EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 24 juin 2020, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission examine la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.

M. Alain Milon , président . - Nous devons maintenant examiner la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer. L'examen de ce texte en première lecture au Sénat avait été brutalement stoppé par le recours du Gouvernement au vote bloqué. L'Assemblée nationale l'ayant finalement adopté, ce texte a été inscrit à notre ordre du jour du lundi 29 juin prochain. Je vous propose de désigner deux co-rapporteurs : notre rapporteur de la branche assurance vieillesse, M. René-Paul Savary, ainsi que notre collègue Mme Cathy Apourceau-Poly, qui souhaite poursuivre la démarche entamée par notre ancien collègue, M. Dominique Watrin.

La commission désigne Mme Cathy Apourceau-Poly et M. René-Paul Savary co-rapporteurs de la proposition de loi n° 539 (2019-2020), adoptée avec modification par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.

M. Alain Milon , président . - Nous allons maintenant entendre nos collègues présenter leur rapport.

Mme Cathy Apourceau-Poly , co-rapporteure . - Dans notre système social, la retraite est le reflet de la carrière. Les faibles revenus issus de la carrière des agriculteurs, chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole, produisent, sans surprise, de maigres pensions de retraite.

Nos collègues députés André Chassaigne et Huguette Bello entendaient répondre en partie à cette injustice en déposant leur proposition de loi en décembre 2016. Notre ancien collègue Dominique Watrin avait rapporté ce texte au Sénat en première lecture en février 2018 et je tiens ici à saluer son travail au sein de notre commission et son engagement sur ce sujet. Malheureusement, le Gouvernement a utilisé le vote bloqué, prétendument dans l'attente de mesures prochaines. Que de temps perdu pour arriver enfin à cette juste et nécessaire revalorisation des pensions de retraite agricoles ! Nous devrions aboutir maintenant à une adoption définitive garantissant à nos agriculteurs une pension garantie à 85 % du SMIC, contre 75 % aujourd'hui.

Ce texte n'est pas parfait, nous en sommes conscients. Il n'est notamment pas complet, car les conjoints collaborateurs ou aidants familiaux ne sont pas concernés. Ceux-ci, - ou plutôt, celles-ci, car ce sont souvent des femmes - doivent être mieux pris en compte dans les dispositifs futurs.

L'inégalité de pension entre les femmes et les hommes du monde agricole ne doit pas sortir renforcée de mesures de justice comme celles que nous nous apprêtons à voter. Il ne faut donc pas prêter à ce texte des vertus qu'il n'a malheureusement pas. S'il permet d'aider les agriculteurs retraités, il ne s'attaque pas à la racine du problème : les faibles revenus tirés de l'ensemble de la carrière. C'est bien cette injustice-là que nous devons nous efforcer de corriger à l'avenir en faisant en sorte que le travail agricole soit enfin rétribué correctement.

Je tiens enfin à souligner les avancées importantes que contient ce texte au bénéfice des départements d'outre-mer. Nous le savons, le mécanisme de complément différentiel de la garantie actuelle à 75 % ne trouve pas à s'appliquer dans ces territoires où les réalités des exploitations agricoles ne satisfont pas aux règles de calcul du dispositif. Nous nous félicitons des adaptations et des dérogations retenues qui permettront l'application de la garantie à 85 %. C'est une question d'égalité. Je tiens également à souligner la volonté de ce texte d'arriver à un déploiement effectif de la complémentaire retraite pour les salariés agricoles, et ce, sur tous les départements, y compris en outre-mer.

M. René-Paul Savary , co-rapporteur . - Je partage l'enthousiasme de ma collègue rapporteure sur l'adoption future de ce texte. C'est un progrès, certes partiel, mais considérable pour ceux qui en seront les bénéficiaires et qui ne sont aujourd'hui pas récompensés à la hauteur de leur travail.

Une pension de 85 % du SMIC sera ainsi garantie aux chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole répondant aux critères de durée d'assurance, c'est-à-dire plus de 1 000 euros. Il s'agit ici d'un relèvement substantiel du dispositif mis en place lors de la réforme des retraites de 2014, qui prévoyait une garantie atteignant progressivement 75 % du SMIC.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit, en outre, un mécanisme d'écrêtement, qui a pu être critiqué. Je considère qu'il est légitime : cette prestation différentielle, de solidarité, s'assimile au minimum contributif du régime général, qui fait également l'objet d'un écrêtement pour les polypensionnés. Ne sont donc concernés que les chefs d'exploitation dont la carrière est complète et qui ne perçoivent pas d'autres retraites.

Le groupe La République en Marche et le Gouvernement avait retenu le 1 er janvier 2022 comme date d'entrée en vigueur du texte, ce qui a fait l'objet de débats -rappelons que l'intention initiale était 2018. Un amendement a été adopté pour permettre une adoption par décret d'une partie de l'article 1 er avant 2022. Nous ne sommes pas dupes du dispositif retenu, qui ne doit toutefois pas être un trompe-l'oeil. Si beaucoup espèrent une entrée en vigueur avancée à 2021, je tiens à être clair sur les lacunes de coordination que nous avons relevées : quand bien même le Gouvernement en déciderait par décret, cette entrée en vigueur anticipée ne concernerait que les nouveaux retraités de l'Hexagone. Le secrétaire d'État chargé des retraites nous a indiqué toutefois que, si la date devait être avancée, il souhaitait que cela concerne bien l'ensemble des dispositions.

Enfin, et je parle ici également en tant que rapporteur de la branche vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), j'appelle votre attention sur le fait que les ressources prévues par le texte initial ne figurent pas dans le texte que nous examinons. Le Gouvernement indique qu'il faudra attendre un prochain PLFSS pour en savoir plus. Ce financement serait issu de la solidarité nationale. Était-il nécessaire de différer cette question et de dissocier une fois de plus le débat sur un dispositif du débat sur son financement, alors même que l'équilibre financier du régime complémentaire obligatoire demeure fragile ? La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 prévoyait déjà, en effet, un déficit de 91 millions d'euros.

Vous l'avez compris, nous vous proposons d'adopter une position enthousiaste, mais lucide, sur ce texte. Sous les réserves que nous avons pu formuler, nous vous en proposons donc une adoption définitive qui permettra - en 2022 - une revalorisation méritée des retraites des chefs d'entreprise agricoles. Je vous propose donc un vote conforme : mieux vaut tenir que courir !

M. Philippe Mouiller . - J'ai abordé ce sujet lors de la réunion d'une assemblée départementale d'exploitants agricoles en retraite et il m'est apparu que ceux-ci n'ont pas compris que, par ce texte, on ne gérait pas le stock, mais seulement les nouveaux entrants. En matière de communication, nous avons connu la mascarade de l'année dernière et aujourd'hui, on annonce un nouveau texte, dont on ne sait rien du financement et dont les premiers visés se rendront compte qu'il ne les concerne pas. Le paquet sera joli, mais je crains le retour de bâton quand les intéressés découvriront qu'il ne s'agit là que de communication !

M. Dominique Théophile . - Notre satisfaction est mesurée : comme on dit chez nous, sa ki en bek, pa en fal ! Ce texte va enfin mettre un terme aux ruptures d'égalité, mais nous serons attentifs, car nous venons de très loin. Il répond à une demande pressante au vu de nos spécificités, notamment dans le domaine agricole. Je suis donc satisfait, mais plus ces mesures s'appliqueront tôt, mieux ce sera.

Mme Catherine Deroche . - Je partage les propos de nos co-rapporteurs, même si le texte est partiel, même si l'on aurait pu être plus précoce. J'ai été irritée de voir deux députés du groupe LREM diffuser dans mon département des communiqués dans la presse locale affirmant que le Gouvernement se préoccupait des retraités agricoles. Ce n'est, certes, pas le premier texte issu d'une proposition de loi du Sénat que l'on aura refusée pour ensuite la récupérer et communiquer. C'est lassant !

Mme Monique Lubin . - Un tiens - même un petit tiens - vaut mieux que deux tu l'auras ! Nous suivons les co-rapporteurs, mais je partage ce que viennent de dire Catherine Deroche et Philippe Mouiller. J'insiste, en outre, sur la situation faite aux femmes, qui passent une fois de plus à la trappe. Je suis fille de petits agriculteurs ; ma mère a travaillé bien plus que mon père, c'était alors le sort des femmes - ça l'est encore largement - dans les familles d'agriculteurs : elles devaient tout faire en même temps, élever les enfants, s'occuper de la ferme, etc. Elles sont pourtant toujours les parents pauvres et, une fois de plus, elles sont exclues de ce dispositif. Nous allons voter ce texte, mais je trouve que cela fait beaucoup.

Mme Victoire Jasmin . - Il est important que nous puissions poursuivre ce travail qui a été retardé après avoir été bloqué en recourant à l'article 44, alinéa 3, de la Constitution.

Aujourd'hui, il faut avancer, même si ce n'est que pour 2022. Sur nos territoires d'outre-mer, l'agriculture est un secteur important, d'autant que l'on nous engage à développer les circuits courts et que nous souffrons d'un chômage important. Nous devons donc avancer pour que les jeunes puissent prendre le relais de leurs parents ; il faut donc rendre attractif le secteur, les jeunes doivent ainsi pouvoir constater que leurs parents ont une retraite digne.

Mme Laurence Cohen . - Les interventions montrent que nous sommes tous lucides et que nous nous exprimerons sur les points évoqués. La force du Sénat est de ne pas s'opposer à un petit plus ; il faut suivre le chemin, souligner les manques et examiner la situation - terrible - de ceux qui ne vont pas en bénéficier et qui sont aujourd'hui en retraite. Monique Lubin l'a dit, nous avons travaillé, avec la délégation au droit des femmes, sur les agricultrices, dont la situation est plus dramatique encore. Nous devons poursuivre ce travail et, en outre, porter ensemble les problématiques propres aux territoires d'outre-mer.

M. Martin Lévrier . - Je rejoins M. Savary dans son enthousiasme modéré. De fait, ce texte va beaucoup moins loin que notre projet de réforme des retraites, qui a été arrêté en raison de l'épidémie de Covid-19. La polémique politique ne m'intéresse pas, mais je vous rappelle que si le Gouvernement a déclenché un vote bloqué il y a deux ans, c'était avec l'accord de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes agriculteurs, qui préféraient alors le projet de réforme des retraites. Le véritable problème, c'est que ce dernier texte n'est pas passé.

Mme Cathy Apourceau-Poly , co-rapporteure . - M. Chassaigne l'a dit, il s'agit d'une oeuvre collective qui ne nous satisfait pas entièrement. Mme Lubin a raison, le fait que les conjoints ne soient pas pris en charge est un souci. En outre, il persiste une fausse note, une divergence, au sujet de l'écrêtement : je ne suis pas d'accord avec cette mesure. Mon groupe considère que les agriculteurs qui ont travaillé dans d'autres domaines sont ceux qui ne s'en sortaient pas, qui n'avaient pas une épouse qui apportait un salaire complémentaire, et qui avaient besoin, tout en travaillant sur leur exploitation, de dégager plus de revenus. Ce sont 100 000 agriculteurs qui seront ainsi victimes de cette mesure.

Au total, ce texte n'est pas parfait, mais il constitue une avancée, pour les agriculteurs ultramarins et pour les chefs d'exploitation agricole, dont la pension est très inférieure à ce qu'elle devrait être.

M. René-Paul Savary , co-rapporteur . - Il faut en effet dissocier le flux et le stock. Les chefs d'exploitation à carrière complète qui sont aujourd'hui retraités seront revalorisés par rapport au SMIC pour 2022. Dans l'état actuel du texte, la revalorisation interviendra donc au plus tôt au 1 er janvier 2022. Les agriculteurs qui prendront leur retraite à ce moment-là - le flux - bénéficieront du texte dès 2021. Nous avons relevé ces anomalies et nous en avons fait part au ministre, qui nous a répondu qu'il prendrait une circulaire pour donner instruction à la Mutuelle sociale agricole (MSA) et à la retraite complémentaire obligatoire (RCO) de traiter le stock avant 2022, si le décret était pris. Cette manière de faire traduit bien l'impertinence de ce gouvernement par rapport aux parlementaires : une circulaire est ainsi considérée comme supérieure à un texte de loi.

Celui-ci est très intéressant, mais il nous est, en outre, recommandé de ne pas l'amender, et, si nous avions la mauvaise idée de le faire quand même, aucune commission mixte paritaire n'a été programmée dans la session extraordinaire de juillet ! Je vous conseille donc de ne pas prendre d'engagement envers les retraités actuels, car nous ne savons pas quand le décret sera pris. On nous explique que la MSA peinerait à instruire les dossiers des polypensionnés, car ceux-ci seraient trop compliqués.

Imaginez-vous qu'un organisme tenu par les organisations représentatives ne répondrait pas à la pression des agriculteurs ? Son président nous l'a confirmé, ainsi que les représentants syndicaux : la MSA est parfaitement capable de calculer l'écrêtement, que l'on cesse de nous faire croire le contraire !

Pour les agriculteurs dans les outre-mer, c'est également une avancée, mais pour 2022. Leur situation est particulière : ils n'atteignent pas une durée suffisante, ils travaillent sur de petites surfaces, ils exercent d'autres activités. Ils bénéficieront d'une bonification de durée pour aller jusqu'à 85 %. Là encore, ne le claironnez pas trop vite : ce sera difficile avant 2022. Le ministre affirme vouloir faire des efforts, nous verrons.

Nous avons une divergence sur le minimum contributif qui existait dans le régime agricole et qui portait sur le différentiel base plus complémentaire et dont il me semble normal qu'il soit fondé sur les mêmes bases que le minimum contributif du régime général.

Enfin, contrairement à ce que dit M. Martin Lévrier, le projet de loi sur les retraites concernait seulement le flux et pas le stock. L'avancée de ce texte est donc significative, puisque les retraités actuels seront pris en compte, certes pas assez vite et pas tous. Je vous invite donc à le soutenir.

EXAMEN DES ARTICLES

M. Alain Milon , président . - Nous en venons à l'examen des articles.

Articles 1 er et 1 er bis

Les articles 1 er et 1 er bis sont successivement adoptés sans modification.

Article 2 (supprimé)

L'article 2 demeure supprimé.

Articles 3 et 4

Les articles 3 et 4 sont successivement adoptés sans modification.

Article 5 (supprimé)

L'article 5 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

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