EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 13 janvier 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport de Mme Laurence Rossignol, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 23, 2020-2021) visant à renforcer le droit à l'avortement.

Mme Catherine Deroche , présidente. - Nous allons examiner le rapport de notre collègue Laurence Rossignol sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer le droit à l'avortement. Ce texte a été inscrit à l'ordre du jour du mercredi 20 janvier au sein de l'espace réservé au groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Laurence Rossignol , rapporteure. - En ce début d'année, je souhaite à notre commission une année de travaux utiles. Dans la crise sanitaire actuelle, nous avons un rôle déterminant à jouer pour établir des diagnostics et formuler des propositions.

La proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement a été déposée par une députée actuellement non inscrite, Albane Gaillot, et cosignée par de nombreux députés, de différents groupes.

De manière assez inhabituelle, nous avons donc demandé l'inscription à l'ordre du jour, dans le cadre de notre espace réservé, d'un texte qui n'est issu ni de nos rangs ni de ceux nos correspondants directs à l'Assemblée nationale. C'est qu'il vise un objectif que nous soutenons et qui, j'imagine, est assez largement partagé : sécuriser le parcours de soins des femmes ayant recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG).

Avant tout, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.

Je considère que le périmètre du texte comprend les dispositions relatives aux conditions de réalisation d'une IVG, aux protections des femmes recourant à l'IVG et à leurs conditions d'accès à celle-ci, ainsi qu'aux compétences et obligations des professionnels de santé en matière d'IVG.

En revanche, des amendements relatifs aux conditions de réalisation d'une interruption médicale de grossesse (IMG), à la contraception ou à la prévention des infections sexuellement transmissibles ne me sembleraient pas présenter de lien, même indirect, avec le texte en discussion - même si ces sujets pourront être abordés dans nos débats sur la politique générale de santé sexuelle et reproductive.

Dépénalisée par la loi Veil - qu'on pourrait peut-être appeler la loi Veil-Halimi -, l'interruption volontaire de grossesse reste un sujet politiquement sensible. Voilà quarante-six ans, les femmes ont conquis un droit : celui de disposer de leur corps dans des conditions garantissant leur santé et leur sécurité, en dehors de toute pression et sans rencontrer d'obstacle financier ou matériel.

L'effectivité du droit à l'IVG requiert une vigilance constante. Ainsi, pendant la crise sanitaire, les mesures de confinement et les perturbations de l'offre de soins en ville comme à l'hôpital ont fortement pesé sur l'accès des femmes les plus vulnérables à l'IVG. Le retour à la normale ne signera pourtant pas la fin de ces difficultés d'accès, qui sont d'ordre structurel.

De fait, l'activité d'IVG reste bien souvent marginalisée, voire négligée, dans l'organisation des soins hospitaliers. Dans un contexte où le nombre de centres habilités à pratiquer l'IVG diminue et où certaines femmes sont contraintes de parcourir de longues distances pour avorter, nous devons garder à l'esprit que rien ne sera acquis en matière de droit à l'IVG tant que l'effectivité de celui-ci ne sera pas garantie en tout point du territoire.

La présente proposition de loi aborde deux questions majeures, dont nous avons déjà eu l'occasion de débattre : l'allongement de deux semaines du délai légal d'accès à l'IVG et la suppression de la clause de conscience spécifique à l'IVG.

Ces deux avancées, mon groupe a déjà tenté de les faire adopter, avec le soutien d'autres groupes et collègues, notamment lors de l'examen des projets de lois de financement de la sécurité sociale (PLFSS), de la dernière loi « Santé » et des textes relatifs à l'état d'urgence sanitaire. À chaque fois, on nous a opposé que le véhicule législatif n'était pas le bon, ces questions appelant un débat éthique.

Les conditions exigées me paraissent aujourd'hui réunies : nous examinons une proposition de loi spécifiquement consacrée à l'accès à l'IVG, à la suite d'un rapport d'information très fourni de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale et à la lumière d'un avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), demandé par le ministre des solidarités et de la santé et publié en décembre dernier.

L'article 1 er de la proposition de loi allonge de deux semaines le délai légal de l'IVG, qui pourrait donc être pratiquée sans condition jusqu'à la fin de la quatorzième semaine de grossesse. Il s'agit de répondre à des situations certes limitées par leur nombre, mais inacceptables sur le plan social comme médical. En effet, un certain nombre de femmes ne sont pas en mesure d'exercer leur droit à l'IVG dans le délai actuel de douze semaines de grossesse - ou quatorze semaines d'aménorrhée -, pour plusieurs raisons.

Bien souvent, les femmes concernées ne découvrent leur grossesse que tardivement, en raison de l'irrégularité de leurs cycles menstruels ou de l'absence de signes cliniques de grossesse. Trois fois sur quatre, l'IVG est pratiquée pour des femmes sous contraception : le temps pour comprendre qu'on est malgré tout enceinte est plus long dans ce cas.

En outre, certaines femmes peuvent être confrontées à des changements importants dans leur situation matérielle, sociale ou affective, qui ne leur permettent plus de poursuivre leur grossesse : séparation, exclusion familiale, perte d'emploi ou de logement...

Il faut songer aussi aux très jeunes filles, qui, bien souvent, ne savent pas interpréter les signes d'une grossesse.

À ces femmes, notre système de soins n'apporte aucune réponse satisfaisante. Certaines se voient proposer un rendez-vous trop tardif par rapport au terme de la grossesse, soit en raison d'un manque d'offre d'orthogénie, soit parce que les services d'orthogénie ne traitent pas leur demande avec la priorité absolue qui devrait s'imposer.

Trois options, tout aussi insatisfaisantes, se présentent alors, devant lesquelles les femmes sont placées en situation non seulement d'inégalité, mais aussi de stress psychologique.

D'abord, la femme peut se rendre à l'étranger, le plus souvent au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en Espagne, à condition d'en avoir les moyens : sans compter le coût du déplacement, une IVG pratiquée en Espagne coûte entre 300 à 2 200 euros. En 2018, entre 1 500 et 2 000 femmes se sont rendues dans ces trois pays pour recourir à un avortement.

Ensuite, la femme peut solliciter une interruption médicale de grossesse (IMG) pour détresse psychosociale. Outre que cette procédure est longue, contraignante et susceptible d'aggraver sa souffrance psychique, elle n'assure pas son autonomie décisionnelle, puisqu'elle requiert l'accord préalable d'une équipe pluridisciplinaire.

Enfin, la grossesse non désirée peut être néanmoins poursuivie, la femme n'ayant pas été en mesure d'exercer un de ses droits fondamentaux.

L'allongement du délai ne placerait pas nécessairement la France dans une position singulière parmi les pays industrialisés. En effet, si plus de la moitié des pays européens ont fixé le délai légal de l'IVG à douze semaines de grossesse, ce délai est supérieur dans plusieurs pays : quatorze semaines de grossesse en Espagne et en Autriche, dix-huit semaines d'aménorrhée en Suède, vingt-deux semaines de grossesse aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

L'allongement du délai légal entraîne-t-il un recours plus tardif à l'IVG ? La réponse est non. Ainsi, en 2019, 82 % des avortements pratiqués au Royaume-Uni l'ont été avant la dixième semaine de grossesse ; le nombre d'IVG pratiquées entre la dixième et la douzième semaine de grossesse a même diminué de 2 % par rapport à 2018.

En outre, il n'y a pas d'augmentation du risque de complications entre douze et quatorze semaines de grossesse, comme l'a souligné le CCNE, qui a conclu à l'absence d'objection éthique à l'allongement proposé. Il a ajouté qu'il ne saurait s'agir d'un palliatif des défaillances de notre politique publique de santé reproductive : j'en suis d'accord et je formulerai une proposition à cet égard à la fin de mon intervention.

L'article 2 de la proposition de loi supprime la clause de conscience spécifique à l'IVG, l'un des éléments du compromis de 1975, à une époque où le Parlement était fortement divisé sur la dépénalisation de l'IVG. Quarante-six ans plus tard, la pertinence de cette clause doit être réexaminée à la lumière des évolutions de la société.

Comme il a été rappelé lors de l'examen en première lecture du projet de loi de bioéthique, la clause de conscience générale, permettant de ne pas accomplir un acte contraire à ses convictions, peut être invoquée par les professionnels de santé intervenant dans les procédures d'IVG et d'IMG. Cette clause de conscience générale est inscrite dans les codes de déontologie des médecins, des sages-femmes et des infirmiers, dont l'opposabilité juridique est garantie par leur intégration au code de la santé publique.

C'est pourquoi la commission spéciale chargée d'examiner ce projet de loi a opté, en matière d'IMG, pour la solution équilibrée proposée par notre collègue Bernard Jomier, écartant l'inscription dans la loi d'une clause de conscience spécifique et maintenant l'obligation pour tout professionnel de santé faisant valoir la clause de conscience générale d'orienter la patiente vers un praticien susceptible de réaliser l'IMG. Cette rédaction de compromis a été adoptée par le Sénat, puis votée conforme par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.

Par cohérence, la présente proposition de loi aligne le dispositif de l'IVG sur celui de l'IMG. Elle rappelle ainsi que tout professionnel de santé refusant de pratiquer une IVG est tenu de rediriger la patiente vers une structure qui pourra la prendre en charge.

J'insiste : la possibilité pour un professionnel de santé de ne pas réaliser d'IVG au titre de sa clause de conscience générale ne serait nullement remise en cause par la suppression de la clause de conscience spécifique.

En complément, il est prévu que les agences régionales de santé (ARS) publient un répertoire recensant, sous réserve de leur accord, les professionnels de santé et structures pratiquant l'IVG.

Par ailleurs, au cours de son examen à l'Assemblée nationale, la proposition de loi a été enrichie de plusieurs dispositions tendant à renforcer l'accès des femmes à l'IVG.

L'article 1 er bis autorise les sages-femmes à pratiquer des IVG chirurgicales jusqu'à la fin de la dixième semaine de grossesse. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit déjà, dans le cadre d'une expérimentation pour trois ans, l'extension aux sages-femmes de la possibilité de réaliser des IVG instrumentales en établissement de santé, sous réserve du suivi d'une formation complémentaire spécifique et d'une pratique suffisante.

L'article 1 er ter supprime le délai de deux jours que la femme enceinte doit observer à l'issue de l'entretien psychosocial avant de confirmer par écrit son souhait de recourir à une IVG. Il s'agit du seul délai de réflexion obligatoire subsistant en matière d'accès à l'IVG. La suppression de ce délai, qui ne s'impose de toute façon que si la femme accepte l'entretien psychosocial, participerait de la fluidification du parcours des femmes envisageant de recourir à une IVG.

L'article 2 bis A précise qu'un professionnel de santé refusant la délivrance d'un contraceptif en urgence méconnaît ses obligations professionnelles et peut être sanctionné à ce titre pour refus de soins.

Enfin, l'Assemblée nationale a ajouté dans le texte deux demandes de rapport.

Reste que ces mesures ne constituent qu'une réponse partielle à la problématique d'une activité d'orthogénie et de planning familial devenue le parent pauvre de la politique d'organisation des soins dans la plupart des établissements, car jugée non rentable. Peu valorisée sur le plan tarifaire et relativement déconsidérée dans la pratique de la gynécologie obstétrique, l'IVG n'est pas considérée comme prioritaire dans les recrutements des établissements hospitaliers.

Alors que l'offre de soins en cancérologie fait l'objet d'un pilotage national et d'une stratégie nationale spécifiques, mis en oeuvre par l'Institut national du cancer, notre offre de soins en orthogénie et, plus largement, notre politique de santé sexuelle et reproductive ne font l'objet d'aucun pilotage national proactif les identifiant comme une dimension prioritaire de notre politique de santé publique.

Pour que l'IVG ne serve plus de variable d'ajustement dans les arbitrages budgétaires des établissements de santé et pour garantir l'équité territoriale dans l'accès aux soins en matière de santé sexuelle et reproductive, je propose dans mon rapport une réflexion sur la création d'un institut national de la santé sexuelle et reproductive, chargé notamment de piloter l'offre de soins en matière d'orthogénie et de planning familial.

Ce pilotage devrait être assuré en lien étroit avec les agences régionales de santé et les collectivités territoriales, en particulier les départements, qui agréent les centres de planification ou d'éducation familiale.

Mes chers collègues, je vous propose d'adopter cette proposition de loi, dont l'examen nous offre l'occasion de débattre de solutions pour rendre effectif le droit à l'IVG pour toutes.

Mme Élisabeth Doineau . - Compte tenu de son importance, je regrette que ce sujet n'ait pas été abordé dans le cadre de la loi de bioéthique, ce qui aurait permis d'aller plus loin dans le débat.

Souvenons-nous des images de liesse en Argentine à la fin de l'année dernière : voir ces femmes obtenir enfin l'IVG était touchant et marquant. Je pense aussi à la situation en Pologne. L'IVG est un droit pour lequel il ne faut jamais cesser de se battre.

Si je ne suis pas opposée à l'allongement de deux semaines, je suis beaucoup plus réservée sur la suppression de la clause de conscience spécifique, quelque exhaustive qu'ait été Mme la rapporteure dans son argumentation. Tant que les principaux intéressés, les médecins, ne sont pas unanimement d'accord pour accepter ce rétrécissement de leur latitude d'action, je pense qu'il ne faut pas changer le dispositif en vigueur.

Mme Pascale Gruny . - Les questions médicales ne sont pas mes sujets de prédilection, mais j'ai été sollicitée par les gynécologues et les sages-femmes, que cette proposition de loi inquiète beaucoup.

Les sages-femmes sont contre l'idée de pratiquer l'IVG instrumentale, parce qu'elles ne seront pas en mesure de réparer en cas d'accident ; elles s'inquiètent aussi de leur responsabilité. Elles pensent que, si leur ordre s'est prononcé en faveur du texte, c'est surtout pour obtenir un peu de la reconnaissance que la profession demande depuis longtemps.

En ce qui concerne les gynécologues, ils ne veulent pas que la clause de conscience actuelle soit modifiée. Au reste, parmi ceux que j'ai rencontrés, un seul la fait valoir. Leur principale inquiétude tient au fait que, à quinze semaines d'aménorrhée, le sexe de l'enfant est connu. En outre, du point de vue de l'état-civil, un acte de décès est établi en cas d'accouchement à seize semaines : en cas d'IVG, on considère qu'on est en présence de déchets anatomiques...

Les gynécologues voient de plus en plus de femmes qui ne prennent pas la pilule, considérant que ce n'est pas naturel ; finalement, l'IVG devient leur méthode contraceptive.

Qu'il y ait des inégalités sociales et territoriales, ils l'entendent, même si, dans mon département, le délai d'accès est de sept jours. Il faut dire que nous avons beaucoup de chômage et qu'on fait des bébés alimentaires.

Les gynécologues proposent l'inscription dans la loi de la prolongation de l'IVG médicamenteuse à domicile, un recours accru à la télémédecine et, surtout, l'interdiction de donner le sexe de l'enfant avant seize semaines.

Mme Laurence Cohen . - Je remercie Laurence Rossignol pour la clarté de son rapport et pour le combat qu'elle mène.

Cette proposition de loi est transpartisane : après avoir été promue par une partie des députés La République En Marche, elle est défendue au Sénat par le groupe socialiste. Preuve que, quand il s'agit de l'intérêt des femmes, nous pouvons réussir à dépasser nos clivages. Chaque fois qu'il y a une avancée dans ce domaine, c'est parce que nous parvenons à le faire au nom de l'intérêt primordial des femmes.

Il faut rappeler que l'interruption volontaire de grossesse n'est jamais un choix léger, fait de gaieté de coeur.

En matière de droits des femmes, quel que soit le ministre compétent, ce n'est jamais ni le bon moment ni le bon véhicule législatif... En l'occurrence, je ne vois pas pourquoi ce texte ne serait pas la bonne occasion de débattre de manière sereine et approfondie de ces questions essentielles.

S'agissant de la clause de conscience spécifique, je voudrais bien qu'on m'explique au nom de quels arguments scientifiques un tel mécanisme est prévu pour l'avortement et pour lui seul, étant entendu que la clause générale suffit. Laurence Rossignol a fort bien rappelé que ce dispositif avait permis l'adoption de la loi en 1975. Mais enfin, depuis lors, nous avons évolué...

Il faudrait, nous dit-on, attendre l'unanimité des médecins. Je ne suis pas médecin et je pense qu'il est important que la commission des affaires sociales ne soit pas composée que de médecins.

M. René-Paul Savary . - C'est très juste !

Mme Laurence Cohen . - L'unanimité existe-t-elle dans un seul domaine de la médecine ? Pourquoi ce blocage au sujet de l'avortement ?

Quant à l'IVG instrumentale, madame Gruny, nous ne devons pas rencontrer les mêmes sages-femmes. Dans mon département comme au niveau syndical, celles que j'ai rencontrées insistent beaucoup pour pouvoir pratiquer l'IVG instrumentale. Les quelques professionnelles qui y sont hostiles ne seront forcées à rien.

Sachons évoluer avec les besoins des femmes, car il est préoccupant que, chaque année, 3 000 à 4 000 d'entre elles soient obligées d'avorter à l'étranger. Une situation source de discriminations, car toutes les femmes n'ont pas les moyens de le faire, ce qui entraîne un certain nombre de drames.

Mme Michelle Meunier . - Je suis évidemment favorable à ce texte, qui s'inscrit dans la continuité des propositions que notre groupe et d'autres ont formulées pendant le confinement en matière d'allongement des délais.

Il offre aussi l'occasion de reparler de l'accès à l'IVG. Dans mon département, la population a considérablement augmenté en vingt ans, sans que l'offre de soins se développe de même.

Un vrai pilotage national de la politique de santé sexuelle et reproductive me paraît nécessaire, comme l'a souligné Laurence Rossignol.

En revanche, je suis en total désaccord avec Mme Doineau, car l'IVG n'est pas une question d'éthique, mais de santé publique. Et je suis particulièrement surprise des propos tenus par Mme Gruny, qui ne lui ressemblent pas vraiment. Pour ma part, je ne connais aucune sage-femme ayant la vision dont elle s'est fait l'écho, d'autant que mettre au monde un enfant est techniquement plus risqué que pratiquer une IVG par aspiration...

M. Xavier Iacovelli . - J'appuie l'argumentation de la rapporteure. Si nous attendons l'unanimité des médecins, nous pouvons abandonner tout espoir de légiférer sur l'IVG...

Mme Doineau a affirmé que les médecins sont les premiers concernés. Je considère, quant à moi, que les femmes sont les premières concernées. C'est dans cette perspective que nous devons mener notre réflexion.

Non, madame Gruny, l'IVG n'est pas un moyen de contraception pour celles qui refusent la pilule ; cet acte est traumatisant, et on ne peut laisser penser qu'il serait fait à la légère ou par confort. Le propos sur les bébés alimentaires m'a aussi quelque peu interpellé...

Une grande partie des membres de mon groupe votera cette proposition de loi.

M. Daniel Chasseing . - Entre la demande d'IVG et la réalisation, il s'écoule souvent près de huit jours ; il doit être possible de réduire ce délai. Par ailleurs, les femmes ont parfois du mal à s'informer, trouver des interlocuteurs et connaître les praticiens. L'engorgement de certains centres hospitaliers et la désertification médicale aggravent ces difficultés.

Tous ces problèmes, il est possible d'y remédier en améliorant l'information dans les collèges et les lycées, en étendant la compétence des sages-femmes à la dixième semaine, en supprimant le délai de réflexion de deux jours, en obligeant les médecins qui recourent à la clause de conscience à adresser la femme à un confrère et en poursuivant l'IVG médicamenteuse à cinq semaines à domicile et à sept en établissement.

Si le délai est allongé à quatorze semaines, un plus grand nombre de médecins et de sages-femmes refuseront de pratiquer l'IVG, en sorte qu'il y aura moins de professionnels pour prendre en charge les demandes.

En outre, d'après les spécialistes, l'augmentation de la taille du foetus entre douze et quatorze semaines augmente les risques, notamment d'hémorragie et d'accouchement prématuré lors des grossesses ultérieures.

Bref, je considère qu'il faut renforcer les moyens et mieux accompagner les femmes pour que toutes les IVG puissent être réalisées avant la fin de la douzième semaine.

Mme Florence Lassarade . - Daniel Chasseing a raison : sur nos territoires, l'accès à l'IVG n'est pas toujours conforme à ce que prévoit la loi ; c'est pourquoi des femmes se retrouvent près du délai limite. Je ne suis pas du tout favorable à l'extension, mais il faut que la prise en charge des femmes soit correctement assurée dans le délai actuel.

Il est vrai que toutes les sages-femmes ne souhaitent pas pratiquer l'IVG instrumentale, compte tenu des enjeux de responsabilité. Une expérimentation est prévue : prenons le temps de voir ce qu'elle donne. Les nouvelles sages-femmes sont sans doute beaucoup plus proactives dans ce domaine. En tout état de cause, le régime de responsabilité doit être bien défini.

Mme Laurence Garnier . - L'Académie de médecine s'est prononcée contre l'allongement du délai de recours à l'IVG, compte tenu des risques de complications pour les femmes à court et moyen terme. Cette position n'est pas éthique ou idéologique, mais relève du rôle d'alerte que joue cette instance sur le plan médical. Madame la rapporteure, avez-vous pris en compte ces arguments et comment y répondez-vous ?

M. Alain Milon . - Je comptais n'intervenir qu'en séance, mais je me sens obligé de répondre à certains propos.

Certes, monsieur Iacovelli, les femmes sont les plus directement concernées ; mais les médecins, qui réalisent l'acte chirurgical, sont concernés directement eux aussi.

En outre, il y a un troisième acteur : l'enfant à naître, qui ne naîtra pas... C'est pourquoi, madame Cohen, il y a bien une raison scientifique en même temps que morale à la clause de conscience : le médecin, en prêtant le serment d'Hippocrate, s'engage à donner et à maintenir la vie, pas à l'interrompre. De ce point de vue, la loi Veil est extrêmement bien faite ; il ne faut pas la modifier en profondeur.

Le nombre annuel d'IVG est compris entre 200 000 et 250 000, et il y a 700 000 accouchements chaque année. En d'autres termes, sur un million de grossesses, un quart sont interrompues. Nous devons mieux accompagner les femmes enceintes, plutôt que de leur dire : puisque vous ne pouvez ou ne voulez pas, on va interrompre. Il est nécessaire que cette solution existe, mais je considère que c'est une solution de facilité.

En outre, dans le cadre du projet de loi de bioéthique, les députés ont insisté sur l'IMG pour un motif psychosocial. C'est une mesure que je réprouve, mais qui répond aux problèmes que Mme la rapporteure a décrits.

M. Bernard Jomier . - Sur un sujet de cette nature, je ne m'exprime pas en fonction de mon appartenance politique.

Je respecte parfaitement ceux qui, pour des raisons philosophiques, religieuses ou autres, sont opposés à l'IVG de toute façon ; ils sont naturellement hostiles aux mesures visant à rendre plus effectif l'accès des femmes à ce droit.

Étendre le délai de l'IVG n'est pas affaire de militantisme : personne ne souhaite obtenir plus par principe, comme c'est le cas dans d'autres domaines. À mon sens, il s'agit de s'assurer qu'un droit formel devient un droit réel.

Or, depuis des années, l'application effective de ce droit est difficile, pour de multiples raisons. Les propositions présentées ce matin sont avancées depuis des années, sans que la situation change. L'allongement de deux semaines pourrait - même si je n'en suis pas certain - rendre plus effective et plus simple l'application de ce droit. Je ne vois en tout cas aucun obstacle majeur à cette mesure, ni pratique ni éthique. C'est pourquoi je la soutiens.

La clause de conscience doit exister, et elle existe. D'ailleurs, quelle femme voudrait qu'un médecin pratique une IVG sur elle en y étant contraint ? Comme médecin, je suis attaché à ce qu'on respecte le droit d'un confrère à ne pas pratiquer une IVG. Simplement, la clause de conscience générale suffit. Le président de l'Ordre des médecins m'a écrit pour défendre la double clause, mais son argumentation n'est pas juste.

Madame Doineau, vous savez très bien que, si l'on avait attendu l'unanimité des médecins ou même l'accord de leur ordre, il n'y aurait toujours pas de contraception et d'IVG dans notre pays... Heureusement, les positions historiques sur ces sujets ont changé.

La double cause a été supprimée pour l'IMG, et on verra bien qu'aucun médecin ne sera contraint de pratiquer un tel acte contre sa volonté. Il serait logique que le législateur adopte la même position sur l'IVG.

Enfin, monsieur Milon, l'IMG pour raison psychosociale existait déjà. Les députés ont simplement voulu le rappeler, pour une raison que je n'ai pas bien saisie.

Mme Élisabeth Doineau . - Moi non plus...

Mme Véronique Guillotin . - L'accès à l'IVG doit être effectif pour toutes. L'allongement du délai résoudra-t-il les difficultés ? Je n'en suis pas persuadée. Ce qu'il faut, c'est régler les problèmes d'accès aux soins en comblant les lacunes sur les territoires et en améliorant l'éducation.

Le CCNE considère qu'il n'y a pas d'obstacle éthique. À titre personnel, je n'en vois pas non plus, mais l'allongement me paraît une solution facile à un problème complexe. En outre, il faudrait voir si, dans les pays où le délai est plus long, des complications ne sont pas constatées. Il serait dommage de faire courir des risques aux femmes alors que les difficultés peuvent être réglées par d'autres moyens.

La clause de conscience, qui rassure l'ensemble des praticiens, doit être maintenue, d'autant que la France n'est pas l'Italie ; il n'y a pas d'obstruction majeure dans notre pays.

Quant à l'IVG instrumentale, il est vrai que certaines sages-femmes sont réticentes.

De façon générale, je rejoins la position de Daniel Chasseing : efforçons-nous d'améliorer l'accès à l'IVG. C'est une question de santé publique, certes, mais elle a une dimension éthique, comme M. Milon l'a rappelé : on peut comprendre que pratiquer une IVG heurte la conscience de certains médecins - ce débat existe aussi pour la fin de vie.

Mme Émilienne Poumirol . - Je suis d'accord avec Bernard Jomier : l'allongement du délai n'est pas une fin en soi, mais on constate que, compte tenu des conditions actuelles, 2 000 femmes sont obligées de partir à l'étranger chaque année pour avorter, ce qui est source d'inégalités sociales. Il s'agit de résoudre ce problème, étant entendu qu'une très grande majorité des IVG interviennent avant dix semaines.

Alors que la clause de conscience générale concerne tous les actes médicaux, le maintien de la double clause donne à l'IVG la connotation d'un acte médical très spécifique. Cela n'est pas justifié, car le droit des femmes à l'IVG est acquis. Au reste, comme médecin, je n'ai jamais rencontré une femme qui l'ait exercé par facilité.

Les inégalités territoriales et sociales sont réelles. L'accès à l'IVG est difficile dans nombre de départements, ce qui oblige des femmes à parcourir une longue distance. Notre politique en la matière doit être beaucoup plus incisive, et le pilotage national proposé par Laurence Rossignol peut y contribuer.

Toutes les femmes, où qu'elles habitent et quelles que soient leurs conditions de vie, doivent pouvoir accéder à l'IVG rapidement.

Mme Raymonde Poncet Monge . - J'attends depuis longtemps de ceux qui défendent cette clause spécifique de conscience qu'ils me donnent une explication. Mais je crois qu'il n'y en a pas !

Cette clause stigmatise, culpabilise, comme si l'IVG posait un « super cas de conscience », mais n'accorde aucun droit supplémentaire au médecin. On peut bien sûr toujours en discuter, mais il faut alors nous convaincre de ce qu'elle apporte par rapport à la clause de conscience « classique ». S'il s'agit de dire autre chose, il faut avoir le courage de l'expliciter.

Mme Corinne Imbert . - Je voudrais tout d'abord remercier les différents intervenants, car ce sujet sensible méritait un débat aussi serein et respectueux.

Oui, il s'agit bien d'une question d'éthique. Le CCNE, saisi par le ministre des solidarités et de la santé, s'est d'ailleurs montré favorable au maintien de la clause de conscience spécifique. Cette clause empêche-t-elle les IVG ? Non, puisqu'une grossesse sur quatre commencée en France se termine par une IVG.

Je rejoins ceux de nos collègues qui ont souligné le manque de moyens accordés à cette politique essentielle pour les femmes. Aujourd'hui, 65 % des interruptions volontaires de grossesse concernent des femmes de 19 à 25 ans. Ce serait une erreur de voter une extension du délai d'IVG de douze à quatorze semaines pour pallier ce manque de moyens et les dysfonctionnements qui l'accompagnent. Ne nous trompons de sujet.

Comme l'a souligné Mme la rapporteure, l'article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 a validé une expérimentation de trois ans de la pratique de l'IVG instrumentale par les sages-femmes. Il me semble donc quelque peu prématuré de voter une extension générale. Pascale Gruny nous a justement fait part des interrogations des sages-femmes sur cette question.

Le rapport dispose que 82 % des femmes, au Royaume-Uni, demandent une IVG avant la dixième semaine de grossesse. En France, ce taux s'élève à 95 %. Seules 5 % des femmes ayant recours à une IVG en France le font donc au cours des deux dernières semaines. Certes, 1 500 femmes vont à l'étranger chaque année pour des raisons que nous ne discutons pas - problème de contraception, déni de grossesse...

Notre groupe ne votera pas ce texte, mais nous souhaitons pouvoir en débattre en séance publique - le sujet le mérite. Toutefois, nous présenterons une motion tendant à poser la question préalable.

Mme Laurence Rossignol , rapporteure. - Je tiens également à remercier tous les intervenants pour la qualité de ce débat. Nous discutons régulièrement de ces questions, plusieurs de nos collègues portant souvent des avancées pour faire en sorte que ce droit conquis par les femmes en 1975 ne soit pas que formel, mais bien réel et effectif.

L'adoption de cette proposition de loi permettrait-elle d'apporter toutes les réponses aux problèmes rencontrés dans l'accès à l'IVG en France ? La réponse est non, car ces difficultés sont en partie liées à l'offre de soins. En quinze ans, le nombre d'établissements réalisant des IVG a diminué de 22 %. Nous avons été plusieurs, ces dix dernières années, à souligner, lors de l'examen des différentes lois santé ou portant réorganisation de l'hôpital, que la fermeture de maternités ou d'établissements hospitaliers s'accompagnait souvent de celle d'un centre d'orthogénie. Il s'agit d'une réalité physique et territoriale que cette proposition de loi ne peut régler.

Il y aura toujours des IVG : trois IVG sur quatre concernent des femmes sous contraception. Vous pouvez organiser l'offre de soins de manière aussi performante que possible, il y aura toujours un nombre important d'IVG, car il y aura toujours des accidents de contraception. C'est un droit que les femmes exercent, et c'est bien ainsi. À nous de faire en sorte que toutes puissent exercer ce droit.

Le recours à l'IVG ne doit pas non plus être la conséquence d'une sous-information en termes d'éducation sexuelle. Cela fait dix ans que l'éducation à la vie sexuelle et affective à l'école est totalement défaillante. Il ne s'agit pas seulement d'un manque de moyens, c'est aussi un enjeu idéologique. Que dit-on aux enfants sur leur sexualité ? Certaines personnes refusent que l'on informe les jeunes sur la contraception d'urgence, c'est-à-dire sur la pilule du lendemain, parce qu'ils y voient un acte abortif. Encore une fois, la proposition de loi ne pourra pas régler ce genre de questions idéologiques ou politiques.

On ne constate nulle part dans les pays occidentaux de corrélation entre allongement des délais et pratique eugéniste qui permettrait, par exemple, de choisir le sexe de l'enfant. Ce n'est pas un danger. Pour le CCNE, l'allongement des délais ne pose pas de question éthique. Ces questions ont été tranchées voilà quarante-cinq ans.

Comme d'autres ici, je n'ai toujours pas compris pourquoi la clause de conscience générale ne suffirait pas. Un chirurgien sollicité pour pratiquer une double mastectomie sur une femme qui n'a pas encore développé de cancer du sein, mais qui craint d'en développer en raison d'antécédents familiaux, peut très bien refuser de le faire en invoquant la clause de conscience. Tous les professionnels de santé sont déjà protégés dans leur liberté de pratique. La double clause de conscience sert donc seulement à rappeler que l'IVG n'est pas un acte médical comme les autres. Cette double clause de conscience n'est pas justifiée par la déontologie, mais par notre conception du droit des femmes à accéder à l'IVG. Je pense qu'elle n'a plus de raison d'être. De très nombreux pays ne connaissent pas cette double clause, ce qui n'empêche pas les médecins de refuser de pratiquer une IVG s'ils ne le souhaitent pas.

Madame Gruny, j'ai pu auditionner le Conseil national de l'ordre des sages-femmes qui m'a indiqué que de plus en plus de sages-femmes se spécialisaient et conventionnaient en orthogénie. Une sage-femme qui ne veut pas faire d'orthogénie sera libre de ne pas en faire. Le conseil national de l'ordre et les associations représentatives sont favorables aux dispositifs prévus dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

Il faut mettre en place un pilotage national de la santé sexuelle et reproductive qui ne doit plus naviguer au gré de la territorialité de l'offre de soins, des fermetures de maternités et d'hôpitaux, de l'ajustement des services d'orthogénie en situation de sous-effectif perpétuel... Mon attention va vers les médecins qui considèrent qu'il est de leur rôle de continuer, contre vents et marées, de défendre cette activité dans l'hôpital. J'ai davantage de compassion et d'empathie pour ces derniers que pour ceux qui se retranchent derrière la double cause de conscience.

Je veux bien croire que les solutions sont ailleurs, mais cela fait des années que rien ne bouge.

Mme Catherine Deroche , présidente. - Selon moi, l'allongement du délai légal pose tout de même un problème éthique. Il ne faut pas y voir le dernier recours quand le reste ne marche pas.

Je rejoins les propos de Laurence Rossignol sur l'éducation à la vie sexuelle et affective. Lors de nos travaux sur les violences sexuelles, nous avons vu combien l'éducation nationale était défaillante. Dans ma région des Pays de la Loire, j'ai milité pour le maintien du Pass contraception, aujourd'hui intégré à un Pass santé global pour les jeunes. Il faut une meilleure information et faire en sorte que les jeunes, notamment les mineurs, puissent accéder à des consultations gratuites.

EXAMEN DES ARTICLES

Les articles 1 er , 1 er bis , 1 er ter A , 1 er ter , 2 bis A, 2 bis, 2 ter et 3 ne sont pas adoptés.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi transmis par l'Assemblée nationale.

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