CHAPITRE V
DISPOSITIONS RELATIVES AU SECRET PROFESSIONNEL

Article 8
Levée du secret médical en cas de violences conjugales et d'emprise

L'article 8 de la proposition de loi tend à introduire une nouvelle exception à la règle du secret professionnel afin de permettre aux professionnels de santé de signaler au procureur de la République les violences au sein du couple en cas de danger immédiat pour la vie de la victime et de situation d'emprise.

La commission a précisé les conditions dans lesquelles il peut être dérogé au secret professionnel dans cette hypothèse.

I. Une exception au secret médical strictement encadrée

1. Le secret médical et ses exceptions

Les professionnels de santé sont soumis à une obligation de secret professionnel en application des codes de déontologie propres à chacune de ces professions, repris dans la partie réglementaire du code de la santé publique. Le respect de ce secret est essentiel à la relation de confiance qui doit se nouer entre le soignant et le patient, cette relation constituant bien souvent une intrusion dans l'intimité de ce dernier.

Assimilé à un secret professionnel par la loi, le secret médical, reconnu depuis l'Antiquité, figure dans le célèbre serment d'Hippocrate que doit prêter tout médecin : « Admis dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu à l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers ». L'article R. 4127-4 du code de la santé publique précise que « le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ».

Il est reconnu comme un secret absolu par la jurisprudence, la Cour de cassation ayant considéré, dans son arrêt Decraene du 8 mai 1947, que « l'obligation du secret professionnel s'impose aux médecins comme un devoir de leur état. Elle est générale et absolue et il n'appartient à personne de les en affranchir ».

En application de l'article 226-13 du code pénal, le professionnel de santé qui s'affranchit du secret s'expose à une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Comme tout principe, le secret professionnel connaît toutefois un certain nombre d'exceptions. Le médecin doit par exemple déroger au secret professionnel pour déclarer les naissances et les décès, informer les autorités sur des maladies contagieuses, indiquer l'identité et les symptômes du patient pour une admission en soins psychiatriques ou encore pour l'établissement des certificats d'accidents du travail ou de maladie professionnelle.

D'autres exceptions figurent à l'article 226-14 du code pénal, afin notamment de protéger les victimes de violences. En particulier, le 2° de cet article autorise les professionnels de santé à porter à la connaissance du procureur de la République, avec l'accord de la victime , les sévices ou privations qu'ils ont constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de leur profession et qui leur permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises ; l'accord de la victime n'est toutefois pas nécessaire lorsqu'elle est mineure ou si elle n'est pas en mesure de se protéger, en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique.

2. Une nouvelle exception pour protéger les victimes de violences conjugales

Il est proposé d'introduire, à ce même article 226-14, une nouvelle exception au secret professionnel afin d'autoriser, sous certaines conditions, les professionnels de santé à porter à la connaissance du procureur de la République des informations préoccupantes relatives à des violences exercées au sein du couple dans le but de mieux protéger les victimes de ces violences.

La notion de violences au sein du couple s'entend, au sens de l'article 132-80 du code pénal, des violences commises par le conjoint, le concubin, le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (PACS) ou par l'ancien conjoint, l'ancien concubin ou l'ancien partenaire de PACS.

L'information pourrait être transmise au procureur de la République à deux conditions cumulatives :

- si le professionnel de santé a l'intime conviction que la victime est en danger immédiat ;

- et que la victime se trouve sous l' emprise de l'auteur des violences.

Quand ces conditions sont réunies, le professionnel de santé peut procéder à un signalement, éventuellement sans l'accord de la victime, mais toujours après s'être efforcé d'obtenir cet accord.

Ce dialogue préalable avec le patient paraît logique s'agissant d'une victime majeure ; il peut d'ailleurs constituer une première démarche l'aidant à prendre conscience du danger qu'elle court et de l'emprise à laquelle elle est soumise.

En l'absence d'accord, le professionnel de santé peut passer outre et procéder à un signalement mais il en informe alors la victime. Le signalement pouvant déboucher sur l'ouverture d'une enquête judiciaire, cette information paraît indispensable pour que la victime prenne ses dispositions et s'y prépare.

Comme le prévoit le dernier alinéa de l'article 226-14 du code pénal, le signalement au procureur de la République ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi. Le professionnel qui signale de bonne foi ne peut donc être condamné, même s'il apparaît qu'il a commis une erreur d'appréciation. Il s'agit là d'une garantie importante qui doit encourager les professionnels de santé à signaler, sans craindre d'éventuelles suites judiciaires ou disciplinaires.

3. Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

La commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté l'article sans modification. En séance publique, les députés ont adopté deux amendements identiques présentés par le Gouvernement et par la rapporteure Bérangère Couillard modifiant la rédaction de l'article sur plusieurs points.

Tout d'abord, la référence à une information « préoccupante » a été supprimée pour indiquer simplement que le professionnel de santé transmet une « information » au procureur de la République. Cette modification vise à éviter toute confusion avec la notion d'information préoccupante utilisée dans le champ de la protection de l'enfance. Le code de l'action sociale et des familles prévoit en effet que des informations préoccupantes sont adressées à la cellule de recueil, de traitement, et d'évaluation des informations préoccupantes relatives à l'enfance en danger, pour alerter le président du conseil départemental sur la situation d'un mineur ayant besoin de mesures de protection.

Ensuite, l'amendement a précisé que le signalement au procureur ne serait possible que si les violences mettent la vie de la victime en danger immédiat. Sur ce point, la modification apportée répond à une demande du Conseil national de l'Ordre des médecins : lors de sa session plénière du 13 décembre 2019, la majorité du Conseil de l'Ordre s'est prononcé en faveur de la mesure proposée par le texte, tout en souhaitant que cette disposition s'applique seulement en cas d' urgence vitale immédiate.

Ainsi, seules des situations de violences graves, susceptibles d'entraîner le décès de la victime à brève échéance, pourraient justifier de déroger au secret professionnel, et seulement s'il apparaît que la victime, du fait de la relation d'emprise, ne peut déposer plainte elle-même .

Enfin, l'amendement a supprimé la référence à la notion d'« intime conviction » pour éviter tout malentendu sur le positionnement du médecin. Dans le code de procédure pénale, la notion d'intime conviction renvoie au jugement porté sur la culpabilité d'une personne poursuivie, et notamment à la décision des jurés d'assises chargés de juger un crime. Le professionnel de santé n'a pas vocation à porter sur la situation qu'il observe une appréciation comparable à la décision rendue par une juridiction de jugement. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a préféré indiquer que le professionnel de santé peut effectuer un signalement « s'il lui apparaît » que la victime court un danger immédiat pour sa vie et qu'elle est sous emprise.

II. Une exception au secret médical de portée limitée

Le rapporteur est, d'une manière générale, attaché à la préservation du secret médical qui lui paraît constituer, dans la grande majorité des cas, une garantie et une protection pour les patients. Néanmoins, des exceptions au secret sont déjà prévues dans le code pénal concernant les mineurs et les personnes vulnérables, et il n'est pas illégitime de vouloir étendre ces exceptions pour mieux prendre en compte la situation de vulnérabilité propre aux femmes victimes de violences conjugales et sous emprise.

Le rapporteur souligne que le dispositif proposé laisse aux professionnels de santé le soin d'apprécier, en conscience, si le signalement est opportun, au regard de leur évaluation du danger auquel est exposée la victime et à la lumière de l'échange qu'ils auront eu avec cette dernière . Le texte ne prévoit pas de mettre à la charge des professionnels une obligation de signalement.

Associé au Grenelle contre les violences conjugales, le Conseil national de l'Ordre des médecins soutient l'évolution proposée, d'autant que le texte adopté par l'Assemblée nationale retient une suggestion de Conseil de l'Ordre en restreignant la possibilité de signaler, sans l'accord de la victime, aux cas d'urgence vitale immédiate.

Ce champ d'application finalement très restreint conduit à s'interroger sur l'apport véritable de la modification proposée compte tenu des obligations qui incombent déjà aux professionnels de santé en application de l'article 223-6 du code pénal.

Cet article, qui ne comporte pas d'exception pour les professionnels astreints à un secret, sanctionne deux infractions d'abstention : l'omission d'empêcher une infraction (premier alinéa) et l'omission de porter secours (deuxième alinéa), plus communément désignée comme le délit de non-assistance à personne en danger.

Le premier alinéa sanctionne celui qui, pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, un crime ou un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'est abstenu volontairement de le faire. Le deuxième alinéa sanctionne celui qui s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. Il est nécessaire, pour que le délit soit constitué, que la victime soit confrontée à un danger grave et imminent .

Comme le souligne la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice dans son Guide relatif à la prise en charge des mineurs victimes (septembre 2015), il ne saurait « être admis que, au motif du respect du secret professionnel, la personne qui y est astreinte laisse une infraction se reproduire. Ainsi, cette personne doit nécessairement faire en sorte de mettre fin à l'infraction ou d'en empêcher son renouvellement ». Si ce Guide vise les victimes mineures, il n'y a pas de raison de considérer que le raisonnement juridique qui y est développé ne puisse s'appliquer aussi aux conjoints victimes de violences conjugales.

La Cour de cassation a eu l'occasion de préciser qu'un professionnel ne pouvait s'abriter derrière le respect du secret professionnel pour échapper à une condamnation. Le 23 octobre 2013 26 ( * ) , la chambre criminelle a confirmé la condamnation d'un médecin, affecté dans le pôle gérontologique d'un hôpital, qui avait été témoin des mauvais traitements infligés aux patients sans prendre d'initiative pour les faire cesser. La chambre criminelle a constaté que les éléments constitutifs de l'infraction avaient été correctement caractérisés par la cour d'appel, sans méconnaître le principe du secret médical.

Certes, l'intervention requise au titre de l'article 223-6 du code pénale n'induit pas nécessairement une violation du secret professionnel. Le professionnel pourra éloigner la victime du danger, par exemple en provoquant son hospitalisation ou en usant d'autres moyens préservant le secret professionnel. Cependant, comme le rappelle l'universitaire Bruno Py, « si le seul moyen efficace de porter secours consiste à transgresser le secret professionnel, l'obligation de porter secours prime » 27 ( * ) .

Au regard de ces dispositions, la mesure envisagée par la proposition de loi peut donc être considérée davantage comme une mesure à visée pédagogique, qui clarifie pour les professionnels de santé la possibilité qui leur est faite de déroger au secret, que comme une véritable innovation juridique. Les professionnels de santé peuvent en effet déjà déroger au secret pour signaler qu'une personne est en danger de mort. Lors de son audition le Dr Anne Trarieux, présidente de la section « éthique et déontologie » du Conseil national de l'Ordre des médecins, a convenu que cette nouvelle disposition ne changerait pas fondamentalement les choses pour l'exercice du médecin. Les représentants de la Conférence nationale des procureurs de la République ont également vu dans cet article une clarification juridique de nature à rassurer les médecins.

Sur proposition de son rapporteur, la commission a adopté deux amendements visant à préciser les conditions de dérogation au secret professionnel .

La version initiale de la proposition de loi faisait référence à « l'intime conviction » du professionnel de santé. Si ce terme n'était sans doute pas bien choisi, il soulignait cependant le fait que la décision de déroger au secret constitue une décision lourde de conséquences, prise après une réflexion qui a amené le professionnel à la conclusion que l'impératif de venir en aide à une personne en péril devait prévaloir sur l'obligation de secret.

Afin de mettre en évidence le questionnement éthique qui doit animer le professionnel de santé , la commission a donc adopté un amendement COM-11 qui indique que le signalement peut intervenir lorsque le professionnel « estime en conscience » que la vie de la victime est en danger et qu'elle est sous emprise.

L' amendement COM-12 vise, quant à lui, à mieux caractériser les manifestations concrètes de l'emprise afin de faciliter l'application de ce texte par les professionnels de santé : si l'intervention du professionnel est requise, c'est parce que la victime n'est pas en mesure de se protéger elle-même en raison de la contrainte morale exercée par le conjoint qui maintient sa victime sous emprise.

La commission a adopté cet article ainsi modifié .

Article 8 bis
Information de la victime de violences conjugales de son droit
à se voir remettre un certificat médical lorsqu'un examen a été requis

Cet article additionnel 8 bis prévoit que la victime de violences conjugales doit être informée de son droit à obtenir un certificat médical lorsqu'elle a subi un examen médical sur réquisition d'un officier de police judicaire ou d'un magistrat.

La commission a adopté cet article sans modification.

I. L'information de la victime de son droit à recevoir un certificat médical constatant son état de santé

Cet article additionnel résulte de l'adoption par l'Assemblée nationale de deux amendements identiques n os 264 et 267 présentés, respectivement, par le Gouvernement et par la députée Alexandra Louis ainsi que par plusieurs de ses collègues du groupe La République en Marche.

Il vise à compléter l'article 10-2 du code de procédure pénale, qui liste l'ensemble des droits qui doivent être notifiés aux victimes par les officiers et agents de police judiciaire. Les victimes doivent notamment être informées de leur droit à obtenir réparation de leur préjudice, de leur droit de se constituer partie civile, de leur droit d'être aidées par une association agréée d'aide aux victimes ou encore de leur droit d'être accompagnées d'une personne de leur choix à toutes les étapes de la procédure.

Il est proposé de préciser que les victimes de violences conjugales doivent également être informées de leur droit de se voir remettre un certificat médical constatant leur état de santé lorsqu'un examen médical a été requis par un officier de police judiciaire ou un par un magistrat .

Cette disposition est une mesure de coordination avec l'article 8 ter qui consacre le droit pour les victimes de violences conjugales de se voir remettre un certificat médical en pareilles circonstances.

II. Une précision soutenue par la commission des lois

La disposition prévue par cet article, cohérente avec celle envisagée à l'article 8 ter, renforce les droits des victimes de violences conjugales. Cette évolution est approuvée par la commission.

La commission a adopté cet article sans modification .

Article 8 ter
Droit de la victime de violences conjugales à se voir remettre
un certificat médical lorsqu'un examen a été requis

Cet article additionnel 8 ter prévoit que lorsque qu'une victime de violences fait l'objet d'un examen médical sur réquisition d'un officier de police judiciaire ou d'un magistrat, un certificat médical lui est remis.

La commission a adopté cet article sans modification.

I. La reconnaissance d'un droit pour la victime à obtenir un certificat médical lorsqu'un examen a été requis

Cet article additionnel est issu de l'adoption par l'Assemblée nationale de deux amendements identiques n os 265 et 266 présentés, respectivement, par le Gouvernement et par la députée Alexandra Louis ainsi que par plusieurs de ses collègues du groupe La République en Marche.

Cet article additionnel propose d'insérer, dans le sous-titre du code de procédure pénale consacré aux droits des victimes, un nouvel article 15-1. Ce nouvel article consacre le droit pour les victimes de violences de se voir remettre un certificat médical constatant leur état de santé lorsqu'elles ont subi un examen médical sur réquisition d'un officier de police judiciaire ou d'un magistrat .

Actuellement, lorsqu'une victime de violences dépose plainte, elle est d'abord entendue par un officier de police judiciaire puis un médecin est requis de procéder à son examen médical. Cet examen peut éventuellement être pratiqué par un médecin spécialisé travaillant dans une unité médico-judiciaire (UMJ). Le médecin établit un certificat médical initial par lequel il constate l'état de la victime et répond aux questions précises des enquêteurs utiles à la manifestation de la vérité.

Actuellement, ce certificat médical initial est remis au service requérant mais pas à la victime. Si elle en fait la demande, elle peut l'obtenir à condition que l'autorité à l'origine de la réquisition l'accepte. Un refus peut lui être opposé s'il apparaît que la divulgation de ce certificat pourrait perturber le bon déroulement de l'enquête.

Pour concilier le droit de la victime à disposer d'un certificat médical avec les nécessités de l'enquête, il est proposé que la victime se voie remettre un certificat d'examen médical, distinct du certificat médical initial réalisé sur réquisition , se bornant, pour respecter les exigences liées au secret de l'enquête, à constater son état de santé consécutif aux violences.

II. La reconnaissance d'un droit pour la victime à obtenir un certificat médical lorsqu'un examen a été requis

Cet article additionnel s'inspire de propositions formulées dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales. Il paraît susceptible d'aider les victimes à faire valoir leurs droits et a donc été approuvé par la commission.

La remise de ce certificat médical permettra à la victime de disposer, dès le début de la procédure, d'une preuve des blessures subies, ce qui pourra faciliter ses démarches ultérieures, notamment pour obtenir une réparation des préjudices subis. Le dispositif proposé tient compte en même temps des préoccupations exprimées par les forces de police et de gendarmerie qui sont attachées à ce que certaines informations figurant sur le certificat médical initial, remis sur réquisition, demeurent confidentielles pour ne pas entraver le bon déroulement de l'enquête.

La commission a adopté cet article sans modification .


* 26 Arrêt n° 12-80.793 P.

* 27 Bruno Py, « Secret professionnel », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale , Dalloz (février 2003).

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