EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

ARTICLE UNIQUE

Contribution exceptionnelle du secteur des assurances en cas d'état d'urgence sanitaire

. Le présent article propose d'instaurer une contribution exceptionnelle sur le résultat d'exploitation des entreprises d'assurance non-vie, dès lors que l'état d'urgence sanitaire a été appliqué au cours d'un exercice comptable.

Les entreprises d'assurance visées s'acquittent de cette contribution lorsque, sur l'exercice au cours duquel l'état d'urgence sanitaire est appliqué, leur résultat d'exploitation a augmenté par rapport à la moyenne des trois derniers exercices clos. Ainsi, l'assiette de la contribution correspond à la hausse du résultat d'exploitation par rapport à cette moyenne, c'est-à-dire, selon l'exposé des motifs, les « sur-bénéfices » réalisés. Le taux de la contribution est fixé à 80 %.

Constatant que le dispositif proposé reposait, d'une part, sur l'idée d'un lien « automatique » entre l'application de l'état d'urgence sanitaire et la variation du résultat des assurances non-vie et, d'autre part, sur le postulat d'une profitabilité de la crise sanitaire pour les assurances non-vie, le rapporteur a exprimé des doutes quant au caractère opérationnel de la présente proposition de loi.

Après avoir rappelé que la simple application de l'état d'urgence sanitaire peut difficilement constituer un marqueur fiable pour caractériser la situation économique d'un secteur d'activité comme les assurances non-vie, le rapporteur a indiqué que les auditions menées ont fait état d'une grande disparité de l'évolution de la sinistralité selon les branches assurantielles au cours de l'année 2020, modérant ainsi l'idée d'un effet d'aubaine de la crise sanitaire pour le secteur.

En tout état de cause, le rapporteur a rappelé que l'instauration de toute contribution fiscale sur le secteur assurantiel devait tenir compte des engagements pris par le secteur depuis le début de la crise d'une part, et des perspectives mitigées, à moyen et long terme, sur la rentabilité du secteur, d'autre part.

En considérant que la mobilisation des assureurs en réponse à une crise sanitaire était tout à fait justifiée, le rapporteur a considéré que les leçons de l'actuelle crise sanitaire doivent être tirées en organisant de façon pragmatique et pérenne la participation des assureurs au soutien de l'économie. Il partage la conviction selon laquelle cette participation doit reposer sur le coeur de métiers des assureurs, à savoir l'indemnisation d'un risque prévue contractuellement, via l'instauration d'une couverture assurantielle applicable au risque sanitaire pour les entreprises.

La commission des finances n'a pas adopté le présent article.

I. LE DROIT EXISTANT : L'APPLICATION DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE N'ENTRAÎNE AUCUNE CONSÉQUENCE PARTICULIÈRE POUR LE SECTEUR ASSURANTIEL

A. L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE, UN RÉGIME JURIDIQUE CRÉÉ EN RÉPONSE À LA CRISE DE LA COVID-19

Afin de lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19, en mars dernier, le Gouvernement a pris plusieurs mesures d'urgence sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui autorise le ministre chargé de la santé, « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas d'épidémie », à prescrire toute mesure nécessaire.

Eu égard à l'atteinte aux libertés individuelles portée par ces mesures d'urgence , le législateur a souhaité sécuriser le fondement juridique de celles-ci en créant un nouveau régime d'état d'urgence sanitaire par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19. L'entrée en vigueur de cette loi a également constitué la première application de l'état d'urgence sanitaire.

Les modalités d'application et les prérogatives de ce régime sont définies aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique.

Aux termes de l'article L3131-15 du même code, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, prendre un certain nombre de mesures aux seules fins de garantir la santé publique .

Mesures réglementaires susceptibles d'être prises par le Premier ministre
aux termes de l'article L3131-15 du code de santé publique

- Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, et l'accès aux moyens de transport et des conditions de leur usage ;

- interdiction aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;

- ordonner la mise en quarantaine des personnes susceptibles d'être affectées ;

- ordonner des mesures de placement et maintien en isolement, à leur domicile ou tout autre lieu d'hébergement adapté, des personnes affectées ;

- ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris des conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ;

- limiter ou interdire des rassemblements sur la voie publique et des réunions de toute nature ;

- ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ;

- prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits ;

- prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire ;

- prendre toute mesure limitant la liberté d'entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire.

S'agissant du ministre chargé de la santé , l'article L. 3131?16 du code de santé publique prévoit qu'il puisse prescrire toute mesure réglementaire relative à « l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé » et « toute mesure individuelle nécessaire à l'application des mesures prescrites par le Premier ministre ».

Enfin, l'article L. 3131-17 du même code organise la déclinaison territoriale de la réponse sanitaire, en habilitant les préfets à prendre les mesures générales ou individuelles d'application des dispositions de l'état d'urgence sanitaire.

En application de l'article L. 3131-18 du même code, les mesures prises en application de l'état d'urgence sanitaire peuvent faire l'objet d'un recours devant le juge administratif.

Cet arsenal législatif a permis de prendre plusieurs mesures restrictives de la liberté de circulation, qui se sont traduites par d'importantes conséquences économiques et sociales.

À titre d'illustration, des mesures visant à interdire, ou à limiter les déplacements , ont été prises en mars dernier 1 ( * ) , puis reconduites pour la seconde période d'application de l'état d'urgence sanitaire, à compter du 17 octobre 2020 2 ( * ) . Il en va de même pour les restrictions d'accès ou la fermeture des établissements recevant du public 3 ( * ) , ainsi que pour l'interdiction des rassemblements publics 4 ( * ) , et la réglementation de l'accès aux transports collectifs 5 ( * ) .

B. DANS LE SILLAGE DE LA CRISE SANITAIRE, UNE CRISE ÉCONOMIQUE QUI OUVRE LE DÉBAT SUR LA PARTICIPATION DU SECTEUR ASSURANTIEL AU SOUTIEN DE L'ÉCONOMIE

Depuis le début de la crise sanitaire, la question de la participation des assureurs au soutien de l'économie s'est posée dans le débat public. Cette réflexion a été conduite sur les aspects suivants :

- d'une part, sur le rôle des assureurs dans l'indemnisation des pertes d'exploitation des entreprises consécutives aux mesures administratives visant à limiter la propagation de l'épidémie ;

- d'autre part, sur la nécessité de garantir une contribution financière des assureurs, aux côtés du budget général de l'État, pour financer des mesures de soutien aux entreprises .

Sur ces deux volets, plusieurs initiatives parlementaires ont été conduites depuis le mois de mars.

S'agissant de l'instauration d'une nouvelle couverture assurantielle contre les pertes d'exploitations, plusieurs propositions de loi ont été déposées en ce sens à l'Assemblée nationale 6 ( * ) et au Sénat 7 ( * ) . Au Sénat, la proposition de loi 8 ( * ) déposée à l'initiative de Jean-François Husson et de plusieurs de ses collègues a d'ailleurs été adoptée le 2 juin dernier .

Concernant la participation financière des assureurs , plusieurs amendements déposés au Sénat lors de l'examen des projets de lois de finances rectificatives pour 2020 successifs ont proposé d'instaurer des taxes sur le secteur assurantiel.

Lors de l'examen du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020, le Sénat a d'ailleurs adopté deux dispositifs fiscaux , motivés par le souci d'instaurer une contribution exceptionnelle du secteur assurantiel en réponse aux conséquences économiques de la crise sanitaire :

- le premier proposait une hausse de la taxe sur les excédents de provision 9 ( * ) ;

- le second rétablissait la taxe de 10 % sur les réserves de capitalisation 10 ( * ) .

Toutefois, ces dispositifs n'ont pas été retenus dans le texte ayant fait l'objet d'un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat lors de la commission mixte paritaire.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : L'ASSUJETTISSEMENT DES ASSUREURS À UNE CONTRIBUTION EN CAS D'APPLICATION DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE

Le présent article vise à instaurer une contribution exceptionnelle sur le résultat d'exploitation des entreprises d'assurance non-vie, dès lors que l'état d'urgence sanitaire a été appliqué au cours d'un exercice comptable .

À cet effet, le présent article insère un nouvel article 224 au sein d'une nouvelle section du code général des impôts , après l'article 223 sexies , intitulée « Contribution exceptionnelle du secteur des assurances en cas d'état d'urgence sanitaire » (alinéas 1 à 3).

Le I du présent article prévoit que les entreprises d'assurance non-vie opérant en France , c'est-à-dire les entreprises dont les contrats d'assurance proposés relèvent des assurances de responsabilité, de dommages et de personnes, y compris les complémentaires santé, sont assujetties à une contribution exceptionnelle au titre de tout exercice au cours duquel un état d'urgence sanitaire est appliqué sur tout ou partie du territoire de la République (alinéa 4).

Le dispositif proposé ne précise pas si la contribution définie par le présent article ne s'applique qu'aux entreprises d'assurances relevant du code des assurances , ou si elle s'applique également aux mutuelles et unions régies par le code de la mutualité et aux institutions de prévoyance régis par le code de la sécurité sociale , qui peuvent également réaliser des opérations d'assurance non-vie. Toutefois, compte tenu de l'équilibre général du dispositif, il peut être considéré que la contribution proposé vise l'ensemble des acteurs de l'assurance non-vie.

Les entreprises d'assurance visées s'acquittent de cette contribution lorsque, sur l'exercice au cours duquel l'état d'urgence sanitaire est appliqué, leur résultat d'exploitation a augmenté par rapport à la moyenne des trois derniers exercices clos (alinéa 4). Ainsi, l'assiette de la contribution correspond à la hausse du résultat d'exploitation par rapport à cette moyenne, c'est-à-dire, selon l'exposé des motifs, les « sur-bénéfices » réalisés .

D'après l'exposé des motifs, le fait que la période d'appréciation du résultat d'exploitation retenue soit la durée totale de l'exercice comptable vise à « tenir compte des « « effets rebonds » que connaîtront nécessairement certains secteurs, à commencer par celui de la santé ».

Le taux de la contribution est fixé à 80 % .

Le II du présent article prévoit les modalités de recouvrement de cette contribution, et indique que celle-ci est recouvrée comme l'impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions (alinéa 5).

Il revient à l'entreprise d'adresser une déclaration à l'administration fiscale relative au calcul du montant de la contribution dont elle est redevable, accompagnée de pièces justificatives. Cette contribution est payée spontanément au comptable public compétent (alinéa 6).

Le III du présent article prévoit une sanction administrative en cas de non-acquittement de la contribution .

Si le paiement de la contribution n'est pas effectué dans un délai, ce dernier n'étant pas explicitement prévu par la rédaction proposée, l'assurance encourt la suspension de l'agrément administratif obligatoire délivré par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) , défini aux articles L. 321-1 à L. 321-7 du code des assurances. Cette suspension ne peut excéder une durée d'un an .

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UN DISPOSITIF QUI SEMBLE PEU OPÉRANT, ET ÉTABLI SUR DES PRÉSUPPOSÉS QUI NE SE SONT PAS, À L'HEURE ACTUELLE, COMPLÉMENT FONDÉS

A. UN DISPOSITIF PROBLÉMATIQUE, ÉTABLI SUR DES PRÉSUPPOSÉS QUI N'APPARAISSENT PAS COMPLÉTEMENT FONDÉS

1. Compte tenu des caractéristiques de l'état d'urgence sanitaire, sa déclaration n'entraîne pas de conséquences directes et prévisibles sur le résultat d'exploitation des assureurs

Au cours de l'examen des projets de loi de finances rectificative pour 2020, le Sénat a déjà eu l'occasion de se prononcer sur l'opportunité d'instaurer une taxe acquittée par le secteur assurantiel pour répondre à la crise sanitaire. Toutefois, le dispositif proposé se caractérise par une certaine originalité, en ce qu'il établit un lien causal entre l'application de l'état d'urgence sanitaire et la taxation du résultat d'exploitation des assurances non-vie .

En fondant cette contribution sur l'application de l'état d'urgence sanitaire au cours d'un exercice, les auteurs de la proposition de loi ont fait le choix d'instaurer un dispositif pérenne , pour l'avenir, qui ne trouverait à s'appliquer qu'en cas de crise sanitaire suffisamment grave pour que l'état d'urgence sanitaire soit déclaré et appliqué sur tout, ou partie, du territoire.

Le rapporteur relève que ce choix est évidemment guidé par l'expérience des mesures administratives prises au cours du premier semestre de l'année 2020, et qui, dans le cadre du nouvel état d'urgence sanitaire, ont mis à l'arrêt notre économie pendant plusieurs mois.

Toutefois, si l'épisode de confinement du printemps s'est tenu sous le sceau de la première application de l'état d'urgence sanitaire, le rapporteur souligne que la déclaration et l'application de cet état d'urgence spécifique peuvent entraîner des conséquences économiques et sociales très variables selon l'ampleur et la durée des mesures administratives pouvant être prises.

Dans cette perspective, l'état d'urgence sanitaire constitue davantage une « boîte à outils » pour que le pouvoir exécutif prenne des mesures justifiées par la crise sanitaire, plutôt qu'un état standardisé , qui constituerait l'étalon d'une économie frappée par une crise sanitaire.

Il en est pour preuve la variation de l'activité économique entre les deux périodes d'application de l'état d'urgence sanitaire au cours de l'année 2020, la première s'étalant entre le 23 mars et le 11 juillet, et la seconde ayant été initiée le 17 octobre 2020. Comme le montre la direction générale du trésor 11 ( * ) , la baisse de l'activité s'est traduite par une contraction de 30 % du produit intérieur brut (PIB) lors du premier confinement, et contre 20 % lors du second confinement . Cette moindre réduction de l'activité s'explique par les mesures administratives prises lors de cette seconde vague qui, par exemple, restreignent moins la liberté de circulation.

Par conséquent, le rapporteur estime que la simple application de l'état d'urgence sanitaire peut difficilement constituer un marqueur fiable pour caractériser la situation économique d'un secteur d'activité comme les assurances non-vie . Un dispositif fiscal qui entendrait se fonder sur la déclaration de l'état d'urgence sanitaire introduirait une confusion problématique entre les mesures prises pour endiguer l'épidémie et leurs conséquences économiques et sociales, qui varient selon la nature des mesures prises.

Ce constat est renforcé par le fait que le dispositif proposé ne prévoit aucune durée ni ampleur géographique minimales d'application de l'état d'urgence sanitaire .

En effet, les assurances non-vie pourraient être redevables de cette contribution, assise sur la hausse de leur résultat d'exploitation par rapport aux trois derniers exercices clos, dans le cas où l'état d'urgence sanitaire serait déclaré par décret en conseil des ministres pour une durée brève , sans prorogation au-delà d'un mois autorisée par le Parlement, et motivée par un péril pour la santé de la population circonscrit localement .

Par ailleurs, le résultat d'une assurance non-vie peut être dégradé au cours d'un exercice pendant lequel l'état d'urgence sanitaire est appliqué, sans lien avec ce dernier . Ainsi, en avril et mai 2020, les sinistres payés en raison des catastrophes naturelles auraient augmenté de 43 % par rapport à la même période en 2019 12 ( * ) .

Ainsi, le rapporteur ne partage pas l'idée selon laquelle l'expérience des premières applications de l'état d'urgence sanitaire puisse fonder une nouvelle « doctrine » fiscale instaurant une contribution exceptionnelle, résultant automatiquement de l'application de cet état juridique particulier. Le régime juridique de l'état d'urgence sanitaire a été justifié par sa plasticité et son adaptabilité à une grande diversité de catastrophes sanitaires, ayant pour point commun de mettre en péril, par leur nature et leur gravité, la santé de la population 13 ( * ) .

Par ailleurs, le rapporteur s'oppose au principe d'une taxation systématique d'un effet d'aubaine supposé qui pourrait donner lieu, une fois ce principe élargi à l'ensemble d'une politique fiscale, à des revendications, chaque année, de taxation sectorielle éparses.

Chaque application de l'état d'urgence sanitaire donnant lieu à des conséquences économiques et sociales spécifiques, et donc à des effets variables sur l'activité des assurances non-vie, le rapporteur s'oppose également au principe d'un dispositif de taxation pérenne, et privilégie, si un dispositif fiscal devait être mis en oeuvre, une taxe ponctuelle, calibrée selon les effets propres à chaque application de l'état d'urgence sanitaire .

À ce titre, les dispositifs fiscaux adoptés dans notre assemblée lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 14 ( * ) et du projet de loi de finances pour 2021 15 ( * ) , le premier à l'initiative du Gouvernement, et le second à l'initiative du Sénat, s'inscrivent pleinement dans cette perspective. Ils constituent, en effet, des dispositifs exceptionnels , n'ayant vocation à s'appliquer qu'au cours d'un ou de deux exercices budgétaires.

2. La profitabilité de la crise sanitaire pour les assureurs est un postulat à nuancer

Comme indiqué dans l'exposé des motifs de la présente proposition de loi, l'objectif de ses auteurs est de cibler les « sur-bénéfices » engrangés du fait de la crise sanitaire. L'idée d'une profitabilité de la crise sanitaire pour les assureurs non-vie constitue le second postulat sur lequel repose le dispositif proposé , après celui selon lequel chaque application de l'état d'urgence sanitaire entraîne des conséquences identiques sur le secteur assurantiel.

Dès le début de la crise sanitaire, la question d'un « effet d'aubaine » de cette crise pour les assurances a été posée , en raison de la baisse de la sinistralité dans un contexte de moindre activité sociale et économique.

Le rapporteur rappelle que ce débat a été en partie entretenu par l'annonce par certains assureurs de gestes commerciaux, en particulier en matière d'assurance automobile , présentés comme la contrepartie pour les assurés d'une moindre sinistralité. Or, la diversité des politiques commerciales entre les assurances a vraisemblablement nourri une forme d'ambiguïté quant au niveau de sinistres indemnisé par les assurances.

Ce contexte a justifié l'adoption de l'article 25 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2020 16 ( * ) , introduit à l'Assemblée nationale à l'initiative de Laurent Saint-Martin, rapporteur général du budget, avec un avis favorable du Gouvernement. Cet article demande au Gouvernement de rendre un rapport au Parlement sur la participation des assurances au fonds de solidarité, ainsi qu'une évolution globale et par type de risque , depuis le 1 er juillet 2019, de la sinistralité et des sommes engagées au titre de l'indemnisation des sinistres. La commission des finances avait alors estimé que « ces données devraient permettre d'établir dans quelle mesure le confinement de la population s'est traduit par une chute de la sinistralité (...). Le cas échéant, cette baisse des sinistres permettrait ainsi de libérer des marges de manoeuvre pour les assurances qui pourraient être mobilisées au profit du fonds de solidarité » 17 ( * ) .

S'agissant de l'évolution de la sinistralité, le rapport du Gouvernement remis au Parlement se fonde sur une enquête réalisée par la direction générale du trésor auprès des trois principales fédérations professionnelles du secteur 18 ( * ) .

Le constat réalisé par cette première enquête statistique est très net : sur les mois d'avril et mai 2020, soit au cours du premier confinement, « on constate une baisse des sinistres payés de 25 %, toutes catégories d'activité non-vie confondues 19 ( * ) », correspondant à « une baisse des prestations de 1,9 milliard d'euros pour les organismes ayant participé à la remontée statistique ». Les sinistres payés diffèrent de la notion de « charge de sinistres », ce dernier représentant un agrégat plus large qui intègre les provisions pour sinistres à payer.

Toutefois, les auditions menées par le rapporteur appellent à la plus grande prudence dans l'interprétation de ces premières données élaborées en juillet dernier.

Tout d'abord, lors de son audition, la direction générale du trésor a souligné que la baisse des prestations payées au cours du premier confinement ne constituait qu'un indicateur imparfait de l'évolution globale des sinistres au cours de l'année 2020 . En effet, ces premières estimations de la baisse de la sinistralité, cantonnées à une période limitée aux mois de mars et avril derniers, risquaient d'être compensées par un phénomène de rattrapage observé au cours de la seconde moitié de l'année.

En tout état de cause, l'appréciation de l'évolution de la sinistralité pour 2020 ne pourra être menée qu' ex-post , lorsque les données définitives pour l'ensemble des assurances non-vie seront connues, soit en avril 2021.

Lors de son audition, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) , entité de supervision du secteur assurantiel , a confirmé l'inversion de tendance par rapport aux données relatives aux sinistres payés en avril et mai derniers publiées dans le rapport du Gouvernement.

Avec les précautions d'usage nécessaires pour l'interprétation de données trimestrielles intermédiaires communiquées par le secteur assurantiel, l'ACPR a indiqué au rapporteur qu'à la fin du troisième trimestre de cette année, il n'était pas observé de décrue substantielle de la charge des sinistres en assurance non-vie . Les données préliminaires reçues, qui requièrent encore que soient menés l'ensemble des contrôles qualité, font apparaître que la charge de sinistres progresserait de 6 % environ, une fois exclue l'assurance santé 20 ( * ) , cette dernière faisant figure d'exception en raison de l'important report de soins observé ces derniers mois.

Néanmoins, l'évolution globale de la sinistralité pour l'assurance non-vie masque d'importantes disparités entre les branches assurantielles .

Ainsi, l'ACPR a fait état d'une hausse significative des sinistres couverts par les contrats d'assurance de « pertes pécuniaires diverses » qui enregistrent les sinistres payés en matière d'annulation d'évènements et d'indemnisation des pertes d'exploitation, qu'il s'agisse d'une indemnisation à titre contractuel ou volontaire.

En effet, le ratio net combiné pour cette branche , c'est-à-dire le coût du sinistre et des charges d'exploitation rapporté aux primes perçues, est passé de 88,3 % au troisième trimestre de 2019 à 133,2 % au troisième trimestre de 2020 21 ( * ) . À l'inverse, ce ratio a diminué pour l'assurance automobile , hors responsabilité civile aux tiers, en passant de 101,8 % à 86,4 % en comparant les troisièmes trimestres 2019 et 2020.

Le rapporteur insiste à nouveau sur la difficulté d'extrapoler une tendance annuelle à partir de données trimestrielles encore incomplètes . Si ces dernières permettent d'apporter un premier éclairage, les auditions de la direction générale du Trésor et de l'ACPR ont souligné l'importance de conduire une évaluation ex-post plus fiable, une fois l'ensemble des données connues.

Les disparités entre les branches de l'assurance non-vie permettent de s'interroger sur l'assiette retenue par la présente proposition de loi pour définir la contribution à laquelle les assurances sont assujetties . En effet, le choix d'asseoir cette contribution sur le résultat d'exploitation apparaît problématique à double titre :

- le résultat net de l'entreprise permet de compenser les hausses de sinistres d'une branche par les économies réalisées par une autre branche , et cette mutualisation dépend du degré de spécialisation de l'assurance dans une branche ;

- le résultat dépend certes du coût du sinistre, mais également des primes perçues, qui sont soumises à la concurrence, des coûts d'exploitation, du montant des provisions techniques, et des revenus financiers issus du portefeuille mobilier de l'assurance. Sa variation n'est pas uniquement le reflet de l'évolution de la sinistralité.

La Fédération française de l'assurance (FFA) a dressé un état des lieux similaire lors de son audition par le rapporteur. Dans une note en date du 24 novembre 2020 , la FFA estime que la hausse du montant des sinistres payés en 2020 devrait s'élever à près de 2 milliards d'euros 22 ( * ) , ventilée de la façon suivante :

- une économie de 1,4 milliard d'euros sur les sinistres de la branche automobile ;

- une hausse des sinistres de la branche « professionnels » de 2,6 milliards d'euros ;

- une hausse des sinistres des autres branches de 820 millions d'euros .

Le rapporteur rappelle toutefois qu'il s'agit d'une prévision de sinistralité pour l'ensemble de l'année 2020 .

Au-delà de l'année 2020, l'ACPR a indiqué au rapporteur que les sinistres en matière d'assurance non-vie pourraient également être en hausse l'année prochaine, en raison d'une augmentation du taux de défaillance des entreprises . En effet, selon le principe dit de « portabilité », les contrats d'assurance santé collectifs et la prévoyance font obligation aux assureurs de continuer à honorer la couverture des sinistres pendant les douze mois suivant la fin du contrat de travail, alors même qu'ils ne reçoivent plus de cotisations.

À cet égard, le rapporteur souligne que cet exemple démontre que les conséquences économiques de la crise sanitaire ont un effet plus direct sur le résultat des assurances que l'application de l'état d'urgence sanitaire en lui-même .

Dès lors que les premières observations réalisées en 2020 ne permettent pas d'établir avec certitude un lien direct entre l'application de l'état d'urgence sanitaire et une hausse du résultat d'exploitation des assurances non-vie, le rapporteur estime qu'il est permis de s'interroger sur le caractère objectif et rationnel des critères qui fondent la différence de traitement proposé envers les assurances non-vie .

B. LA CONTRIBUTION DES ASSUREURS EN CAS DE CRISE SANITAIRE DOIT TENIR COMPTE DES PERSPECTIVES ASSOMBRIES DU SECTEUR

Tout d'abord, à la demande du Gouvernement, et en vertu des demandes répétées du Sénat et de l'Assemblée nationale, le secteur assurantiel a contribué au soutien du tissu économique en réponse à la crise sanitaire.

Certes, le rapporteur rappelle que cette mobilisation du secteur assurantiel s'est inscrite dans un contexte particulier, marqué par une forte défiance des assurés envers leurs assureurs , dès lors qu'il est apparu que les garanties « pertes d'exploitation » souscrites ne s'appliquaient pas, dans la plupart des contrats, au cas de la pandémie de la Covid-19.

Néanmoins, il convient d'apprécier la pertinence de toute proposition visant à taxer le secteur assurantiel à la lumière des engagements pris par celui-ci .

Pour les seuls adhérents à la FFA, l'ensemble des gestes commerciaux réalisés se serait élevé à 2,6 milliards d'euros , auxquels il faut ajouter l'abondement au fonds de solidarité à hauteur de 400 millions d'euros.

Cette mobilisation s'inscrit dans un contexte de dégradation de la solvabilité des assureurs au cours de l'année 2020 , même si celle-ci reste nettement au-dessus des règles prudentielles .

Dès le mois de juillet dernier, dans son rapport remis au Parlement, le Gouvernement pointait les effets de la crise de la Covid-19 sur le bilan des organismes d'assurance, vie et non-vie confondus. Ainsi, le Gouvernement indiquait que les fonds propres des assureurs ont baissé de 40 milliards d'euros au cours du premier trimestre , en raison de la chute des marchés qui a dégradé la valorisation du portefeuille de valeurs mobilières des assureurs, réduisant leurs actifs.

Certes, un rebond des marchés financiers a été observé depuis, mais le Gouvernement estimait en juillet que celui-ci « ne permettra sans doute pas un retour rapide à la situation de départ » 23 ( * ) .

Au-delà de la question conjoncturelle, liée aux conséquences économiques de la crise sanitaire, les auditions menées par le rapporteur ont mis en exergue la baisse tendancielle de la profitabilité de l'assurance non-vie depuis plusieurs années .

Comme l'ont souligné la direction générale du trésor et l'ACPR, la persistance d'un environnement de taux bas depuis plusieurs années fait peser un risque sur la capacité des assureurs à servir les taux d'intérêt pour lesquels ils se sont engagés envers leurs assurés, en raison de la baisse des rendements des actifs sous-jacents. Cette tendance réduit les marges de manoeuvres dont disposent les assurances pour équilibrer leurs bilans grâce à leur portefeuille de valeurs mobilières .

Or, les revenus tirés du portefeuille d'actifs permettent, pour certaines branches, d'être maintenues à l'équilibre malgré un montant de charges - incluant le coût des sinistres et les charges d'exploitation - supérieur au montant des primes reçues . Il en va ainsi de l'assurance automobile obligatoire dont le ratio combiné, c'est-à-dire les charges de l'assureur rapportées au montant des primes, s'est élevé en moyenne à 111 % 24 ( * ) sur toute l'année 2019, soit avant la crise sanitaire. Pour cette branche, la hausse de la sinistralité s'explique essentiellement par l'augmentation du coût des réparations automobile, et par la hausse du montant des indemnités versées aux victimes des accidents.

Dans cette perspective, le rapporteur appelle à la plus grande vigilance quant à l'appréciation des conséquences de la baisse de la sinistralité sur les résultats des assurances non-vie .

C. UNE PROPOSITION ALTERNATIVE : MOBILISER LES ASSUREURS FACE À LA CRISE SANITAIRE VIA LEUR CoeUR DE MÉTIER, C'EST-À-DIRE PAR LA COUVERTURE DE RISQUES

Pour l'ensemble des raisons précédemment exposées, le rapporteur estime que le dispositif proposé par la présente proposition de loi ne semble pas de nature à garantir une mobilisation pertinente du secteur assurantiel en cas de crise sanitaire .

Il considère qu'une telle mobilisation est justifiée , au regard du rôle essentiel du secteur assurantiel dans le financement de l'économie, et étant donné que les assurés se tournent en premier lieu vers lui en cas de mauvaise fortune.

Pour l'avenir, le rapporteur considère que les leçons de l'actuelle crise sanitaire doivent être tirées en organisant de façon pragmatique et pérenne la participation des assureurs au soutien de l'économie. Le rapporteur partage la conviction selon laquelle cette participation doit reposer sur le coeur de métier des assureurs, à savoir l'indemnisation d'un risque prévue contractuellement .

En effet, dès le début de la crise sanitaire, la faible application des garanties facultatives « pertes d'exploitation » souscrites par les entreprises 25 ( * ) a contribué à entretenir l'idée que les assureurs ne jouaient qu'incorrectement leur rôle de garant dans le contexte d'une crise pénalisant leurs assurés, sans qu'ils puissent en être tenus responsables.

Dans cette perspective, la proposition de loi adoptée en juin dernier par le Sénat 26 ( * ) , à l'initiative de Jean-François Husson et de plusieurs de ses collègues, constitue une première réponse adéquate , en proposant l'instauration d'une garantie obligatoire pour indemniser les entreprises en cas de crise sanitaire.

Le rapporteur invite le Gouvernement à se saisir de cette proposition de loi, et à l'enrichir dans le cadre de la navette parlementaire , des propositions issues de la réflexion menée par le Gouvernement en la matière.

À court terme, et dans l'attente de l'instauration d'un tel dispositif, cette proposition n'épuise pas la question de la contribution financière des assureurs en réponse à la crise sanitaire . Si le rapporteur ne partage pas les objectifs du dispositif proposé par la présente proposition de loi, il invite néanmoins le secteur assurantiel à maintenir son effort en faveur du soutien à l'économie, en tant qu'acteur essentiel de financement de celle-ci.

Décision de la commission : la commission des finances n'a pas adopté cet article.


* 1 Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020.

* 2 Décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.

* 3 Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, et décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020.

* 4 Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, et décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.

* 5 Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 et décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.

* 6 Proposition de loi n° 2775 déposée le 24 mars 2020 par MM. Éric Woerth, Damien Abad et Christian Jacob.

* 7 Proposition de loi n° 394 déposée le 27 mars 2020 par Mme Catherine Dumas et plusieurs de ses collègues ; proposition de loi n° 399 déposée le 8 avril 2020 par M. Jean-Pierre Decool et plusieurs de ses collègues.

* 8 Proposition de loi n° 402 (2019-2020) tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d'une menace ou d'une crise sanitaire majeure, adoptée par le Sénat le 2 juin 2020.

* 9 Amendement 338.

* 10 Amendements identiques 265 rect. ter et 76.

* 11 « Confinement-reconfinement », billet publié le 4 novembre 2020 par Agnès-Benassy Quéré, cheffe économiste de la direction générale du trésor.

* 12 Rapport du Gouvernement au Parlement en application de l'article 25 de la loi n° 2020-473 du 25  avril 2020 de finances rectificative pour 2020, p. 10.

* 13 Article L. 3131-12 du code de la santé publique.

* 14 Taxe sur les complémentaires santé instituée pour les exercices 2020 et 2021 par les articles 3 et 10 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

* 15 Amendement I-58 rect . de la commission des finances adopté lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2021.

* 16 Article 25 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020.

* 17 Rapport n° 406 (2019-2020) fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances rectificative adopté par l'Assemblée nationale, pour 2020, par M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, p. 186.

* 18 Fédération française de l'assurance (FFA), Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), et le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP).

* 19 Intégrant ainsi les assurances santé, dommages corporels hors santé, dommages aux biens des particuliers, dommages aux biens des professionnels, catastrophes naturelles, responsabilité civile générale, protection juridique, pertes pécuniaires diverses, et construction.

* 20 Réponse écrite de l'ACPR au rapporteur.

* 21 Réponse écrite de l'ACPR au rapporteur.

* 22 Ce montant a également été évoqué par la Présidente de la FFA, Florence Lustman, lors de son audition par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale, le 25 novembre 2020.

* 23 Rapport transmis en application de l'article 25 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020, p.7.

* 24 Moyenne sur l'année 2019 établie à partir des données transmises par l'ACPR.

* 25 Selon un état des lieux publié par l'ACPR le 28 juin dernier, seuls 7% des contrats de garantie des pertes d'exploitation sont susceptibles d'entrainer une couverture des pertes d'exploitation liées à la crise sanitaire du Covid-19, dont 4 % à couverture incertaine, et 3 % à couverture garantie.

* 26 Proposition de loi n° 402 (2019-2020) tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d'une menace ou d'une crise sanitaire majeure, adoptée par le Sénat le 2 juin 2020.

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