II. UNE RÉVISION À VENIR DES DISPOSITIFS FISCAUX EN FAVEUR DE LA CULTURE ?

Les crédits budgétaires de la mission culture sont complétés par deux types de financement : les crédits d'impôts et les taxes fiscales.

Le montant de la dépense fiscale est estimé à 333 millions d'euros, soit un niveau comparable à celui prévu en loi de finances pour 2019 : 331 millions d'euros. La dépense fiscale est répartie entre les programmes 131 et 175.

Évolution du montant des dépenses fiscales rattachées à la mission « Culture »
de 2018 à 2020

(en millions d'euros)

Exécution 2018

Prévision 2019

Prévision 2020

Programme 131

131

133

135

Programme 175

207

198

198

Total

338

331

333

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

A. LA RÉFORME DU MÉCÉNAT D'ENTREPRISES

L'appréciation de la dépense fiscale est cependant imparfaite, puisqu'elle n'intègre pas les dispositifs de réduction d'impôts au titre des dons effectués par des entreprises ou des particuliers dans le cadre du mécénat culturel 1 ( * ) . Ces dispositifs sont, en effet, rattachés à la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». Aucune distinction n'est opérée au sein de celle-ci pour isoler les dépenses dédiées au secteur de la culture.

Comme les participants au colloque organisé par la commission des finances l'avaient relevé en septembre dernier 2 ( * ) , le don vient parfois compléter, voire se substituer à, l'action de l'État, dans un contexte de réduction de ses marges de manoeuvre budgétaires. Le cas est particulièrement patent pour les opérateurs publics. L'État conditionne la reconduction ou la diminution minimale des subventions à des résultats sur divers critères, d'ordres artistique, qualitatif, social ou sociétal, sur lesquels le soutien du mécénat est essentiel. L'analyse de la mission « Culture » le montre s'agissant des travaux d'ampleur menés pour le Grand Palais, la Cité du théâtre ou l'aménagement de l'Opéra Bastille (cf infra ).

Le présent projet de loi de finances prévoit, pour les dons des entreprises dépassant 2 millions d'euros, d'abaisser le taux de déduction fiscale de 60 à 40 %. Cette révision de l'article 238 bis du code général des impôts participe d'un double objectif, qui peut apparaître louable : rationnaliser la réduction d'impôt accordée aux entreprises, que le Gouvernement juge par trop concentrée sur les très grands groupes, et contribuer à la maîtrise des dépenses publiques. Cette disposition, si elle venait à être adoptée, toucherait 78 entreprises, la baisse de la dépense fiscale pour l'État étant estimée entre 80 et 130 millions d'euros par an, à partir de 2021.

Cette réforme a suscité une certaine inquiétude, dans le milieu associatif mais aussi au sein des organismes culturels, dont une partie de l'activité dépend du mécénat .

Il conviendrait de préciser les modalités de mise en oeuvre du seuil annoncé, qui peut apparaître tout à la fois contournable et fragilisant. Ainsi, des projets de dimension modeste pourraient être impactés, du fait de la consolidation de plusieurs opérations soutenues par une même entreprise. Le seuil pourrait, ailleurs, être sans effet, le projet étant soutenu par différentes filiales d'un même groupe, comme l'a relevé la Cour des comptes dans une communication de novembre 2018 3 ( * ) . Un même projet pourrait, enfin, bénéficier de taux de soutien différenciés d'une année sur l'autre, selon que l'entreprise atteint ou non le seuil de 2 millions d'euros. Le cas des dons en faveur du patrimoine est particulièrement éloquent : un chantier pluriannuel peut recevoir des dons échelonnés, en fonction de l'avancée des travaux.

I l existe, en outre, un risque d'envoyer un signal négatif La réforme peut, en effet, laisser entendre que toute opération supérieure à 2 millions d'euros est assimilable à une forme d'optimisation fiscale. Elle pourrait donc brider les intentions des mécènes face au risque en matière d'image. Il convient de relever que la dépense fiscale au titre des dons des entreprises est en baisse depuis 2016 : 930 millions d'euros en 2016, 902 en millions d'euros en 2017 et 817 millions d'euros au titre du dernier exercice.

L'objectif affiché de réduction de la dépense fiscale doit, par ailleurs, être affiné . La somme annoncée par le Gouvernement de 80 à 130 millions d'euros constitue dans le meilleur des cas à peine 12% du montant total de la dépense fiscale. Il s'agit, par ailleurs plus d'un objectif que d'une réalité. Elle ne prend que faiblement en compte un risque réel de désengagement des 78 entreprises visées. Le Gouvernement reconnaît d'ailleurs dans son étude d'impact que son hypothèse haute de 130 millions d'euros de réduction de la dépense fiscale en 2021 doit être tempérée par la possibilité d'un report des dons sur plusieurs exercices ou la nature même des dons de plus de 2 millions d'euros, selon qu'ils concernent ou non la fourniture de logements, de soins ou de nourriture à des publics en difficulté, ces dons n'étant pas visés par la réforme proposée.

La question du montant de la dépense fiscale doit en outre être relativisée à l'aune des recettes générées indirectement par le mécénat. Le mécénat peut ainsi financer des travaux qui génèrent de la TVA mais aussi impôts et charges sociales. Ces sommes financent également le bénévolat, qui ne représente, par essence, aucun coût pour l'État ou les organismes de sécurité sociale.

Cette réforme s'inscrit, en tout état de cause, dans le cadre d'une réflexion plus large sur la philanthropie, menée par le Gouvernement. Le Premier ministre a, en effet, confié, en juillet 2019, à Mmes Sarah El Haïri et Naïma Moutchou, députées, une mission temporaire ayant pour objet l'évolution du cadre de la philanthropie 4 ( * ) . L'objectif est de proposer toute mesure de nature à « écarter les critiques relatives tant au défaut de transparence dans l'utilisation des fonds qu'à l'optimisation qu'ils peuvent permettre pour les donateurs », selon les termes de la lettre de mission. Leurs conclusions pourraient venir compléter une réforme du dispositif fiscal.

La question des contreparties apparaît, à cet égard, intéressante à clarifier. La Cour des comptes avait d'ailleurs insisté sur ce point dans sa communication de novembre 2018, en invitant à encadrer les contreparties, en établissant une base juridique claire, en étudiant les voies d'un abaissement de leur niveau et en objectivant la valorisation de celles-ci. La loi de finances pour 2019 avait constitué une première réponse à ces observations.

La réforme du dispositif fiscal doit, en outre, être accompagnée d'une simplification du régime juridique applicable aux fondations apparaît également indispensable alors qu'il existe aujourd'hui huit statuts de fondation ou de fonds de dotation, aux obligations déclaratives différentes vis-à-vis de l'État.

Enfin, un effort de transparence est nécessaire quant à l'utilisation de l'argent public . Les citoyens doivent constater les réalisations. Un reporting précis et un contrôle a posteriori des projets soutenus partiellement sur la dépense fiscale sont indispensables.


* 1 Articles 200 et 238 bis du code général des impôts.

* 2 "Le mécénat : charge publique ou nécessité ?", colloque organisé le 9 septembre 2019. https://www.senat.fr/evenement/colloque_sur_le_mecenat.html

* 3 Le soutien public au mécénat des entreprises - Un dispositif à mieux encadrer. Communication à la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale.

* 4 Décret du 12 juillet 2019 chargeant une députée d'une mission temporaire.

Page mise à jour le

Partager cette page