D. LE CONTRÔLE FISCAL ET LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE : DES EFFORTS À POURSUIVRE, DES MOYENS À OBTENIR

1. Le contrôle fiscal, entre baisse des effectifs, mobilisation des nouvelles technologies et rénovation des structures de coordination
a) La mission requêtes et valorisation de la DGFiP, des résultats à confirmer

À la DGFiP, les évolutions intervenues en matière de contrôle fiscal se traduisent par plusieurs tendances : la diminution des effectifs dans les services locaux, une relative préservation des effectifs dans les grandes directions chargées des contentieux à enjeu, une mutualisation autour de « pôles de contrôle » et le recours accru aux nouvelles techniques d'analyse de données. Le tableau ci-après présente les évolutions pour les effectifs.

Évolution des effectifs chargés du contrôle fiscal
par type de service ces cinq dernières années

(en nombre de services et en équivalent temps plein)

Services chargés du contrôle fiscal

2015

2019

Évolution 2019 / 2015

Nb

ETP

Nb

ETP

Nb

ETP

Service des impôts des particuliers (SIP)

494,0

1 904,4

416,0

639,9

- 15,79 %

- 66,40 %

Service des impôts des entreprises (SIE)

91,0

22,2

65,0

25,3

- 28,57 %

13,98 %

SIP-SIE

190,0

271,1

107,0

83,5

- 43,68 %

- 69,21 %

Pôles contrôle expertise (PCE)

250,0

2 574,9

220,0

2 131,5

- 12,00 %

- 17,22 %

Sous-total services locaux

1 025,0

4 772,6

808,0

2 880,2

- 21,17 %

- 39,65 %

Brigades départementales de vérification

319,0

2 563,1

249,0

2 247,0

- 21,94 %

- 12,33 %

Brigades de contrôle et de recherche

106,0

725,7

105,0

640,2

- 0,94 %

- 11,79 %

Brigades de contrôle de la fiscalité immobilière

55,0

396,0

3,0

22,7

- 94,55 %

- 94,27 %

Pôles de contrôle revenu / patrimoine

59,0

758,9

169,0

2 413,0

186,44 %

217,97 %

Sous-total services départementaux

539,0

4 443,7

526,0

5 322,8

- 2,41 %

19,78 %

Direction des vérifications nationales et internationales

1,0

513,8

1,0

483,6

0,00 %

- 5,88 %

Direction nationale des vérifications de situations fiscales

1,0

323,2

1,0

271,3

0,00 %

- 16,06 %

Direction nationale des enquêtes fiscales

1,0

410,4

1,0

428,0

0,00 %

4,29 %

Direction des impôts des non-résidents

1,0

22,0

1,0

30,1

0,00 %

36,82 %

Services centraux

1,0

119,0

1,0

115,0

0,00 %

- 3,36 %

Sous-total services nationaux

5,0

1 388,4

5,0

1 328,0

0,00 %

- 4,35 %

Total contrôle fiscal

1 569,0

10 604,7

1 339,0

9 531,0

- 14,66 %

- 10,12 %

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le contrôle fiscal a connu ces dernières années une transformation profonde de ces outils, avec un recours accru à l'intelligence artificielle, aux algorithmes, ainsi qu'au datamining. C'est là-encore l'un des 26 chantiers inscrits dans le plan de transformation ministériel. Ces nouvelles techniques sont au coeur des objectifs ambitieux affichés par le Gouvernement, qui entend mettre à profit ces outils pour poursuivre le redressement des résultats du contrôle fiscal . Ils doivent permettre de détecter des cas de fraudes plus complexe et plus sophistiquée , en permettant une programmation des contrôles plus ciblée. Les nouvelles méthodes d'exploitation des données et d'analyse prédictive, pour être pertinentes, doivent s'appuyer sur une masse de données importantes, abondées des fichiers auxquels la DGFiP a accès et des informations qu'elle reçoit, par exemple via l'échange automatique d'informations.

La mission requêtes et valorisation (MRV)

Depuis avril 2018, la MRV envoie chaque trimestre aux services en charge du contrôle un volume de dossiers déterminé en fonction des objectifs de contrôle. Elle couvre la plupart des risques fiscaux et son processus d'apprentissage permanent lui permet de fournir, pour chaque entreprise relevant d'un régime déclaratif réel, une cotation traduisant le niveau de son risque fiscal.

À la fin de l'année 2019, 22 % des opérations de contrôle fiscal ont été programmées par le biais des travaux de la MRV, pour un montant de droits et pénalités rappelés sur
l'année 2019 de 785 millions d'euros. 32 % des contrôles ciblés par la MRV ont donné lieu à une rectification, soit un taux similaire aux contrôles ciblés par la programmation « traditionnelle ».

Les progrès des méthodes de ciblage reposent sur un processus structuré de retour d'expériences, afin de pouvoir corriger les algorithmes, affiner la pertinence des productions et tenir compte des observations des services utilisateurs. Pour ce faire, la MRV s'appuie sur un réseau de correspondants au sein des pôles de programmation des Dircofi.

Des investissements importants ont été consentis par la DGFiP pour développer la MRV, et ce avec l'appui du fonds pour la transformation de l'action publique : acquisition de matériels informatiques pour obtenir davantage de puissance de calcul ; acquisition de bases de données auprès d'entreprises privées ; renforcement de l'équipe initiale
de 14 à 26 agents de la fin de l'année 2017 à fin juin 2019). La MRV devrait continuer à renforcer ses capacités d'analyse en 2019, à la fois en développement des techniques
de textmining , mais aussi en acquérant de nouveaux outils et en renforçant son équipe.

Source : auditions, réponses au questionnaire budgétaire

Afin d'assurer un meilleur suivi des bénéfices tirés du recours à ces nouvelles technologies, le Gouvernement a introduit, au sein de l'indicateur sur l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, un nouveau sous-indicateur portant sur la part des contrôles fiscaux ciblés par l'intelligence artificielle et le datamining . Cette cible est fixée à 45 % en 2021 , après avoir atteint 13,85 % en 2018 et 21,95 % en 2019. La cible pour 2020 a été revue à la baisse, de 35 % à 30 %, pour tenir compte de la chute d'activité induite par la crise sanitaire. Si la hausse pour 2021 est donc moindre qu'anticipée, puisque les plus optimistes estimaient pouvoir atteindre 50 % 31 ( * ) dès cette année, elle illustre la montée en puissance de la mission requêtes et valorisation (MRV) et la conviction de la DGFiP que les agents parviendront à se saisir à bon escient de ces nouveaux outils de programmation .

Les rapporteurs spéciaux soutiennent cette montée en charge mais estiment toutefois que l'indicateur présenté ne permet pas encore de bien évaluer l'apport de ces techniques d'analyse de données et du recours au datamining . Dans la lignée des recommandations du rapport d'information sur les moyens du contrôle fiscal 32 ( * ) , ils recommandent d'ajouter des sous-indicateurs portant sur le taux de dossiers sélectionnés ayant donné lieu à contrôle, sur la part des contrôles les plus graves sélectionnée par la MRV ou encore sur le taux de « rentabilité » des contrôles ainsi sélectionnés, par comparaison aux résultats de la programmation « traditionnelle ».

Le développement des outils de datamining et d'intelligence artificielle a témoigné de toute son utilité durant la période de crise sanitaire . Le directeur général des finances publiques, M. Fournel, a ainsi expliqué aux rapporteurs spéciaux que s'il y avait très peu de contrôles a priori dans l'octroi des aides apportées par le fonds de solidarité, les outils de datamining ont été rapidement mis à profit pour opérer un premier tri dans les demandes reçues , à partir de critères très simples, afin de détecter les cas de fraude manifeste . Les critères permettent par exemple de repérer les demandes multiples ou encore la discordance des numéros SIREN. Si la quasi-totalité des dossiers (98 %) sont traités dans des délais très courts (48 heures), ceux qui ressortent au titre de ce premier filtrage sont examinés de manière plus approfondie par les services, notamment pour distinguer ce qui relève de l'erreur humaine et ce qui relève d'une intention frauduleuse.

Il faut maintenant que les résultats en matière de recouvrement forcé soit à la hauteur de ces moyens , alors que le taux stagne depuis plusieurs années (autour de 67 %). La DGFiP bénéficie d'un co-financement du Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) pour la mise en oeuvre de son nouveau logiciel unifié de recouvrement forcé, RocSP [recouvrement optimisé des créances publiques].

b) Le service d'analyse de risque et de ciblage, un service en appui de toutes les missions de contrôle de la Douane

La DGDDI a elle-même développé son propre service à compétence nationale dédié au traitement des données , le service d'analyse de risque et de ciblage (SARC). Elle continue également de développer le projet 3D (Développement de la donnée en douane »), initié en 2020, qui vise à renforcer l'exploitation des données.

Le service d'analyse de risque et de ciblage (SARC) et le projet 3D

Le SARC, service à compétence nationale, a été créé par un arrêté du 29 février 2016. Entré en fonction en 2016, il est chargé de la production de l'intégralité des analyses de risque et études à vocation opérationnelle portant sur l'avant dédouanement, le dédouanement et la fiscalité. Il dispose également d'une cellule datascience chargée de valoriser les données douanières dans la lutte contre la fraude. Le SARC a une vocation directement opérationnelle : l'intégration des profils de ciblage dans l'outil Risk management system (RMS) ; l'orientation des contrôles ex-post 1et ex-post 2 grâce à l'attribution des dossiers aux services concernés par le type de risque préalablement identifié. Le SARC est composé de cinq cellules de travail spécialisées : sûreté-sécurité ; protection des intérêts financiers ; protection du consommateur et datamining et fiscalité.

Le projet 3D (Développement de la donnée en Douane) est destiné à « placer la donnée au coeur des métiers de la douane ». Son objectif est de faire émerger, sur une période de trois, de nouveaux outils capables de transformer en profondeur le fonctionnement de la douane, grâce à la data-science . Ces évolutions devraient concerner l'ensemble des métiers de la DGDDI, de la fiscalité douanière à la lutte contre la fraude, en passant par la facilitation des démarches des entreprises.

Source : réponses au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

Au sein de la DGDDI, le SARC est structuré autour de trois groupes opérationnels :

- le pôle « avant dédouanement et prohibitions », qui réalise pour la France l'analyse de risque sûreté/sécurité demandée par la règlementation communautaire, ainsi que le ciblage des prohibitions en matière de dédouanement (stupéfiants, tabacs, contrefaçons, produits stratégiques, etc.). Cette analyse a donné lieu à 387 contentieux en 2019 ;

- le pôle « dédouanement », qui traite de l'analyse de risque en matière de protection du consommateur et de l'environnement (normes industrielles, déchets, produits chimiques) ainsi que dans le secteur de la protection des ressources propres de l'Union européenne (les droits de douane ou anti-dumping par exemple). 4 180 dossiers ont été traités en 2019, dont 80 % au titre du respect des normes industrielles ;

- le pôle « fiscalité », qui réalise les analyses de risque en vue de la prescription des enquêtes dans le domaine des fiscalités nationales, du transit et des accises dont la DGDDI assure le contrôle. 148 enquêtes ont été déclenchées en 2019.

D'après les données transmises par la DGDDI aux rapporteurs spéciaux, en 2019, près de 33 % des contrôles en matière de fiscalité et 53 % des contrôles et enquêtes de dédouanement ont été réalisés à l'aide de la cellule de datamining du SARC (contre respectivement 25 % et 40 % en prévision). La part des contrôles fructueux s'est établie à un niveau plutôt élevé de 35 %.

Si les rapporteurs spéciaux sont plutôt favorables au développement de ces instruments de détection de la fraude, dont la montée en charge progressive permettra sans doute une efficacité accrue des contrôles, ils souhaitent également souligner que la lutte contre la fraude fiscale doit trouver une traduction opérationnelle . Les dispositifs de coordination interministérielle ou inter-administrative ont ainsi été récemment réformés, par le biais du décret du 15 juillet 2020 33 ( * ) .

La coordination de la lutte contre la fraude
et le décret du 15 juillet 2020

Dans son rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires (décembre 2019), la Cour des comptes avait relevé plusieurs défauts en matière de coordination des services chargés de la lutte contre la fraude fiscale. Le comité national de lutte contre la fraude ne se réunissait plus et le poste de délégué national à la lutte contre la fraude était vacant depuis le mois de mai 2019. Les ministères ne coopéraient plus.

Pour remédier à ces difficultés, le Gouvernement a annoncé l'abandon du plan national interministériel de lutte contre la fraude dans sa forme actuelle et la substitution de la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) par la mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf). La Micaf sera chargée de la coordination interministérielle en matière de lutte contre la fraude aux finances publiques aux niveaux national et local. Elle coordonnera notamment des groupes de travail spécialisés, dits « groupes opérationnels nationaux anti-fraude ». Ces groupes réuniront régulièrement, autour d'une thématique et d'une direction chef de file, les administrations et organismes concernés. La Micaf sera responsable d'une seconde grande mission : la coopération avec les instances européennes chargées de la protection des intérêts financiers de l'Union européenne. Il reviendra au nouveau comité interministériel anti-fraude (CIAT) de donner une impulsion politique à la Micaf.

Source : Rapport d'information de MM. Claude NOUGEIN et Thierry CARCENAC, fait au nom de la commission des finances n° 668 (2019-2020) - 22 juillet 2020

La DGFiP sera chef de file de trois groupes opérationnels nationaux anti-fraude (Gonaf) relatifs à la fraude à la TVA, à la fraude aux finances publiques via le commerce électronique et à la fraude via des sociétés éphémères frauduleuses. Le Gouvernement a à plusieurs reprises modifié l'architecture des dispositifs de coordination contre la fraude, sans réussir à trouver jusqu'ici la bonne méthode. Les rapporteurs spéciaux espèrent que les Gonaf porteront leurs fruits même s'ils ne peuvent s'empêcher de relever que ce dialogue en direct vient pallier un échec, celui d'un échange d'informations et de données plus automatisé entre les administrations, à partir de systèmes d'information connectés . On en est encore loin aujourd'hui.

2. Les résultats du contrôle fiscal en 2020 seront fortement affectés par la crise sanitaire

Après plusieurs années de baisse inquiétante des résultats du contrôle fiscal, l'année 2019 a marqué un net rebond, les recettes du contrôle fiscal ayant atteint 11 milliards d'euros , auxquels s'ajoutaient 385 millions d'euros du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) 34 ( * ) et 550 millions d'euros générés par les conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP), respectivement conclues par Google (500 millions d'euros) et Carmignac (50 millions d'euros). En 2018, la faiblesse des résultats (9,4 milliards d'euros) avait été très critiquée , d'autant que les recettes étaient en baisse pour la troisième année consécutive.

Du fait de la crise sanitaire et économique, les recettes du contrôle fiscal sont attendues en forte baisse en 2020. Deux facteurs expliquent la diminution attendue de ces résultats. En premier lieu, tout comme les actions en recouvrement forcé, les opérations de contrôle fiscal ont été suspendues lors du confinement , avec la possibilité pour certaines d'entre elles d'être arrêtées, dans les secteurs les plus touchés par la crise 35 ( * ) . D'autre part, certains contribuables professionnels ou particuliers pourraient ne plus être en mesure de payer les droits et pénalités dus au titre de contrôles passés ou effectués en 2020 . Lors de son audition devant la commission des finances 36 ( * ) , M . Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques, avait fait part de l'intention de son administration de ne reprendre que progressivement les activités du contrôle fiscal , à compter du déconfinement. Les délais ont été suspendus pour une période plus longue que celle du confinement et les procédures ont repris très progressivement, afin de ne pas pénaliser les entreprises, dont certaines devaient redémarrer leurs activités après quelques mois d'arrêt brutal.

La DGFiP appelle également à faire preuve de prudence quant aux résultats attendus pour 2021 pour le taux net de recouvrement DGFiP en droits et pénalités sur créances de contrôle fiscal, les effets de la crise sanitaire et économique sur le contrôle fiscal pouvant se poursuivre sur plusieurs années.

3. La lutte contre la fraude à la TVA, un enjeu commun pour la DGFiP et la Douane

Alors que le second reconfinement a nourri des récriminations à l'égard des plateformes de e-commerce, accusées de concurrence déloyale, les rapporteurs spéciaux, qui partagent ces craintes, ont souhaité s'intéresser aux moyens mis en oeuvre pour lutter contre la fraude à la TVA, un enjeu tant pour la DGFiP que pour la DGDDI . Comme l'ont concédé plusieurs interlocuteurs des rapporteurs spéciaux, la fraude à la TVA trouve l'un de ses ressorts dans le commerce électronique. Un rapport de l'Inspection générale des finances 37 ( * ) estimait, à partir des contrôles menés par la direction nationale d'enquêtes fiscales, que près de 98 % des vendeurs en ligne n'étaient pas immatriculés à la TVA .

La fraude à la TVA fait toutefois l'objet d'une attention spécifique de la part des administrations fiscales, et ce depuis plusieurs années. Une « task force TVA » informelle est ainsi chargée de mettre en commun informations, bonnes pratiques et expériences des différentes administrations centrales engagées dans la lutte contre la fraude à la TVA. Sont notamment visés plusieurs secteurs bien identifiés dans lesquels le risque est plus élevé : la dissimulation d'activité par le biais du commerce en ligne ou encore l'utilisation abusive du régime de TVA sur la marge dans le secteur du négoce des véhicules d'occasion. La DGFiP a en parallèle engagé une démarche préventive dynamique lui permettant de suspendre les numéros de TVA intracommunautaires des sociétés jugées frauduleuses ou à risque (par exemple des opérateurs « éphémères » crées avec le simple objectif de mener ces opérations frauduleuses).

La fraude à la TVA demeure difficile à évaluer et le Gouvernement n'est aujourd'hui pas en mesure de transmettre au Parlement une évaluation fiabilisée de son coût pour l'État . Selon les hypothèses retenues, le coût de cette fraude serait compris entre 12 et 20 milliards d'euros . Pourtant, les droits nets notifiés en matière de TVA chutent depuis 10 ans. Ils sont ainsi passés de 2,5 milliards d'euros en 2010 à 1,76 milliard d'euros en 2019.

Des marges de progrès importantes demeurent donc en matière de lutte contre la fraude à la TVA , même si le Parlement a renforcé les instruments de contrôle et de lutte contre la fraude. Certaines dispositions doivent en effet encore trouver leur traduction opérationnelle avant de produire tous leurs effets.

Les rapporteurs spéciaux se sont ainsi enquis auprès du directeur général des finances publiques des progrès accomplis dans la mise en oeuvre du principe de responsabilité des plateformes en cas de manquement ou d'évitement de la TVA par un assujetti. D'après les informations transmises par M. Fournel aux rapporteurs spéciaux, la mise en oeuvre pratique du principe de responsabilité des plateformes 38 ( * ) est encore peu avancée, notamment parce qu'il nécessite d'avoir identifié au préalable les cas de fraude à la TVA.

Il en va de même pour la possibilité pour la DGFiP et la DGDDI, depuis la loi de finances initiale pour 2020 39 ( * ) , de collecter et d'analyser, par le biais de traitements informatisés et automatisés, les contenus rendus publics sur les plateformes en ligne . Pour le directeur général des finances publiques, cette disposition devrait permettre d'améliorer la détection de cas de fraude potentielle à la TVA, à l'impôt sur le revenu ou de ventes de contrefaçons. Toutefois, avant de pouvoir mettre en oeuvre ces traitements, il faut encore que le décret soit publié en Conseil d'État, après que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a rendu son avis (elle a été saisie du décret à la fin du mois de juillet 2020). La mise en oeuvre de ces traitements nécessitera ensuite un important travail sur les outils de datamining (ajout de données, définition des algorithmes), qui prendra du temps, ce qui implique nécessairement qu'ils ne produiront pas leurs effets dans l'immédiat.

Le Gouvernement a par ailleurs remis au Parlement un rapport sur la facturation électronique , qui devrait très probablement trouver sa traduction par voie d'amendement dans le présent projet de loi de finances. Les rapporteurs spéciaux soutiennent ce dispositif. Comme l'a rappelé le directeur général des finances publiques lors de son audition, ce mécanisme permet de mieux lutter contre la fraude à la TVA, quelle que soit son origine, infra ou extra-communautaire. Il permet d'avoir des informations et un accès direct, en temps réel, aux données de facturation ou aux données complémentaires. L'administration fiscale disposera alors d'une gamme d'instruments complète pour, enfin, améliorer nos résultats en la matière.

Les rapporteurs spéciaux relèvent enfin que l'adoption de nouvelles règles demeurera sans effet si les moyens de l'administration ne sont pas renforcés en parallèle . Ils en veulent pour exemple le « paquet TVA commerce électronique » 40 ( * ) , dont l'entrée en vigueur est décalée dans le présent projet de loi de finances du 1 er janvier au 1 er juillet 2021. La directive est, sur le fond, très positive. Dans son rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires, la Cour des comptes avait rappelé que la diversité des régimes de TVA applicables laissait craindre un risque de fraude important 41 ( * ) et le « paquet TVA » tend à la simplification de ces règles.

Une partie des dispositions a été transposée dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2020 42 ( * ) et prévoit de supprimer la franchise de TVA sur les envois de valeur négligeable (EVN - seuil fixé à 22 euros en France), au profit d'un dispositif de guichet unique pour les biens de moins de 150 euros importés de pays ou de territoires tiers. Cette exonération sur les EVN conduisait en effet un ressort important de fraude à la TVA, la Cour des comptes parlant, dans le rapport précité, de « fraudes sans doute massives pour les envois en provenance des pays extra-européens » , ce qu'Albéric de Montgolfier et Philippe Dallier avaient déjà montré en 2013 43 ( * ) . Sa suppression et l'entrée en vigueur du « paquet TVA » conduiront à un afflux massif de déclarations, à charge pour la DGDDI de les contrôler, ce qui nécessitera une adaptation de son organisation et de ses systèmes d'information .

Or, comme la commission des finances le relevait dès l'examen de la transposition de la directive, cette réforme resterait sans effet si elle n'était pas accompagnée de moyens importants pour identifier les fraudes et décupler les capacités de contrôle de la DGDDI . Il ne s'agit pas là, pour les rapporteurs spéciaux, d'appeler à multiplier les recrutements. Il serait de toute façon impossible, ou beaucoup trop coûteux par rapport aux avantages attendus, de recruter un nombre suffisant d'agents pour contrôler l'ensemble du fret. Ce serait par ailleurs contre-productif et très consommateur de ressources. Les rapporteurs spéciaux défendent en revanche le déploiement de nouvelles modalités de contrôle , tel un recours accru aux techniques d'analyse des données, au ciblage par intelligence artificielle, ainsi que le déploiement de nouveaux matériels , tels des scanners plus performants. Alors que certaines directions ou administrations ont obtenu, sur le plan de relance, des moyens pour soutenir leurs activités opérationnelles (par exemple des hélicoptères pour la Gendarmerie nationale), la Douane n'a pas pu bénéficier de ces mêmes enveloppes.

Ces moyens opérationnels pourraient sans doute venir utilement compléter l'insuffisance temporaire des outils d'analyse de données . En effet, ces instruments de ciblage ne fonctionnent que s'ils ont déjà intégré une base de données nouvelles et massives à partir de laquelle ils peuvent travailler et détecter les cas de fraudes. Le traitement informatique actuel serait incapable de supporter, sans aucune modification ou transition préalable, l'afflux de déclarations à venir. Le ciblage devra donc être ajusté en 2021 et ne pourra produire pleinement ses effets avant au moins 2022. Ces techniques pourront ensuite être utilisées pour lutter contre les contrefaçons , un autre fléau sur lequel les Douanes ont peu progressé ces dernières années, comme l'a reconnu la directrice générale. Pour elle, dans ce domaine également, le commerce électronique a conduit à amplifier les phénomènes de fraude, avec une accélération très nette de la circulation des contrefaçons , en volume comme en valeur. Il est en effet impossible d'examiner l'ensemble des envois reçus par fret express ou postal.

La DGDDI a toutefois engagé des crédits afin de renouveler trois unités de scanners mobiles (une affectée à Marseille et les deux autres pour des contrôles routiers). La dépense a été engagée en 2020 et sera couverte par des crédits de paiement de 2021 à 2023. Elle s'appuie par ailleurs sur le Fonds de sécurité intérieure pour financer la mise en oeuvre du scanner fixe du Havre. Pour les rapporteurs spéciaux, au regard de ces besoins, et si la DGDDI poursuit ses efforts en matière de dépenses de personnel, elle devrait pouvoir conserver une partie de l'économie réalisée et la redéployer sur de l'investissement. Ce constat vaut également pour les dépenses informatiques.


* 31 C'est la cible prévue pour 2022, conformément à l'accord conclu avec le Fonds de transformation de l'action publique, qui cofinance le projet.

* 32 Rapport d'information de MM. Claude NOUGEIN et Thierry CARCENAC, fait au nom de la commission des finances n° 668 (2019-2020) - 22 juillet 2020.

* 33 Décret n° 2020-872 du 15 juillet 2020 relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre la fraude et à la création d'une mission interministérielle de coordination anti-fraude.

* 34 Si ce service est aujourd'hui fermé, il a fini de traiter en 2019 les derniers dossiers transmis avant la fermeture de la procédure.

* 35 L'article 10 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période avait suspendu, pour le contribuable comme pour la DGFiP, l'ensemble des délais prévus dans le cadre des travaux de contrôle et de recherche en matière fiscale, ainsi que les instructions sur place des demandes de remboursement de crédits de TVA.

* 36 Audition de M. Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques par la commission des finances du Sénat le jeudi 7 mai 2020.

* 37 Claude Wendling, Florence Gomez (Inspection générale des finances), Sécurisation du recouvrement de la TVA (novembre 2019).

* 38 Article 11 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, introduit à l'initiative du Sénat.

* 39 Article 154 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 40 Ensemble de règles européennes relatives à la TVA, contenues notamment dans la directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens.

* 41 Cour des comptes, La fraude aux prélèvements obligatoires (décembre 2019).

* 42 Article 147 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019.

* 43 Rapport d'information n° 93 (2013-2014) de MM. Albéric de MONTGOLFIER et Philippe DALLIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 octobre 2013.

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