II. UN ACCORD QUI S'INSCRIT DANS UNE RELATION BILATERALE DÉJÀ FORTE

Cet accord s'inscrit dans une relation bilatérale qui repose sur la confiance et le partage de valeurs communes. Depuis l'indépendance de l'Inde en 1947, la France et l'Inde ont conclu plus de 200 accords bilatéraux. La France et l'Inde partagent une même vision des réformes à mener dans les processus de gouvernance mondiale. L'Indopacifique constitue une priorité géostratégique commune à la France et l'Inde.

Des rencontres régulières et de haut niveau ont enrichi cette relation au fil des ans. Le Premier ministre Modi s'est rendu en France en juin 2017 puis en août 2019 (rencontre bilatérale à Chantilly et participation au Sommet du G7 de Biarritz). Le Président de la République a effectué une visite d'Etat en Inde du 9 au 12 mars 2018.

Les relations entre l'Inde et la France se sont renforcées avec le lancement du partenariat stratégique en 1998. Ce partenariat a mis en place une coopération étroite dans les secteurs de la diplomatie - la France soutient notamment la candidature de l'Inde au Conseil de sécurité de l'ONU depuis 2005 -, de la défense avec notamment la conclusion en 2016 d'un contrat d'acquisition de 36 Rafales dont le premier a été livré en octobre 2019.

Ce partenariat couvre également les enjeux de la sécurité, du nucléaire civil et de l'énergie avec notamment la conclusion en mars 2018 d'un accord industriel en vue de la construction de six réacteurs nucléaires à eau pressurisée (EPR) sur le site de Jaitapur.

III. UN ACCORD EN COHÉRENCE AVEC LES CONVENTIONS BILATERALES D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE ET D'EXTRADITION

1. Plusieurs conventions bilatérales sont déjà en application

Cet accord franco-indien établit les modalités et procédures applicables pour la coopération policière technique et opérationnelle en matière de prévention de la consommation illicite et de lutte contre les trafics illicites de stupéfiants entre les deux États.

L'article 2 paragraphe 3 de cet accord prévoit qu'il sera mis en oeuvre en parfaite cohérence avec les engagements bilatéraux liant les deux États dans les domaines de l'entraide judiciaire en matière pénale (convention bilatérale franco-indienne d'entraide judiciaire en matière pénale du 25 janvier 1988) et de l'extradition (convention bilatérale franco-indienne en matière d'extradition du 24 janvier 2003).

Par conséquent, une demande de coopération sera traitée sur le fondement de l'accord bilatéral correspondant à sa nature. Ainsi, une demande entrant dans le champ de la coopération policière sera traitée sous l'empire des dispositions du présent accord ; une demande effectuée dans le cadre d'une enquête judiciaire relèvera du champ de la convention d'entraide judiciaire de 1988 ; et une demande tendant à obtenir l'extradition d'une personne sera traitée sur le fondement de la convention de 2003.

Lors de l'audition 3 ( * ) , les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de l'Intérieur et de la Justice ont indiqué que parmi les diligences faites par les services du ministère de l'Intérieur lorsqu'ils reçoivent une demande de coopération, la question de la nature de la demande fait l'objet d'une attention prioritaire. Ainsi si une demande transmise au titre de la coopération policière relève en fait du champ de l'entraide judiciaire (ou de la compétence d'un autre ministère - cas des demandes de coopération douanière), elle ne sera pas exécutée et sera selon le cas retournée au service demandeur ou retransmise à l'administration française compétente.

Plus précisément, les demandes de coopération policière font l'objet au sein du ministère de l'Intérieur d'un traitement centralisé, via la SCCOPOL (section centrale de coopération opérationnelle de police). La SCCOPOL dispose d'une mission "Justice", émanation de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, ce qui permet un dialogue constant et fluide entre les deux ministères, ainsi qu'une parfaite complémentarité entre canaux de coopération policière et d'entraide judiciaire.

Ainsi, lorsqu'une demande de coopération policière est reçue, différentes vérifications sont faites concernant notamment :

- la finalité de la demande (vérification des motivations - notamment si elle émane d'un pays dont on sait qu'il est susceptible de présenter une demande ayant un dessein politique) ;

- la nature des faits et infractions pour lesquelles la demande de coopération est faite (question de la qualification pénale) ;

- la nature des informations demandées (cas par exemple de données pour lesquelles l'accord de l'autorité judiciaire est requis) ;

- l'adéquation entre les raisons de la demande et la nature des informations demandées (nécessité et pertinence) ;

- l'adéquation entre la gravité des faits en cause et le type d'informations demandées (proportionnalité) ;

- l'existence d'enquêtes menées par un service français ou de mesures particulières (notices Interpol, mandat d'arrêt, etc.) concernant un auteur ou auteur présumé d'infractions.

2. La non applicabilité de la peine de mort en découle

L'article 31A de la loi indienne relative aux stupéfiants et aux psychotropes de 1985 prévoit la peine de mort en cas de récidive pour des faits graves en relation avec des drogues dures. Plus précisément, lorsqu'une personne ayant préalablement été condamnée pour avoir commis, tenté de commettre ou encouragé un détournement d'opium, un acte de trafic international de stupéfiants, ou le financement d'un trafic illicite, se retrouve coupable de la commission, de la tentative ou de complicité s'agissant d'une infraction relative à la production, fabrication, possession, transport, importation, exportation de drogues dites dures listées par la loi ou de financer ces activités, cette dernière est passible de la peine de mort par pendaison.

Il s'agit de la seule disposition de la loi indienne sur les stupéfiants ouvrant la possibilité d'un recours à la peine capitale, cette dernière ayant en outre fait l'objet d'un amendement en 2014 la rendant optionnelle.

Il faut ajouter que, dans « l'arrêt Bachan Singh contre Etat du Pendjab » de 1980, la Cour suprême de l'Inde a estimé que la peine capitale ne saurait plus être prononcée qu'à titre exceptionnel. Depuis 1991, 26 exécutions ont toutefois eu lieu en Inde, avec un moratoire entre 2015 et jusqu'en 2020, année à laquelle elles ont repris pour des affaires de viol collectifs qui avaient suscité une grande émotion.

La commission a été saisie par la ligue des droits de l'Homme et les ONG suivantes : Fédération Addiction, L630, Aides, Syndicat de la Magistrature, Syndicat des avocats de France, Médecins du Monde et ASUD, de l'éventualité de l'application de la peine de mort du fait de cet accord par contribution écrite. Cette question a naturellement donné lieu à un examen très attentif.

Si le présent accord ne comporte pas de mention spécifique relative à la peine de mort, c'est que l'inclusion d'une telle mention n'est obligatoire, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat (arrêt Fidan du 27 février 1987), que pour les accords relatifs à la remise de personnes.

À cet égard, la convention bilatérale franco-indienne en matière d'extradition de 2003 précitée mentionne explicitement, dans son article 8, le risque d'application de la peine de mort comme raison suffisante pour motiver un refus de remise d'un individu par la partie française: « Si le fait en raison duquel l'extradition est demandée est puni de la peine capitale par la loi de l'Etat requérant et que, dans ce cas, cette peine n'est pas prévue par la législation de l'Etat requis ou n'y est généralement pas exécutée, l'extradition peut n'être accordée qu'à la condition que l'Etat requérant donne des assurances jugées suffisantes par l'Etat requis que la peine capitale ne sera pas prononcée ou, si elle est prononcée, qu'elle ne sera pas exécutée ».

Une telle clause n'est en revanche pas exigée pour les accords relatifs à l'entraide judiciaire en matière pénale ni, a fortiori , dans le cadre d'un accord de coopération technique et opérationnelle en matière policière tel que celui soumis à l'examen du Sénat. En effet, les articles 4 et 5 prévoient que le présent accord couvre des actions générales qui ne sont pas de nature à alimenter des enquêtes spécifiques et ne peuvent concerner des personnes nommément visées que dans des cas très exceptionnels.

Il va de soi que, même indépendamment de toute clause expresse, l'ordre public français et les engagements internationaux de la France s'opposent sans équivoque à ce que la France puisse apporte son aide en matière pénale aux Etats dans lesquels une personne mise en cause est exposée à la peine capitale ou à des traitements inhumains et dégradants.

Ainsi, les conventions d'entraide judiciaire en matière pénale signées par la France prévoient généralement qu'une demande peut être refusée « si la Partie requise estime que l'exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de son pay s » (il s'agit d'une clause inspirée de la Convention européenne d'entraide judiciaire de 1959, article 2b) et c'est bien ce qui figure à l'article 4 paragraphe 1 de la convention franco-indienne d'entraide judiciaire en matière pénale de 1988 précitée.

En réponse aux questions complémentaire de la commission lors de l'audition tenue sur ce sujet, les services du Gouvernement 4 ( * ) ont indiqué que l'approche poursuivie par les autorités françaises au cours des négociations avec la partie indienne pour cet accord avait conduit à l'inclusion de dispositions analogues à celles figurant dans les conventions d'entraide judiciaire permettant expressément d'opposer un refus aux demandes de coopération dès lors qu'il existe un risque que cette demande aboutisse à une exécution capitale.

Deux stipulations de cet accord apparaissent ainsi comme des garde-fous :

- l'article 2 paragraphe 3 « Le présent accord n'affecte pas les droits et les obligations des Parties découlant d'autres accords internationaux ou bilatéraux relatifs à l'entraide judiciaire en matière pénale et à l'extradition ». Rappelons que parmi ces accords internationaux figure le protocole additionnel n° 6 à la convention européenne des droits de l'Homme qui s'oppose à la peine de mort ;

- l'article 5 paragraphe 3 dernier alinéa « L'autorité compétente peut refuser d'accéder totalement ou partiellement à la demande si elle considère que cette demande peut porter préjudice à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat ou à l'un de ses autres intérêts fondamentaux, aux règles d'organisation et de fonctionnement des autorités judiciaires de l'Etat, ou qu'elle peut se révéler contraire aux engagements internationaux de l'Etat ou, en ce qui concerne la Partie française, au droit de l'Union européenne ».

En plus de l'ordre public français, les engagements internationaux permettent de ne pas exécuter une demande de coopération en l'absence de garantie suffisante que la peine de mort ne sera pas mise à exécution.


* 3 Audition par visioconférence du 27 octobre 2020.

* 4 Audition par visioconférence du 27 octobre 2020.

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