C. UN SUCCÈS À CONSTRUIRE COLLECTIVEMENT

1. L'efficacité des dépenses financées sera la clef de la réussite du plan de relance à l'échelle européenne et de ses retombées macroéconomiques pour la France

Si la mise en place d'un instrument de relance européen constitue une avancée majeure, son succès reste à construire .

En effet, son ambition est non seulement de soutenir la demande en sortie de crise dans une logique keynésienne mais surtout de stimuler la croissance potentielle européenne par l'investissement et les réformes - en particulier dans les pays fragilisés qui bénéficient pour la première fois de subventions de grande ampleur afin d'accélérer leur rattrapage économique, dans une logique de solidarité.

De ce point de vue, la bonne utilisation des fonds européens dans le cadre des plans nationaux pour la reprise et la résilience sera cruciale .

Or, la gouvernance retenue est le résultat d'un compromis fragile entre les pays « frugaux » d'Europe centrale et du Nord - qui souhaitaient lier le déblocage des fonds à une conditionnalité stricte sur le plan de la nature des investissements et des réformes structurelles - et les pays du Sud de l'Europe - qui plaidaient pour un contrôle aussi peu invasif que possible, compte tenu des mauvais souvenirs laissés par la « Troïka » dans le cadre de la crise européenne des dettes souveraines.

Schématiquement, les plans pour la reprise et la résilience seront évalués par la Commission européenne dans les deux mois suivant leur transmission, qui doit intervenir au plus tard le 30 avril 2021. Leur évaluation devra alors être approuvée sous quatre semaines par le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission.

Par la suite, des demandes de paiement pourront être sollicitées deux fois par an par les États membres, et seront subordonnées au respect des objectifs fixés dans les plans pour la reprise et la résilience. En cas de non-respect des objectifs, la Commission européenne pourra suspendre les paiements et, si aucune action correctrice n'est prise dans les six mois, réduire les financements dont devait bénéficier l'État membre. Une annulation complète sera possible en l'absence de correction dix-huit mois après l'adoption du plan 50 ( * ) .

En complément, la Commission européenne sera tenue de proposer au Conseil une suspension des paiements ou engagements si un État membre n'a pas réalisé un effort suffisant pour corriger son déficit excessif 51 ( * ) . Elle pourra également le faire pour les autres procédures de surveillance, sans y être tenue. La suspension sera adoptée par le Conseil à la majorité qualifiée inversée, sur proposition de la Commission 52 ( * ) .

Enfin, l'accord trouvé au Conseil européen prévoit que « si, exceptionnellement, un ou plusieurs États membres considèrent qu'il existe des écarts importants par rapport au respect satisfaisant des objectifs (...), ils peuvent demander au président du Conseil européen de saisir le prochain Conseil européen de la question », ce qui aurait pour effet de suspendre temporairement la possibilité pour la Commission de débloquer les fonds.

Tout se jouera donc dans la mise en oeuvre de ce compromis . Ainsi que le résume l'économiste Jean-Pisani Ferry, d'ailleurs entendu par votre rapporteur 53 ( * ) : « D'intenses controverses sont à prévoir si la Commission fait son travail, rejette les programmes inefficaces et retarde les déboursements si les objectifs intermédiaires ne sont pas atteints. Le risque est que les procédures débouchent sur des disputes bureaucratiques indéchiffrables pour le grand public, mais facilement exploitables par les populistes. Pour éviter de tomber dans ce piège, l'Union européenne va devoir trouver le bon équilibre entre l'indulgence et l'ingérence » 54 ( * ) .

De la bonne utilisation des subventions européennes dépendront également les retombées économiques pour la France.

En effet, si la France devrait s'acquitter d'une contribution nette d'un montant d'environ 0,8 % du PIB en l'absence de nouvelles ressources propres, celle-ci pourrait être contrebalancée par les effets macroéconomiques liés à la relance européenne coordonnée , pour peu que cette dernière permette réellement de financer des dépenses additionnelles - qui n'auraient pas été mises en oeuvre en l'absence de soutien européen - avec un fort effet multiplicateur sur l'activité à court et long termes.

Les hypothèses sur le caractère additionnel des dépenses financées par le plan de relance européen et le niveau des multiplicateurs budgétaires contribuent ainsi à expliquer les fortes différences d'appréciation concernant l'effet macroéconomique à attendre du plan de relance européen , avec des estimations pouvant varier du simple au triple.

Évaluations de l'impact macroéconomique de l'instrument de relance européen

Auteur(s)

Principaux résultats

Précision méthodologique

Référence

Services
de la Commission européenne

Hausse du PIB de l'UE de 2,4 % en 2024 et de 1 % en 2030 par rapport à un scénario contrefactuel sans Next Generation EU

La simulation porte sur la proposition initiale de la Commission européenne

Maarten Verwey, Sven Langedijk et Robert Kuenzel, « Next Generation EU : A recovery plan for Europe », VoxEu, 9 juin 2020

Oliver Picek

Hausse moyenne du PIB de la France de 1 % sur la période 2021-2027 . En cumulé, le surcroît d'activité s'élève à 7,1 % du PIB 2020, dont un tiers s'explique par les effets de débordement des plans de relance des pays voisins

L'étude repose sur l'hypothèse que la totalité des subventions se traduit par des dépenses additionnelles au niveau national

Olivier Picek, « Spillover Effects From Next Generation EU », Interconomics, Volume 55, Numéro 5, 2020,
pp. 325-331

Sebastian Watzka et Andrew Watt

Hausse moyenne du PIB de 0,2 % pour la France et de 0,3 % pour l'UE sur la période 2021-2023 . Pour la France, la hausse cumulée sur 2020-2026 s'élève à près de 2 % du PIB 2020

L'étude ne tient compte que du volet « subventions » de la Facilité pour la reprise et la résilience et repose sur un multiplicateur budgétaire de 0,8, considéré comme une borne basse par les auteurs

Sebastian Watzka et Andrew Watt, « The macroeconomic effects of the EU Recovery and Resilience Facility - A preliminary assessment », IMK Policy Brief n° 98, octobre 2020

Services du FMI

Hausse du PIB de l'UE de 1,5 % en 2023 par rapport à un scénario contrefactuel sans Facilité pour la reprise et la résilience

L'étude repose sur l'hypothèse que deux tiers des subventions se traduisent par des dépenses additionnelles au niveau national

IMF Country Report n° 20/324, décembre 2020,
p. 19

Source : commission des finances du Sénat

Il peut toutefois être noté que, même dans les scénarios les plus pessimistes, la contribution nette de la France serait contrebalancée par les effets macroéconomiques du plan de relance, ce qui permet de dépasser une nouvelle fois l'approche comptable du « juste retour ».

À titre d'illustration et en première approximation 55 ( * ) , avec une semi-élasticité budgétaire estimée à 0,63 pour notre pays 56 ( * ) , un surcroît d'activité de l'ordre de 1,4 % du PIB serait suffisant pour compenser notre contribution nette (0,8 % du PIB), ce qui est inférieur à celui attendu par l'étude la plus pessimiste (2 %), co-écrite par Sebastian Watzka et Andrew Watt 57 ( * ) . Pour mémoire, le gain budgétaire tiendrait principalement aux prélèvements obligatoires générés par le surcroît de croissance (qui représentent 45 % du PIB en France) mais également, de façon plus marginale, à la baisse des dépenses sociales permises par le rebond.

Dans les études les plus optimistes, l'effet multiplicateur sur le PIB excéderait très largement les subventions versées par la FRR à la France , en raison notamment d'effets de débordement importants en provenance du reste des pays européens, passant principalement par le canal du commerce extérieur (hausse de la demande adressée) - témoignant là encore de l'importance que revêt la coordination des politiques budgétaires lorsque la politique monétaire est contrainte 58 ( * ) .

Effet multiplicateur sur le PIB rapporté aux subventions de Next Generation EU

(effet cumulé sur le PIB en volume entre 2021 et 2027, divisé par les subventions attendues)

Source : commission des finances du Sénat (d'après : Olivier Picek, « Spillover Effects From Next Generation EU », Interconomics, Volume 55, Numéro 5, 2020, pp. 325-331)

2. Soulager les budgets nationaux passera prioritairement par un accord sur les quotas d'émission et l'ajustement carbone aux frontières
a) De nouvelles ressources propres : un débat de longue date que la crise sanitaire a posé avec une acuité renouvelée

En l'absence de nouvelles ressources propres, le remboursement des ressources levées sur les marchés par la Commission européenne sera réalisé par les États membres, au prorata de leur part dans le RNB de l'Union européenne. Par conséquent, l'introduction de nouvelles ressources propres est dans l'intérêt de la France .

En effet, comme indiqué précédemment, l'absence de nouvelles ressources propres se traduirait par une contribution annuelle complémentaire de la France, à compter de 2028, de 2,5 milliards d'euros (prix courant), qui s'ajouterait donc au montant de sa contribution annuelle au budget européen.

En outre, cette contribution supplémentaire apparaît d'autant plus élevée que le nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027 devrait déjà s'accompagner d' une hausse significative du prélèvement sur recettes européen . Ainsi, pour la seule année 2021, la loi de finances initiale 59 ( * ) estime le montant du prélèvement sur recettes de la France à 27,2 milliards d'euros , soit une hausse de près de 27 % par rapport à la prévision initiale pour 2020, et de 33 % environ par rapport à la moyenne annuelle sur la période 2014-2020 60 ( * ) . Pour l'ensemble de la période 2021-2027, la contribution de la France devrait s'élever à 29,6 milliards d'euros en moyenne par an 61 ( * ) , témoignant ainsi d'une montée en charge de ce montant au cours de la période.

Cette augmentation substantielle du prélèvement sur recettes à partir de 2021 s'explique par plusieurs facteurs :

- l'augmentation du niveau de dépenses de l'Union européenne , résultant du nouveau cadre financier pluriannuel et de la mobilisation du budget européen, en réponse aux conséquences économiques de la crise sanitaire à compter de 2020 ;

- le retrait du Royaume-Uni qui constituait l'un des principaux contributeurs nets ;

- les changements des règles de calcul des contributions nationales selon les termes de l'accord du Conseil européen du 21 juillet 2020 ;

- les conséquences de la crise sanitaire sur les ressources propres traditionnelles de l'Union européenne, qui pâtissent de la dégradation du commerce international.

Avant même le début de la crise sanitaire, le débat sur l'introduction de nouvelles ressources propres s'inscrivait dans une réflexion de long terme de l'Union européenne , à l'image de la mise en place du groupe de haut niveau sur les ressources propres, présidé par Mario Monti et créé en 2014 à la demande du Parlement européen. Son rapport final plaide pour une réforme du système des ressources propres, afin de doter l'Union de ressources qui lui soient réellement propres, et de nature à soutenir les objectifs stratégiques de l'Union.

Plusieurs pistes sont évoquées dans le rapport 62 ( * ) , telles que l'introduction d' une ressource propre TVA réformée , un impôt sur les sociétés à l'échelle européenne, une taxe sur les transactions financières , ou encore des ressources propres liées aux politiques environnementales, de climat ou de transport , telles qu'une taxe sur le carbone, le produit résultant du système européen d'échange de quotas d'émission, une redevance sur les carburants, ou encore une taxation indirecte des marchandises importées produites dans des pays tiers se caractérisant par un niveau d'émissions élevé.

Les conséquences économiques de la crise sanitaire, nécessitant la mise en oeuvre du plan de relance européen, ont appelé à la formulation de propositions plus précises et plus ambitieuses, afin de contribuer au remboursement de l'emprunt lié à « Next Generation EU ».

Abandonnant l'idée d'une ressource fondée sur l'ACCIS, la Commission européenne, dans sa communication du 27 mai 2020 63 ( * ) , a conservé les pistes évoquées deux ans plus tôt, et évoqué d'autres nouvelles ressources :

- une ressource issue d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières , c'est-à-dire une taxe sur les importations en provenance de pays tiers ne respectant pas les normes environnementales ;

- une ressource fondée sur « les activités des grandes entreprises » ;

- une ressource fondée sur « un impôt sur le numérique » , en s'appuyant sur les travaux actuellement menés par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Commission européenne se tenant « prête à agir si aucun accord n'émerge au plan mondial » 64 ( * ) .

Au regard des recettes potentielles de ces nouvelles ressources, la Commission européenne estimait, de façon optimiste, que si elles étaient mises en oeuvre avant 2024, « les contributions nationales des États membres au cadre financier pluriannuel pour 2021-2027 pourraient baisser , en proportion de leur économie, par rapport à leurs contributions de 2020 ».

L'accord obtenu lors du Conseil européen des 17 au 21 juillet 2020 est plus prudent sur la mise en place de ces ressources propres, reflétant la difficulté à parvenir à un consensus sur ce sujet entre les États membres. Le Conseil européen s'est accordé sur un calendrier de discussion, invitant la Commission européenne à lui faire des propositions relatives aux pistes évoquées.

Ce calendrier, précisé dans l'accord interinstitutionnel 65 ( * ) , prévoit les échéances suivantes :

- la Commission européenne doit présenter ses propositions relatives à un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, une redevance numérique, et une ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission d'ici juin 2021 , avec l'objectif, pour les deux premières, de les introduire avant le 1 er janvier 2023 ;

- la Commission européenne devra « s'efforcer » de présenter une proposition d'ici juin 2024 sur des ressources fondées sur une taxe sur les transactions financières et une contribution financière liée au secteur des entreprises, ou une nouvelle ACCIS , en vue de leur mise en oeuvre avant le 1 er janvier 2026.

En raison du fondement de l'accord interinstitutionnel sur l'article 295 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE 66 ( * ) ), le Parlement européen est attaché au caractère juridiquement contraignant de cette feuille de route, qui figure en annexe de cet accord. Toutefois, la rédaction de celle-ci oblige la Commission européenne à présenter des propositions législatives en ce sens, mais elle n'engage pas les États membres sur la conclusion d'un accord sur ces nouvelles ressources propres.

b) À court terme, la piste de la taxation du carbone apparaît comme étant la plus pertinente

La crédibilité des pistes évoquées repose, en premier lieu, sur les rendements que celles-ci sont susceptibles de produire, mais ces derniers restent aujourd'hui difficiles de les évaluer.

En effet, le produit de chacune de ces nouvelles ressources propres dépendra du calibrage des dispositifs qui seront proposés par la Commission européenne . D'après la direction du budget, les premières estimations, attendues d'ici à juin 2021, permettront d'affiner les chiffrages en vue des négociations qui s'engageront par la suite.

Cependant, ces propositions n'étant pas nouvelles dans le débat public, elles ont déjà fait l'objet de plusieurs évaluations, permettant d'estimer un ordre de grandeur de leur contribution au financement du budget européen.

Pour rappel, et à titre de comparaison, le remboursement des ressources levées sur les marchés par la Commission européenne, sous l'hypothèse d'un remboursement linéaire à partir de 2028, s'élèverait à 15 milliards d'euros environ .

Évaluations du rendement des propositions de nouvelles ressources propres

Ressources propres

Rendement évaluatif

Précisions méthodologiques

Référence

Ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission (SEQE)

10 milliards d'euros

Cette recette correspond au surplus de recettes générées par ce système, au-delà des montants aujourd'hui affectés aux États membres, sous réserve d'une évolution du prix du carbone et de l'extension du système à d'autres secteurs

Communication de la Commission européenne en date du 27 mai 2020, « Le budget de l'Union : moteur du plan de relance » (COM(2020) 442 final)

Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières

Entre 5 et 14 milliards d'euros

Le rendement variera selon la conception du dispositif et de son champ d'application

Redevance numérique

1,3 milliard d'euros

Cette estimation est fondée sur une assiette incluant les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 750 millions d'euros, sans que le taux ne soit toutefois précisé. En tout état de cause, il s'agirait d'un minimum, étant donné que le produit de la taxe sur les services numériques (TSN) française est évalué à 405 millions d'euros en 2020 67 ( * ) .

Taxe sur les transactions financières (TTF)

31 milliards d'euros

Le rendement est estimé en appliquant le dispositif proposé en 2011 par la Commission européenne aux onze États membres participant à la coopération renforcée en la matière. Ce montant apparaît élevé, compte tenu du rendement de la TTF française, s'élevant à 915 millions d'euros en 2019.

Proposition de directive du Conseil mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières (Com(2013) 71 final)

Source : commission des finances du Sénat

En tout état de cause, la mise en oeuvre de certaines de ces propositions se traduirait par une éviction de recettes fiscales nationales , puisqu'elles se substitueraient à des dispositifs fiscaux existants déjà. Il en est ainsi pour la taxe sur les transactions financières, la redevance numérique, qui pourrait remplacer la taxe sur les services numériques française, mais aussi pour une ressource fondée sur le système européen d'échange des quotas d'émission. Pour cette dernière, les recettes aujourd'hui affectées aux États membres pourraient toutefois être préservées de cet effet, via un mécanisme de corrections.

Au-delà de la question du rendement, la pertinence des pistes évoquées peut s'analyser au regard de plusieurs critères définissant les contours d'une ressource propre « idéale » . Ainsi, pour l'économiste Jean Pisani-Ferry 68 ( * ) , les propositions actuellement débattues doivent être appréciées selon si :

- l'origine de la ressource peut être assignée à un État membre en particulier ;

- la mise en oeuvre de cette ressource nécessite une coopération européenne ;

- la nouvelle ressource peut permettre de réduire les distorsions fiscales au sein de l'Union européenne ;

- la nouvelle ressource est en lien avec la mise en oeuvre des politiques européennes .

Au regard de ces critères, plusieurs propositions apparaissent être d'une portée limitée .

La ressource fondée sur le recyclage des déchets d'emballage plastiques, mise en oeuvre dès 2021, dépend essentiellement des incitations nationales et locales au recyclage des déchets d'emballages plastiques.

Si la taxe sur les transactions financières répond aux critères fixés, il est permis de douter de sa possible mise en oeuvre rapide, en raison des désaccords persistants entre les États membres sur le sujet.

S'agissant de la redevance numérique, elle ne saurait être envisagée comme une ressource propre durable de l'Union. En effet, prenant la forme d'une taxe sur le chiffre d'affaires des géants du numérique, elle est conçue comme une solution temporaire , dans l'attente d'un accord global sur une modernisation de la répartition des droits d'imposer les bénéfices au sein de l'OCDE.

Les positions exprimées au Conseil par certains États membres à propos des projets d' assiette commune, puis consolidée, de l'impôt sur les sociétés (ACIS et ACCIS), présentés en octobre 2016 par la précédente Commission européenne, ne font guère état d'avancées depuis l'échec de la première proposition formulée en 2013 . La position commune exprimée par la France et l'Allemagne en faveur d'une convergence fiscale en la matière dans la déclaration de Meseberg 69 ( * ) n'a pas eu l'effet d'entraînement escompté. Faute de perspective d'accord sur la seule harmonisation de l'assiette d'impôt sur les sociétés (volet ACIS), la consolidation n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour du Conseil (volet ACCIS).

En revanche, une ressource fondée sur le système d'échange des quotas d'émission apparaît plus convaincante . Cette ressource s'appuierait sur une affectation au budget de l'Union européenne d'une fraction des recettes générées par ce système.

Le système européen d'échanges de quotas d'émissions de gaz
à effet de serre (SEQE)

Mis en place dans l'objectif de satisfaire l'engagement de l'Union européenne au titre du Protocole de Kyoto, le système européen d'échange de quotas existe depuis 2005. Il s'applique désormais à plus de 11 000 installations fixes, et couvre près de 45 % des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne.

Concrètement, le système est composé d'un marché primaire et d'un marché secondaire. Sur le marché primaire, les États membres imposent un plafond sur les émissions des installations concernées (production d'électricité, réseaux de chaleur, acier, etc.), fixé en fonction des objectifs climatiques de l'Union européenne, et allouent les quotas correspondants à ce plafond. Sur le marché secondaire, les entreprises visées ont la possibilité de s'échanger des quotas.

Jusqu'en 2012, la quasi-totalité des quotas était distribuée gratuitement. L'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne a conduit à réduire progressivement la part des quotas gratuits, au bénéfice d'une vente aux enchères. Les recettes issues de la mise aux enchères des quotas du SEQE se sont élevées à 14 milliards d'euros environ en 2019 70 ( * ) .

Les recettes générées sont presque intégralement redistribuées aux États membres. Sur ces recettes rétrocédées, 90 % le sont selon la part de chaque État membre dans les émissions des secteurs couverts par le marché carbone tel qu'observé au cours de la période 2004-2006.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des informations publiées sur le site du ministère de l'écologie et des réponses de la direction du budget

Une telle ressource serait d'autant plus pertinente que la feuille de route adoptée prévoit que la Commission européenne examine sa possible extension aux secteurs de l'aviation et du transport maritime .

Selon Jean Pisani-Ferry, si le rendement de cette ressource variera selon l'ampleur des installations couvertes, celui-ci peut être estimé a minima à 300 milliards d'euros sur trente ans, et pourrait même atteindre jusqu'à 800 milliards 71 ( * ) .

Enfin, comme l'a indiqué lors de son audition la direction du budget, la France présente un réel intérêt budgétaire à encourager la mise en oeuvre de cette ressource, puisque la part de notre pays dans les recettes générées est d'environ 6 % - soit trois fois moins que notre quote-part dans le RNB de l'Union européenne (17,6 %). Ce faible taux s'explique par la prépondérance du nucléaire dans la production d'électricité française.

Or, la mise en oeuvre de cette ressource propre viendrait réduire le besoin de financement de l'Union européenne, et donc la part de la ressource RNB qui constitue la ressource d'équilibre. Ainsi, cette nouvelle ressource propre, en se substituant en partie à la ressource RNB, se traduirait par une réallocation des contributions au budget européen au bénéfice des États membres les moins polluants .

De façon complémentaire à une ressource fondée sur le SEQE, une ressource fondée sur un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières se justifierait à plusieurs titres.

Premièrement, elle deviendra nécessaire dès lors que le différentiel du prix du carbone s'accentuera entre l'Union européenne et les pays tiers , afin d'éviter les délocalisations d'activités émettrices de gaz à effet de serre.

Deuxièmement, elle pourrait constituer un levier d'action de la politique commerciale de l'Union européenne , tout en contribuant au financement de son budget.

Troisièmement, contrairement à une taxe sur les transactions financières et une redevance numérique similaire à la taxe sur les services numériques françaises, cette nouvelle ressource propre n'entraînerait pas d'effet de substitution avec les recettes fiscales aujourd'hui affectées aux budgets nationaux .

Néanmoins, la proposition de la Commission européenne devra être équilibrée, de façon à ce que ce mécanisme, qui serait assimilable à des droits de douane, ne pénalise pas excessivement les entreprises européennes. En outre, le dispositif proposé devra être conforme aux accords de l'Organisation mondiale du commerce auxquels l'Union européenne a souscrits.


* 50 Nouvelle rédaction de l'article 19a du compromis final sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant une facilité pour la reprise et la résilience.

* 51 Nouvelle rédaction de l'article 9 du même texte.

* 52 Article 3 du même texte.

* 53 Voir la liste des personnes entendues en annexe du présent rapport.

* 54 Jean Pisani-Ferry, « Relance européenne : le grand pari », Chronique Terra Nova, 29 septembre 2020.

* 55 Une analyse complète nécessiterait des hypothèses supplémentaires, en particulier concernant l'impact à long terme du plan de relance sur le PIB potentiel, les modalités de financement de la contribution additionnelle demandée à la France à compter de 2028 et l'évolution des taux d'intérêt.

* 56 Gilles Mourre, Aurélien Poissonnier et Martin Lausegger, « The Semi-Elasticities Underlying the Cyclically-Adjusted Budget Balance : An Update & Further Analysis », Commission européenne, European Economy - Discussion Paper 098, mai 2019.

* 57 Pour mémoire, la semi-élasticité budgétaire mesure la sensibilité du solde public à l'activité. En France, elle est estimée à 0,63 - ce qui signifie qu'un surcroît d'activité de 1,4 % se traduit par une amélioration de la situation des comptes publics de 0,63*1,4 % = 0,88 % du PIB.

* 58 Pour une analyse approfondie, voir : Direction générale du Trésor, « Vers un meilleur pilotage de l'orientation budgétaire de la zone euro ? », Trésor-éco, n° 163, mars 2016.

* 59 Article 92 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

* 60 Pour l'exercice 2020, le montant du prélèvement sur recettes retenu pour le calcul est celui correspondant à la dernière prévision actualisée figurant dans le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020.

* 61 D'après l'étude d'impact du projet de loi.

* 62 Groupe de haut niveau sur les ressources propres, Rapport final et recommandations, décembre 2016.

* 63 COM(2020) 442 final, p.17.

* 64 Idem, p. 17.

* 65 Accord interinstitutionnel du 16 décembre 2020 entre le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne sur la discipline budgétaire, la coopération en matière budgétaire et la bonne gestion financière, ainsi que sur de nouvelles ressources propres, comportant une feuille de route en vue de la mise en place de nouvelles ressources propres.

* 66 L'article 295 prévoit en effet que « Le Parlement européen, le Conseil et la Commission procèdent à des consultations réciproques et organisent d'un commun accord les modalités de leur coopération. À cet effet, ils peuvent, dans le respect des traités, conclure des accords interinstitutionnels qui peuvent revêtir un caractère contraignant ».

* 67 Évaluation figurant dans les Voies et moyens, tome I, annexé au projet de loi de finances pour 2021.

* 68 Voir « Financing the European Union : new contexte, new responses », de Clemens Fuest et Jean Pisani-Ferry, septembre 2020.

* 69 Déclaration franco-allemande du 19 juin 2018, « Renouveler les promesses de l'Europe en matière de sécurité et de prospérité ».

* 70 Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le fonctionnement du marché européen du carbone, 18 novembre 2020, p. 5.

* 71 Voir « Financing the European Union : new contexte, new responses », de Clemens Fuest et Jean Pisani-Ferry, septembre 2020.

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