour note la tension qui s'exerce entre la règle de l'annualité budgétaire et la nécessité de programmer les crédits d'aide à la pierre sur plusieurs années , tout en respectant la règle de bonne gestion selon laquelle le montant annuel des nouvelles opérations programmées ne peut être supérieur au montant total des versements effectués par le fonds au profit de l'État au cours de l'exercice.

Ce constat rejoint celui fait par votre rapporteur spécial dans le cadre du contrôle budgétaire qu'il a mené au cours de l'année 2018 sur le fonds national des aides à la pierre 74 ( * ) . Il avait alors recommandé de sécuriser les fonds sur le plan pluriannuel et de simplifier et stabiliser les règles de répartition et d'utilisation de ces fonds.

La Cour souligne enfin le nombre élevé d'erreurs d'imputation des charges à payer (par exemple au niveau de l'enregistrement des factures) dans Chorus. Elle indique que, selon une étude du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) de décembre 2017, le délai moyen de traitement des factures et pièces justificatives communiquées par les bailleurs est de six mois , même si certains services déconcentrés s'efforcent de payer en priorité les bailleurs les plus fragiles.

4. L'ANAH : cibler la qualité

L'Agence nationale pour l'habitat (ANAH) est un opérateur doté en 2018 de 110 millions d'euros de crédits budgétaires en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, mais majoritairement financé par le produit de la mise aux enchères des quotas carbone qui lui a rapporté 550 millions d'euros. L'ANAH a indiqué avoir financé en 2018 la rénovation thermique de 94 081 logements, soit une hausse de 17 % par rapport à 2017, dont 62 345 « passoires thermiques » dans le cadre du programme « Habiter mieux » 75 ( * ) .

Votre rapporteur spécial note que, si ce dernier résultat constitue une augmentation de près de 20 % environ par rapport à 2017, il n'a toujours pas permis d'atteindre l'objectif ambitieux fixé à 75 000 pour l'année 2018.

En outre, il insiste une nouvelle fois sur la nécessité de maintenir le niveau de qualité des rénovations qui a contribué à l'appréciation positive portée par la Cour des comptes sur le programme « Habiter mieux » dans une enquête réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat 76 ( * ) .

À cet égard, si la nouvelle aide « Habiter mieux Agilité » 77 ( * ) a profité à plus de 9 000 ménages pour sa première année d'application en 2018, c'est avec le dispositif complet de rénovation qu'il convient de viser la cible de 75 000 rénovations de « passoires thermiques » par an . La trésorerie très importante accumulée par l'Agence grâce, notamment, à la très forte croissance du prix du carbone en 2018 doit lui permettre de maintenir le niveau de qualité nécessaire.


* 65 Projet de loi de règlement, annexe 1, « Développement des dépenses fiscales », calculs commission des finances.

* 66 Note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes pour l'exercice 2018, mission « Cohésion des territoires ».

* 67 L'estimation du coût de cette dépense fiscale pour 2019, telle qu'elle figure dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2019, est également de 2 450 millions d'euros.

* 68 Le prélèvement « SRU » est défini à l' article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation. La somme des contributions est supérieure au total des versements car le FNAP n'a pas pu consommer la totalité des crédits prévus en 2018 (voir infra ).

* 69 Dans la mesure où la contribution de l'État est versée au budget du FNAP, dont le total des produits a été en 2018 de 492,7 millions d'euros, montant supérieur au niveau des fonds de concours versés au programme 135, on peut considérer que le double compte est légèrement inférieur à 38,8 millions d'euros sur l'exercice 2018.

* 70 Les crédits de paiement ouverts en loi de finances initiale étaient de 308,1 millions d'euros, desquels il convient de retrancher 9,4 millions d'euros annulés dans le cadre de la loi n° 2018-1104 du 10 décembre 2018 de finances rectificative pour 2018.

* 71 Fonds national des aides à la pierre, conseil d'administration du 15 décembre 2017, délibération n° 2017-4.

* 72 Budget rectificatif du FNAP, éléments transmis à votre rapporteur spécial.

* 73 Le compte rendu de cette audition, ainsi que l'enquête de la Cour des comptes, sont annexés au rapport d'information n° 367 (2018-2019) fait par votre rapporteur spécial au nom de la commission des finances.

* 74 « Aides à la pierre : du retrait de l'État à la décentralisation ? » , rapport d'information n° 3 (2018-2019 de M. Philippe Dallier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 3 octobre 2018.

* 75 Agence nationale de l'habitat, communiqué de presse du 29 janvier 2019 .

* 76 Le programme « Habiter mieux » , enquête de la Cour des comptes annexée au rapport n° 399 (2017-2018) de Philippe Dallier, réalisé au nom de la commission des finances du Sénat et déposé le 4 avril 2018.

* 77 Le nouveau dispositif « Agilité » correspond à des travaux de rénovation énergétique mettant en oeuvre un seul des trois travaux préconisés pour le dispositif traditionnel « Sérénité ».

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