EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 octobre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Jean Bizet, rapporteur spécial, sur la mission « Investissements d'avenir » (et article 55).

M. Jean Bizet , rapporteur spécial de la mission « Investissements d'avenir » . - Le budget 2021 pour les investissements d'avenir est caractérisé par deux éléments saillants : la poursuite du programme des investissements d'avenir (PIA) 3 dans le contexte de crise sanitaire et le lancement d'un PIA 4 en soutien au plan de relance.

Je vais être relativement bref concernant le PIA 3 ; vous le savez, ce programme d'investissements d'avenir succède aux PIA 1 et 2, qui représentaient respectivement 35 milliards d'euros et 12 milliards d'euros. Lancés au lendemain de la grande crise financière de 2009 et inspirés par le rapport « Juppé-Rocard », ces investissements d'avenir visent à mobiliser massivement l'investissement public en faveur de projets ciblés, principalement dans les domaines de la recherche, du numérique, de l'industrie et du développement durable.

La mission « Investissements d'avenir » est un peu particulière dans la mesure où nous ne votons que sur des crédits de paiement. Le PIA 3 a été doté de 10 milliards d'euros d'autorisations d'engagement en 2017, et depuis, chaque année, nous votons une ouverture de crédits de paiement.

Les crédits de paiement demandés pour 2021 s'élèvent à 1,91 milliard d'euros, soit un montant conforme à la programmation triennale.

Je voudrais néanmoins attirer votre attention sur le fait que l'année 2020 a été caractérisée par de nombreux redéploiements de crédits, qui ont un impact sur le budget 2021.

En effet, le PIA a été un outil très largement plébiscité dans le contexte de la crise sanitaire, en raison de sa souplesse. Le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) a ainsi mobilisé plus de 1,5 milliard d'euros afin d'adapter les modalités de sélection et de financement des lauréats du PIA, de lancer des dispositifs destinés à soutenir les entreprises en difficulté et de renforcer les moyens dévolus à la recherche dans le secteur de la santé.

Les PIA ont permis d'apporter des réponses concrètes, ciblées et rapides aux défis posés par la crise sanitaire ; la capacité de réaction du SGPI et des opérateurs mérite donc d'être saluée.

En 2021, certaines de ces initiatives devraient se poursuivre. Je pense notamment à la création d'une enveloppe d'investissement dédiée à la souveraineté technologique, intitulée « French Tech Souveraineté » et dotée de 100 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021.

La crise a en effet souligné l'importance de renforcer l'autonomie de notre pays sur des technologies d'avenir, ce qui m'amène à mon second point, à savoir le lancement d'un quatrième programme d'investissements d'avenir.

Je tiens à rappeler, en préambule, qu'il avait été décidé de lancer ce programme avant l'émergence de la Covid-19. Il va de soi cependant que la crise que nous traversons a permis l'émergence de nouvelles priorités.

Doté de 20 milliards d'euros, ce nouveau programme a été élaboré à la lumière des recommandations rendues par le Comité de surveillance des investissements d'avenir, qui a rendu en décembre dernier un rapport d'évaluation sur les investissements d'avenir.

Ce PIA 4 est structuré en deux volets, qui répondent à des finalités distinctes : un premier volet, dit « dirigé » doté de 12,5 milliards d'euros, vise à financer des investissements exceptionnels - j'insiste sur ce caractère exceptionnel, les PIA n'ayant pas vocation à être des investissements ordinaires pour des ministères dépensiers ; un second volet, dit « structurel », bénéficiant de 7,5 milliards d'euros, doit garantir, grâce à des dotations en capital, un financement pérenne aux écosystèmes d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation mis en place par le PIA.

Je ne m'étendrai pas sur les modalités de budgétisation et de gouvernance de ce PIA, qui sont sensiblement identiques à celles du PIA 3 et dérogent tout autant aux grands principes budgétaires. Le pilotage des crédits est assuré par le SGPI. La gestion des fonds est confiée à quatre opérateurs : Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie et l'Agence nationale de la recherche. Une convention lie l'État à ces opérateurs. Le contrôle est assuré par le Parlement.

Des aménagements sont néanmoins apportés à cette gouvernance par l'article 55 rattaché à la mission, qui met en oeuvre plusieurs des recommandations du Comité de surveillance. Il s'agit notamment de la création d'un Conseil interministériel de l'innovation pour décider des priorités de la politique d'innovation, du renforcement du rôle du Comité de surveillance des investissements d'avenir et de la formalisation d'une doctrine d'investissement pour ces investissements d'avenir. Ces évolutions sont bienvenues. Elles contribueront à renforcer la cohérence et l'efficacité de cet instrument.

Je voudrais enfin m'attacher à relever plusieurs pierres d'achoppement dans ce quatrième programme.

Le lancement d'un nouveau programme semble augurer d'une pérennisation des investissements d'avenir, et l'on pourrait craindre, à terme, une « banalisation de l'exceptionnel ». La prorogation de ces dispositifs dérogatoires aux règles budgétaires n'est pas problématique en tant que telle si le Parlement est en mesure de suivre et de contrôler l'emploi des crédits qui sont votés. Or il me semble que la maquette budgétaire qui nous est présentée va aggraver le déficit de lisibilité dont souffrent les PIA, et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, la liste des secteurs stratégiques qui bénéficieront d'un soutien dans le cadre du volet dirigé du PIA n'est pas encore arrêtée. Nous sommes donc appelés à voter des crédits sans savoir à quels secteurs ou filières ils seront destinés. Si je comprends pleinement la logique qui sous-tend cette démarche, j'attends du Gouvernement une présentation détaillée, dans les mois qui viennent, des stratégies d'accélération qui seront retenues. Seraient notamment concernés l'hydrogène « vert », la ville du futur, le numérique, l'agroalimentaire et la mobilité, mais pour l'instant seule la stratégie relative à l'hydrogène « vert » a été dévoilée.

Je regrette, en parallèle, que deux programmes d'investissements d'avenir coexistent au sein de la mission. Le suivi des montants inscrits dans le PIA 3 se révélait déjà particulièrement complexe, avec la double comptabilité induite par le circuit de la dépense, la dispersion des crédits, l'ampleur des redéploiements en cours de gestion. Avec ce nouveau PIA 4, qui financera les mêmes structures que le PIA 3, notre tâche risque de devenir encore plus ardue.

Pour terminer, je souhaiterais évoquer l'articulation entre les PIA et le plan de relance. En effet, le PIA 4 doit abonder le plan de relance à hauteur de 11 milliards d'euros sur trois ans. À mes yeux, une clarification s'impose : les PIA ne constituent pas un outil de relance, mais d'investissement à long terme afin de renforcer la croissance potentielle. En pratique, le décaissement des crédits du PIA peut être particulièrement long : trois ans après le lancement du PIA 3, si 4,7 milliards d'euros de crédits de paiement ont été consommés, seuls 750 millions d'euros ont été décaissés.

Il me semble donc très ambitieux de considérer que les 11 milliards d'euros du PIA 4 pourront irriguer à très court terme le tissu économique français. Je ferai un parallèle avec le plan de relance européen, qui fait l'objet de tractation au niveau du Conseil. On mesure la qualité d'un plan, quel qu'il soit, à l'ampleur de sa ligne budgétaire, mais aussi au travers de sa réactivité !

En dépit de ces réserves, je vous propose d'adopter sans modification les crédits de la mission.

L'article 55, rattaché à la mission « Investissements d'avenir » énonce une doctrine d'investissement pour les PIA et étend au quatrième programme d'investissements d'avenir les règles de gouvernance déjà applicables pour les programmes précédents, tout en procédant à plusieurs aménagements.

Parmi ces aménagements figurent le renouvellement du rôle du Comité de surveillance des investissements d'avenir, le renforcement des obligations d'information à l'égard du Parlement, ainsi que la possibilité de prolonger de cinq ans la durée des conventions conclues entre l'État et les opérateurs afin d'assurer la fin progressive des actions lancées lors des PIA 1 et 2.

Enfin, cet article supprime le « jaune budgétaire » relatif au Grand plan d'investissement (GPI), puisque le plan de relance succède au label du GPI dans le contexte de la crise sanitaire et reprend les mêmes priorités thématiques.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - J'ai bien compris qu'en dehors de l'hydrogène nous n'avons pas encore d'éléments précis sur le choix des thématiques d'avenir. Par ailleurs, ces investissements d'avenir ont le mérite de s'inscrire dans le temps long, mais il reste beaucoup de flou dans leur mise en oeuvre et notamment dans les instruments financiers qui seront mobilisés. Pourriez-vous nous apporter un éclairage sur ces points ?

M. Claude Raynal , président . - Le premier programme d'investissements d'avenir ressemblait bigrement au plan de relance en ce sens qu'il s'agissait également de mesures ne pouvant passer par un projet de loi de finances et relevant de l'investissement de très long terme.

Mme Christine Lavarde . - Ma première remarque porte sur les transferts de crédits entre programmes. Il y a dans les investissements d'avenir une idée de long terme. Modifier la raquette au moindre élément conjoncturel - ici l'épidémie de Covid-19 - ne contrevient-il pas à l'esprit et à la philosophie du programme ?

Ma deuxième question est plus précise : j'essaie de consolider les coûts de fermeture de Fessenheim. L'année dernière, des crédits ont été inscrits dans l'opération « territoires d'industrie » pour permettre la reconversion du site. Or le ministère de la transition écologique, que j'ai interrogé, a évoqué un autre projet. Je souhaite m'assurer qu'il n'existe pas deux opérations PIA pour le site de Fessenheim. Si oui, pour quels montants ?

M. Michel Canevet . - Les priorités de ce PIA tiennent-elles compte de l'évolution du contexte environnemental, qu'il s'agisse de la pandémie ou des attentes en faveur d'une économie plus verte ? La lourdeur des procédures ne retarde-t-elle pas la mise en oeuvre des différents programmes ?

M. Albéric de Montgolfier . - Je me réjouis que l'on revienne à l'essentiel, c'est-à-dire aux programmes d'avenir. Je me suis régulièrement exprimé sur un dévoiement du PIA qui permettait le financement d'opérations relevant normalement du budget de l'État. Je pense en particulier au Grand Palais. En trouvons-nous d'ores et déjà une traduction dans le PIA ?

M. Victorin Lurel . - On ne comprend pas, dans l'exécution du PIA 3, l'écart entre les crédits engagés et ceux effectivement décaissés. Il y a du flou, car il y a trop de choses. J'ai le sentiment qu'il existe un problème de pilotage. Ce PIA 4, malgré les efforts et les retours d'expérience, ne tire pas toutes les leçons de l'accélération de la consommation des crédits. En examinant les différents programmes, on s'aperçoit qu'il n'est pas si simple de dépenser. Par ailleurs, il n'y a là aucune simplification de la gouvernance : malgré les quatre opérateurs, l'essentiel échappe au Parlement. De nombreuses agences commencent à se plaindre du recours à la procédure des appels à projets, en particulier l'Agence nationale de la recherche (ANR). Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur cette mission.

M. Jean Bizet , rapporteur spécial . - En ce qui concerne les thématiques du PIA 4, au-delà de l'hydrogène vert, des projets sur la ville du futur, le numérique, l'agriculture, l'intelligence artificielle semblent se dessiner également. Ce sera pour moi l'occasion d'interpeller le secrétaire général pour l'investissement, M. Boudy, afin de mettre l'accent sur l'intelligence artificielle embarquée, qui sera demain un élément fondamental.

Les trois premiers PIA représentent 57 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien ! En ce qui concerne les outils de financement, le PIA 4 privilégiera principalement les subventions et les fonds propres. Le recours aux dotations non consommables a été abandonné dès le lancement du PIA 3 en raison des faibles taux. Quant au plan de relance, 11 milliards d'euros y sont consacrés. Certes, je relève de la souplesse, mais aussi de la rigidité et une lenteur dans le décaissement.

Pour répondre à Christine Lavarde, je ne dispose pour l'instant d'aucune information concernant Fessenheim. Il existe des crédits pour la construction d'un autre réacteur. Je tâcherai d'obtenir des précisions sur ce sujet important. Une des fragilités des PIA est la territorialisation : cela fonctionne moyennement. Nous l'avons souligné dans le cadre du comité de pilotage.

Oui, le contexte épidémiologique joue un rôle puisque la recherche médicale et les industries de santé font partie des secteurs qui pourraient faire l'objet d'une stratégie d'accélération, dans le cadre du programme 424 « Financement des investissements stratégiques ». La lenteur est due au circuit de la dépense, mais c'est aussi un gage de sécurisation. Le PIA comprend deux mesures : les investissements stratégiques ainsi que le financement pérenne des écosystèmes de recherche et d'innovation. Ce dernier volet pourrait relever du budget de la recherche et de l'enseignement supérieur.

En ce qui concerne le financement du Grand Palais, Christine Lavarde et moi ne nous sommes pas privés de dire ce que nous en pensions. À ce stade, le PIA 4 n'affiche plus aucun crédit en ce sens. Idem en ce qui concerne le sport de haut niveau. Nos états d'âme et nos critiques ont été suivis d'effets !

Certes, comme l'a souligné Victorin Lurel, le décaissement est faible : 750 millions d'euros, alors qu'il était question au départ de plusieurs milliards. Par ailleurs, sur les 57 millions inscrits dans les PIA 1, 2 et 3, à peine la moitié sont aujourd'hui contractualisés. Mais j'insiste : ces opérations se font sur un temps long. Les crédits sont décaissés au fur et à mesure de la maturité des projets de recherche. Il existe un comité de pilotage, qui peut sans doute faire des progrès.

La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Investissements d'avenir » et de l'article rattaché 55.

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter sans modification les crédits de la mission ainsi que l'article 55.

Page mise à jour le

Partager cette page