B. L'OFFICE NATIONAL DES FORÊTS (ONF) DOIT FAIRE PLUS POUR UNE FILIÈRE FORÊT-BOIS FRANÇAISE CONFRONTÉE À DE NOMBREUX DÉFIS

La forêt est au coeur de préoccupations répondant à des objectifs divers, économiques, environnementaux, de sécurité publique, de loisirs...à caractère naturellement interministériel.

La politique forestière s'inscrit dans plusieurs perspectives stratégiques. Parmi celles-ci figure de plus en plus la contribution de la ressource forestière à la lutte contre les changements climatiques. Elle s'additionne à des objectifs plus économiques de meilleure valorisation des bois et forêts.

La filière est confrontée à des difficultés économiques majeures tandis que l'opérateur principal de la gestion forestière traverse une crise d'identité.

1. Une ressource au coeur de la lutte contre les changements climatiques, une révision majeure du cadre de notre politique de bio-énergie, un secteur confronté à des problèmes économiques qui s'aggravent

Le secteur forêt-bois constitue un secteur-clé pour la neutralité carbone à l'horizon 2050, car il permet :

- d'alimenter l'économie en énergie et produits biosourcés et renouvelables ;

- de contribuer fortement au puits de carbone du secteur des terres via la séquestration du carbone en forêt et dans les produits bois.

La loi sur la transition énergétique et la croissance verte (LTECV) a consacré deux outils structurants de pilotage : la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Ces deux outils récents sont, déjà, en cours de révision, celle-ci suggérant des réorientations stratégiques majeures qu'il conviendrait d'évaluer au plus vite.

Schéma de présentation du programme national de la forêt et du bois

Source : ministère de l'agriculture et de l'alimentation

La disponibilité de la biomasse est anticipée comme un facteur limitant et stratégique de la transition énergétique, dont les capacités appellent une politique d'extension. Dans ces conditions, la ressource forestière supplémentaire serait appelée à couvrir une part grandissante des besoins : environ 40 % des besoins de biomasse supplémentaires liés à la PPE en 2018, et entre 40 % et 60 % pour 2023.

Dans la SNBC , l'augmentation de la récolte de bois en forêt est de 1,2 million de mètres cubes supplémentaire chaque année jusqu'en 2035 (dans le rythme d'augmentation du Programme National de la Forêt et du Bois 2016-2026) puis plus modérée à partir de 2035 (+ 0,8 million de mètres cubes par an).

Les objectifs retenus dans la PPE (arrêté du 24 avril 2016 relatif aux objectifs de développement des énergies renouvelables) concernant la biomasse forestière étaient les suivants :

- pour la cogénération, des capacités installées de 540 MW en 2018, et de 790 MW en 2023 (option basse) à 1040 MW (option haute) (340 MW installés au 31 décembre 2014) ;

- pour la production de chaleur à partir de biomasse, une production additionnelle de 12 Mtep en 2018, et de 13 Mtep (bas) à 14 Mtep (haut) en 2023 (production de 10,7 Mtep au 31 décembre 2013).

Ils correspondent approximativement à une demande additionnelle de 1,7 Mtep en 2018, et de 3,0 Mtep (bas) à 4,3 Mtep (haut) en 2023.

Si la totalité de cette demande additionnelle devait être satisfaite par du bois énergie, cela représenterait entre 13 et 19 millions de mètres cube en 2023.

La mobilisation de la ressource forestière était appelée, par conséquent, à progresser très nettement (de l'ordre d'un tiers).

La révision en cours des cadres de la programmation énergétique bas carbone opère un tournant majeur en ce qui concerne la contribution du bois à nos objectifs.

Désormais, il est prévu que les ressources en bois prélevées en forêt pour faire directement de l'énergie soient sensiblement les mêmes en 2050 qu'aujourd'hui.

En revanche, le développement de la bioéconomie permettrait une valorisation énergétique plus importante de biomasse via les co-produits et la fin de vie des produits biosourcés.

La disponibilité du bois pour l'énergie passerait ainsi de 8,5 Mtep en 2015 à 11 Mtep en 2030 (+30%) et 11,9 Mtep en 2050 (+40%), notamment grâce à une montée en puissance de la valorisation des déchets bois au détriment de l'enfouissement (80 % de déchets bois destinés à l'énergie en 2050, pour 35 % en 2015).

Un renforcement significatif du « Fonds Chaleur » est prévu, permettant de subventionner les investissements de construction des centrales biomasse en vue de la production de chaleur renouvelable destinée à l'habitat collectif, aux collectivités et aux entreprises (budget de 225 millions d'euros en 2018, 307 millions d'euros en 2019, 350 millions d'euros en 2020, 350 millions d'euros en 2021 et 339 millions d'euros en 2022).

En bref, la composante énergétique de la gestion forestière devrait reposer moins sur la mobilisation de la ressource brute et davantage sur des investissements permettant d'en augmenter la teneur énergétique .

Cette réorientation stratégique mériterait une évaluation a priori ne serait-ce que pour estimer ses impacts sur la gestion de la ressource forestière. Si aujourd'hui le bois énergie représente 21 % de la mobilisation du bois cette part est destinée à se réduire fortement compte tenu des objectifs de stabilisation de la mobilisation de la ressource à cette fin désormais retenus et de la croissance naturelle des forêts (+120 millions de mètres cubes par an).

L'on avait pu s'interroger sur la pertinence d'une exploitation forestière destinée à consommer la ressource à des fins énergétiques. D'autres usages sont sans doute plus satisfaisants d'un point de vue environnemental et économique.

Il reste que ces usages alternatifs réclament des conditions dont il faudrait assurer la réunion 23 ( * ) , ce que notre politique forestière peine à réussir.

Une ressource abondante mais morcelée, une branche d'activité
économiquement fragile

L'amont de la filière

Avec 17 millions d'hectares (Mha), la forêt française métropolitaine couvre 30 % du territoire et constitue la 4 ème plus grande superficie forestière de production dans l'Union européenne, après la Suède, la Finlande et l'Espagne. Cette surface continue à croître, même si cela semble se faire à un rythme désormais plus faible que dans les décennies précédentes.

La forêt française est détenue aux trois quarts par des propriétaires privés : 3,5 millions de français se partagent ainsi plus de 12 Mha. Ceux qui possèdent moins d'un hectare de forêt sont les plus nombreux (2,2 millions de propriétaires) alors que les propriétaires des plus grandes surfaces (plus de 100 hectares) ne sont que 11 000. La forêt privée est donc très inégalement répartie et morcelée : 13 % des propriétaires concentrent 80 % de la surface.

Les forêts publiques , qui couvrent 4,3 Mha , sont réparties entre les forêts domaniales (propriétés de l'État représentant 9 % de la surface de la forêt française) et les forêts des collectivités (au nombre de 15 000, 17 % de la surface ). Elles sont gérées par l'Office national des forêts (ONF) dans le cadre du régime forestier. La ressource forestière, avec 2,6 milliards de m de bois fort tige sur pied, est abondante et hétérogène : les 2/3 du volume de bois sur pied sont composés d'essences feuillues (chêne, hêtre, châtaigner...) et le reste d'essences résineuses (sapin, épicéa, pin sylvestre et pin maritime...). Ce stock continue à augmenter, car la forêt française est relativement jeune et elle produit plus de bois qu'il n'en est prélevé chaque année par les activités humaines (récolte de bois) ou naturelles (bois mort).

En 2018, la récolte de bois commercialisé s'élève à 38,7 millions de mètres cubes (donnée provisoire), chiffre en légère augmentation par rapport à 2017 (+ 1 %). Cette récolte se compose à 51 % de bois d'oeuvre (19,9 millions de mètres cubes, +2,6 %), à 27 % de bois d'industrie (10,4 Mm, -1,7 %) et à 22 % de bois-énergie (8,4 Mm, + 0,6 %). La récolte de bois énergie est en augmentation continue depuis 2008 (date à laquelle elle était plus de moitié inférieure à aujourd'hui, avec seulement 3 Mm récoltés), mais cette croissance s'est ralentie ces dernières années. Le taux de prélèvement moyen stagnait depuis plusieurs décennies à environ 50 % de la production biologique nette de la mortalité. Les derniers chiffres disponibles font état d'une légère augmentation à 56 % de la production biologique nette sur la période 2008-2016. Ce taux est de 55 % en forêt privée, 75 % en forêt domaniale publique et de 53% dans les autres forêts publiques.

Lors de la dernière campagne 2017-2018, sur les 68,3 millions de plants vendus en France, on recense 40,1 millions de plants de pin maritime (59 % des plants vendus). Une seconde espèce émerge, le douglas, 2ème espèce la plus utilisée, productive et répondant aux besoins de la filière bois, mais avec seulement 14% du marché (+ 2% par rapport à la campagne précédente). Sa part pourrait substantiellement augmenter dans les 15 prochaines années si comme attendu la récolte de bois progresse d'ici 2030. La 3ème espèce la plus vendue (3,2 millions de plants - campagne 2018-2018), pour environ 5% du marché national est le chêne sessile, principalement utilisée par l'ONF dans une optique de transformation de peuplements composés principalement de hêtre ou de chêne pédonculé. Ces espèces gérées sur des cycles de 150 à 200 ans s'avèrent moins thermorésistantes que le chêne sessile.

En tenant compte des contraintes physiques et économiques d'exploitation forestière et des conditions de gestion durable des forêts, une ressource supplémentaire de bois semble disponible. Cependant, les conditions économiques d'une bonne valorisation des volumes mis sur le marché ne sont toujours pas assurées. En tout cas, cet objectif est nécessaire, notamment pour préparer les peuplements au changement climatique. Elle suppose une politique de dynamisation de la gestion forestière et de la récolte.

Filières de transformation

En 2018, consécutivement à deux années successives de légère augmentation, la production de sciages a stagné à 7,9 Mm3 s'inscrivant en légère diminution-1,3 % par rapport à 2017. Les volumes sciés en 2018 sont de 6,5 Mm pour les résineux (-1,6 %) et de 1,3 Mm pour les feuillus (+0,2 %). La production de sciages a globalement baissé de 25 % en France depuis quinze ans, la consommation ayant également baissé dans les mêmes proportions.

La consommation de produits techniques en bois est en augmentation sous l'effet des gains de parts de marché de la construction bois. Les produits importés sont prépondérants pour les produits techniques et industriels finis les plus valorisés, notamment les produits de construction collés en structure.

Quatre régions se détachent nettement en termes de prélèvement de bois et de production de sciages (86 % du total national) : Nouvelle-Aquitaine (2,0 Mm, soit plus du quart), Grand Est (1,8 Mm), Bourgogne-Franche-Comté (1,4Mm) et Auvergne-Rhône-Alpes (1,3Mm).

Les scieries françaises sont de taille plus modeste que leurs concurrentes européennes et souffrent d'un manque de compétitivité. S'agissant des scieries de résineux, il existe quelques grosses unités mais la production de sciages plus élaborés (produits techniques : essentiellement les sciages contrecollés et aboutés) doit être développée. C'est ainsi que le tiers de la demande en sciages (résineux) pour le bâtiment est aujourd'hui satisfait par des produits d'importation. Les scieries de feuillus doivent, quant à elles, inscrire leur développement dans le cadre d'un schéma industriel qui reste à construire en favorisant la mixité : des unités industrielles s'orientant vers la massification de sciages bruts et techniques (cf. supra) ainsi que vers la mise en oeuvre de leurs propres produits ; des unités moyennes spécialisées dans le sur-mesure et les produits de niche (débits sur liste) ; des petites unités de production répondant à un service de proximité dont la pérennité sera toutefois difficile à assurer.

Une analyse de la Banque de France de 2016 portant sur près de 1 200 entreprises fournie par la Fédération nationale du bois (FNB) permet de visualiser l'évolution récente de l'activité économique du secteur du sciage. Ainsi, entre 2008 et 2015, le secteur a perdu 13 % de ses entreprises et 17 % de ses effectifs. Le chiffre d'affaires a diminué de 4,5 % et la valeur ajoutée de 11,6 %. Pour ces deux derniers paramètres, la diminution la plus importante a eu lieu entre 2008 et 2012, la situation du secteur semblant, depuis 2012, se stabiliser voire s'améliorer.

Commerce extérieur

Le déficit de la filière forêt-bois continue à se creuser en 2018 (+ 6,4%) pour s'établir à 6,8 milliards d'euros (9,9 milliards d'euros d'exportations et 16,7 milliards d'euros d'importations). Il atteint millions d'euros. Comme pour beaucoup d'autres secteurs, c'est la croissance économique qui est à l'origine d'une augmentation des importations, tandis que les exportations n'augmentent que faiblement. Le déficit est dû pour 5,7 % aux bois ronds et sciages, pour 53,3 % aux industries de transformation du bois (2 e transformation et meubles en bois), et pour 38,4 % aux industries de la pâte à papier et du papier (le reste étant des produits divers : liège, térébenthine,...).

Parmi les produits des industries du bois, les meubles et sièges en bois sont structurellement très déficitaires et en très nette dégradation, aux environs de - 2,6 milliards d'euros en 2018 (niveau record) , contre - 1,2 milliards d'euros au début des années 2000). Les ouvrages de menuiserie et « autres ouvrages en bois » suivent la même tendance, passant de -350 millions d'euros au début des années 2000 à - 913 millions d'euros en 2018 (niveau record). La tonnellerie est chaque année excédentaire (+ 394 millions d'euros en 2018). Les exportations de ce secteur d'excellence française sont pour moitié destinées aux États-Unis.

Les placages, panneaux et plaquages sont passés d'un léger excédent au début des années 2000 (+ 50 millions d'euros) à un déficit assez prononcé (supérieur à - 200 millions d'euros en 2009-2010), qui s'était lentement résorbé jusqu'en 2015 (- 27 millions d'euros) avant de subir une hausse spectaculaire (- 243 millions d'euros en 2017), puis une légère baisse en 2018 (- 10%, pour s'établir à -218 millions d'euros).

Le secteur des pâtes et vieux papier est en déficit structurel. Aux environs de - 700 à - 800 millions d'euros au début des années 2000, il se situe encore à -747 millions d'euros en 2018. Le secteur des papiers et cartons bruts est en déficit structurel également depuis les années 2010 et se situe à - 718 millions d'euros en 2018). Le secteur des papiers et cartons transformés a connu une dégradation très marquée entre 2000 (-500 millions d'euros) et 2011 (- 1 700 millions d'euros) puis, après un sursaut en 2012, s'est stabilisé autour de - 1 300 millions d'euros depuis (- 1 330 millions d'euros en 2018).

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux

2. L'Office national des forêts, un opérateur sous tension

L'ONF, principal opérateur public de la politique forestière, exerce un rôle majeur dans la gestion de la forêt, à travers des missions diversifiées.

Les missions de l'Office national des forêts

La gestion durable des forêts domaniales

L'État est le propriétaire de ces forêts et gère les ventes et les achats de terrains domaniaux. L'ONF, pour sa part, assure la programmation et la mise en oeuvre des récoltes et du renouvellement des peuplements (notamment eu égard à leur adaptation au changement climatique), l'organisation des ventes de bois, les travaux, la surveillance générale et la gestion de la chasse. La gestion des forêts domaniales recouvre également les missions d'intérêt général qui lui sont rattachées telles que l'information et l'accueil du public et les actions de protection de la nature non spécifiques.

La gestion durable des forêts des collectivités

L'ONF est chargé par la loi de l'application du « régime forestier » aux forêts des collectivités. À ce titre, il exerce la surveillance de ces forêts, la programmation et le suivi des récoltes et des travaux ainsi que la commercialisation du bois. L'ONF peut également assurer, sur convention, la mise en oeuvre de travaux patrimoniaux.

Les missions d'intérêt général confiées par l'État

Les missions d'intérêt général sont réalisées pour le compte de l'État dans le cadre de conventions et donnent lieu à un financement spécifique à coûts complets. Elles concernent les domaines de la biodiversité, de la prévention des risques naturels, notamment pour la restauration des terrains en montagne, la défense des forêts contre les incendies et la fixation des dunes domaniales.

Les activités contractuelles

L'ONF intervient également dans ses domaines de compétence pour différents clients, publics ou privés.

S'agissant du financement de l'ONF par l'État, il s'élève à 178,8 millions d'euros provenant du programme 149 , dotations stables par rapport au niveau de l'an dernier et, ainsi, en léger déclin en valeur réelle.

Comme l'an dernier, sa contribution se décompose en un versement compensateur , stable à 140,4 millions d'euros , une subvention d'équilibre de 12,5 millions d'euros 24 ( * ) et un financement de ses missions d'intérêt général de 26 millions d'euros, stable par rapport à l'an dernier.

La situation de l'ONF avait inspiré de très fortes inquiétudes au point que la pérennité de l'établissement avait pu être mise en doute. Le redressement de ces dernières années est, par conséquent, bienvenu. Toutefois, la situation économique et financière de l'établissement est fragile 25 ( * ) .

L'équation financière de l'établissement peut être perçue à travers les données suivantes qui concernent les équilibres financiers pour 2017.

Les charges de l'établissement (855,5 millions d'euros) excèdent ses produits (847,3 millions d'euros), de 8,2 millions d'euros.

Les inquiétudes que peut susciter une telle situation ont été particulièrement soulignées dans le récent rapport des quatre inspections. Elles en ressortent amplifiées.

Selon ce rapport, sur longue période, une fois retraité des ajustements économiques qui, selon la mission des quatre inspections IGF s'imposent 26 ( * ) , l'excédent brut d'exploitation de l'établissement apparaît structurellement fragile.

Évolution de l'excédent brut d'exploitation de l'ONF depuis 2009

Source : rapport des quatre inspections, juillet 2019

Les retraitements effectués par la mission sont discutables. Il s'agit en particulier d'exclure des recettes courantes la subvention pour charges de service public considérée comme une dotation en capital, choix de méthode qui ne s'impose pas de toute évidence, compte tenu des charges particulières imposées par l'État à un opérateur, dont il faut rappeler que, pour être un établissement public à caractère industriel et commercial, il exerce des missions d'intérêt général qui mobilisent un volume important de ses moyens. Ainsi selon qu'on considère les fonds versés à ce titre suffisants ou non on pourra avoir une lecture différente de la nature de la subvention exclue par les auteurs du rapport dans un cadre où le rattachement des charges de personnel à tel ou tel aspect des missions de l'ONF peut prêter à discussion.

Par ailleurs, les cotisations supportées par l'ONF du fait de l'affiliation des salariés de l'ONF au régime de retraites des fonctionnaires compte beaucoup, la contribution employeur de l'ONF étant calibrée sur celle des employeurs publics. Compte tenu de la nature mixte de cette contribution à la fois cotisation et employeur et subvention d'équilibre son calibrage n'est peut-être pas adapté à la situation de l'ONF. Il serait utile d'estimer l'impact de cette situation sur les résultats de l'ONF et de saisir les effets de l'adoption d'un régime universel en points sur la contribution attendue de l'établissement dans ce cadre.

En observant que l'excédent brut d'exploitation s'est redressé, on peut, en revanche observer qu'il ne dégage pas une capacité d'autofinancement suffisante pour réaliser les investissements lourds et à rentabilité très différée qui caractérisent la gestion forestière.

Depuis quelques années, la forte réduction de la part des charges de l'ONF couverte par ses ventes de bois se modère un peu.

Mais, ces dernières représentaient entre 70 % et 80 % de ses recettes dans les années 1980 contre moins d'un tiers désormais alors même que le cours du bois est plutôt résistant.

Le chiffre d'affaires des ventes de bois reste étal depuis quelques années.

Évolution du chiffre d'affaires résultant des ventes de bois

Source : rapport des quatre inspections, juillet 2019

L'augmentation des récoltes, qui suscite des charges ne permet pas de dégager les produits correspondants.

Selon le rapport d'évaluation du COP, l'activité de l'ONF crée ainsi chaque année un besoin de financement structurel de 50 millions d'euros 27 ( * ) , estimation tributaire des redressements comptables effectués par la mission.

Quelle que soit la situation prise comme référence, le tableau de financement de l'ONF traduit au cours de la période considérée l'existence d'un besoin de financement cumulé de 544 millions d'euros couvert par une subvention publique d'équilibre de 286 millions d'euros, des cessions d'actifs pour 31 millions d'euros et des emprunts pour 227 millions d'euros.

Ces derniers ont grevé la dette de l'établissement qui devrait tangenter 400 millions d'euros à la fin de 2019 . Le non versement en 2016 et 2017 de la subvention d'équilibre votée par le Parlement a aggravé la situation.

L'endettement de l'ONF n'est pas jugé anormal par la mission qui le rapproche d'une valeur d'actif estimée à 9,6 milliards d'euros pour les seules forêts domaniales. En outre, le coût de la dette de l'ONF demeure limité.

Cependant, outre que la valeur d'actif des forêts domaniales peut être discutée, il importe d'observer que l'activité courante de l'ONF paraît en l'état de son modèle économique vouée à dégager des déficits, même s'ils sont inférieurs à ceux exposés par la mission des quatre inspections, creusant inexorablement son endettement.

C'est du moins le diagnostic de la mission qui l'appuie sur le constat d'une fluctuation d'un chiffre d'affaires sensible aux évolutions des prix du bois même si les recettes correspondantes pèsent aujourd'hui 40 % du total des recettes contres 50 % dans les années 80 et d'une progression des charges particulièrement due à la masse salariale.

La masse salariale, qui représente 55 % des charges de l'ONF en 2018, a progressé malgré la diminution des effectifs. Ces derniers ont diminué de 10 % en dix ans (de 9 987 ETPT à 9 038 ETPT en 2018. De son côté, la masse salariale a augmenté de 7 % pour s'élever à 106 % de la valeur ajoutée de l'ONF.

Dans ces conditions, la renégociation anticipée du contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'ONF pour 2016-2020, qui a conduit à la conclusion avec l'établissement d'un nouveau contrat d'objectifs et de performance le 7 mars 2016, auquel s'est jointe la fédération nationale des communes forestières, semble ne pas pouvoir répondre au défi que doit relever l'ONF.

On rappelle que le nouveau COP de l'ONF s'articule autour des six axes suivants :

- accroître la mobilisation du bois au bénéfice de la filière et de l'emploi ;

- relever le défi du changement climatique et de la préservation de la biodiversité ;

- mieux répondre aux attentes spécifiques de l'État et des citoyens ;

- adapter la gestion de l'ONF aux spécificités des départements d'outre-mer ;

- stabiliser les effectifs et accompagner les évolutions de l'établissement par une gestion dynamique des ressources humaines ;

- améliorer la durabilité du modèle ONF et consolider son équilibre financier.

Le précédent COP avait fixé à l'ONF des objectifs en termes de mobilisation de la ressource bois de 6,8 millions de mètres cube par an en forêt domaniale et de 9,3 millions dans les forêts des collectivités.

Le nouveau COP a un peu réduit ces objectifs qui passent à 6,5 millions de mètres cube et 8,5 millions de mètres cube respectivement, soit, au total, 15 millions de mètres cube de bois , contre 13 millions de mètres cube actuellement .

Ces objectifs, qui supposent une augmentation des volumes mobilisés de 2 millions de mètres cube , doivent être appréciés au regard de la part trop modeste prise par l'ONF dans la récolte de bois (la récolte de bois commercialisée s'est élevée à 37,9 millions de mètres cube en 2015).

Ils doivent également être resitués dans un contexte marqué par l'actualité d'une série de programmations à long terme concernant plus ou moins directement la ressource forestière.

On doit, en effet, considérer le « Programme national de la forêt et du bois » (PNFB), publié en février 2017, qui définit les orientations de la politique forestière pour les dix prochaines années (2016-2026).

Il fixe un objectif de mobilisation supplémentaire de 12 millions de mètres-cube en dix ans .

Il en ressort que la contribution attendue de l'ONF apparaît trop modeste.

La rétractation des ambitions de récolte de l'ONF n'est pas une solution.

Mais le maintien d'objectifs élevés suppose tant des investissements que des progrès de productivité et des clarifications financières.

Sans la mise en place de financements innovants, l'amélioration des connaissances sur les quantités de biomasse disponible, les plateformes de valorisation et stockage ou la contractualisation, il sera très difficile d'atteindre les objectifs fixés qui, de toute façon sont conditionnés en pratique à une dynamisation progressive de la gestion forestière pour favoriser au moins la première transformation du bois sur le territoire national et y conserver l'usage des produits connexes de scierie, pour la trituration et l'énergie.

Quant aux progrès de productivité, il faut rappeler que le COP prévoit une augmentation des effectifs hors plafond dans le cadre de l'essor donné à l'apprentissage. Cette orientation trouve une traduction dans le projet de loi de finances pour 2020. Les emplois hors plafond augmentent de 246 ETPT. Toutefois, cette augmentation est compensée par une réduction des emplois sous plafond de 51 ETPT.

Une restructuration des effectifs est donc en cours. Il n'est pas sûr qu'elle soit réellement durable dans la mesure où les apprentis embauchés par l'ONF n'ont pas vocation à le demeurer et peuvent éprouver quelques difficultés à trouver d'autres débouchés qu'au sein de l'établissement.

Votre rapporteur spécial Yannick Botrel réitère son scepticisme face à une gestion des ressources humaines qui compterait sur le remplacement des départs de fonctionnaires et de salariés en retraite par des emplois aidés et des apprentis.

Face à cette gestion au fil de l'eau, les préconisations du rapport des quatre inspections représentent un choix de rupture, la filialisation des activités commerciales de l'ONF étant proposée.

On doit rappeler que l'ONF est déjà un établissement public industriel et commercial qui, quoique chargé de la mise en oeuvre du régime forestier, doit pouvoir faire le départ entre ses missions de police et ses activités d'exploitation.

Cette double vocation doit sans doute être mieux assumée par l'ONF et ses personnels et elle peut conduire à réajuster certains équilibres des financements apportés à l'ONF.

Il n'est pas sûr que la scission de l'ONF soit ainsi l'issue optimale à une situation dont les contours financiers mériteraient d'être précisés.

Vos rapporteurs spéciaux rappellent que le nouveau COP avait été conclu dans le cadre d'une participation des communes forestières. L'alourdissement des charges de collecte imposé à l'ONF risque d'exercer un effet d'éviction sur les activités réalisées avec ces collectivités, en particulier dans le domaine de l'investissement forestier. L'État, à travers une attitude plus cohérente, doit être en mesure d'écarter cette perspective.


* 23 Par ailleurs, le programme d'investissements dans les capacités de transformation énergétique des bois devra faire l'objet d'un suivi attentif ainsi que les approvisionnements en matière première qui devront éviter de creuser notre déficit commercial.

* 24 La subvention d'équilibre est fréquemment virtuelle, n'étant pas dépensée, malgré les besoins.

* 25 Deux récents rapports « Une nouvelle stratégie pour l'Office national des forêts et les forêts françaises » de notre collègue Anne-Catherine Loisier (12 juin 2019) et un rapport de quatre corps d'inspection et d'évaluation (IGA, IGF, CGEDD et CGAAER) d'évaluation du contrat d'objectifs et de performance 2016-2020 de l'ONF (juillet 2019) sont venus conforter un impératif de renouvellement du cadre des missions de l'ONF.

* 26 Il s'agit en particulier d'exclure des recettes courantes la subvention pour charges de service public considérée comme une dotation en capital, choix de méthode qui peut être discuté.

* 27 Cette estimation a de quoi surprendre au vu des résultats nets de l'ONF, qui, cumulés sur les dix exercices de 2008 à 2018, ont dégagé un déficit limité de 5,7 millions d'euros. Il s'explique par les retraitements effectués par la mission qui a été conduite à considérer que la production immobilisée devait être exclue des produits ainsi que la subvention d'équilibre versée par l'Etat.

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