Rapport n° 171 (2019-2020) de Mme Françoise FÉRAT , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 4 décembre 2019

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N° 171

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 décembre 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs ,

Par Mme Françoise FÉRAT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Agnès Constant, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, M. Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Sénat :

746 (2018-2019) et 172 (2019-2020)

AVANT-PROPOS

Le groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen du Sénat a demandé l'inscription sur son ordre du jour réservé du 12 décembre 2019 de la proposition de loi n° 746 (2018-2019) de Henri Cabanel et plusieurs de ses collègues visant à prévenir le suicide des agriculteurs.

Grâce à cette initiative qu'il convient de saluer, le Parlement va pouvoir solennellement se saisir d'une question qui est la manifestation la plus flagrante de la détresse du monde agricole : le suicide des agriculteurs.

I. UNE INITIATIVE ESSENTIELLE POUR MIEUX APPRÉHENDER LE FLÉAU MAL CONNU QUI TOUCHE TOUS LES TERRITOIRES AGRICOLES

A. UNE CONNAISSANCE STATISTIQUE DU PHÉNOMÈNE LIMITÉE FAUTE DE DONNÉES RÉCENTES OU DE MÉTHODOLOGIE HARMONISÉE

Depuis la publication en 2017 des premières études scientifiques portant sur la mortalité par suicide parmi les agriculteurs exploitants ou les salariés agricoles, les chiffres sont sans cesse repris dans la presse et dans des interventions de responsables syndicaux et publics pour être dénoncés : un jour sur deux, un agriculteur décède pour cause de suicide.

Ces éléments démontrent un véritable fléau qui sévit dans nos campagnes.

L'analyse de l'auteur de la proposition de loi, que le rapporteur partage, est qu'il faut désormais aller au-delà de cette constatation pour analyser, comprendre et agir.

C'est animé de cet état d'esprit que le rapporteur a organisé ses travaux sur le sujet et, plus spécifiquement, sur le contenu de la proposition de loi de M. Henri Cabanel.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, il n'existe, à l'heure actuelle, que trois études sur le sujet .

La première étude 1 ( * ) a été menée par Santé Publique France sur les caractéristiques associées à la mortalité par suicide parmi les hommes agriculteurs exploitants entre 2007 et 2011 .

Cette étude a recensé 781 décès pour cause de suicide d'exploitants agricoles entre 2007 et 2011. C'est donc de cette étude que provient le chiffre d'un suicide tous les deux jours chez les agriculteurs. Il convient d'ajouter, fait généralement oublié, que sur la même période, 692 salariés agricoles se sont également suicidés.

Sur un échantillon de 674 décès par suicide d'hommes exploitants agricoles entre 2007 et 2011 analysés, l'étude démontre que la mortalité est supérieure à celle de la population générale en 2008 (+ 28 %), 2009 (+ 22 %) et 2010 (+ 10 %), mais qu'elle n'est pas plus élevée en 2007 et 2011.

Le document montre que le fait d'avoir une exploitation de taille moyenne, d'être monoculture et d'être exploitant à titre individuel et non sociétaire sont des facteurs qui augmentent, toutes choses égales par ailleurs, le risque de suicide.

L'étude identifie une surmortalité par suicide observée chez les hommes de 45 à 54 ans, sur lesquels pèsent, il convient de le rappeler, des difficultés spécifiques de modernisation, de normes écologiques à respecter, de procédures administratives lourdes ou encore de transmission de l'exploitation.

Enfin, Santé publique France constate que les éleveurs de bovins viande ont présenté un excès de mortalité par suicide statistiquement significatif en 2008 (+ 127 %) et en 2009 (+ 57 %), tout comme ceux produisant du lait en 2008 (+ 56 %), 2009 (+ 47 %) et 2010 (+ 51 %). Cette surmortalité pourrait donc être, en partie, liée à la crise qui a touché le secteur durant cette période et qui a fortement affecté les revenus des éleveurs bovins.

Certaines régions sont plus concernées que d'autres : Bretagne, Bourgogne-Franche-Comté, les Hauts-de-France ou Auvergne-Rhône-Alpes.

Ces éléments chiffrés sont le fruit de l'étude faisant référence sur le sujet du suicide en agriculture. S'ils donnent une image globale du fléau que connaissent toutes nos campagnes, il faut rappeler qu'au-delà de ces caractéristiques statistiques, par définition froides et impersonnelles, chaque histoire est unique, singulière, avec ses drames et ses souffrances.

Toutefois, le rapporteur regrette que ces données, le plus souvent citées dans le débat public, n'aient pas été actualisées depuis 2011.

La seconde étude 2 ( * ) a été menée par Santé Publique France sur la mortalité par suicide des salariés affiliés au régime agricole en activité entre 2007 et 2013.

La population retenue dans l'étude concerne tous les salariés agricoles âgés de 15 à 64 ans, ayant effectué au moins un contrat ouvrant droit au régime de protection sociale agricole entre 2007 et 2013.

L'étude constate une mortalité par suicide inférieure de 19 % chez les hommes et de 54 % chez les femmes à celle que l'on aurait observée si la population d'étude présentait la même mortalité par sexe et par classe d'âge que la population générale française.

Toutefois, cette étude ne prend pas en compte les salariés agricoles hors France métropolitaine et sans identifiant certifié, ainsi que les salariés-exploitants. Dès lors, il est difficile de conclure à l'absence d'une surmortalité de ces salariés vis-à-vis du suicide.

Ces études de Santé Publique France, dont les résultats reposent sur des données anciennes, viennent d'être complétées par une troisième étude 3 ( * ) , publiée en juillet 2019 par la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), sur la mortalité par suicide des assurés du régime agricole dans le rapport au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement relatif à l'évolution des charges et des produits de la MSA au titre de 2020.

Le taux de suicide retenu dans l'étude a été calculé à partir des données du Système National des Données de Santé (SNDS) pour l'année 2015, sur les personnes affiliées au régime agricole ayant consommé au moins un soin ou une prestation cette année-là . Ce taux a ensuite été comparé aux taux de suicide de la population des autres régimes de sécurité sociale.

L'étude a conclu qu'il existait une surmortalité par suicide des assurés du régime agricole par rapport à l'ensemble des assurés de 15 à  64 ans, tous régimes confondus.

Toutefois, elle fait état d'une surmortalité chez les salariés agricoles, plus accentuée que chez les non-salariés agricoles, ce qui entre en contradiction frontale avec l'étude précitée de Santé publique France de juillet 2018.

Cette divergence peut s'expliquer par une méthodologie fort différente, puisque l'échantillon retenu par la CCMSA ne concerne que les personne ayant consommé au moins un soin.

Cet écart démontre bien la difficulté à mesurer statistiquement la réalité du phénomène du suicide parmi les agriculteurs et salariés agricoles.

Faute de données récentes et d'études ayant la même méthodologie permettant d'assurer un suivi des statistiques, l'appréhension statistique de ce sujet n'est pas suffisante. Il faut dénoncer cet état de fait.

Si les remontées de terrain, dans nos campagnes, témoignent d'un phénomène réel et dramatique, il importe que des études incontestables viennent objectiver ces éléments.

Disposer de chiffres fiables est un prérequis nécessaire, incontournable, tant pour le législateur que pour le Gouvernement, lorsqu'il s'agit d'élaborer des solutions pratiques.

Le Gouvernement a le devoir de mettre au point une cellule pour d'urgence produire ces statistiques.

B. DES DISPOSITIFS EXISTANTS PEU CONNUS, PEU LISIBLES, PEU ARTICULÉS

Les premiers retours dont a pris connaissance le rapporteur lors d'auditions ou à la lecture de contributions écrites font état, en outre, d'une faible lisibilité des dispositifs préventifs déjà mis en place par l'État.

Certains dispositifs ont été mis en place très récemment et n'ont pas encore été réellement portés à la connaissance des professionnels, des élus locaux et des agriculteurs. C'est le cas de la cellule départementale d'accompagnement des agriculteurs en difficulté, mise en place depuis fin 2017 4 ( * ) auprès des directions départementales des territoires, qui rassemble les principaux acteurs en relation avec les exploitants comme les chambres d'agriculture, la MSA, les centres de gestion, les banques, les coopératives ou les DDFIP.

À la faible communication sur les actions réalisées par les pouvoirs publics en faveur d'une meilleure prévention s'ajoute un empilement des initiatives qui complexifie un peu plus la lisibilité du dispositif .

Des dizaines de dispositifs ont en effet été mis en place, au fil du temps, par les professionnels.

Parmi eux, il convient de mentionner :

- Agri'écoute, numéro d'appel disponible depuis 2014, qui constitue un dispositif d'écoute pour les agriculteurs en situation de détresse ;

- les cellules de prévention pluridisciplinaires au sein de chaque caisse de Mutualité sociale agricole (MSA) pour repérer et accompagner les agriculteurs en difficulté ;

- l'aide à la relance de l'exploitation agricole (AREA, en partie ex-Agridiff) ou l'aide à la réalisation d'un diagnostic économique et financier de l'exploitation, qui permet de répondre aux difficultés financières structurelles rencontrées par les exploitants identifiés.

C'est sans parler des initiatives spontanées qu'il convient de saluer des chambres d'agriculture ou des coopératives.

Enfin, de nombreux territoires ont expérimenté des solutions intéressantes, comme la Marne avec le dispositif REAGIR qui coordonne les leviers d'actions proposés par les différents organismes.

Force est de constater la faible articulation de tous ces dispositifs tout comme la faible communication autour de ces derniers afin d'améliorer la connaissance des dispositifs existant par les agriculteurs.

Il est incontestable qu'un travail important est nécessaire pour clarifier la lisibilité et l'articulation de ces dispositifs.

II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI : UNE RESPONSABILISATION D'UN SEUL INTERVENANT QUI POSE CERTAINES DIFFICULTÉS PRATIQUES

Considérant, dans l'exposé des motifs, qu'« il est [...] urgent d'aller plus loin pour renforcer la prévention en améliorant le système de détection des personnes en situation de fragilité », les auteurs de la proposition de loi proposent un nouveau système de repérage des difficultés rencontrées par un agriculteur. Ce dispositif serait déclenché par le conseiller bancaire en fonction de la situation financière du client.

L'article 1 er de la présente proposition de loi se fonde sur le constat qu'« un solde négatif du compte courant ou professionnel, sur une durée continue, peut être l'indicateur d'une situation à risque ». Partant, il place les établissements bancaires et financiers au centre du processus de déclenchement de l'alerte, qui est mis en oeuvre en trois étapes :

- en premier lieu, un établissement bancaire ou financier lié à un exploitant ou un salarié agricole par une convention de compte courant ou professionnel doit, lorsqu'il est constaté un solde bancaire négatif récurrent , informer le client de la nécessité d'alerter les organismes de mutualité sociale agricole (MSA) pour lui offrir un accompagnement ;

- ensuite, après obtention de l' accord écrit de l'exploitant ou du salarié agricole, l'établissement en question devra aviser , dans un délai de quarante-huit heures, l'organisme de MSA de la situation financière de son client ;

- enfin, dans un nouveau délai de quarante-huit heures , l'organisme de MSA devra déclencher un accompagnement social et psychologique organisé par la cellule pluridisciplinaire de prévention du suicide.

Si les difficultés financières peuvent représenter un facteur de détresse pouvant ultimement conduire un agriculteur à mettre fin à ses jours, elles s'inscrivent dans un ensemble plus large de différentes causes à l'origine des suicides.

Il ressort de façon particulièrement claire et unanime des auditions menées par le rapporteur que le suicide est un phénomène complexe et multifactoriel qu'il est impossible, voire contre-productif, de rapporter à une cause unique (conditions de travail dégradées, stigmatisation, perte d'estime de soi, isolement social et géographique, sentiment d'échec, problèmes de transmission de l'exploitation, problèmes financiers, etc.).

Dès lors, le dispositif proposé, en faisant du solde bancaire l'indicateur unique des difficultés auxquelles fait face un agriculteur et en rendant responsable le conseiller bancaire du déclenchement de l'alerte, présente deux écueils principaux : d'une part il ne traite que très partiellement la problématique du suicide des agriculteurs et d'autre part son application semble techniquement impossible.

A. UN DISPOSITIF TECHNIQUEMENT IMPOSSIBLE À METTRE EN oeUVRE, VOIRE CONTRE-PRODUCTIF

Le dispositif proposé place un indicateur, le solde du compte bancaire, et un interlocuteur, le conseiller bancaire, au centre du dispositif d'identification et d'alerte.

Au-delà du fait que cet article 1 er introduit une obligation difficile à contrôler et n'apporte pas d'élément sur les conséquences potentielles pour la banque et pour la victime ou ses ayants droit en cas de manquement constaté suite à un suicide, plusieurs difficultés techniques sont susceptibles de rendre ce mécanisme d'alerte inapplicable.

1. Une identification incertaine de la clientèle exerçant une activité agricole

L'identification de l'activité professionnelle du client par le conseiller bancaire peut être complexe. « Inverser le principe qui prévalait jusqu'alors, la démarche des agriculteurs vers la MSA, en proposant une démarche des banques vers les agriculteurs » , ainsi que le souhaitent les auteurs, implique pour le salarié bancaire de pouvoir identifier précisément sa clientèle exerçant une activité agricole . Or, plusieurs cas de figure rendent cette identification incertaine, si ce n'est impossible :

- si un client indique à l'établissement bancaire sa profession au moment d'ouvrir un compte courant, il n'a en revanche pas à lui faire part ses évolutions professionnelle s. Par conséquent, le conseiller bancaire n'est pas automatiquement informé lorsqu'un client quitte ses fonctions de salarié ou d'exploitant agricole pour se tourner vers d'autres secteurs d'activité. Certes, une telle mobilité a un impact sur les relations contractuelles relatives au compte professionnel, mais pas sur celles qui concernent le compte courant. Or le client peut posséder un compte courant dans une banque et un compte professionnel dans l'autre ( cf. ci-dessous). Le conseiller bancaire en charge du compte courant n'est donc pas tenu informé des évolutions professionnelles de son client ;

- certains salariés agricoles le sont de façon saisonnière . Ils peuvent donc exercer une telle activité durant une période de l'année de façon uniquement temporaire, rendant incertaine leur appartenance à la population dont la situation financière peut déclencher le processus d'alerte.

2. Le compte bancaire donne une image tronquée de la situation financière du client

L'article 1 er de la proposition de loi prévoit le déclenchement de la proposition d'alerte à partir du constat, par le conseiller bancaire, d'un solde négatif récurrent du compte bancaire . Or le rapporteur considère que le solde bancaire est un indicateur incomplet, voire trompeur, pour mesurer la réalité de la situation financière d'un client.

Premièrement, un compte courant et un compte professionnel ne traduisent pas les mêmes réalités . Il se peut que le solde de l'un des deux soit négatif sans que ce soit le cas de l'autre. La prise en compte du solde bancaire est donc susceptible de recouvrir des cas hétérogènes ne permettant donc pas de mesurer l'urgence d'une situation . En outre, la notion de « solde bancaire négatif récurrent » est juridiquement imprécise , puisqu'elle ne permet pas de déterminer le moment exact à partir duquel l'obligation d'information du client incombera au conseiller bancaire. Il est en tout état de cause complexe de formaliser un seuil en raison de la diversité des situations (cycles de production, périodes de récole, versements d'aides attendus, etc. 5 ( * ) ) et des stratégies de financement.

Le salarié ou exploitant agricole peut en effet rencontrer des difficultés professionnelles se traduisant par un solde négatif du compte professionnel sans que sa situation personnelle ne le place en situation de détresse, et inversement . Il se peut également que son compte bancaire, courant ou non, présente un solde négatif sans pour autant que ce soit le cas de son ou sa conjoint(e) lorsque il ou elle est client d'une autre banque, ce qui dans certains cas donnerait au conseiller bancaire une vision tronquée de la situation de détresse vécue par l'agriculteur en tant que membre du ménage. Il se peut, ensuite, que le solde d'un compte bancaire, particulièrement un compte professionnel, soit négatif de façon récurrente en raison de la cyclicité inhérente à l'activité agricole. Il se peut, enfin, que le compte bancaire soit un compte commun avec le conjoint qui peut avoir une activité à l'extérieur : un solde positif peut donc cacher des difficultés au niveau de l'exploitation agricole .

Deuxièmement, un client peut détenir plusieurs comptes bancaires , dans plusieurs banques. Selon une étude de 2017 6 ( * ) , près de 20 % des Français ont opté pour ce choix. En raison du secret bancaire, l'établissement financier ne dispose pas d'une vision consolidée de la situation financière du client. Dès lors, l'information qu'apporte un compte bancaire déficitaire est biaisée puisqu' elle peut ne pas refléter l'exactitude de la situation financière du client et, partant, ses difficultés éventuelles.

Troisièmement, s'appuyer sur le caractère positif ou négatif d'un compte bancaire pour en déduire les difficultés (ou l'absence de difficultés) d'un client peut conduire à des erreurs d'interprétation potentiellement lourdes de conséquences. En effet, un compte bancaire au solde positif ne dit rien de la réelle pression financière subie par un agriculteur afin de, précisément, le maintenir approvisionné. Il ressort en effet des auditions menées par le rapporteur qu'un agriculteur en difficulté cesse en premier lieu de s'acquitter des charges qu'il a contractées auprès, par exemple, de ses fournisseurs ou de la mutualité sociale agricole (pour le paiement des cotisations sociales), dans le but précisément de ne pas informer le banquier de ses difficultés. Le maintien de son compte bancaire en territoire positif donne donc une image artificiellement « rassurante » de la situation financière du client . Le rapporteur rappelle avec force qu'il est pourtant nécessaire de pouvoir détecter les situations difficiles le plus tôt possible .

Quatrièmement, la prise de contact par l'établissement financier est susceptible de mettre une pression supplémentaire sur l'agriculteur, déjà fragilisé psychologiquement par ses difficultés . La relation peut en effet être dégradée entre l'agriculteur et son conseiller bancaire, ce dernier étant rarement la personne que l'agriculteur souhaiterait en tant que « soutien ». Au surplus, les banques ont déjà la possibilité d'informer la cellule départementale d'identification et d'accompagnement des agriculteurs en difficulté. Le rapporteur juge préférable de les inciter à être encore plus actives au sein de ces celles et à davantage coopérer avec les autres acteurs.

Cinquièmement, l'article 1 er de la proposition de loi prévoit que le conseiller bancaire informe son client de la nécessité d'alerter les organismes de mutualité sociale agricole pour lui offrir un accompagnement. Or les organisations professionnelles et associations de terrain interrogées ont alerté le rapporteur sur l' ambivalence du statut de la MSA auprès des agriculteurs : à la fois actrice de la protection sociale et de l'accompagnement, et principale créancière en matière de cotisations sociales impayées. Un agriculteur faisant face à d'importantes difficultés financières risque donc de refuser que le salarié bancaire transmette cette information à la MSA . En tout état de cause, il est difficile psychologiquement pour une personne de renoncer à son autonomie de décision ; un tel renoncement ne manquerait pourtant pas d'advenir, compte tenu des faibles marges de manoeuvre dont disposeraient un agriculteur face à son créancier.

Enfin, toute démarche de signalement doit pourtant comporter une dimension humaine indéniable au-delà d'une approche technique et systématique, qui passe par une formation spécifique et exigeante des interlocuteurs (agents de l'État, des chambres d'agriculture, des centres de gestion, etc . ) à ce type de situations 7 ( * ) .

Le rapporteur rappelle qu' un conseiller bancaire ne dispose pas d'une formation équivalente à celle d'un travailleur social compétent en matière d'accompagnement d'agriculteurs en détresse . Dès lors, des difficultés ne manqueraient pas d'apparaître en matière de gestion de telles situations. En cas de manquement à l'obligation ainsi créée suivie du suicide d'un agriculteur, si la responsabilité en droit serait alors certes celle de l'établissement financier ou bancaire, la responsabilité morale serait toutefois particulièrement lourde pour le salarié bancaire. Ce dernier ne semble pas l'interlocuteur idoine pour évaluer les conséquences psychologiques de la situation financière de son client ni pour prendre le premier contact avec l'agriculteur concerné.

B. UN DISPOSITIF QUI NE TRAITE QUE TRÈS PARTIELLEMENT LA PROBLÉMATIQUE DU SUICIDE DES AGRICULTEURS

Le numéro d'appel Agri'écoute , lancé en octobre 2014 et permettant à des agriculteurs en détresse d'exposer leurs difficultés auprès de professionnels et de bénéficier le cas échéant d'un accompagnement, a été utilisé en moyenne 380 fois par mois au cours de l'année 2018.

Dans 54 % des cas, les raisons de l'appel évoquées en priorité par les assurés de la MSA étaient des problèmes d'ordre personnel , principalement des préoccupations liées aux difficultés de la vie, au sentiment de solitude (isolement social et géographique), au rôle de proche aidant, à la parentalité ou à la maladie. Dans les autres cas, les raisons de l'appel étaient professionnelles et recouvraient les difficultés financières, la surcharge de travail et le manque de soutien moral.

Les difficultés d'ordre financier sont donc des facteurs importants pouvant conduire au suicide, mais leur caractère insoutenable résulte en réalité, dans la majorité des cas, de leur combinaison avec les autres facteurs susmentionnés . La détresse vécue par les agriculteurs est donc rarement monocausale.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : SE DONNER LE TEMPS DE MIEUX COMPRENDRE UN PHÉNOMÈNE COMPLEXE

Pour le rapporteur, aucune loi ne permettra de résoudre, une fois pour toute, le problème du suicide en général et celui des agriculteurs en particulier.

Les cas dramatiques d'agriculteurs ayant mis fin à leurs jours relèvent de décisions qui sont, le plus souvent, l'aboutissement d'une accumulation de difficultés , d'une concordance de drames individuels de nature très différente.

Parmi ces derniers, figurent, de manière non exhaustive, les difficultés financières, les drames personnels, la maladie, l'isolement social et géographique, le célibat, la perte d'estime de soi, le sentiment d'échec, la surcharge de travail . Il y a, bien sûr, des centaines d'autres facteurs. Plus largement, ce phénomène dramatique rappelle la nécessité de mener au niveau national et européen une politique agricole qui permette de résoudre la crise structurelle de ce secteur. L'Europe et la France se sont construites autour de ce secteur agricole. Dans le contexte actuel marqué d'une part par la nécessité de mettre en oeuvre une transition énergétique et environnementale, et d'autre part par des préoccupations de sécurité alimentaire et sanitaire, répondre à la crise économique, sociale, environnementale et humaine que traverse ce secteur est par conséquent une priorité politique majeure .

En outre, ces décisions individuelles s'inscrivent dans un contexte d' agri-bashing , lequel exerce une pression supplémentaire sur nos agriculteurs, sans que les chiffres datant de 2011 ne permettent de réellement l'appréhender.

Ainsi, s'il peut aider à mettre en place des dispositifs préventifs, jamais le législateur ne pourra, en édictant une norme, répondre aux défis posés par ces centaines de situations individuelles . Chaque cas est singulier.

Toutes les solutions qui pourront être préconisées relèvent d'actions au plus près du terrain , éventuellement relevant du pouvoir réglementaire, mais non d'un code de lois. Bien sûr, s'il est nécessaire que la loi intervienne pour déterminer des grands principes, elle devra le faire. Toutefois, à ce stade des travaux menés par le rapporteur, cela ne semble pas être le besoin prioritaire.

En matière d'identification, de prévention et de prise en charge des agriculteurs en situation de détresse, des besoins très spécifiques ont été identifiés : nécessité de faire émerger des bases statistiques fiables et suivies de manière pluriannuelle ; amélioration de la lisibilité et de l'articulation des dispositifs d'identification des agriculteurs en difficulté ; renforcement de la communication autour des dispositifs de signalement pour que les agriculteurs concernés, leurs proches ou les personnes qu'ils côtoient puissent mieux se saisir des outils déjà mis en place.

En outre, aux yeux de l'auteur de la proposition de loi , il faut regretter le caractère impersonnel du dispositif préventif . Le rapporteur ne peut qu'aller dans ce sens. Il importe de remettre l'humain au coeur de la détection et de la prévention des cas désespérés.

Un seul acteur individuel ne pourra pas, à lui seul, améliorer l'efficacité du dispositif d'identification. Seule la mobilisation de toutes les énergies permettra d'avoir une prévention plus efficace. C'est la clé pour aider au mieux les agriculteurs en difficulté.

Ces trois impératifs ( meilleure connaissance de la réalité, amélioration des dispositifs existant et humanisation des procédures ) doivent être respectés pour que le dispositif de prévention fonctionne davantage.

Pour le rapporteur, dans un souci d'humilité face à une problématique aussi complexe et dramatique que le suicide des agriculteurs, il convient de prendre le temps de mieux étudier et de mieux comprendre le phénomène pour apporter, autant que possible, des idées permettant d'améliorer la prévention . Tous les efforts doivent converger vers un objectif de réduction du nombre de drames humains dans nos campagnes.

Tout en rappelant l'intérêt d'avoir un débat important avec le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur le sujet lors de la séance publique du 12 décembre 2019, le rapporteur a proposé à la commission des affaires économiques, en accord avec Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi, et de son groupe politique, de déposer une motion de renvoi en commission afin de disposer de davantage de temps pour investiguer, entendre, aller sur le terrain à la rencontre des acteurs mobilisés dans les dispositifs préventif dans la perspective de produire un rapport faisant état de la situation et formulant les recommandations qui s'imposent.

Cette proposition, fruit d'un accord salué par l'ensemble des membres de la commission des affaires économiques, permettra à la commission dans son ensemble, sous la houlette du rapporteur et de l'auteur de la proposition de loi, de travailler sereinement sur ce sujet complexe mais essentiel. Postérieurement à la séance publique du 12 décembre, la commission va ainsi créer un groupe de travail de douze membres relatif aux moyens mis en oeuvre par l'État en matière de prévention, d'identification et d'accompagnement des agriculteurs en situation de détresse .

Cet engagement transpartisan à ne pas se précipiter pour travailler toute la complexité du sujet, de manière collégiale, en faisant fi de toute querelle politicienne, laisse présager un rapport attendu, qui, dans quelques mois, proposera des solutions pour améliorer ce que l'État propose en matière de prévention du suicide des agriculteurs.

Lors de sa réunion du mercredi 4 décembre 2019, sur proposition de son rapporteur, la commission des affaires économiques a acté le dépôt d'une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi n° 746 (2018-2019) de Henri Cabanel et plusieurs de ses collègues visant à prévenir le suicide des agriculteurs.

En conséquence, elle n'a pas adopté de texte.

En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 4 décembre 2019, la commission a examiné le rapport de Mme Françoise Férat sur la proposition de loi n° 746 (2018-2019) de M. Henri Cabanel et plusieurs de ses collègues visant à prévenir le suicide des agriculteurs.

Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, nous allons maintenant examiner le rapport sur la proposition de loi d'Henri Cabanel visant à prévenir le suicide des agriculteurs, un sujet éminemment important.

Mme Françoise Férat , rapporteur . - Pour en avoir discuté avec de nombreux collègues, je veux dire que nous abordons la question de la prévention du suicide des agriculteurs avec beaucoup d'émotion.

M. Cabanel a déposé une proposition de loi dont l'objectif principal est qu'une chambre du Parlement se saisisse d'une question qui est la manifestation la plus flagrante de la détresse du monde agricole : le suicide des agriculteurs. Je tenais sincèrement à le remercier pour cette initiative importante. Il est inconcevable que nous puissions rappeler dans chacune de nos interventions les chiffres effroyables des disparitions annuelles sans jamais chercher à proposer des solutions.

Ce n'est pas un débat théorique : c'est une réalité de terrain, qui afflige, interpelle, choque et dévaste des familles. J'y insiste, elle doit être traitée en priorité par les pouvoirs publics. C'est dans cet état d'esprit que j'ai conduit avec Henri Cabanel mes auditions, lesquelles nous ont permis d'acquérir trois convictions.

Notre première constatation est que le phénomène est très insuffisamment appréhendé par les administrations compétentes.

Il n'existe que trois études sur le sujet. Je précise qu'elles ne suivent pas la même méthodologie et qu'elles ne sont donc pas comparables, ce qui nuit encore à la compréhension du problème. Or il est impossible de prétendre traiter cette problématique importante sans avoir une bonne connaissance, à tout le moins statistique, du sujet. Face à la rareté des études, le champ scientifique de la connaissance du phénomène du suicide agricole ne peut donc être qu'approfondi.

La première de ces trois études, réalisée par Santé publique France, porte sur les exploitants de 2007 à 2011. Nous ne disposons pas de chiffres plus récents, ce qui démontre la très faible appréhension du phénomène par les administrations. Ces travaux recensent 781 décès pour cause de suicide d'exploitants agricoles entre 2007 et 2011, soit un suicide tous les deux jours.

L'étude constate une surmortalité par suicide des exploitants agricoles par rapport au reste de la population d'environ 20 % en 2008, 2009 et 2010, mais pas forcément en 2007 et 2011. Ces éléments démontrent déjà toute la complexité du problème.

Cette étude montre qu'avoir une exploitation de taille moyenne, être monoculture et être exploitant à titre individuel et non sociétaire sont des facteurs qui augmentent, toutes choses égales par ailleurs, le risque de suicide. Évidemment, au-delà de ces caractéristiques statistiques, par définition froides et impersonnelles, chaque histoire est unique, singulière, avec ses drames et ses souffrances.

Une seconde étude, réalisée également par Santé publique France, conclut qu'il n'existe pas de surmortalité par suicide chez les salariés agricoles par rapport à la population générale. Les chiffres démontrent même une sous-mortalité de 20 % chez les hommes et de 57 % chez les femmes par rapport à la population générale, mais avec des biais statistiques importants qu'il convient de rappeler, notamment l'exclusion des salariés-exploitants et la non-prise en compte des travailleurs détachés.

Une troisième étude, réalisée par la Mutualité sociale agricole (MSA), publiée en juillet 2019, démontre de son côté, avec une autre méthodologie, une surmortalité par suicide des assurés du régime agricole par rapport à l'ensemble des assurés de 15 à 64 ans. Cette étude, contrairement à celle de Santé Publique France, fait état d'une surmortalité chez les salariés agricoles.

Ces divergences parmi ces trois études démontrent que l'appréhension statistique de ce sujet n'est pas suffisante. Il faut dénoncer cet état de fait que je n'imaginais pas avant de commencer mes travaux.

Si les remontées de terrain, dans nos campagnes, témoignent d'un phénomène réel et dramatique, il importe que des études incontestables viennent objectiver ces éléments. Disposer de chiffres fiables est un prérequis nécessaire, incontournable, tant pour le législateur que pour le Gouvernement, lorsqu'il s'agit d'élaborer des solutions pratiques. Le Gouvernement a le devoir de mettre au point une cellule pour produire d'urgence ces statistiques.

Notre seconde constatation est que ce n'est pas une loi qui permettra de résoudre une fois pour toutes le problème du suicide des agriculteurs.

Nous avons sans doute tous rencontré sur nos territoires des cas dramatiques d'agriculteurs ayant mis fin à leurs jours. Ces décisions sont, le plus souvent, l'aboutissement d'une accumulation de difficultés, d'une concordance de drames individuels à la nature très différente.

Parmi ceux-là figurent bien entendu les difficultés financières, mais aussi les drames personnels, la maladie, l'isolement social, le sentiment d'échec, la surcharge de travail. Le phénomène d' agri-bashing est un facteur supplémentaire de pression sur nos agriculteurs, phénomène que des chiffres de 2011 ne permettent pas d'appréhender. En tout état de cause, au-delà même de ces différents facteurs, la problématique des suicides d'agriculteurs s'inscrit plus largement dans un contexte de crise de l'agriculture dans son ensemble.

S'il peut aider à mettre en place des dispositifs préventifs, jamais le législateur ne pourra, en édictant une norme, répondre aux défis posés par ces centaines de situations individuelles. Chaque cas est singulier. Les réactions à adopter en cas de signalement d'un agriculteur en difficulté diffèrent selon que l'alerte a été donnée par l'agriculteur lui-même, de façon volontaire, par ses proches ou par un collectif de professionnels du terrain qui sont en contact régulier avec lui.

Toutes les actions à mettre en place relèvent du terrain, au mieux du pouvoir réglementaire, mais non d'un code de lois. S'il est nécessaire que la loi intervienne pour déterminer des grands principes, elle devra le faire. Mais cela n'a pas été identifié pour l'instant comme tel dans les auditions.

Notre troisième constatation est qu'il convient de remettre l'humain au coeur des dispositifs préventifs déjà en place.

Nos auditions nous ont amenés à découvrir des mesures déjà mises en place par l'État, que ni Henri Cabanel ni moi-même ne connaissions.

Je pense à la cellule départementale d'accompagnement des agriculteurs en difficulté, mise en place depuis fin 2017 auprès des directions départementales des territoires (DDT), et rassemblant les principaux acteurs en relation avec les exploitants comme les chambres d'agriculture, la MSA, les centres de gestion, les banques, les coopératives ou les directions départementales des finances publiques (DDFIP).

Si nous ne connaissons pas ce dispositif, comment espérer que les agriculteurs de nos territoires en soient informés ?

De même, des dizaines de dispositifs ont été mis en place par la Mutualité sociale agricole (MSA), avec Agri'écoute, les cellules de prévention disciplinaires ou les réseaux de sentinelles, ou par le ministère, avec l'aide à la relance de l'exploitation agricole (AREA, ex-Agridiff) ou l'aide à la réalisation d'un diagnostic économique et financier de l'exploitation. C'est sans parler des initiatives qu'il convient de saluer des chambres d'agriculture ou des coopératives. Enfin, de nombreux territoires ont expérimenté des solutions intéressantes, comme dans la Marne avec le dispositif Réagir qui coordonne les leviers d'actions proposés par les différents organismes. On parle mieux de ce qu'on connaît bien.

En tout état de cause, nos premières auditions ont démontré la faible lisibilité et la faible articulation des dispositifs en place, tout comme la faible communication - c'est peu dire ! - autour de ces derniers afin d'améliorer la connaissance des dispositifs existants par les agriculteurs.

En outre, il faut regretter le caractère impersonnel, justement signalé par Henri Cabanel, du dispositif préventif et remettre l'humain au coeur de la détection et de la prévention des cas désespérés.

C'est animés de cet esprit qu'il nous est apparu évident que le dispositif le plus efficace réside non pas dans une logique individuelle de détection, mais bien dans une logique collective mobilisant les forces de chacun pour aider au mieux les agriculteurs en difficulté.

À cet égard, la proposition de loi présente un écueil en faisant reposer sur les employés des banques une responsabilité particulière alors qu'ils doivent participer, comme les autres, à l'effort collectif en faveur d'une meilleure prévention. En outre, techniquement, la rédaction retenue pouvait poser quelques questions, notamment en ce qui concerne les clients multibancarisés ou l'interprétation à retenir du solde bancaire négatif, récurrent dans un secteur où la saisonnalité des revenus peut entraîner un découvert pendant parfois plusieurs mois.

Ces trois impératifs - transparence sur les dispositifs en place, effort collectif et humanisation des procédures - doivent être respectés, comme l'a rappelé Henri Cabanel, pour que le dispositif de prévention fonctionne davantage.

En accord avec mon collègue, il m'a semblé que pour rester humble face à une problématique aussi complexe et dramatique que le suicide des agriculteurs, il faut prendre le temps de mieux comprendre le phénomène afin d'apporter, à notre juste place, les solutions qui relèvent de notre responsabilité.

Ce besoin de temps pour investiguer, entendre, et aller sur le terrain justifie le fait de ne pouvoir accepter la proposition de loi en l'état. Son examen en séance publique permettra d'avoir un débat important avec le ministre de l'agriculture sur ce sujet essentiel.

Lors de cette séance publique, je vous propose de déposer une motion de renvoi en commission engageant Henri Cabanel, moi-même et l'ensemble des commissaires souhaitant s'y associer à poursuivre notre travail dans la perspective de la production d'un rapport faisant état de la situation et formulant les recommandations qui nous sembleront les plus utiles.

En conséquence, je recommande de ne pas adopter aujourd'hui de texte de commission. J'insiste sur le fait que ne pas trancher ne signifie en rien que nous n'assumons pas nos responsabilités de législateur. Les drames individuels que notre agriculture connaît tous les ans nous obligent. Au contraire, il me semble qu'en nous engageant à ne pas nous précipiter pour travailler toute la complexité du sujet, de manière transpartisane et collégiale, laisse présager un rapport de qualité qui, dans quelques mois, proposera des solutions pour améliorer ce que l'État a prévu en matière de prévention du suicide des agriculteurs. C'est cette démarche que je vous propose aujourd'hui.

Nous avons désormais, grâce à l'appel lancé par la proposition de loi d'Henri Cabanel et au travail que nous allons mener ensemble, la possibilité de faire progresser l'assistance envers nos agriculteurs. (Applaudissements.)

Mme Sophie Primas , présidente . - Je remercie Henri Cabanel de nous avoir permis de débattre de ce sujet.

M. Henri Cabanel . - Je félicite Mme Férat pour son excellent rapport.

Je veux expliquer ma démarche. Depuis que je suis sénateur, j'évoque dès que je le peux la question du suicide des agriculteurs. Mes chiffres à ce sujet n'étaient pas les bons, puisque ils faisaient état d'un suicide tous les deux jours. Dans son film Au nom de la terre , le réalisateur Édouard Bergeon, fils d'agriculteur, raconte son histoire, qui est extrêmement émouvante, car elle reflète vraiment ce qu'il se passe dans ces familles désespérées. Le lendemain de la sortie du film, j'ai pris l'initiative de déposer cette proposition de loi, car il m'a semblé important de pouvoir en débattre, et de communiquer sur ce sujet. Notre devoir est de venir en aide à des personnes désespérées et de trouver des solutions.

La première solution à laquelle j'ai pensé pour cette proposition de loi est de mettre les banques au centre de la prévention. Les représentants du ministère de l'agriculture que nous avons entendus nous ont avoué que bon nombre de suicides étaient liés à l'endettement. Le banquier doit donc être au centre de cette prévention.

Tous les outils mis en place depuis 2011, lorsque le Gouvernement a demandé à la MSA de prendre en charge ce phénomène, n'ont pas donné satisfaction. En 2015, la MSA a recensé 605 suicides, survenus dans la quasi-indifférence. Je souhaite qu'à travers le travail que l'on mènera, nous trouvions des solutions.

Au-delà des banques, il faut agir auprès de l'ensemble des organismes qui gravitent autour des agriculteurs : la MSA, les services administratifs, ceux de l'État. Un viticulteur dans l'Hérault m'a raconté qu'il avait été contrôlé, devant ses salariés, au moment des vendanges par deux inspecteurs de la MSA, accompagnés de deux gendarmes avec des gilets pare-balles et des mitraillettes... Imaginez la vision des employés vis-à-vis de l'employeur ! Ce dernier avait l'impression d'être traité comme un bandit. Les représentants du ministère de l'agriculture que nous avons entendus ne savaient même pas que les contrôles pouvaient se passer ainsi. C'est la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) qui demande l'accompagnement des inspecteurs, si des contrôles ont posé quelques problèmes.

Il faut humaniser toutes ces procédures. Car si un agriculteur est capable de commettre l'irréparable, c'est parce qu'il se sent absolument seul. Les outils qui lui sont proposés sont là pour l'aider, mais c'est toujours à lui de faire la démarche. Il faut inverser le système, pour essayer de repérer les individus désespérés. Voilà le but de cette proposition de loi.

Je suis très heureux que l'on puisse débattre de la proposition de loi dès la semaine prochaine et que l'on puisse mener un travail pour venir en aide à ces agriculteurs.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je rappelle qu'en vertu du gentleman's agreement qui s'applique dans le cadre de l'examen des propositions de loi, notre commission ne peut proposer de motion de renvoi en commission qu'avec l'accord de l'auteur et, partant, du groupe auteur de la proposition de loi. Je constate l'accord de M. Cabanel.

M. Henri Cabanel . - Bien sûr !

Mme Sophie Primas , présidente . - Si la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant au renvoi en commission, la proposition de loi ne sera mécaniquement pas adoptée par notre commission.

À titre personnel, je me félicite vraiment de cette initiative transpartisane, à laquelle pourront s'associer, bien sûr, tous les commissaires qui le souhaiteront.

Cela permettra à notre rapporteur et à Henri Cabanel de disposer de davantage de temps pour poursuivre un travail collégial sur ce sujet complexe et essentiel pour nos campagnes. C'est un signal que l'ensemble des groupes politiques souhaite avancer sur ce sujet important en proposant des solutions opérationnelles, qui ne seront pas forcément d'ordre législatif, pour aider les agriculteurs en difficulté dans le contexte que nous connaissons et dont nous avons débattu hier soir. Il faut saluer l'esprit collégial et de responsabilité des uns et des autres.

M. Franck Menonville . - Je salue l'initiative d'Henri Cabanel, le sujet est prégnant. Dans mon département, qui n'est pas le plus touché, nous avons essayé, au gré des crises, d'organiser la coordination des acteurs, qu'il s'agisse des acteurs économiques, bancaires, sociaux, voire des fournisseurs. Nous avons réussi à sensibiliser l'ensemble des intervenants à cette question, en liaison avec la chambre d'agriculture. Nous avons mis en place un numéro vert à destination des agriculteurs, mais aussi aux partenaires concernés. La coordination est le maître mot à retenir si nous voulons obtenir des résultats probants. N'oublions pas la vocation sociale du département, qui est absolument essentielle en matière de proximité. Dans les territoires ruraux, les maires peuvent aussi être des relais pour toutes ces situations difficiles.

Mme Sophie Primas , présidente . - Même dans un département comme celui des Yvelines, certains agriculteurs touchent le revenu de solidarité active (RSA).

Mme Agnès Constant . - Je félicite Henri Cabanel de sa proposition de loi, que je soutiendrai bien entendu. Je suis viticultrice. Certes, il faut partir des difficultés financières, mais nous devrions collectivement aller plus loin, car les agriculteurs meurent aussi à cause du regard que porte sur eux la société. Changeons ce regard ! Des élus nationaux et européens nous traitent d'empoisonneurs, alors que nous nourrissons le pays, et je ne parle pas des associations militant pour la cause vegan , qui nous traitent d'assassins.

De plus, certains voudraient faire croire que nous sommes des productivistes extrêmes, avec des fermes usines, mais tel n'est pas le cas. La France a trouvé un équilibre dans ses paysages. Nous devons tous mettre en valeur l'agriculteur. N'oublions pas non plus le statut et la position de la femme dans l'agriculture. Pour avoir participé à des réunions, les agricultrices, en tant que conjointes d'exploitant ou chef d'exploitation, rencontrent des difficultés que d'autres professions n'ont pas.

M. Joël Labbé . - Je salue, à mon tour, l'initiative de notre collègue Henri Cabanel d'avoir déposé une proposition de loi sur un sujet qui est, humainement, insupportable. Solidarité paysans, qui comprend 1 000 bénévoles et 70 salariés, travaille dans l'ombre sur les cas identifiés de non-redressabilité par la Commission départementale d'orientation agricole (CDOA) pour ce qui concerne l'aide accordée aux exploitations en difficulté structurelle (Agridiff) : cette association réussit à sauver entre 60 % et 70 % des emplois visés.

Je ne veux accuser ici personne, mais permettez-moi de revenir sur la déclaration d'un haut responsable agricole voilà quelques années, selon lequel 15 % des exploitations agricoles étaient - hélas ! - hors-jeu et qu'il fallait aider à s'en sortir dans la dignité. Il importe de prendre en compte le profond malaise paysan : les agriculteurs sont sous pressions diverses et variées. Certes, il y a urgence, mais peut-être conviendrait-il que la Haute Assemblée mette en place une mission d'information pour examiner ce sujet dramatique sous un angle pluripolitique.

M. Jean-Claude Tissot . - Je salue, à mon tour, le travail d'Henri Cabanel et de Mme le rapporteur. Le métier d'éleveur, que j'exerce, est le secteur d'activité le plus victime des suicides. J'ai côtoyé des personnes qui sont passées à l'acte. Aussi, je partage l'idée de travailler de manière approfondie sur ce problème ; mon groupe participera activement à ces travaux. Nous sommes donc favorables à la motion de renvoi en commission.

Mme Sophie Primas , présidente . - L'émotion et l'expérience personnelle ont toute leur place dans ce sujet.

M. Daniel Gremillet . - Je remercie également Henri Cabanel et Françoise Férat. C'est une sage décision que de renvoyer en commission cette proposition de loi. Autrement, nous aurions pris le risque de passer à côté du sujet, tant ce dernier est très complexe. Celles et ceux d'entre nous qui ont participé à la dernière réunion organisée par la MSA ici au Sénat sur le projet de budget pour 2020 le savent, on compte depuis 2015 plus d'un suicide par jour. Surtout, nous avons appris qu'une part importante des personnes qui partent à la retraite se suicident. Il ne s'agit donc pas que des actifs. À cet égard, je rejoins les propos d'Agnès Constant : des femmes qui ont consacré toute leur vie à l'agriculture perçoivent une retraite de l'ordre de 400 euros par mois. Voilà la réalité ! Imaginez ce que ces femmes et ces hommes
- pour certains d'entre eux, le niveau de retraite n'est pas non plus très élevé ; il est dans tous les cas inférieur au seuil de pauvreté - ressentent !

Il est réducteur de résumer le problème des suicides aux problèmes financiers. Il s'agit souvent de l'addition de plusieurs situations. Dernièrement, deux très jeunes personnes se sont suicidées, alors que leurs exploitations étaient très saines, le prix du lait étant élevé, et faisaient partie des meilleures. Le sujet est très complexe, attention aux raccourcis, nous devons nous méfier des raccourcis.

Aussi, je me réjouis que nos collègues nous proposent un renvoi en commission. Travaillons sur ce sujet de façon fine, car la réponse est multiple.

M. Laurent Duplomb . - Il m'est difficile de parler de ce sujet : je m'exprime non pas en tant que sénateur, mais en tant qu'être humain animé d'une passion pour le métier d'agriculteur.

La solution que vous proposez honore le Sénat ; il n'y a que la Haute Assemblée qui soit capable de partir d'une proposition qui, certes, n'est pas parfaite, pour parvenir à une unité parce que le sujet l'exige. Avoir la capacité de prendre le temps en renvoyant ce texte en commission est plus qu'honorable.

Aujourd'hui, selon moi, la problématique est malheureusement simple. Si les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à se suicider, c'est en raison du malaise qui touche l'agriculture. Ce malaise prend de multiples formes, mais il est dû au fait que les agriculteurs sont de plus en plus déconnectés de l'évolution de la société, avec, d'un côté, l'obligation de travailler une quantité d'heures colossale et, de l'autre, la possibilité de tout perdre en quelques minutes. Lors d'une catastrophe naturelle, les personnes concernées sont anéanties, car, en quelques minutes, elles ont perdu beaucoup de choses, quasiment tout, et l'impression d'avoir fait quelque chose, alors qu'elles ont mis la totalité de leurs économies dans la construction d'une maison. Mais les agriculteurs vivent cette situation au quotidien, et sont de plus en plus seuls à la vivre.

Comment les agriculteurs peuvent-ils accepter, dans une société où l'on minimise le risque pour qu'il soit proche de zéro, voire nul, de voir leur récolte anéantie en cinq minutes ? C'est la différence entre le métier d'agriculteur et le reste de la société.

Enfin, cette situation est le fruit de l'histoire : le travail des paysans n'a jamais véritablement été reconnu. On n'a pas accepté de mettre les fonds nécessaires pour valoriser les produits agricoles. Les aides européennes ont été de nature à maintenir les revenus. Au départ, ne l'oublions jamais, elles devaient corriger les écarts de telle façon que les prix soient les plus bas possible pour le consommateur. Personne ne le reconnaît aujourd'hui, et les agriculteurs le vivent difficilement. Ils entendent souvent qu'ils sont soutenus par la politique agricole commune (PAC). C'est faux ! Sans la PAC, le prix du panier de la ménagère augmenterait de façon colossale. Aujourd'hui, les agriculteurs ne peuvent pas comprendre que la France importe des produits qui ne sont pas soumis aux mêmes normes.

C'est cet ensemble de données qui conduit à cette problématique : cette différence de vie au sein de la société, cette incompréhension à l'égard de cette société, qui ne comprend plus le monde agricole, des messages qui viennent percuter sans cesse un métier qui demande beaucoup de passion, temps et investissement, tant financier que personnel. Notre rapport doit prendre en compte tous ces éléments pour créer l'électrochoc dont la société française a besoin. Nous ne pouvons plus continuer comme cela. Prenons garde à la façon dont nous parlons de l'agriculture. Ne jetons pas en pâture les agriculteurs ! On ne peut plus accepter tous ces suicides.

M. Pierre Cuypers . - Je félicite et remercie nos rapporteurs et je partage leur point de vue. D'ailleurs, j'aimerais faire partie du groupe de travail qui sera constitué.

Il y a quelques jours j'ai reçu ce message téléphonique : « mon très cher Pierre, Jean, mon petit frère, a commis l'irréparable avant-hier matin. » La semaine dernière, dans mon département, deux exploitants agricoles se sont suicidés ; personne, y compris parmi leurs proches, ne pouvait se douter de ce qui allait se produire. C'est souvent la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Il est bien évident que le phénomène du suicide ne concerne pas que l'agriculture. Mais, très sincèrement, je suis écoeuré, je dirai même que je suis stupéfait de la non-réactivité ou de la mauvaise réaction du Gouvernement. La semaine dernière encore, n'a-t-on pas entendu : les petites retraites agricoles, on verra cela plus tard ! Or il s'agit d'un sujet d'actualité imminent. Traitons-le rapidement ! Attendons-nous qu'il n'y ait plus d'agriculteurs ? La situation est dramatique. La douleur est immense, partagée par toute la profession agricole.

Sur le plan humain, il serait bon que le Gouvernement adresse des messages préventifs et prenne ce sujet en considération.

Mme Sophie Primas , présidente . - Comme l'a dit fort justement Laurent Duplomb, seul le Sénat est capable de conduire un travail consensuel. Sortons de la polémique pour engager un véritable travail de fond !

Mme Noëlle Rauscent . - Je félicite moi aussi Françoise Férat et Henri Cabanel de s'être emparés de ce sujet. Je suis malheureusement issue de la région qui compte le plus grand nombre de suicides, alors que la Bourgogne-Franche-Comté est une région relativement riche et variée où l'on pourrait trouver le bonheur, mais c'est une région d'élevage. Or, comme l'a dit notre collègue Jean-Claude Tissot, c'est ce secteur qui compte le plus de suicides. Je suis tout à fait d'accord pour demander le renvoi en commission parce que l'on ne peut pas résumer le suicide aux problèmes financiers. Il faut avant tout considérer l'isolement de l'agriculteur.

On a souvent dit que la filière de l'élevage avait du mal à s'organiser. L'éleveur doit travailler de nombreuses heures tous les jours ; il n'a plus le temps de s'intéresser à la société dans laquelle il vit. Il est seul, abandonné parfois par son conjoint, sa famille. L'isolement est très important et probablement une cause du suicide.

Certains ont parlé du regard de la société. La société a un regard artificiel sur le monde agricole. Or, c'est la terre qui permet à tout un chacun de vivre et de profiter de la vie. Il faut le rappeler, c'est grâce aux agriculteurs, aux céréaliers, aux éleveurs, que nous pouvons manger ; on a tendance à l'oublier. La majorité des personnes n'ont pas vécu la guerre et ne savent donc pas ce que c'est que de ne pas pouvoir manger. Aujourd'hui, si nous n'avons plus faim, c'est grâce au monde agricole !

Mme Marie-Christine Chauvin . - Je remercie Henri Cabanel et Françoise Férat pour le travail réalisé et leur sage proposition de prendre le temps d'examiner cette question très complexe. On me dit souvent que les agriculteurs du Jura vont bien parce qu'ils produisent du lait à comté. Premièrement, tous les agriculteurs ne produisent pas du lait à comté ! Deuxièmement, le président de la chambre d'agriculture que j'ai récemment rencontré m'a indiqué que, financièrement, 80 % des agriculteurs du Jura allaient bien, mais, qu'au moins un agriculteur sur deux n'allait pas bien moralement, pour différentes raisons. Ils souffrent surtout du dénigrement de l'agriculture, alors qu'ils se remettent sans arrêt en cause pour être les plus vertueux possible. Nous devons donc nous demander ce que nous pouvons faire pour être à leurs côtés.

Mme Françoise Férat , rapporteur . - Nous partageons l'émotion et la perception de ce qui se passe sur le terrain. Nous avons énuméré précédemment les multiples facteurs pouvant conduire au suicide : la maladie, les drames personnels, l'isolement, la retraite qui donne le sentiment d'une perte d'estime, l'échec... Comme l'a dit notre collègue, c'est la petite goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Les personnes qui perdent tout à cause des aléas climatiques oublient peu à peu, car l'espèce humaine est ainsi faite. Mais l'agriculteur est confronté tous les jours à cette situation : il a souvent le sentiment de travailler pour rien, quand ce n'est pas à perte, et de ne pas pouvoir s'en sortir. C'est là quelque chose d'insupportable. C'est une lapalissade, mais si l'agriculteur va mal, c'est que l'agriculture va mal.

Avant d'entamer ce travail, Henri Cabanel et moi-même avons constaté qu'aucun état des lieux n'a été fait : les statistiques datent, avec des chiffres difficiles à croiser. Des dispositifs existent : le ministère nous a indiqué qu'une cellule existe, mais a reconnu que la communication était insuffisante. À quoi bon mettre en place des dispositifs si on n'en informe pas la population concernée ? On note donc un manque d'information et de coordination.

Cette proposition de loi est un électrochoc : nous avons décidé ce matin de faire quelque chose. Nous prendrons le temps nécessaire avec modestie et humilité. Ce ne sera pas simple, mais nous oeuvrerons avec conviction, motivation. Si vous en êtes d'accord, madame la présidente, je m'engage à accompagner ce travail de réflexion.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous propose d'acter la motion de renvoi en commission, au vu de l'ensemble des points de vue qui se sont exprimés.

J'ajoute que nous devons réfléchir collégialement à notre responsabilité sur les propos que nous tenons. Il nous faut avoir une vision plus optimiste d'une agriculture tournée vers l'avenir. Aujourd'hui, dans cette période de crise agricole et économique, nous avons une responsabilité. Parlons de perspectives, d'opportunités, de développement ! Réfléchissons à notre communication, en particulier sur ce sujet.

La commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 19 novembre 2019

- Fédération bancaire française (FBF) : MM. Benoît de la CHAPELLE-BIZOT , directeur général délégué, et Nicolas BODILIS-REGUER , directeur des relations institutionnelles, Mme Marie LHUISSIER , directrice affaires publiques banque de détail, Crédit Agricole, M. Emmanuel-Georges MICHELIN , directeur adjoint des affaires publiques, Groupe BPCE.

Mercredi 20 novembre 2019

- Caisse centrale de la mutualité sociale agricole : M. Régis JACOBÉ , vice-président, M. Patrice HEURTAUT , directeur de la santé sécurité au travail, Mme Anne BODIN , responsable du département de l'accompagnement et du développement social, M. Christophe SIMON , chargé des relations parlementaires.

Mercredi 27 novembre 2019

- Ministère de l'agriculture et de l'alimentation : M. Benoît BONAIMÉ , conseiller en charge de l'enseignement agricole, technique et supérieur, de la recherche, de l'innovation, des relations sociales et de la transformation de l'action publique, M. Philippe QUITTAT-ODELAIN , chef du bureau de la santé et de la sécurité au travail - secrétariat général, Mme Karine SERREC , sous-directrice compétitivité.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Chambres d'agriculture France

- Coop de France

- Coordination rurale

- Solidarités paysans


* 1 Gigonzac V., Breuillard E., Bossard C., Guseva-Canu I., Khireddine-Medouni I. Caractéristiques associées à la mortalité par suicide parmi les hommes agriculteurs exploitants entre 2007 et 2011. Saint-Maurice : Santé publique France; 2017. 10 p. Disponible à partir de l'URL : http://www.santepubliquefrance.fr

* 2 Klingelschmidt J, Chastang JF, Khireddine-Medouni I, Chérié-Challine L, Niedhammer I. Mortalité par suicide des salariés affiliés au régime agricole en activité entre 2007 et 2013 : description et comparaison à la population générale. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(27):549-55. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/27/2018_27_2.html

* 3 Rapport « Charges et Produits MSA 2020 », remis au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et des produits au titre de 2020 au titre de la loi du 13 août 2004

* 4 Instruction technique DGPE/SDC/2017-1039 du 27 décembre 2017.

* 5 En France, toutes orientations et tous territoires confondus, le résultat courant avant impôts (RCAI) s'élève en moyenne à 27 400 €/ par unité de travail non salarié. Mais il existe des disparités du revenu agricole selon les orientations des exploitations : le RCAI a été inférieur à 20 000 € pour les céréales-oléagineux, les bovins viande, et les ovins caprins, tandis qu'il se situait à plus de 35 000 € pour les grandes cultures, la viticulture, les porcins et les volailles. Il était entre ces deux valeurs (20 000 et 35 000 €) pour le maraîchage horticulture, les fruits, les bovins-lait et la polyculture-polyélevage.

* 6 Sondage Anytime/IFOP mené en ligne, du 22 au 23 février 2017, auprès d'un échantillon de 1 000 personnes âgées de 18 ans et plus.

* 7 C'est par exemple le cas des « sentinelles » du réseau Agri'sentinelles, lancé par Coop de France et Allice (organisation nationale professionnelle fédérant des entreprises coopératives de reproduction et de sélection). Ce réseau vise à sensibiliser, former et outiller les interlocuteurs volontaires qui travaillent au contact des agriculteurs pour s'impliquer dans la prévention du suicide.

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