EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 2 décembre 2020 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Claude Nougein sur la proposition de loi n° 477 (2019-2020) visant à instaurer une contribution exceptionnelle sur les assurances pour concourir à la solidarité nationale face aux conséquences économiques et sociales d'une crise sanitaire majeure, présentée par M. Olivier Jacquin et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Claude Raynal , président . -Nous examinons ce matin le rapport de Claude Nougein sur la proposition de loi visant à instaurer une contribution exceptionnelle sur les assurances pour concourir à la solidarité nationale face aux conséquences économiques et sociales d'une crise sanitaire majeure, présentée par Olivier Jacquin, dont je salue la présence, et plusieurs de ses collègues. J'indique d'ores et déjà qu'aucun amendement n'a été déposé en vue de l'élaboration du texte de la commission.

M. Claude Nougein , rapporteur . - La proposition de loi de notre collègue Olivier Jacquin - que je salue également -, a pour objet d'instaurer une contribution exceptionnelle, acquittée par les assureurs, assise sur la hausse de leur résultat d'exploitation en cas d'application de l'état d'urgence sanitaire. Elle s'inscrit dans la continuité des réflexions engagées depuis le début de la crise sanitaire, qui visent à faire participer les assureurs à l'effort national de soutien de notre tissu économique. Lors de l'examen des projets de loi de finances rectificative pour 2020 et du projet de loi de finances pour 2021, le Sénat a déjà eu l'occasion, à plusieurs reprises, de débattre de ce sujet, et de définir sa position. Le dispositif de la présente proposition de loi ne nous est d'ailleurs pas inconnu puisqu'il a été présenté, dans une rédaction différente, lors de l'examen du deuxième projet de loi de finances rectificative, puis, dans cette rédaction, lors de la discussion des troisième et quatrième projets de loi de finances rectificative pour 2020.

Contrairement aux autres dispositifs fiscaux prévoyant de taxer le secteur assurantiel que nous avons examinés au cours des derniers mois, celui-ci présente une certaine originalité en ce qu'il établit un lien causal entre l'application de l'état d'urgence sanitaire et la taxation du résultat d'exploitation des assureurs.

En effet, aux termes de l'article unique de cette proposition de loi, les assurances non-vie opérant en France sont assujetties à une contribution exceptionnelle au titre de tout exercice au cours duquel l'état d'urgence sanitaire est appliqué sur tout ou partie du territoire. Cette contribution est assise sur la hausse du résultat d'exploitation constaté au cours de l'exercice par rapport à la moyenne des trois derniers exercices clos. L'objectif est clair : taxer les « sur-bénéfices » réalisés au cours de l'état d'urgence sanitaire. Le taux de cette contribution s'élève à 80 %.

Ainsi, ce dispositif est établi sur deux présupposés : d'une part, un lien « automatique » entre l'application de l'état d'urgence sanitaire et une variation du résultat d'exploitation des assurances non-vie ; et, d'autre part, une évidente profitabilité de la crise sanitaire pour ces compagnies. Or, les auditions que j'ai menées ont conforté l'idée d'une très grande fragilité de ces deux postulats. Cela m'a conduit à conclure que le dispositif proposé est peu opérant.

Premièrement, l'idée d'un lien direct entre l'état d'urgence sanitaire et le résultat d'exploitation des assurances non-vie n'apparaît pas fondée.

Certes, en choisissant d'assujettir les assurances à cette taxe en raison de l'application de l'état d'urgence sanitaire, les auteurs de la proposition de loi ont évidemment souhaité instaurer une taxe qui ne serait appliquée qu'en cas de crise sanitaire grave. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que l'état d'urgence sanitaire peut entraîner des conséquences économiques et sociales variables selon l'ampleur et la durée des mesures administratives prises. En effet, l'état d'urgence sanitaire est une « boîte à outils » de nature à permettre au pouvoir exécutif de prendre des mesures face à une catastrophe sanitaire. Le deuxième confinement en constitue d'ailleurs une illustration parfaite : les mesures prises pour endiguer l'épidémie étant moins strictes, leurs effets sur l'activité économique sont moindres qu'au cours du premier semestre.

Ce constat est renforcé par le fait que le dispositif proposé ne prévoit aucune durée ni ampleur géographique minimales de l'état d'urgence sanitaire. Ainsi, un état d'urgence circonscrit localement, et pour une durée brève, un mois par exemple, entraînerait d'office un assujettissement de l'ensemble des assurances non-vie à cette contribution.

De la même façon, le résultat des assurances non-vie peut se dégrader au cours de l'application de l'état d'urgence sanitaire, sans aucun lien avec celui-ci. Ainsi, en mai et avril derniers, les sinistres payés au titre des catastrophes naturelles ont augmenté de 43 % par rapport à la même période en 2019.

Compte tenu de ces éléments, je ne partage pas l'idée selon laquelle les premières expériences liées à l'application de l'état d'urgence sanitaire puissent fonder une nouvelle « doctrine » fiscale. Je suis très réservé sur le principe d'instaurer une disposition fiscale pérenne, alors que chaque état d'urgence sanitaire a ses propres caractéristiques.

Deuxièmement, le dispositif proposé repose sur un second postulat, à savoir l'idée d'une profitabilité de la crise sanitaire pour les assureurs non-vie. La question d'un possible « effet d'aubaine » de cette crise a jalonné nos débats depuis le début de l'épidémie, en raison de la baisse de la sinistralité. Ce contexte a d'ailleurs justifié que le Parlement demande un rapport au Gouvernement, dans le cadre de la deuxième loi de finances rectificative, sur l'évolution de la sinistralité par rapport à 2019.

Ce rapport, qui a été remis en juillet dernier, se fonde sur une enquête statistique partielle pilotée par la direction générale du Trésor (DGT). Le constat de cette première enquête est très clair : en avril et mai 2020, on observe une baisse de 25 % des sinistres payés, toutes catégories d'assurances non-vie confondues, ce qui correspond à une réduction de 1,9 milliard d'euros du montant des prestations payées. Néanmoins, les auditions que j'ai menées m'ont encouragé à la plus grande prudence dans l'interprétation de ces premières données.

En effet, lors de son audition, la DGT a souligné que l'appréciation de l'évolution de la sinistralité pour 2020 ne pourra être menée qu' ex post , lorsque les données définitives pour l'ensemble des assurances non-vie seront connues, soit en avril 2021.

De son côté, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), entité de supervision du secteur assurantiel, a confirmé une tendance inverse par rapport aux données publiées dans le rapport du Gouvernement et relatives aux sinistres payés en avril et mai dernier. Avec les précautions d'usage nécessaires pour l'interprétation de données trimestrielles intermédiaires, l'ACPR a indiqué que, à la fin du troisième trimestre de cette année, il n'était pas observé de décrue substantielle de la charge des sinistres en assurance non-vie, à l'exception de l'assurance santé. En effet, cette dernière fait figure d'exception en raison de l'important report de soins observé ces derniers mois.

Ce constat s'explique notamment par des disparités entre les branches assurantielles. Par exemple, l'ACPR a fait état d'une hausse significative des sinistres couverts par les contrats d'assurance de « pertes pécuniaires diverses », qui enregistrent les sinistres payés en matière d'annulation d'événements et d'indemnisation des pertes d'exploitation, qu'il s'agisse d'une indemnisation à titre contractuel ou volontaire.

Enfin, la Fédération française de l'assurance (FFA) a dressé un état des lieux similaire lors de son audition. Dans une note réalisée la semaine dernière, elle évalue la hausse du montant des sinistres payés en 2020 à près de 2 milliards d'euros, nette des économies réalisées sur les sinistres de la branche automobile. Cette estimation doit toutefois être reçue avec prudence, étant donné qu'il s'agit d'une prévision sur l'ensemble de l'année 2020.

Au-delà de la sinistralité au cours de l'année 2020, les sinistres en matière d'assurance non-vie pourraient également être en hausse l'année prochaine, en raison d'une augmentation du taux de défaillance des entreprises. En effet, selon le principe dit de « portabilité », les contrats d'assurance santé collectifs font obligation aux assureurs de continuer à honorer la couverture des sinistres pendant les douze mois suivant la fin du contrat de travail, alors même qu'ils ne reçoivent plus de cotisations. Cet exemple montre bien la difficulté du dispositif proposé : les conséquences économiques de la crise sanitaire ont un effet bien plus direct sur le résultat des assurances que l'application de l'état d'urgence sanitaire en elle-même.

Aussi, je suis opposé au principe d'une taxation systématique d'un prétendu effet d'aubaine qui pourrait donner lieu, chaque année, à des revendications sectorielles éparses. Allons-nous proposer de taxer les fabricants de parapluies lorsqu'une année est marquée par un record de pluviométrie, ou encore les fabricants de crème glacée en cas de canicule ?...

Au-delà de la question du caractère opportun du dispositif proposé, il me semble indispensable d'apprécier toute proposition de contribution au regard des engagements déjà pris par le secteur des assurances depuis le début de la crise sanitaire.

Certes, nous nous souvenons tous que ces engagements ont été pris dans un contexte particulier, marqué par une forte défiance des assurés envers les assureurs, dès lors qu'il est apparu que la plupart des garanties « pertes d'exploitation » souscrites par les entreprises ne donnerait pas lieu à une indemnisation. Cependant, nous ne pouvons ignorer l'ensemble des gestes commerciaux consentis par le secteur.

Par ailleurs, les auditions ont été particulièrement éclairantes quant aux perspectives du secteur assurantiel. En effet, la solvabilité est un facteur essentiel. L'année 2020 a été marquée par une dégradation de la solvabilité des assureurs, même si celle-ci reste nettement au-dessus des ratios prudentiels exigés. Ainsi, au cours du premier semestre, les fonds propres des assureurs ont baissé de 40 milliards d'euros en raison du repli des marchés financiers et de la réduction de la valorisation des portefeuilles d'actifs des assureurs.

Au-delà de cette question conjoncturelle, l'ACPR fait état d'une baisse tendancielle de la profitabilité de l'assurance non-vie depuis plusieurs années. En effet, la persistance d'un environnement de taux bas réduit les marges de manoeuvre dont disposent les assureurs pour équilibrer leurs bilans grâce à leur portefeuille de valeurs mobilières. Or, les revenus des placements financiers permettent d'équilibrer des branches qui sont déjà sous tension, à l'image de l'assurance automobile obligatoire pour laquelle le coût des sinistres ne cesse d'augmenter.

Pour l'ensemble de ces raisons, le dispositif proposé ne semble pas de nature à garantir une mobilisation pertinente du secteur assurantiel en cas de crise sanitaire.

Pour l'avenir, il est évident que nous devons tirer les leçons de la crise sanitaire en organisant de façon pragmatique et pérenne la participation des assureurs au soutien de l'économie. Cette participation doit reposer, j'en suis convaincu, sur le coeur de métier des assureurs, à savoir l'indemnisation d'un risque prévue contractuellement.

La prise en charge limitée, ou même inexistante la plupart du temps, des pertes d'exploitation des entreprises a entretenu l'idée que les assureurs n'ont pas joué correctement leur rôle de garant contre la mauvaise fortune. Dans cette perspective, la proposition de loi adoptée le 2 juin dernier, à l'initiative du rapporteur général, constitue une première réponse adéquate.

À court terme, et dans l'attente de l'instauration d'un tel dispositif, il est certain que la question de la participation financière des assureurs n'est pas complètement épuisée, notamment en raison de la seconde vague que nous connaissons et de la prorogation du fonds de solidarité. Sur ce point, le Sénat a clairement exprimé sa position lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2021, en adoptant une taxe ponctuelle de 2 %, uniquement au titre des primes perçues au cours de l'année 2020, ce qui représente 1,2 milliard d'euros. De plus, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), le Gouvernement a prévu une taxe sur les complémentaires santé à hauteur de 1 milliard d'euros en 2020 et de 500 000 euros en 2021.

Aussi, je vous recommande de ne pas adopter la présente proposition de loi ; la discussion en séance publique porterait ainsi sur le texte initial.

En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution adopté par la Conférence des présidents, en vue du dépôt des amendements de séance, je vous propose de considérer qu'entrent dans le périmètre de la proposition de loi toutes dispositions fiscales visant à définir les redevables, l'assiette, le taux, les modalités de recouvrement, et autres modalités d'application d'une contribution acquittée par le secteur assurantiel en lien avec une crise sanitaire majeure.

M. Olivier Jacquin , auteur de la proposition de loi . - À cause de la crise sanitaire actuelle, des entreprises vont crever. Parallèlement, certains secteurs d'activité se portent bien, et c'est tant mieux ; je pense aux entreprises du secteur de la santé, aux pompes funèbres, à la grande distribution, au commerce électronique. Pendant le premier confinement, le secteur de l'assurance a été pointé : alors que nous payons nos cotisations d'assurance annuellement, nos voitures ont été immobilisées, et il n'y a plus eu d'accidents. Très rapidement, dans le débat public, on s'est demandé qui allait payer la crise. Doit-on condamner les entreprises qui vont mal et applaudir celles qui profitent de la situation ?

Le rapport du Gouvernement publié en juillet dernier, nous l'avons obtenu collectivement de haute lutte, et il nous éclaire un peu. Lors de l'examen du deuxième projet de loi de finances rectificative (PLFR2), Albéric de Montgolfier, alors rapporteur général, avait demandé que cette question soit approfondie. Ce rapport mentionne une baisse de la sinistralité dans l'assurance non-vie à 1,9 milliard d'euros lors de la première période de confinement, comme l'a souligné le rapporteur, et des « sur-profits » liés à la situation dans certains secteurs. L'APCR indique toutefois qu'il faut attendre la fin de l'exercice pour avoir plus de visibilité.

Les compagnies d'assurances ne se résument pas aux douze majors qui font régulièrement de la publicité à destination du grand public ; une multitude de petites sociétés sont spécialisées dans des créneaux très particuliers. La situation d'une société spécialisée dans la prise en charge de l'annulation d'événements culturels n'a rien à voir avec celle d'un assureur automobile, qui a fait des économies considérables.

Le dispositif qui vous est présenté n'est pas un « one shot » : il serait déclenché en fonction d'un outil administratif rare, mais voué à se généraliser, l'état d'urgence sanitaire. En plus, il n'est non pas aveugle, mais juste, pragmatique et proportionné puisqu'il se fonde sur des sur-profits réalisés lorsque l'état d'urgence sanitaire est appliqué, en se calant sur le dispositif retenu pour l'impôt sur les sociétés (IS). On compare le résultat d'exploitation de l'exercice au cours duquel l'état d'urgence sanitaire est appliqué avec la moyenne des trois derniers exercices. Et que l'on ne parle pas de spoliation ! Seul le « sur-profit » est prélevé à hauteur de 80 %.

Le rapporteur a parlé de la hausse du nombre de sinistres au titre des catastrophes naturelles au cours de la même période ; j'ai les mêmes chiffres que vous.

Dans le cadre du premier projet de loi de finances rectificative pour 2020, un amendement de M. Retailleau a proposé d'augmenter une taxe sur les excédents de provisions d'assurance dommages : elle devait rapporter quelques dizaines de millions d'euros, à rapprocher des 2 milliards que nous évoquons. Cette taxe n'a pas prospéré, car elle n'a pas été retenue par la commission mixte paritaire. Le Gouvernement a aussi usé d'une astuce fiscale courante en créant une taxe additionnelle à la taxe de solidarité additionnelle (TSA) dans le PLFSS pour 2021. Aucun de nos concitoyens n'en voit directement l'effet. Cette taxe discrète a augmenté de manière considérable depuis sa création. Récemment, le Sénat a adopté, à l'initiative de la commission des finances, une taxe au taux initialement fixé à 1 % sur les primes d'assurance dommages, une taxe totalement aveugle, sur toutes les assurances. Le sous-amendement de M. Delahaye l'a portée à 2 %. Je ne vous dis pas ce qu'en pense la société d'assurance spécialisée dans la prise en charge de l'annulation d'événements culturels !

La proposition de Jean-François Husson de couvrir un nouveau risque est une très bonne chose. On l'a vu, de nombreux restaurateurs pensaient être couverts par le risque de fermeture administrative. Mais l'outil que vous proposez n'a pas du tout la même finalité : il vise à améliorer la couverture des risques, tandis que le nôtre tend à opérer un prélèvement juste au bénéfice des entreprises en difficulté.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je remercie Claude Nougein d'avoir bien décrit le contexte. Évitons de sur-réagir en ces temps de crise liée à la pandémie. À cet égard, au travers de sa déclaration hier, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, manie « la carotte et le bâton » en demandant le gel des primes d'assurances acquittées par un certain nombre d'entreprises de secteurs d'activité affectés par la crise sanitaire, alors même que ce sont les décisions de l'État qui ont des conséquences sur ces secteurs. En faisant cette demande, le ministre outrepasse son rôle, l'État doit avoir une vision systémique.

Comme le rapporteur l'a souligné, on ne peut pas prévoir un principe de taxation systémique. D'ailleurs, ce dispositif me semble difficile à gérer, avec une contribution assise sur la hausse du résultat d'exploitation par rapport à la moyenne des trois derniers exercices. La contribution exceptionnelle que le Sénat a adoptée dans le projet de loi de finances pour 2021 présente l'avantage de placer la communauté des assureurs dans une même logique. Que penseraient les sociétaires de la MAIF qui, après avoir bénéficié d'une ristourne, verraient leur compagnie être prélevée de 80 % d'un profit exceptionnel ? Je rappelle que les cotisations sont versées par les assurés. C'est pourquoi je n'étais pas favorable à taxer les réserves de capitalisation des assurances, comme cela a été proposé à plusieurs reprises, car l'État serait un peu « Robin des bois » : cette cagnotte, c'est l'argent des assurés !

Le rôle du législateur est d'être vigilant. Une contribution exceptionnelle des assurances me paraît plus logique parce qu'elle est circonstanciée dans le temps et dans le périmètre.

Ne jouons pas les justiciers. Je reconnais les avantages d'une économie ouverte et libérale, tout en ayant un cadre de régulation, y compris au travers de mesures exceptionnelles lorsque surviennent des situations exceptionnelles. La pandémie est un risque systémique qui concerne tout le monde en même temps. La proposition de loi que nous avons adoptée en juin dernier a une logique : dans un premier temps, une garantie couverte par les assurés entre eux au travers d'une contribution additionnelle obligatoire afin de n'exclure personne, et une indemnité si le risque est avéré et, dans un second temps, une action conjointe de l'État et des assureurs en cas de crise sanitaire majeure.

Pour ces raisons, je me range à l'avis du rapporteur.

M. Éric Bocquet . - Nous le disons depuis des semaines, cette crise historique a des conséquences graves sur le plan économique et sur le plan social. Dans ce contexte très difficile, il se trouve que certains secteurs d'activité s'en sortent beaucoup mieux, voire très bien, dont la grande distribution, les assurances, le numérique. Qui le rapporteur a-t-il auditionné ? Des assureurs, j'imagine, mais a-t-il auditionné des restaurateurs, par exemple ? En effet, 7 % d'entre eux ont souscrit des contrats prévoyant une clause pandémie, mais n'ont pas obtenu d'indemnités - certaines affaires sont portées devant les tribunaux.

Dans le Journal du dimanche , le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, assureur de profession, a indiqué qu'il fallait taxer les assureurs - vous êtes donc en désaccord avec lui. Les assureurs ont promis 2,3 milliards d'euros pour venir en aide aux entreprises et aux populations les plus touchées, mais c'est une promesse. Vous avez cité la MAIF : elle a effectivement reversé 100 millions d'euros à ses adhérents, mais elle n'a pas été suivie par les autres compagnies. Donnons donc de la force à la loi pour contraindre les assureurs. Les réserves sont là ; l'assurance automobile a enregistré 2 milliards d'euros de bénéfices pendant la pandémie. On ne peut pas se contenter de tendre la sébile en espérant l'obole. À un moment donné, il faut prendre des décisions. C'est pourquoi nous soutiendrons cette proposition de loi.

M. Michel Canevet . - Je ne partage pas du tout l'esprit de cette proposition de loi intergroupe. Eu égard aux circonstances exceptionnelles, il ne me semble pas utile de recourir à un dispositif systématique. Si l'état d'urgence sanitaire est proclamé pendant plusieurs années de suite, comment fera-t-on ? Ne faut-il pas au contraire que les compagnies d'assurance réalisent des provisions pour y faire face ?

Par ailleurs, est-ce bien le résultat d'exploitation auquel il faut faire référence ? Il suffit d'ajuster les dotations aux provisions pour réadapter le résultat d'exploitation et, donc, contourner le dispositif ici proposé. Un texte définissant des orientations pour mieux assurer les risques inhérents à des circonstances exceptionnelles aurait plus de sens. Or le mécanisme que vous instituez risque d'avoir des effets qui iront à l'encontre de l'objectif poursuivi : des assureurs délocaliseront une partie de leurs activités pour éviter cette contribution de 80 % ou ne réaliseront pas de provisions, alors que là est leur mission pour faire face à d'éventuels risques. Aussi, je ne partage pas du tout l'esprit ni la philosophie de ce texte.

M. Philippe Dallier . - Même si le confinement n'a pas été appliqué partout de la même manière, d'autres pays européens ont-ils pris des décisions analogues pour faire contribuer les assureurs ?

M. Charles Guené . - Je suis assez sensible à cette contribution fondée sur le résultat d'exploitation, car la notion du chiffre d'affaires m'a toujours gêné. Cependant, cette proposition de loi a trois défauts majeurs. Premièrement, elle est systémique. Si le dispositif proposé ne concernait que la pandémie actuelle, j'aurais pu y adhérer. Deuxièmement, pourquoi ne cibler que les assurances ? D'autres secteurs d'activité peuvent profiter d'effets d'aubaine. Troisièmement, enfin, en visant le résultat d'exploitation, le résultat comptable peut différer avec les provisions. C'est pourquoi je ne suis pas favorable à ce texte.

M. Thierry Cozic . - Je défends le mécanisme proposé par notre collègue Olivier Jacquin : celui-ci est juste et proportionné. Le dispositif vise non pas à ponctionner les profits des assureurs, mais les sur-profits. Eu égard au système de financement des assurances, ces derniers ont été indûment obtenus et doivent faire l'objet d'un prélèvement au profit des assurés.

Par ailleurs, ce dispositif vient en complément des dispositifs votés par le Sénat ou proposés par le Gouvernement. Et interrogeons-nous sur les propos du président des Hauts-de-France - nous n'avons pas les mêmes accointances politiques -, qui a indiqué que les assurances avaient fait de gros profits et qu'elles doivent être mises à contribution pour aider les commerçants et les restaurateurs victimes de fermetures administratives. De même, le ministre de l'économie demande un effort aux assureurs. Voilà qui confirme que cette proposition de loi a toute sa place aujourd'hui.

M. Claude Nougein , rapporteur . - Pour répondre à Éric Bocquet, le Sénat a déjà voté 2,2 milliards d'euros de taxations supplémentaires, si on additionne la taxe sur les complémentaires santé prévue dans le PLFSS pour 2021, et la contribution exceptionnelle sur les primes d'assurance dommages introduite dans le projet de loi de finances pour 2021. Je reconnais volontiers que les assureurs sont maladroits dans leur communication et leur comportement. La presse fait état, pour 2021, de hausse sur les primes à hauteur de 2 % environ pour l'assurance automobile ; ces annonces peuvent être vécues comme une provocation. Le ministre de l'économie a déclaré qu'il demandait aux assureurs de faire un geste significatif, à savoir de ne pas appliquer de hausse de primes aux restaurateurs et aux commerçants ; en contrepartie, il bloquerait la taxe de 2 % proposée par le Sénat. Il demande donc un geste de leur part, pour éviter une taxation à hauteur de 1,2 milliard d'euros. Il en va de l'intérêt des assureurs de suivre la recommandation du ministre.

Vous évoquez les sur-profits de la grande distribution ; c'est absolument faux. Le chiffre d'affaires des très grandes surfaces aurait baissé de 20 % pendant les deux confinements ; en revanche, les petites et moyennes surfaces auraient vu le leur exploser.

S'agissant de la mise en oeuvre de la garantie « pertes d'exploitation », pour les restaurateurs notamment, les assureurs avaient exclu leur application à une crise sanitaire comme celle que nous connaissons dans la plupart des contrats. Toutefois, pour 3 % des contrats, les clauses étant mal écrites, ils ont été contraints de rembourser ; pour 4 % les contrats étaient ambigus, l'affaire est portée en contentieux, avec des différences d'appréciation. Cela signifie que 93 % des contrats ne souffrent d'aucune ambiguïté.

Il s'agit donc de reconnaître que les assureurs ont fait des gestes. Par exemple, bailleurs dans des sociétés foncières, ils ont fait, comme tous les bailleurs, cadeau de deux mois de loyer. Ils ont également continué d'assurer des personnes ou des entreprises ne payant plus leurs cotisations. Certes, il faut leur tordre le bras, mais des gestes commerciaux ont été faits.

Comme Michel Canevet l'a exprimé, le problème n'est pas de taxer ou de ne pas taxer les compagnies d'assurance ; c'est le mécanisme de la taxe qui est dangereux. Par ailleurs, si cette proposition de loi devait suivre un parcours parlementaire classique, elle ne pourrait pas s'appliquer avant 2021 et ne répondrait donc pas à la crise sanitaire de 2020 ; elle s'appliquerait pour les futures crises sanitaires, sans préciser la durée, ni l'échelle, nationale ou locale.

Le danger serait également de servir d'exemple pour d'autres secteurs ; quand on met le doigt dans l'engrenage avec une taxation systématique en cas d'état d'urgence sanitaire, le bras entier peut y passer.

Pour répondre à Philippe Dallier, la direction générale du Trésor nous a indiqué que des réflexions étaient en cours dans d'autres pays européens, mais pour l'instant, ils ne semblent pas privilégier de dispositifs similaires. Souvent, en France, nous avons des idées d'impôts et de taxations assez originales, mais il est inutile de les breveter, car personne ne les suit...

Charles Guené, l'appréciation de résultats comptables est un élément important. Cette année, il peut y avoir de fortes dépréciations. Sur le bilan 2020, à mon avis, entre les engagements extracontractuels, les contributions exceptionnelles, et les dépréciations, il n'y aura pas de sur-profits.

Thierry Cozic souhaiterait ponctionner les sur-profits. Vous citez Xavier Bertrand, qui déclare vouloir mettre à contribution les assurances ; ce n'est pas le sujet, puisque le Sénat a déjà décidé de mettre à contribution les assurances à hauteur de 2,2 milliards d'euros. Faut-il aller plus loin ? Les assureurs doivent contribuer à l'effort de solidarité nationale, mais nous ne sommes pas là pour tuer la poule aux oeufs d'or. Il est important de rester raisonnable.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Le périmètre de la proposition de loi est adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposé sur le Bureau du Sénat.

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