LES MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Au cours de l'examen des crédits de la mission par l'Assemblée nationale, celle-ci a adopté un amendement de réduction de 7 millions d'euros des crédits du programme 149 présenté par le Gouvernement.

Ce dernier a motivé son initiative par le rétablissement des droits perçus au profit de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances.

Vos rapporteurs spéciaux relèvent que ce vote ramène la subvention pour charges de service public de l'INAO à son niveau de 2019. Or, dans le cadre des orientations prises pour améliorer la force de persuasion commerciale des signes de qualité et leur défense, mais aussi dans un contexte marqué par le développement des conversions à l'agriculture biologique que l'INAO devrait pouvoir mieux accompagner, une amélioration des moyens de l'INAO s'imposerait.

La position du Gouvernement apparaît ainsi symptomatique d'une tendance illustrée par le projet de budget de la mission pour 2020 à ne pas accompagner les transitions de l'agriculture par les moyens qu'elles mériteraient.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 13 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport de MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

M. Alain Houpert , rapporteur spécial . - Le projet de budget de la mission agriculture pour 2020 me semble devoir être apprécié à l'aune de trois ordres de considération : le contexte général de l'activité agricole, sa capacité à accompagner l'agriculture française comme elle va, la gestion des interventions agricoles.

Le contexte général de l'activité agricole c'est du point de vue économique pour l'année 2018, la dernière dont les résultats sont connus, une embellie conjoncturelle pour certains secteurs, en particulier pour la viticulture qui m'est chère, mais l'approfondissement des difficultés pour d'autres, dont l'élevage, dans un contexte marqué par une réduction considérable et inquiétante des volumes de production. Sans doute faut-il y voir l'effet de la sécheresse mais il est temps de se pencher sur une analyse approfondie de cette évolution. Elle ferait apparaître des faiblesses structurelles, illustrées notamment par la dégradation de nos échanges extérieurs. La France a besoin de renouveler sa stratégie agricole pour pouvoir exprimer tout son potentiel et nous ne voyons rien venir de ce côté. Au contraire, le contexte général de l'activité agricole est marqué par des accords de libre- échange, je parle ici du CETA mais le Mercosur viendra sans doute un jour, malgré les pas de clerc du Président de la République, conclus sans considération de la capacité de notre production à faire face aux chocs qu'ils supposent. À l'heure où les États-Unis d'Amérique appliquent à notre agriculture une loi du talion agressive nous leur ouvrons les portes de notre marché à travers le petit frère canadien. Le contexte c'est enfin la négociation de la nouvelle politique agricole commune. Le Gouvernement nous indique juger inacceptable qu'elle puisse programmer une baisse de la valeur réelle des interventions agricoles.

Le Sénat partage ce sentiment. Aussi, cohérent avec lui-même, ne pourra-t-il que rejeter un projet de budget agricole pour 2020 proposé par un Gouvernement, moins conséquent, qui ne respecte pas cette exigence minimale et nous propose de réduire les crédits destinés aux exploitations agricoles de 1 % en valeur réelle.

Accompagner la vie agricole comme elle va, c'est-à-dire dans ses difficultés et dans ses transitions, la programmation budgétaire proposée par le Gouvernement ne le permettra pas. Bien sûr le calibrage général des crédits que je viens de rappeler est en cause mais il y a plus. Je voudrais en premier lieu faire ressortir le déficit de dotations ouvertes par rapport à la loi de programmation des finances publiques. 127 millions d'euros manquent par rapport au sous-jacent de la programmation pluriannuelle, programmation qui, du reste, exerçait une contrainte déjà très forte sur les interventions agricoles. Je reviens dans un instant sur les facteurs qui expliquent cette situation mais je veux en dégager certaines conséquences. La première d'entre elles c'est que des charges certaines ne sont pas financées de sorte qu'il faudra puiser sur des lignes appelées à être sous-consommées pour combler une partie des impasses. La seconde c'est que les risques environnementaux, sanitaires et climatiques ne sont pas davantage financés. La trésorerie du fonds national de garantie des risques en agriculture a été siphonnée ; les charges qu'il devra financer ne sont pas provisionnées. On reconnaît là les caractéristiques d'un budget manquant à l'exigence de sincérité, thématique largement explorée ces dernières années par notre commission des finances, rejointe sur ce point par la Cour des comptes. Le problème revient. Il accompagne une programmation budgétaire qui ne protège pas contre les risques.

Un point emblématique, je dirais presque symbolique, doit être évoqué, celui de la protection des élevages pastoraux contre les prédateurs. L'extension des zones traversées par la population lupine, en hausse de 20 % ne cesse de gagner : sept départements de plus. Or, les soutiens budgétaires, qui je le dis au passage devraient être parfaitement repérables dans le projet annuel de performances au lieu d'être noyés dans un agrégat de crédits, ne suivent pas.

Dans ces conditions, les transitions de l'agriculture française ne sont pas prises en charge par le budget. Les crédits pour la modernisation des exploitations progressent un peu mais ils sont gérés de telle manière qu'aucune conséquence appréciable ne peut être tirée de cet affichage. La dotation aux jeunes agriculteurs progresse mais moins que les économies liées au réaménagement de l'abattement fiscal aux jeunes agriculteurs. L'ICHN est gelée en valeur et la question des compensations accordées aux agriculteurs qui ont été exclus de son bénéfice après la réforme des zonages n'est pas réglée. Les lignes agro-écologiques sont renforcées mais cela correspond à des arriérés de paiement sur les années antérieures qui restent à solder. Au demeurant, le ministère de l'agriculture a reporté le financement de l'agriculture biologique sur les agences de l'eau et in fine sur les agriculteurs et les collectivités territoriales. Tour de passe-passe qui fait suite au transfert de crédits du premier pilier de la PAC vers le second pilier. Quant aux crédits de la pêche, ils sont si mal exécutés que le projet de loi de finances rectificative motive les 46,9 millions d'euros d'annulation de crédits sur le programme 149 par le constat de sous consommation sur ce point. Quand on considère l'impact d'un Brexit sur les pêcheurs tout cela n'est pas sérieux.

Un mot pour conclure sur les difficultés récurrentes rencontrées par la gestion des interventions agricoles. Rien n'est réglé quant aux problèmes d'organisation que nous avons exposés ici il y a peu dans notre rapport sur la chaîne des paiements agricoles. Pèsent encore sur nous des risques très importants d'apurement de la part de la Commission européenne. Incidemment je voudrais que le Gouvernement se penche sérieusement sur l'action de le Commission dans ce domaine, en particulier pour garantir nos intérêts financiers face à certains détournements des fonds européens. Je voudrais juste ajouter ma stupéfaction devant les délais de traitement des dossiers d'indemnisation agricole et surtout devant le taux de rejet des demandes, plus de 20 %. Tout cela accroît la désolation qu'inspirent la gestion des paiements agricoles et les retards inadmissibles subis par les exploitants, notamment ceux qui s'appliquent à concrétiser la communication autour de l'agriculture biologique.

Cette dernière m'amène à conclure mon propos pas un commentaire sur deux sujets. La réduction des crédits de l'INAO consécutive au renoncement du Gouvernement de supprimer les droits perçus auprès des professions. C'est vraiment là la marque de Bercy sur ce budget. Une initiative totalement déconnectée des réalités suivie d'un ajustement comptable dérisoire. Je voudrais ici tout de même indiquer que la loi Egalim a été fondée sur un renforcement des signes de qualité comme armes de compétitivité de l'agriculture française. Peut-être est-ce un peu optimiste mais, en tout cas, on devrait traduire cette orientation dans le budget. Il n'en est rien. Par ailleurs mais j'anticipe sur l'exposé de notre rapport sur l'agriculture biologique, il est très remarquable de constater combien l'INAO qui est son principal pilote dispose de peu de moyens pour cette mission ? Il se trouve obligé de déléguer les certifications à des organismes extérieurs qui paraissent réaliser un miracle de productivité : traiter les demandes qui montent en flèche et leur valent quelques dizaines de millions d'euros de chiffre d'affaires sans augmenter les moyens.

Pour cet ensemble de motifs je vous recommande le rejet des crédits de la mission AAFAR. En revanche malgré sa perfectibilité, afin de donner un signal positif à la recherche en agriculture je vous recommande l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale pour le développement rural, le CASDAR.

M. Yannick Botrel , rapporteur spécial . - Je voudrais ajouter quelques observations sur le projet de budget.

En premier lieu, je voudrais faire ressortir que le programme 149 de la mission constitue le vecteur du modèle agricole français d'une agriculture très diversifiée et qui anime l'espace rural français. En ce sens il dépend beaucoup du budget agricole européen, du FEADER, en particulier. Nous devons nous attacher à défendre celui-ci, qui ne fait pas l'unanimité partout en Europe, il faut en avoir conscience. Cela suppose d'abord que notre programmation budgétaire donne un signal d'élan et, en effet, il n'est pas bon que nous fassions le contraire de ce que nous plaidons à Bruxelles, en affichant une décroissance réelle des crédits. Cela suppose aussi que nous exécutions bien ce budget et, de fait, les considérables problèmes rencontrés les dernières années, l'annulation déconcertante des crédits pour 2019 proposée par la loi de finances rectificative également posent problème.

La note de présentation fait ressortir l'état d'exécution de la maquette FEADER. Certaines lignes sont déjà consommées. Il s'agit de celles qui avaient été sous-budgétées. D'autres sont très en retard. Tout cela n'est pas satisfaisant et le projet de budget pour 2020 ne témoigne pas d'un effort suffisant pour remédier à ces situations.

Les régions sont autorités de gestion du FEADER mais l'État a conservé la quasi-totalité des moyens de la programmation et de l'exécution. Il y a là un hiatus dont les différents budgets que nous avons examinés ces dernières années se ressentent. Il faudra réorganiser tout cela.

Le FEADER n'est pas le seul fonds à subir des programmations et des exécutions budgétaires approximatives. Le fonds européen pour les affaires maritimes et de la pêche a tardé à être mis en place et en oeuvre. Des paiements importants sont à réaliser dont le projet de budget ne porte pas la trace concrète. Il faut ajouter que le Brexit aura des impacts considérables qui ne sont pas budgétés.

Une partie de plus en plus importante des concours à l'agriculture passe par des niches fiscales et sociales. Ce choix traduit une certaine aversion pour la dépense publique. Il a des limites. Les crédits budgétaires qui peuvent financer des interventions pour tous les agriculteurs qui répondent aux objectifs de la politique agricole viennent à manquer. Les transferts réalisés par la voie de la fiscalité ne peuvent offrir un équivalent. Par hypothèse, quand ils ne concernent pas des impôts de production, ils ne touchent que ceux qui ont des revenus suffisants pour en bénéficier. Or, les exploitations soutenues par le FEADER et par le programme 149 de la mission AAFAR ne relèvent souvent pas de cette catégorie.

La question des financements des chambres d'agriculture a été réglée en première lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement faisant volte-face, une volte-face peut-être pas définitive du reste. Il se dit que les 45 millions d'euros en cause qui accroissent les dépenses publiques sont insupportables au ministère des finances qui entend les récupérer sur des crédits de la mission ou d'autres. Si tel était le cas, ce serait une double-peine pour les agriculteurs : un ressaut de fiscalité de 45 millions d'euros et une baisse des subventions de cet ordre.

Sur la forêt, nous manquons d'une politique résolue. Ce n'est pas tout à fait nouveau mais cela s'aggrave. La réduction de la subvention pour charges de service public du Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui gère 75 % des espaces forestiers français et à qui ces dernières années des efforts déjà importants ont été demandés est très regrettable. C'est 7 % de moins et cela représente 17 emplois. L'état de la forêt privée demande du conseil et le CNPF exerce ses missions dans un contexte de plus en plus complexe. L'état sanitaire de la forêt se dégrade. Les soutiens au fonds stratégique forêt bois rétrogradent de 2 millions d'euros. Quant à l'opérateur de l'État, l'office national des forêts (ONF), il connaît une crise, selon moi moins financière que culturelle. On sent que le Gouvernement a préparé une réforme structurelle avec la séparation des activités commerciales et des activités forestières traditionnelles. Je ne crois pas que ce soit la bonne issue. Il faudra interroger le ministre.

Sur la politique de sécurité sanitaire des aliments, je relève la création de 300 ETPT pour traiter le Brexit, ce qui a quelque chose d'étonnant au vu du nombre des emplois habituellement mobilisés aux frontières (97 au total). Peut-être y aura-t-il des sous-consommations ou des réaffectations puisque le CETA va sans doute accroître les échanges extérieurs. Dans le cadre de cet accord, nous avons fait un assez grand nombre de concessions sur les normes sanitaires et phyto. Dans le même temps nous sommes confrontés à des périls sanitaires très sérieux. Le Gouvernement indique avoir un plan de 18,3 millions d'euros au titre de la surveillance de la peste porcine africaine et de la tuberculose bovine. C'est sans doute assez peu et cela n'apparaît pas dans le projet de budget pour 2020. C'est très structurellement que les moyens de la politique de sécurité sanitaire manquent. Des réorganisations de process pourraient permettre de réduire les besoins mais le Gouvernement ne veut pas les mettre en oeuvre. Je pense à la communication systématique des tests de laboratoire réalisés dans le cadre des autocontrôles. Apparemment il a également renoncé à instaurer une taxe sanitaire permettant de financer les contrôles qu'appelle la maîtrise des risques sanitaires. C'était une recommandation de CAP 2022 qu'on nous oppose si souvent par ailleurs.

Le projet de budget comporte une innovation avec un indicateur de suivi du plan de sortie du glyphosate. C'est en soi louable mais l'indicateur est construit de telle sorte qu'on ne percevra pas les évolutions concernant la diffusion réelle de ce produit. Au demeurant, l'évaluation dont a été saisie l'ANSES devrait être plus ouverte et participative.

Ce budget débouche sur un constat d'atonie. La conclusion peut paraître dure mais les faits sont là. Il s'agit d'un budget de l'accompagnement du moment, et encore pas toujours, là où nous serions en droit d'attendre des perspectives et une vision d'avenir pour l'agriculture. À l'instar d'Alain Houpert je voterai contre l'adoption des crédits de cette mission et je voterai favorablement pour l'adoption de ceux du compte d'affectation spéciale.

M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - Merci de m'accueillir pour la troisième année consécutive. J'axerai mon propos autour de trois points. Un satisfecit puisque le Gouvernement est revenu sur sa décision catastrophique de diminuer de 45 millions d'euros les budgets des chambres d'agriculture par la suppression d'une partie de la taxe affectée et sur la régionalisation du réseau. Je pense que nous n'avons jamais eu plus besoin de proximité et que c'était une vue de l'esprit de vouloir économiser ces 45 millions d'euros dans le sens où ce n'était ni une économie pour la structure ni une économie pour l'État. Il s'agissait d'une baisse de l'imposition des propriétaires qui peut se résumer par le constat d'une baisse de 50 centimes à l'hectare, pour les seuls hectares en propriété soit moins de la moitié des terres exploitées par les agriculteurs. L'économie était dérisoire. Par contre, il faudra être vigilant. Bercy souhaitera récupérer cette somme et voudra ponctionner le budget qui nous est présenté. Deuxième point, une « fake news » propagée par le ministère de l'agriculture qui se vante d'avoir augmenté le budget. En réalité l'augmentation découle du rattrapage des paiements dus pour des engagements financiers du passé sur les mesures agroenvironnementales et climatiques ; elle est donc subie. Troisième point, ce budget est une erreur stratégique. Il n'y a pas d'efforts pour soutenir l'innovation alors que l'agriculture n'en a jamais eu tant besoin pour répondre à la demande sociétale. Rien sur la sortie du glyphosate. Un rapport parlementaire vient d'établir qu'elle conduirait à des impasses et même que pour certains adventices le seul moyen serait de travailler à la main. Tous les agriculteurs sont favorables à la réduction des produits phytosanitaires sans en faire un dogme. Veut-on les renvoyez aux travaux des champs manuels ? Rien non plus sur les nouvelles technologies qui pourraient permettre de réduite l'utilisation des phyto. Ayant auditionné les représentants du syndicat des entreprises de machinisme agricole j'en retiens que grâce à des techniques évoluées et de précision, nous pourrions réduire l'emploi des phytosanitaires de 70 % à 80 %. Rien sur la problématique du réchauffement climatique, sur les retenues collinaires et l'hydraulique agricole. Rien sur les déserts vétérinaires. Rien non plus sur la gestion des aléas. Le seul message que nous envoyons c'est une réduction de la provision pour aléas qui est devenue une réserve pour couvrir les aléas de gestion des aides agricoles par le ministère de l'agriculture, les apurements. En conclusion, nous avons un budget de l'agriculture qui suit un rythme de croisière alors que l'agriculture ne suit pas un tel rythme. Nous étions en droit d'attendre un budget capable de répondre aux attentes de la société civile, d'aider l'agriculture à innover et à défendre sa compétitivité. En conséquence, je recommanderai un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission. Je me pose une question sur les crédits du compte d'affectation spéciale. L'habitude de la commission des affaires économiques est de rendre un avis de sagesse. Je pense que je proposerai l'adoption cette année en ayant conscience que le risque existe que le Gouvernement, après avoir échoué dans sa tentative contre les chambres d'agriculture, puisse souhaiter prendre sa compensation sur les moyens du compte, ce qui serait un très mauvais signal pour les efforts mis en oeuvre pour la recherche et l'innovation en agriculture.

M. Bernard Delcros . - L'agriculture est en souffrance avec des conséquences dramatiques pour les agriculteurs eux-mêmes et pour les territoires. En ce qui concerne le CETA, il va fragiliser considérablement certaines filières, notamment l'élevage. Il ne correspond pas aux attentes de la société. Avez-vous une idée de la date où le projet de ratification de l'accord sera soumis au Sénat ? Deuxième interrogation, le projet de budget du FEADER prévu en forte baisse est incompatible avec la situation du secteur agricole et de la ruralité. Où en est-on de la négociation ? J'ai cru comprendre que la France s'opposait au projet de la Commission mais...Troisième question, en ce qui concerne le réchauffement climatique vous semble-t-il que l'accompagnement des agriculteurs mais aussi des forestiers est à la hauteur des enjeux ? Quelles propositions concrètes sur ce point ?

Mme Sylvie Vermeillet . - Merci aux rapporteurs spéciaux pour la qualité de leur analyse. Vous avez dit que ce budget était un budget du moment. C'est très inquiétant compte tenu des enjeux du réchauffement climatique, en particulier dans le domaine de la politique de la forêt. Vous indiquez que l'Office national des forêts (ONF) traverse une crise sans doute moins financière que culturelle et morale. On le ressent sur nos territoires. Si le budget de l'ONF est à peu près maintenu, je suis préoccupée par la dégradation de la santé de nos forêts avec les scolythes notamment. Les ressources de l'ONF sont soutenues par des ventes de bois. Mais la mise sur le marché de bois secs fait baisser les cours. On s'attend à une chute des recettes des communes mais aussi de l'ONF. On prépare un drame en délaissant nos forêts.

Mme Nathalie Goulet . - C'est un budget qui s'occupe de l'agriculture mais pas des agriculteurs. On peut être très inquiet de la situation dans de nombreux territoires. Il y a le malaise et la tristesse avec des suicides qui s'accélèrent. Il y a aussi le problème des fins d'exploitation. Qu'est-ce-que ça représente sur le nombre des exploitations et sur les surfaces agricoles ? En ce qui concerne l'enseignement agricole, comment est-il traité cette année ?

M. Antoine Lefèvre . - Merci aux rapporteurs spéciaux. L'agriculture ne va pas bien mais nos agriculteurs vont encore moins bien ; ce budget en faux semblant fait craindre le pire. Je me réjouis que les chambres d'agriculture aient été finalement préservées. Nous avons besoin de proximité. Sur la forêt nous avons beaucoup travaillé au Sénat. Je n'ai pas le sentiment que le Gouvernement prenne la mesure de la crise.

M. Michel Canévet . - Merci et félicitations aux trois rapporteurs pour la qualité de leurs analyses. L'agriculture est importante pour la France et pour les territoires ruraux. Pour les aides européennes que nous avons largement évoquées ces dernières années, la situation s'est-elle réellement améliorée ? Nous arrivons au bout de la programmation en cours et nous sommes encore à des niveaux d'engagement et de paiement qui peuvent apparaître faibles. Aurons-nous le temps de consommer les enveloppes ? Nous plaidons pour un maintien au minimum de l'effort et il serait gênant de ne pas consommer nos crédits. Pour la pêche, le problème est le même encore accentué. C'est particulièrement inquiétant. Nous avions formulé des recommandations sur l'agence de services et de paiement (ASP), ont-elles été prises en compte ? Pour la prochaine programmation, il faut sérieusement songer à régionaliser la gestion des fonds. Ce n'est pas l'orientation actuelle mais nous devons gérer au plus près du terrain. Sur les crédits de la pêche, il est plus que regrettable que nous ne soyons pas en mesure de consommer une enveloppe pourtant limitée alors que le secteur est confronté à de grandes difficultés. Nous importons de plus en plus. Où en sommes-nous s'agissant des recrutements de vétérinaires inspecteurs ? Dans la perspective du Brexit, il semble n'y avoir pas de difficultés pour recruter des douaniers. Mais pour les vétérinaires inspecteurs c'est apparemment beaucoup plus difficile. Enfin, sur l'investissement, il est indispensable d'accélérer l'investissement. Des aides sont-elles ménagées à cette fin qu'elles passent par des crédits ou des avantages fiscaux.

M. Arnaud Bazin . - Sur la question de l'administration des aides, je lis que dans le passé la mauvaise gestion des aides surfaciques a été responsable d'une proportion considérable des refus d'apurement européens. L'administration a-t-elle réagi ? Les effectifs dédiés au Brexit, qui pose un problème sanitaire et un problème de transport des animaux, sont-ils suffisants ? Avons-nous dû recruter à l'étranger des personnels compétents vu la situation de rareté constatée en France ?

M. Marc Laménie . - Il y a un mal-être profond chez les agriculteurs. Ils exercent un métier difficile et participent à l'animation des zones rurales. Ils méritent beaucoup d'écoute et de reconnaissance. Sur l'administration territoriale, les directions départementales ont vu leurs effectifs fondre. Où en est-on ? Quant aux forêts, le constat est partagé d'une sous-exploitation de la ressource. L'avenir de l'ONF est-il stabilisé ? Quant aux crises sanitaires, l'ardennais que je suis est particulièrement sensible au problème. La peste porcine africaine a entraîné le déploiement d'une impressionnante clôture entre la France et la Belgique. A-t-on une idée du coût de cette opération ? Sur le changement climatique, sait-on si les aléas climatiques sont correctement provisionnés ? Quant à l'apiculture, l'Etat est-il à la hauteur du défi ? Les crédits européens sont mal gérés par la France. Peut-on améliorer la situation ?

M. Jean Bizet . - Merci aux rapporteurs. Ce budget n'est pas un budget pour les agriculteurs. Ce budget est d'autant plus nécessaire que nous allons subir une réduction drastique des crédits de la politique agricole commune (PAC). Nous ne parvenons pas à convaincre nos partenaires de soutenir l'agriculture européenne ? Alors que les autres continents accroissent leurs soutiens, nous nous apprêtons à les baisser. L'objectif de convergence entre les États européens va être difficile à assumer. Les crédits du FEADER devraient baisser de 25 %. Tant que l'Europe ne renforcera pas son budget compte tenu des politiques qu'il faut obligatoirement mettre en place, notamment dans le domaine de la sécurité et de la défense, on ne parviendra pas à boucler la programmation agricole. Du reste on nous invite à augmenter les concours nationaux à hauteur de 10 %. La fongibilité entre le premier et le deuxième pilier ouvre à des distorsions de concurrence. La France fera plus pour l'environnement que d'autres pays, notamment de l'est européen, qui soutiendront leur agriculture par le premier pilier. L'on se dirige vers un glissement de l'élaboration du cadre financier européen pour le fixer une fois les élections derrière nous. On constatera alors une réduction des crédits de la PAC et la messe sera dite. Sur les emplois annoncés pour le Brexit, je crains que ce ne soit insuffisant. Si le futur accord de libre-échange se conforme à ce qui a été annoncé, il n'y aura pas d'union douanière entre le Royaume-Uni et l'Irlande. La tentation existera pour le Royaume-Uni de passer par l'Irlande. Il faudra des contrôles douaniers. Or ce n'est plus dans notre culture. Je rappelle que les barrières non tarifaires coûtent 15 % du coût d'une transaction. Si l'ANSES peut apparaître un peu léthargique à certains sur le dossier du glyphosate, je le comprends puisque l'ANSES a toujours dit qu'il n'y avait pas de problème avec le glyphosate, faisant partie des dix agences européennes sur onze ayant tenu cette position. Je rejoins les propos de Laurent Duplomb. Pourquoi se priver des solutions existantes pour surmonter ce problème ? Yannick Botrel est chargé d'une étude avec Daniel Gremillet sur les « new breeding technologies ». Il faudra bien trouver une solution pour contourner, et je pèse mes mots, l'avis de la Cour de justice européenne qui n'a pas rendu service à la recherche française et européenne.

M. Thierry Carcenac . - Je partage le constat que font nos rapporteurs sur ce budget. Quand on est sur le terrain, on voit bien qu'il correspond à la réalité. Sur le contrôle sanitaire, nous sommes face à un vrai problème. Dans le service actuel il n'y a que 97 agents. On en recrute 300 pour le Brexit mais il n'y a pas de nouveaux moyens pour les autres opérations. C'est un vrai problème compte tenu des risques sanitaires. Je souhaite évoquer le coût de la protection de nos troupeaux contre le loup et l'ours. Vous indiquez une estimation. Consolide-t-elle les interventions du ministère de l'environnement ? Tout compris nous sommes face à des montants qui peuvent paraître disproportionnés avec les enjeux de la réintroduction du loup et de l'ours.

M. Sébastien Meurant . - Sans reprendre les mots de Sully, cet ami d'Henri IV soulignait les enjeux de l'agriculture et la portée de son message demeure. La France a des atouts extraordinaires. Nous avons des terroirs diversifiés. Or année après année, notre position se dégrade et hors vins et spiritueux, notre balance commerciale serait déficitaire. Je ne sais si on mesure le choc que cela représente. Nous gâchons nos atouts. A-t-on une stratégie de reconquête ? Nous importons du miel de Chine contrefait. L'importation de tomates chinoises a ruiné des exploitants qui ont été rachetés par des opérateurs venant de Chine. J'ai une question sur le label bio. J'ai pu constater quelques incompréhensions sur ce label avec la concurrence de labels bio non européens. Est-il possible de promouvoir des labels « fait en France » afin de donner une visibilité à des produits qui ne sont pas issus de l'éclatement de la chaîne de production ?

M. Jean-Marc Gabouty . - Un mot sur la forêt. Qu'elle soit publique ou privée, la forêt est un investissement à long terme d'autant plus à risque qu'elle est inassurable. La maturation d'une forêt c'est quarante ou cinquante ans. Le problème de la forêt ce n'est pas un problème financier ni fiscal. Il y a des avantages significatifs. Actuellement on assiste plutôt à une pression sur la forêt française qui favorise les prix. Mais nous avons un problème de filière avec des capacités de transformation insuffisantes. Il faut éviter d'exporter des bois bruts qui nous reviennent en produits finis que nous importons. Comment améliorer la structuration de la forêt ? L'environnement physique et juridique doit être amélioré. Les groupements forestiers n'arrivent pas à fonctionner dans la stricte légalité dès lors qu'il y a plus de vingt porteurs de parts. La forêt est trop morcelée. Il faut parfois soixante parcelles pour faire dix hectares. Vous avez des chevelus totalement ingérables de ce fait. Des maladies apparaissent. Des issues commerciales contestables conduisent à l'utilisation du bois pour produire de l'énergie. Il vaudrait mieux l'éviter et réserver cet emploi aux déchets de scieries ou aux sous-produits forestiers vraiment non utilisables. Attention à ne pas stigmatiser le bois papier. Bien entend il faut veiller sur l'ONF. Mais n'est-ce pas plutôt un problème d'organisation ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - On a typiquement l'exemple avec cette mission d'un problème de mauvaise administration. Il faut des effectifs sur les vrais problèmes, les problèmes sanitaires par exemple. Mais nous ne devons pas cultiver les doublons. Je me souviens de la description assez désolante qui avait été exposée lors de nos travaux sur la chaîne de paiements agricoles. Il faut améliorer la gestion du ministère.

M. Alain Houpert . - Merci à Laurent Duplomb de partager nos analyses. Sur l'inscription du projet de loi de ratification, je n'ai pas d'informations. Peut-être cela sera-t-il après les élections municipales. Je ne sais pas... On ne peut pas défendre un FEADER constant à Bruxelles et présenter un budget en baisse en euros réels en France. Il faut bien entendu veiller à une meilleure consommation de nos enveloppes. Le budget est sans élan alors que nous prétendons nous situer dans une transition vers une autre agriculture. Les surfaces agricoles demeurent pour le moment en étendue inchangée malgré la forte diminution du nombre des exploitations. Le besoin de nouvelles installations va se renforcer et s'il n'est pas satisfait, nous allons aboutir à des grosses fermes. L'agriculture marginale est en danger. Sur les aides européennes, nous avons un peu de temps pour payer. Mais, les problèmes d'exécution budgétaire révèlent des difficultés structurelles. L'ASP voit ses crédits informatiques renforcés. Mais, il y a un problème non résolu d'articulation avec les effectifs d'instruction et de contrôle des aides. Sur le Brexit, il y aura des difficultés de recrutement pour les vétérinaires. Ce problème a été souligné par Arnaud Bazin. Il y a un problème de proximité des services. Une partie de la réduction du FEADER tient à la sortie du Royaume-Uni mais une partie seulement et nous devons rester attentif à l'ambition agricole européenne et au maintien d'une PAC vraiment commune. Les mesures concernant le loup et l'ours sont prises en charge par le ministère de l'agriculture pour la protection contre la prédation et par le ministère de l'environnement pour les indemnisations. De fait, l'alourdissement des charges pour les exploitants et pour les finances publiques interroge. Merci d'avoir évoqué Sully. Je rappellerai Voltaire. Rien n'est pire que d'affamer ceux qui nous nourrissent. Sur le bio il faut veiller à l'intégrité de l'information des consommateurs. Il faut également s'interroger sur la biocompatibilité des circuits du commerce international. Nous importons trop de produits en bio pour respecter un objectif légitime de développer des circuits courts.

M. Yannick Botrel , rapporteur spécial . - La question de la PAC est évidement centrale et il faut s'opposer à la réduction proposée. Le calendrier me semble figé au moins jusqu'à la fin de l'année. Cela s'accélérera après. Le risque c'est une renationalisation des politiques agricoles. Ce serait alors du « chacun pour soi ». Personne n'en veut. Mais il est difficile de s'opposer à la renationalisation des politiques agricoles et de promouvoir en même temps des mesures très protectionnistes à l'intérieur de l'Europe contre les autres pays européens. Malgré la détérioration de nos performances commerciales, nous sommes aussi exportateurs. Sur la reconquête des filières, on cite fréquemment la filière volailles. J'ai une petite histoire qui illustre les problèmes qu'on rencontre lorsqu'on veut améliorer la situation. On indique que les industriels n'ont pas assez investi. Or, à supposer qu'on trouve des investisseurs, il arrive plus souvent qu'à son tour que les populations s'opposent au développement des élevages qui conditionne les projets. Il y a quand même quelques contradictions. Sur la forêt, nous avions réalisé un rapport qui cernait les enjeux avec, alors, un chiffre d'affaires de l'ordre de 70 milliards d'euros et un déficit commercial de 7 milliards. Il y a un débat assez régulièrement constaté d'ailleurs entre les producteurs qui équilibrent leurs comptes par des exportations et les scieurs qui souhaitent réduire le coût d'achat de la matière première. C'est difficile à surmonter autrement que par une meilleure valorisation des produits finis. Vient se greffer par ailleurs sur cette problématique le développement d'usages concurrents du bois. Le développement de chaufferie bois de grande jauge tarit la ressource. L'état sanitaire de la forêt inquiète. Mais on prétend que le boisement va se modifier dans un sens susceptible d'atténuer les problèmes. Actuellement la demande se porte sur l'épicéa. Le volume des résineux devrait représenter 60 % des apports. Or, la situation est inverse. Offre et demande ne coïncident pas. Nous avons fait des progrès en matière d'innovation. Nous en connaissons de bons exemples en Bretagne. C'est pour l'essentiel le fruit d'initiatives décentralisées. Oui le morcellement est excessif. Certains de nos concitoyens doivent ignorer être propriétaires de parcelles forestières. Sur les apurements on est autour de 125 millions d'euros inscrits cette année. Les apurements ne sont pas constants. Il peut y avoir des ressauts en fonction du déroulement des procédures avec une forte variabilité annuelle des sanctions. Par ailleurs, quand les corrections financières dépassent un certain niveau, des discussions s'ouvrent avec la Commission européenne. Il y a quelques années, nous étions parvenus à réduire notre dette d'apurement passée de 5 milliards d'euros à un peu plus d'un milliard d'euros lorsque Stéphane Le Foll était ministre de l'agriculture. Les aides surfaciques ont posé de graves problèmes. La rénovation du registre parcellaire graphique avec des orthophotographies plus satisfaisantes a coûté cher mais des progrès ont été réalisés. Il n'empêche qu'il faut actualiser tout cela en permanence et gérer les autres conditionnalités. Sur la consommation des fonds européens, il y a une caractéristique générale qui est qu'on consomme peu en début de période. Il est difficile de se prononcer sur l'issue de la programmation d'autant que des transferts financiers peuvent intervenir. La réduction du nombre des exploitations se solde par une concentration des terres. Cela peut déboucher à terme sur un problème de valorisation de la reprise. Nous allons avoir un nouveau recensement agricole en 2020. Nous pourrons être plus précis.

M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - Sur la PAC, nous avons besoin de chiffres stabilisés. La PAC c'est 408 milliards d'euros. Le Royaume-Uni c'est 46 milliards de contributions et 27,3 milliards de retours, soit un solde net de 19 milliards d'euros. On devrait être pour la PAC, Royaume-Uni exclu, autour de 390 milliards d'euros. Quand la Commission européenne annonce un budget de 365 milliards d'euros, il manque 24 milliards d'euros sans doute destinés à d'autres politiques. Cela correspond aux annonces faites par le Président de la République dans son discours de La Sorbonne vers une réorientation des politiques européennes et davantage de subsidiarité. Nous savons quels problèmes cela pose. Quand les Français passeront des crédits du premier pilier vers le second et inversement les polonais du second vers le premier, notre compétitivité sera encore affectée. Dans mon récent rapport, j'ai indiqué que les Français ne consommaient que des produits importés pendant un jour et demi par semaine. Notre balance commerciale devrait être négative en 2023. Sur les vétérinaires, 43 % des primo vétérinaires ont été formés à l'étranger la moitié en Belgique, le reste en Roumanie et en Espagne. Les nouveaux vétérinaires sont à 20 % des étrangers. Ce pourcentage doit être nettement supérieur en milieu rural.

M. Vincent Éblé . - Les deux corapporteurs sont convergents pour le rejet des crédits de la mission et pour l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

La commission a décidé de proposer au Sénat le rejet des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». Elle a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

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Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », mais d'adopter sans modification ceux du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

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