B. SI LA PROGRAMMATION PLURIANNUELLE PRÉVUE PAR LA LOM EST RESPECTÉE, L'AFITF VERRA SES MOYENS AUGMENTER DE 20 % EN 2020

1. Après une première année qui n'a pas été conforme à la programmation financière, l'AFITF doit être doté en 2020 des 2,9 milliards d'euros prévus par la LOM

Ainsi que le prévoit le rapport annexé au projet de loi d'orientation des mobilités (LOM), les 13,4 milliards d'euros de crédits de paiement que la programmation pluriannuelle des investissements dans les infrastructures de transport prévoit pour l'AFITF pour la période 2018-2022 devaient être répartis de la façon suivante :

Année

2018

2019

2020

2021

2022

Dépenses de l'AFITF (en millions d'euros courants)

2 246 + 327 au titre du règlement définitif de l'écotaxe

2 684 (prévu initialement)

2 480 (désormais)

2 982

2 687

2 580

Alors que la LOM n'a pas encore été promulguée, les promesses formulées par le Gouvernement ont déjà été écornées , puisque le budget de l'AFIFT pour 2019 n'a pas été de 2 684 millions d'euros mais de 2 480 millions d'euros , soit 204 millions d'euros de moins en raison de recettes des amendes radar beaucoup moins importantes que prévu.

Le budget 2019 de l'AFITF était censé marquer une augmentation de 19,5 % du budget de l'agence par rapport à 2018 (hors règlement définitif de l'écotaxe). La hausse n'a été que de 10,4 % , soit une augmentation significative mais deux fois inférieure à ce qui était attendu.

Tout l'enjeu du budget 2020 de l'AFITF est donc désormais de prévoir un volume de dépenses conforme au montant prévu par la LOM et, surtout, de disposer des recettes nécessaires pour les financer.

Selon les informations transmises à votre rapporteur spécial, et sous réserve de modifications susceptibles d'intervenir d'ici à l'adoption du budget de l'AFITF par son conseil d'administration au mois de décembre, les crédits de paiement de l'AFITF devraient bien atteindre 2 982 millions d'euros en 2020 , soit une hausse de 502 millions d'euros (+20,2 %) par rapport à 2019.

Comme le montre le graphique ci-dessous, ce montant traduira une montée en puissance sans précédent du budget de l'AFITF par rapport aux années précédentes, laquelle méritera, si elle est effectivement réalisée, d'être saluée compte tenu des contraintes qui pèsent sur nos finances publiques.

Reste néanmoins le point le plus difficile : financer cette hausse sans pénaliser des secteurs importants de notre économie , contrairement à ce que prévoit le Gouvernement (voir infra ).

Évolution du budget de l'AFITF entre 2016 et 2023

(en millions d'euros courants)

Source : AFITF

Le contrôle que le Parlement est en mesure d'effectuer sur le budget
de l'AFITF demeure toujours aussi insatisfaisant

Pour assurer son financement, l'AFITF bénéficie de taxes qui lui sont affectées par l'État, à qui elle reverse ensuite les deux tiers de son budget sous forme de fonds de concours qui viennent compléter les crédits du programme n° 203 « Infrastructures et services de transport » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

Mais ces fonds de concours ne sont qu'évaluatifs, si bien que le Parlement a impérativement besoin de connaître le budget initial prévisionnel de l'AFITF au moment où il se prononce sur les crédits du programme n° 203.

En effet, sans ce document, le circuit budgétaire du financement des infrastructures et la multiplicité des organismes concernés (SNCF Réseau, Voies navigables de France, grands ports, collectivités territoriales, etc.), rendent très difficile - voire impossible - de savoir quel est le montant effectivement consacré aux infrastructures de transport en France.

L'an passé, Fabienne Keller, alors rapporteur spécial, avait réclamé que le budget prévisionnel de l'AFITF soit systématiquement transmis au Parlement avant l'examen de la loi de finances, afin que députés et sénateurs puissent enfin opérer un contrôle complet des crédits destinés par l'État au financement des infrastructures de transport.

De fait, même si ledit budget n'est adopté qu'en décembre par son conseil d'administration, il est déjà largement finalisé au moment où le Parlement examine le projet de loi de finances, puisqu'il est nécessairement établi parallèlement à celui du programme 203 dont il constitue le complément.

Une fois de plus, ce budget n'a pas été transmis à votre rapporteur spécial et les quelques informations relatives à l'AFITF qu'elle a obtenues l'ont été au moyen des questionnaires qu'elle a envoyés et des auditions qu'elle a menées.

Elle ne peut donc que déplorer le fait que l'utilisation des crédits de l'AFITF demeure beaucoup trop soustraite à un contrôle effectif du Parlement.

Source : commission des finances du Sénat

2. Plusieurs recettes nouvelles sont affectées à l'AFITF pour financer les 500 millions d'euros de dépenses supplémentaires prévues en 2020
a) Parmi les recettes habituelles de l'AFITF, le produit des amendes radar fait cette année l'objet d'une prévision plus sincère

Les recettes de l'AFITF sont constituées par différentes taxes affectées . Depuis 2015, elle ne reçoit plus de subvention d'équilibre de l'État (jusqu'en 2014, ladite subvention était portée par le programme 203).

Comme c'est le cas depuis 2015, le budget de l'AFITF sera avant tout financé en 2020 par le produit de la TICPE , pour un montant fixé à 1 587 millions d'euros en 2020 , soit une hausse de 381 millions d'euros par rapport à 2019 (+ 31,6 %) , en prenant en compte les 70 millions d'euros de recettes supplémentaires issues du coup de rabot sur la dépense fiscale en faveur des transporteurs routiers de marchandise prévu par l'article 19 du projet de loi de finances (cf. infra ).

Il s'agit là d'un exemple d'utilisation vertueuse de la fiscalité écologique : une partie des recettes d'une taxe pesant sur les carburants routiers sont affectées à une agence qui finance en majorité des modes de transport alternatifs à la route .

Le financement de l'AFITF par la TICPE

La loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 avait prévu l'affectation à l'AFITF, en remplacement de l'écotaxe poids lourds, d'une augmentation de 2 centimes d'euro par litre de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur le gazole pour les véhicules légers et de 4 centimes pour les poids lourds, soit une recette pour l'AFITF de 1 139 millions d'euros en 2015, permettant notamment de contribuer au financement de l'indemnité de 528 millions d'euros versée en 2015 à Écomouv'.

La loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a ramené le montant de TICPE affecté à l'AFITF à 715 millions d'euros dans la mesure où les paiements échelonnés à Écomouv' se limitent désormais à 48 millions d'euros par an.

Alors que la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 avait affecté 1 076 millions d'euros à l'AFITF, le présent projet de loi de finances lui affecte 1 517 millions d'euros en 2020.

Source : commission des finances du Sénat

La deuxième grande recette de l'AFITF est la taxe d'aménagement du territoire (TAT) 4 ( * ) acquittée par les concessionnaires d'autoroute, à raison du nombre de kilomètres parcourus par les usagers.

Le produit de cette taxe affecté à l'AFITF augmentera lui aussi de 34 millions d'euros (+6,5 %) pour atteindre 523 millions d'euros en 2020, contre 523 millions d'euros en 2019. L'affectation à l'agence de ces recettes supplémentaires sera notamment permise par la baisse de 46,5 millions d'euros du montant de TAT affectée au compte d'affectation spéciale « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs » (voir infra ).

À noter que le Gouvernement a fait adopter par l'Assemblée nationale à l'article 27 du projet de loi de finances un amendement qui prévoit l'indexation de la TAT sur l'inflation. Cette mesure est censée rapporter à l'AFITF plus de 1 milliard d'euros d'ici la fin de la durée des concessions actuelles (elles s'achèvent en 2032) pour financer le canal Seine-Nord Europe.

Toutefois, elle fait courir à l'État un risque de contentieux avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes en modifiant l'équilibre économique des contrats conclus avec celles-ci. C'est la raison pour laquelle le rapporteur général a proposé à votre commission des finances de supprimer le dispositif introduit par l'Assemblée nationale .

La redevance domaniale versée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes constitue la troisième recette de l'AFITF. En 2020, son produit devrait être légèrement supérieur à celui de 2019 , à 357 millions d'euros .

Si les montants de produit de ces trois taxes affectées à l'AFITF prévus en loi de finances apparaissent plutôt fiables 5 ( * ) , la situation est très différente pour sa quatrième recette majeure , à savoir une partie du produit des amendes des radars automatiques du réseau routier national.

En effet, le Gouvernement avait estimé que l'AFITF percevrait à ce titre 500 millions d'euros en 2019. Or la prévision actuelle n'est plus que de 226 millions d'euros en 2019, soit quasiment moitié moins . Pour mémoire, le montant perçu en 2018 n'avait été que de 248,2 millions d'euros alors que la loi de finances initiale pour 2018 avait prévu des recettes de 457,5 millions d'euros .

Estimant que le montant de recettes d'amendes radar annoncé pour 2019 par le Gouvernement était clairement surestimé , Fabienne Keller, rapporteur spécial du budget des transports l'an dernier avait écrit dans son rapport spécial que « le fait que les recettes de l'AFITF atteignent véritablement 2,7 milliards d'euros en 2019 apparaît pour le moins douteux . Partant, il est peu probable que l'agence soit à même de couvrir toutes ses dépenses prévues pour 2019 et elle risque fort de devoir reporter certaines d'entre elles, comme elle s'apprête du reste à le faire pour les dépenses de 2018 ».

Les faits lui ont indéniablement donné raison . Votre rapporteur spécial note toutefois que la prévision annoncée par le Gouvernement cette année en matière de recettes issues des amendes radars - 191 millions d'euros - paraît beaucoup plus conforme aux résultats obtenus en 2018 et attendus pour 2019.

Les recettes de l'AFITF de 2017 à 2020

(en millions d'euros)

2017

2018

2019

2020

2020/2019

Taxe d'aménagement du territoire

565

472

523

557

+ 6,5 %

Redevance domaniale

350

355

355

357

+ 0,5 %

Amendes radars

400

450

226

191

- 15,5 %

TICPE

735

1 076

1 206

1 517

+ 25,8 %

TICPE transport routier

-

-

-

70

+ 100 %

Ecocontribution billets d'avion

-

-

-

230

+ 100 %

Plan de relance autoroutier

100

60

60

60

-

Remboursement d'avances directes

75

-

- 100 %

Versement région Normandie

-

35

35

-

- 100 %

Total

2 150

2 448

2 480

2 982

+ 20,2 %

À la suite du protocole d'accord conclu le 9 avril 2015, l'AFITF perçoit également depuis 2015 une contribution volontaire exceptionnelle des sociétés concessionnaires d'autoroutes pour un montant total de 1,2 milliard d'euros courants sur la durée des concessions autoroutières répartis en fonction du trafic de chaque concession. Ainsi, 100 millions d'euros ont été versées chaque année à l'AFITF de 2015 à 2017. Le reliquat est désormais versé progressivement jusqu'en 2030 . La somme prévue en 2020 est de 60 millions d'euros .

b) Des recettes nouvelles qui posent d'importantes difficultés et ne sont pas acceptables en l'état

Deux recettes nouvelles au profit de l'AFITF ont été prévues dans le cadre du projet de loi de finances 2020, pour un montant estimé à 300 millions d'euros .

Annoncées opportunément à l'issu du conseil de défense écologique du 9 juillet dernier pour favoriser une issue positive de la réunion de la commission mixte paritaire qui devait statuer sur le texte du projet de loi d'orientation des mobilités, ces deux recettes ne sont pas satisfaisantes .

Il s'agit tout d'abord du coup de rabot de 2 centimes d'euros par litre sur le tarif réduit de TICPE des transporteurs routiers prévu à l'article 19 du projet de loi de finances, mesure dont le rendement sera de 70 millions d'euros en 2020 puis de 140 millions d'euros par an à compter de 2021.

Or, il est bien établi que 75 % des poids lourds étrangers circulant en France ne s'y approvisionnent pas en carburant , ce qui signifie que la TICPE sur le carburant des poids lourds pèse essentiellement sur les entreprises françaises .

Votre commission des finances a par conséquent décidé de supprimer cet article qui risque de déstabiliser les transporteurs routiers français vis-à-vis de leurs concurrents étrangers en aggravant le déficit de compétitivité dont ils souffrent déjà, puisque le tarif de TICPE applicable en France est actuellement de 43,19 euros par hectolitre , contre 33,00 euros par hectolitre en Espagne, 35,26 euros par hectolitre en Belgique et 35,50 euros par hectolitre au Luxembourg.

L'autre mesure nouvelle destinée à financer l'AFITF est l' « écocontribution » sur le transport aérien prévue à l'article 20 du projet de loi de finances. Conçue comme une majoration de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TS) , elle devrait rapporter 230 millions d'euros à l'agence en 2020.

Si votre commission des finances a décidé de maintenir cette taxe qui n'a d'environnementale que le nom pour ne pas définitivement mettre en péril l'équilibre financier de l'AFITF , elle considère néanmoins que celle-ci viendra pénaliser des transporteurs aériens français sur qui pèse déjà une fiscalité très lourde.

C'est pourquoi elle prévoit notamment de baisser d'autres taxes applicables aux compagnies aériennes - en particulier la taxe de l'aviation civile - et de créer un dispositif de suramortissement pour encourager l'achat d'avions plus propres.

Compte tenu de ces observations, votre rapporteur spécial considère que le problème du financement de l'AFITF reste pour l'heure irrésolu . Il n'est pas légitime que l'abandon de l'écotaxe poids lourds en 2014 puis la baisse du produit des amendes radar à compter de 2018 pénalisent en bout de chaîne les transporteurs routiers français ou les compagnies aériennes .

Pour trouver de nouvelles ressources, le Gouvernement pourrait, contrairement aux parlementaires qui sont contraints par les règles de la recevabilité financière, affecter davantage de TICPE à l'AFITF , ce qui serait logique pour une taxe environnementale, ou bien encore trouver enfin un moyen de faire contribuer à l'entretien de nos routes les poids lourds étranger qui ne font que traverser notre pays sans même s'y ravitailler en carburant.

Le montant des restes à payer de l'AFITF a diminué en 2019, tout comme la dette de l'établissement vis-à-vis de SNCF Réseau

Le financement des infrastructures de transport se caractérise par sa pluri-annualité . Qu'il s'agisse de l'État ou de l'AFITF, les projets engagés une année font l'objet de décaissements réguliers les années suivantes tout au long de leur réalisation.

D'après les documents transmis à votre rapporteur spécial, l'AFITF devrait avoir engagé au 31 décembre 2019 41,9 milliards d'euros depuis sa création et les mandatements s'élèveraient à 30,5 milliards d'euros .

L'AFITF doit donc faire face à ses engagements passés pour des montants très substantiels .

Fin 2019, une somme d'environ 11,3 milliards d'euros restait ainsi à mandater , soit un montant légèrement inférieur à quatre exercices au regard du budget 2020 de l'AFITF. Ce montant est en baisse par rapport aux années précédentes, puisque les restes à payer s'élevaient en moyenne à 12 milliards d'euros .

Si l'AFITF est endettée vis-à-vis de SNCF Réseau, sa dette tend à se réduire rapidement puisque elle est passée de 677 millions d'euros en 2014 à 220 millions d'euros en 2018.

Elle devrait encore diminuer de 77 millions d'euros en 2019 pour atteindre 143 millions d'euros . Cette somme est due au gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire au titre de la ligne à grande vitesse (LGV) Sud Europe Atlantique.


* 4 Cette taxe est prévue à l'article 302 bis ZB du code général des impôts.

* 5 L'agence s'attend quand même à un moins-perçu de redevance domaniale de 8 millions d'euros en 2018.

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